Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 3 стр.


– Seulement mon pere peut acheter pour cent ecus d'or de friandises et les jeter dans la rue! Et pas le tien!

– Ce n'est rien, mon pere a moi, se vanta la fillette d'un redacteur, peut mettre ton pere et ton pere et tous les peres dans le journal! Tout le monde a peur de lui, dit maman, car c'est mon pere qui dirige le journal.

Et elle leva son petit nez comme si elle etait une vraie princesse qui doit pointer son nez en l'air.

Par la porte entrouverte, un garcon pauvre regardait. Il etait d'une famille si pauvre qu'il n'avait meme pas le droit d'entrer dans la chambre. Il avait aide la cuisiniere a faire tourner la broche et, en recompense, on l'autorisait a present a se placer pour un petit moment derriere la porte pour regarder ces enfants nobles, pour voir comme ils s'amusaient bien; c'etait un grand honneur pour lui.

– Oh, si je pouvais etre l'un d'eux! soupira-t-il.

Puis il entendit ce qu'il s'y disait et cela suffit a lui faire baisser la tete. Chez lui, on n'avait pas un ecu au fond du bahut, et on ne pouvait pas se permettre d'acheter les journaux et encore moins d'y ecrire. Et le pire de tout: le nom de son pere, et donc le sien aussi, se terminait par sen, il n'arriverait donc jamais a rien dans la vie. Quelle triste affaire! On ne pouvait pourtant pas dire qu'il n'etait pas ne, pas cela, il etait bel et bien ne, sinon il ne serait pas la.

Quelle soiree!

Quelques annees plus tard, les enfants devinrent adultes. Une magnifique maison fut construite dans la ville. Dans cette maison, il y avait plein d'objets somptueux, tout le monde voulait les voir, meme des gens qui n'habitaient pas la ville, venaient pour les regarder. Devinez a quel enfant de notre histoire appartenait cette maison? Et bien, la reponse est facile… ou plutot pas si facile que ca. Elle appartenait au pauvre garcon, parce qu'il etait quand meme devenu quelqu'un bien que son nom se terminat en sen, il s'appelait Thorvaldsen. Et les trois autres enfants? Ces enfants remplis d'orgueil pour leur titre, l'argent ou l'esprit? Ils n'avaient rien a s'envier les uns aux autres, ils etaient egaux… et comme ils avaient un bon fond, ils devinrent de bons et braves adultes. Et ce qu'ils avaient pense et dit autrefois n'etait que… papotage d'enfants.

La paquerette

Ecoutez bien cette petite histoire.

A la campagne, pres de la grande route, etait situee une gentille maisonnette que vous avez sans doute remarquee vous-meme. Sur le devant se trouve un petit jardin avec des fleurs et une palissade verte; non loin de la, sur le bord du fosse, au milieu de l'herbe epaisse, fleurissait une petite paquerette. Grace au soleil qui la chauffait de ses rayons aussi bien que les grandes et riches fleurs du jardin, elle s'epanouissait d'heure en heure. Un beau matin, entierement ouverte, avec ses petites feuilles blanches et brillantes, elle ressemblait a un soleil en miniature entoure de ses rayons. Qu'on l'apercut dans l'herbe et qu'on la regardat comme une pauvre fleur insignifiante, elle s'en inquietait peu. Elle etait contente, aspirait avec delices la chaleur du soleil, et ecoutait le chant de l'alouette qui s'elevait dans les airs.

Ainsi, la petite paquerette etait heureuse comme par un jour de fete, et cependant c'etait un lundi. Pendant que les enfants, assis sur les bancs de l'ecole, apprenaient leurs lecons, elle, assise sur sa tige verte, apprenait par la beaute de la nature la bonte de Dieu, et il lui semblait que tout ce qu'elle ressentait en silence, la petite alouette l'exprimait parfaitement par ses chansons joyeuses. Aussi regarda-t-elle avec une sorte de respect l'heureux oiseau qui chantait et volait, mais elle n'eprouva aucun regret de ne pouvoir en faire autant.

