Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 23 стр.


– Nous apportons ici l'animation et la gaiete, reprit la mere moineau. Les braves gens croient qu'un nid d'hirondelles porte bonheur, c'est pourquoi l'on ne nous tracasse pas; on nous aime au contraire, et l'on nous jette de temps en temps quelques bonnes miettes. Mais nos voisins, a quoi peuvent-ils etre utiles? Ce grand rosier, la contre le mur, ne fait qu'y attirer l'humidite. Qu'on l'arrache donc et qu'a sa place on seme un peu de ble. Voila une plante profitable. Mais les roses, ce n'est que pour la vue et l'odorat. Elles se fanent l'une apres l'autre. Alors, m'a appris ma mere, la femme du fermier en recueille les feuilles. On les met ensuite sur le feu pour que cela sente bon. Jusqu'au bout de leur existence, elles ne sont bonnes que pour flatter les yeux et le nez. Lorsque le soir approcha et que des myriades d'insectes se mirent a danser des rondes dans les vapeurs legeres que le soleil couchant colore en rose, le rossignol arriva et chanta pour les roses ses plus delicieux airs: le refrain etait que le beau est aussi necessaire au monde que le rayon de soleil. Les fleurs pensaient que l'oiseau faisait allusion a ses propres melodies; elles n'avaient pas l'idee qu'il chantait leur beaute. Elles n'en etaient pas moins ravies de ses harmonieuses roulades: elles se demandaient si les petits moineaux du toit deviendraient aussi un jour des rossignols.

– J'ai fort bien compris le chant de cet oiseau des bois, dit l'un d'eux, sauf un mot qui n'a pas de sens pour moi: le beau: qu'est-ce cela?

– A vrai dire, ce n'est rien du tout, repondit-elle; c'est si fragile! Tenez, la-bas au chateau, ou se trouve le pigeonnier dont les habitants recoivent tous les jours pois et avoine a gogo (j'y vais quelquefois marauder et y presenterai un jour), donc, au chateau ils ont deux enormes oiseaux au cou vert et portant une crete sur la tete: ces betes peuvent faire de leur queue une roue aux couleurs tellement eclatantes qu'elles font mal aux yeux: c'est la ce qu'il y a de plus beau au monde. Eh bien, je vous demande un peu: si l'on arrachait les plumes a ces paons (c'est ainsi qu'on appelle ces animaux si fiers), auraient-ils meilleure facon que nous? Je leur aurais depuis longtemps enleve leur parure, s'ils n'etaient pas si gros. Mais c'est pour vous dire que le beau tient a peu de chose.

– Attendez, c'est moi qui leur arracherai leurs plumes! s'ecria le petit moineau, qui n'avait lui-meme encore qu'un mince duvet. Dans la maison habitaient un jeune fermier et sa femme; c'etaient de bien braves gens, ils travaillaient ferme; tout chez eux avait un air propre et gai. Tous les dimanches matin, la fermiere allait cueillir un bouquet des plus belles roses et les mettait dans un vase plein d'eau sur le grand bahut.»Voila mon veritable almanach, disait le mari; c'est a cela que je vois que c'est bien aujourd'hui dimanche.» Et il donnait a sa femme un gros baiser.

– Que c'est fastidieux, toujours des roses! dit la mere moineau. Tous les dimanches on renouvelait le bouquet; mais pour cela le rosier ne degarnissait pas de fleurs. Dans l'intervalle il etait pousse des plumes aux petits moineaux; ils demanderent un jour a accompagner leur maman au fameux pigeonnier; mais elle ne le permit pas encore. Elle partit pour aller leur chercher a manger; la voila tout a coup prise au lacet que des gamins avaient tendu sur une branche d'arbre. La pauvrette avait ses pattes entortillees dans le crin qui la serrait horriblement. Les gamins, qui guettaient sous un bosquet, accoururent et saisirent l'oiseau brusquement.

– Ce n'est qu'un pierrot! dirent-ils. Mais ils ne le relacherent pas pour cela. Ils l'emporterent a la maison, et chaque fois que le malheureux oiseau se demenait et criait, ils le secouaient. Chez eux ils trouverent un vieux colporteur, qui etait en tournee. C'etait un rieur; a l'aide de ses plaisanteries il vendait force morceaux de savon et pots de pommade. Les galopins lui montrerent le moineau.

– Ecoutez, dit-il, nous allons le faire bien beau, il ne se reconnaitra plus lui-meme. L'infortunee maman moineau frissonna de tous ses membres. Le vieux prit dans sa balle un morceau de papier dore qu'il decoupa artistement; il enduisit l'oiseau de toutes parts avec du blanc d'oeuf, et colla le papier dessus. Les gamins battaient des mains en voyant le pierrot dore sur toutes les coutures; mais lui ne songeait guere a sa toilette resplendissante, il tremblait comme une feuille. Le vieux loustic coupa ensuite un petit morceau d'etoffe rouge, y tailla des zigzags pour imiter une crete de coq, et l'ajusta sur la tete de l'oiseau.

– Maintenant, vous allez voir, dit-il, quel effet il produira quand il va voler! Et il laissa partir le moineau qui, eperdu de frayeur, se mit a tourner en rond, ne sachant plus ou il etait. Comme il brillait a la lumiere du soleil! Toute la gent volatile, meme une vieille corneille fut d'abord effaree a l'aspect de cet etre extraordinaire. Le moineau s'etait un peu remis et avait pris son vol vers son nid; mais toute la bande des moineaux d'alentour, les pinsons, les bouvreuils et aussi la corneille se mirent a sa poursuite pour apprendre de quel pays il venait. Au milieu de ce tohu-bohu, il se troubla de nouveau, l'epouvante commencait a paralyser ses ailes, son vol se ralentissait. Plusieurs oiseaux l'avaient rattrape et lui donnaient des coups de bec; les autres faisaient un ramage terrible. Enfin le voila devant son nid. Les petits, attires par tout ce tapage, avaient mis la tete a la fenetre.

– Tiens, se dirent-ils l'un a l'autre, c'est certainement un jeune paon. L'eclat de son plumage fait mal aux yeux. Te rappelles-tu ce que la mere nous a dit: «C'est le beau. A bas le beau! Sus, sus!» Et de leurs petits becs ils frapperent l'oiseau epuise qui n'avait plus assez de souffle pour dire

, ce qui l'aurait peut-etre fait reconnaitre. Ils barrerent l'entree du nid a leur mere. Les autres oiseaux alors se jeterent sur elle et lui arracherent une plume apres l'autre; elle finit par tomber sanglante au milieu du rosier.

– Pauvre petite bete! dirent les roses. Cache-toi bien. Ils n'oseront pas te poursuivre plus loin. Notre pere te defendra avec ses epines. Repose ta tete sur nous. Mais le pauvre moineau etait dans les dernieres convulsions, il etendit les ailes, puis les resserra; il etait mort. Dans le nid, c'etaient des

continuels.

– Ou peut donc rester la mere si longtemps? dit l'aine des petits. Serait-ce avec intention qu'elle ne rentre pas? peut-etre veut-elle nous signifier que nous sommes assez grands pour pourvoir nous-memes a notre entretien? Oui, ce doit etre cela. Elle nous abandonne le nid. Nous pouvons y loger tous trois maintenant; mais plus tard, quand nous aurons de la famille, a qui sera-t-il?

– Moi, je vous ferai bien decamper, dit le plus jeune, quand je viendrai installer ici ma nichee.

– Tais-toi, blanc-bec, dit le second, je serai marie bien avant toi, et avec ma femme et mes petits je te ferai une belle conduite si tu viens ici.

– Et moi, je ne compte donc pour rien? s'ecria l'aine. La querelle s'envenima, ils se mirent a se battre des ailes, a se donner des coups de bec; les voila tous trois hors du nid dans la gouttiere, ils resterent a plat quelque temps, clignotant des yeux de l'air le plus niais. Enfin ils se releverent, ils savaient un peu voleter, et les deux aines, se sentant le desir de voir le monde, laisserent le nid au plus jeune. Avant de se separer, ils convinrent d'un signe pour se reconnaitre plus tard: c'etait un

prolonge, accompagne de trois grattements avec la patte gauche; ils devaient apprendre ce moyen de reconnaissance a leurs petits. Le plus jeune se carrait avec delices dans le nid, qui etait maintenant a lui seul. Mais des la nuit suivante le feu prit au toit, qui etait de chaume; il flamba en un instant et le moineau fut grille. Lorsque le soleil apparut, il ne restait plus debout que quelques poutres a moitie calcinees, appuyees contre un pan de mur. Les decombres fumaient encore. A cote des ruines, le rosier etait reste aussi frais, aussi fleuri que la veille; l'image de ses riches bouquets se refletait toujours dans l'eau.