«Je vois et j'entends, pensa-t-elle; le soleil me rechauffe et le vent m'embrasse. Oh! j'aurais tort de me plaindre.»

En dedans de la palissade se trouvaient une quantite de fleurs roides et distinguees; moins elles avaient de parfum, plus elles se redressaient. Les pivoines se gonflaient pour paraitre plus grosses que les roses: mais ce n'est pas la grosseur qui fait la rose. Les tulipes brillaient par la beaute de leurs couleurs et se pavanaient avec pretention; elles ne daignaient pas jeter un regard sur la petite paquerette, tandis que la pauvrette les admirait en disant: «Comme elles sont riches et belles! Sans doute le superbe oiseau va les visiter. Dieu merci, je pourrai assister a ce beau spectacle.»

Et au meme instant, l'alouette dirigea son vol, non pas vers les pivoines et les tulipes, mais vers le gazon, aupres de la pauvre paquerette, qui, effrayee de joie, ne savait plus que penser.

Le petit oiseau se mit a sautiller autour d'elle en chantant: «Comme l'herbe est moelleuse! Oh! la charmante petite fleur au coeur d'or et a la robe d'argent!»

On ne peut se faire une idee du bonheur de la petite fleur. L'oiseau l'embrassa de son bec, chanta encore devant elle, puis il remonta dans l'azur du ciel. Pendant plus d'un quart d'heure, la paquerette ne put se remettre de son emotion. A moitie honteuse, mais ravie au fond du coeur, elle regarda les autres fleurs dans le jardin. Temoins de l'honneur qu'on lui avait rendu, elles devaient bien comprendre sa joie; mais les tulipes se tenaient encore plus roides qu'auparavant; leur figure rouge et pointue exprimait leur depit. Les pivoines avaient la tete toute gonflee. Quelle chance pour la pauvre paquerette qu'elles ne pussent parler! Elles lui auraient dit bien des choses desagreables. La petite fleur s'en apercut et s'attrista de leur mauvaise humeur.

Quelques moments apres, une jeune fille armee d'un grand couteau affile et brillant entra dans le jardin, s'approcha des tulipes et les coupa l'une apres l'autre.

– Quel malheur! dit la petite paquerette en soupirant; voila qui est affreux; c'en est fait d'elles.

Et pendant que la jeune fille emportait les tulipes, la paquerette se rejouissait de n'etre qu'une pauvre petite fleur dans l'herbe. Appreciant la bonte de Dieu, et pleine de reconnaissance, elle referma ses feuilles au declin du jour, s'endormit et reva toute la nuit au soleil et au petit oiseau.

Le lendemain matin, lorsque la paquerette eut rouvert ses feuilles a l'air et a la lumiere, elle reconnut la voix de l'oiseau, mais son chant etait tout triste. La pauvre alouette avait de bonnes raisons pour s'affliger: on l'avait prise et enfermee dans une cage suspendue a une croisee ouverte. Elle chantait le bonheur de la liberte, la beaute des champs verdoyants et ses anciens voyages a travers les airs.

La petite paquerette aurait bien voulu lui venir en aide: mais comment faire? C'etait chose difficile. La compassion qu'elle eprouvait pour le pauvre oiseau captif lui fit tout a fait oublier les beautes qui l'entouraient, la douce chaleur du soleil et la blancheur eclatante de ses propres feuilles.

Bientot deux petits garcons entrerent dans le jardin; le plus grand portait a la main un couteau long et affile comme celui de la jeune fille qui avait coupe les tulipes. Ils se dirigerent vers la paquerette, qui ne pouvait comprendre ce qu'ils voulaient.

– Ici nous pouvons enlever un beau morceau de gazon pour l'alouette, dit l'un des garcons, et il commenca a tailler un carre profond autour de la petite fleur.

– Arrache la fleur! dit l'autre.

A ces mots, la paquerette trembla d'effroi. Etre arrachee, c'etait perdre la vie; et jamais elle n'avait tant beni l'existence qu'en ce moment ou elle esperait entrer avec le gazon dans la cage de l'alouette prisonniere.

– Non, laissons-la, repondit le plus grand; elle est tres bien placee.

Elle fut donc epargnee et entra dans la cage de l'alouette.

Le pauvre oiseau, se plaignant amerement de sa captivite, frappait de ses ailes le fil de fer de la cage. La petite paquerette ne pouvait, malgre tout son desir, lui faire entendre une parole de consolation.

Ainsi se passa la matinee.

– Il n'y a plus d'eau ici, s'ecria le prisonnier; tout le monde est sorti sans me laisser une goutte d'eau. Mon gosier est sec et brulant, j'ai une fievre terrible, j'etouffe! Helas! il faut donc que je meure, loin du soleil brillant, loin de la fraiche verdure et de toutes les magnificences de la creation!

Puis il enfonca son bec dans le gazon humide pour se rafraichir un peu. Son regard tomba sur la petite paquerette; il lui fit un signe de tete amical, et dit en l'embrassant:

– Toi aussi, pauvre petite fleur, tu periras ici! En echange du monde que j'avais a ma disposition, l'on m'a donne quelques brins d'herbe et toi seule pour societe. Chaque brin d'herbe doit etre pour moi un arbre; chacune de tes feuilles blanches, une fleur odoriferante. Ah! tu me rappelles tout ce que j'ai perdu!

«Si je pouvais le consoler?», pensait la paquerette, incapable de faire un mouvement. Cependant le parfum qu'elle exhalait devint plus fort qu'a l'ordinaire; l'oiseau s'en apercut, et quoiqu'il languit d'une soif devorante qui lui faisait arracher tous les brins d'herbe l'un apres l'autre, il eut bien garde de toucher a la fleur.

Le soir arriva; personne n'etait encore la pour apporter une goutte d'eau a la malheureuse alouette. Alors elle etendit ses belles ailes en les secouant convulsivement, et fit entendre une petite chanson melancolique. Sa petite tete s'inclina vers la fleur, et son coeur brise de desir et de douleur cessa de battre. A ce triste spectacle, la petite paquerette ne put, comme la veille, refermer ses feuilles pour dormir; malade de tristesse, elle se pencha vers la terre.

Les petits garcons ne revinrent que le lendemain. A la vue de l'oiseau mort, ils verserent des larmes et lui creuserent une fosse. Le corps, enferme dans une jolie boite rouge, fut enterre royalement, et sur la tombe recouverte ils semerent des feuilles de roses.

Pauvre oiseau! pendant qu'il vivait et chantait, on l'avait oublie dans sa cage et laisse mourir de misere; apres sa mort, on le pleurait et on lui prodiguait des honneurs.

Le gazon et la paquerette furent jetes dans la poussiere sur la grande route; personne ne pensa a celle qui avait si tendrement aime le petit oiseau.

La petite fille aux allumettes

Il faisait effroyablement froid; il neigeait depuis le matin; il faisait deja sombre; le soir approchait, le soir du dernier jour de l'annee. Au milieu des rafales, par ce froid glacial, une pauvre petite fille marchait dans la rue: elle n'avait rien sur la tete, elle etait pieds nus. Lorsqu'elle etait sortie de chez elle le matin, elle avait eu de vieilles pantoufles beaucoup trop grandes pour elle. Aussi les perdit-elle lorsqu'elle eut a se sauver devant une file de voitures; les voitures passees, elle chercha apres ses chaussures; un mechant gamin s'enfuyait emportant en riant l'une des pantoufles; l'autre avait ete entierement ecrasee.

Voila la malheureuse enfant n'ayant plus rien pour abriter ses pauvres petits petons. Dans son vieux tablier, elle portait des allumettes: elle en tenait a la main un paquet. Mais, ce jour, la veille du nouvel an, tout le monde etait affaire; par cet affreux temps, personne ne s'arretait pour considerer l'air suppliant de la petite qui faisait pitie. La journee finissait, et elle n'avait pas encore vendu un seul paquet d'allumettes. Tremblante de froid et de faim, elle se trainait de rue en rue.

Des flocons de neige couvraient sa longue chevelure blonde. De toutes les fenetres brillaient des lumieres: de presque toutes les maisons sortait une delicieuse odeur, celle de l'oie, qu'on rotissait pour le festin du soir: c'etait la Saint-Sylvestre. Cela, oui, cela lui faisait arreter ses pas errants.

Enfin, apres avoir une derniere fois offert en vain son paquet d'allumettes, l'enfant apercoit une encoignure entre deux maisons, dont l'une depassait un peu l'autre. Harassee, elle s'y assied et s'y blottit, tirant a elle ses petits pieds: mais elle grelotte et frissonne encore plus qu'avant et cependant elle n'ose rentrer chez elle. Elle n'y rapporterait pas la plus petite monnaie, et son pere la battrait.

L'enfant avait ses petites menottes toutes transies.»Si je prenais une allumette, se dit-elle, une seule pour rechauffer mes doigts?» C'est ce qu'elle fit. Quelle flamme merveilleuse c'etait! Il sembla tout a coup a la petite fille qu'elle se trouvait devant un grand poele en fonte, decore d'ornements en cuivre. La petite allait etendre ses pieds pour les rechauffer, lorsque la petite flamme s'eteignit brusquement: le poele disparut, et l'enfant restait la, tenant en main un petit morceau de bois a moitie brule.

Elle frotta une seconde allumette: la lueur se projetait sur la muraille qui devint transparente. Derriere, la table etait mise: elle etait couverte d'une belle nappe blanche, sur laquelle brillait une superbe vaisselle de porcelaine. Au milieu, s'etalait une magnifique oie rotie, entouree de compote de pommes: et voila que la bete se met en mouvement et, avec un couteau et une fourchette fixes dans sa poitrine, vient se presenter devant la pauvre petite. Et puis plus rien: la flamme s'eteint.

L'enfant prend une troisieme allumette, et elle se voit transportee pres d'un arbre de Noel, splendide. Sur ses branches vertes, brillaient mille bougies de couleurs: de tous cotes, pendait une foule de merveilles. La petite etendit la main pour saisir la moins belle: l'allumette s'eteint. L'arbre semble monter vers le ciel et ses bougies deviennent des etoiles: il y en a une qui se detache et qui redescend vers la terre, laissant une trainee de feu.

«Voila quelqu'un qui va mourir» se dit la petite. Sa vieille grand-mere, le seul etre qui l'avait aimee et cherie, et qui etait morte il n'y avait pas longtemps, lui avait dit que lorsqu'on voit une etoile qui file, d'un autre cote une ame monte vers le paradis. Elle frotta encore une allumette: une grande clarte se repandit et, devant l'enfant, se tenait la vieille grand-mere.

– Grand-mere, s'ecria la petite, grand-mere, emmene-moi. Oh! tu vas me quitter quand l'allumette sera eteinte: tu t'evanouiras comme le poele si chaud, le superbe roti d'oie, le splendide arbre de Noel. Reste, je te prie, ou emporte-moi.

Et l'enfant alluma une nouvelle allumette, et puis une autre, et enfin tout le paquet, pour voir la bonne grand-mere le plus longtemps possible. La grand-mere prit la petite dans ses bras et elle la porta bien haut, en un lieu ou il n'y avait plus ni de froid, ni de faim, ni de chagrin: c'etait devant le trone de Dieu.

Le lendemain matin, cependant, les passants trouverent dans l'encoignure le corps de la petite; ses joues etaient rouges, elle semblait sourire; elle etait morte de froid, pendant la nuit qui avait apporte a tant d'autres des joies et des plaisirs. Elle tenait dans sa petite main, toute raidie, les restes brules d'un paquet d'allumettes.

– Quelle sottise! dit un sans-coeur. Comment a-t-elle pu croire que cela la rechaufferait? D'autres verserent des larmes sur l'enfant; c'est qu'ils ne savaient pas toutes les belles choses qu'elle avait vues pendant la nuit du nouvel an, c'est qu'ils ignoraient que, si elle avait bien souffert, elle goutait maintenant dans les bras de sa grand-mere la plus douce felicite.

Назад Дальше