– Quel effet pittoresque font ces fleurs epanouies devant ces ruines! s'ecria un passant. Il me faut dessiner cela. Et il tira d'un cahier une feuille de papier et se mit a tracer un croquis: c'etait un peintre. Il dessina les restes de la maison, la cheminee qui menacait de s'ecrouler, les debris de toute sorte, et en avant le magnifique rosier couvert de fleurs. Ce contraste entre la nature, toujours belle et vivante, et l'oeuvre de l'homme, si perissable, etait saisissant. Dans la journee, les deux jeunes moineaux envoles de la veille vinrent faire un tour aux lieux de leur naissance.

– Qu'est devenue la maison? s'ecrierent-ils. Et le nid? Tout a peri, et notre frere le querelleur aussi. C'est bien fait pour lui. Mais faut-il que ces maudites roses aient seules echappe au feu! Et le malheur des autres ne les chagrine pas, ni ne les fait maigrir, elles ont toujours leurs grosses joues bouffies!

– Je ne puis les voir, dit l'aine. Allons-nous-en, c'est maintenant un sejour affreux. Et ils s'envolerent. Par une belle journee d'automne, une bande de pigeons, noirs, blancs, tachetes, sautillaient dans la basse-cour du chateau. Leur plumage bien lisse brillait au soleil. On venait de leur jeter des pois et des graines. Ils couraient ca et la en desordre.

– En groupes! en groupes! dit une vieille mere pigeonne.

– Quelles sont ces petites betes grises qui gambadent toujours derriere nous? demanda un jeune pigeon au plumage rouge et vert.

– Venez, gris-gris. Ce sont des moineaux. Comme notre race a la reputation d'etre douce et affable, nous les laissons picorer quelques graines. En effet, voila que deux des moineaux qui venaient d'arriver de cotes differents se mirent pour se saluer, a gratter trois fois de la patte gauche et a pousser un

en point d'orgue.

– On fait bombance ici, se dirent-ils. Les pigeons d'un air protecteur se rengorgeaient et se promenaient fiers et hautains. Quand on les observe de pres, on les trouve remplis de defauts; entre eux, quand ils se croient seuls, ils sont toujours a se quereller, a se donner de furieux coups de bec.

– Regarde un peu celui qui a une si grosse gorge! dit un des jeunes pigeons a la vieille grand-mere. Comme il avale des pois! son jabot en creve presque! Allons, donnez-lui une raclee. Courez, courez, courez! Et les yeux scintillants de mechancete, deux jeunes se jeterent sur le pigeon a grosse gorge qui, la crete soulevee de colere, les bouscula l'un apres l'autre.

– En groupes! s'ecria la vieille. Venez, gris-gris! Courez, courez, courez! Les moineaux faisaient ripaille; ils avaient mis de cote leur effronterie native, et se tenaient convenablement pour qu'on les tolerat; ils se placaient meme dans les groupes au commandement de la vieille. Une fois bien repus, ils deguerpirent; quand ils furent un peu loin, ils echangerent leurs idees sur les pigeons, dont ils se moquerent a plaisir. Ils allerent, pour faire la sieste, se reposer sur le rebord d'une fenetre: elle etait ouverte. Quand on a le ventre plein, on se sent hardi; aussi l'un d'eux se risqua bravement dans la chambre.

– Pip, pip, dit le second, j'en ferais bien autant et meme plus. Et il s'avanca jusqu'au milieu de l'appartement. Il ne s'y trouvait personne en ce moment. En furetant a droite et a gauche, les voila tout au fond de la chambre.

– Tiens! qu'est cela? s'ecrierent-ils. Devant eux se trouvait un rosier dont les centaines de fleurs se refletaient dans l'eau; a cote, quelques poutres calcinees etaient adossees contre un reste de cheminee; derriere, un bouquet de bois et un ciel splendide. Les moineaux prirent leur elan pour voler vers les arbres; mais ils vinrent se cogner contre une toile. Tout ce paysage n'etait qu'un beau et grand tableau; l'artiste l'avait peint d'apres le croquis qu'il avait dessine.

– Pip! dit un des moineaux. Ce n'est rien qu'une pure apparence. Pip, pip! C'est peut-etre le beau? C'est ainsi que le definissait notre aieule, une personne des plus remarquables de son temps. Quelqu'un entra, les oiseaux s'envolerent. Des jours, des annees se passerent. Les familles de nos deux moineaux avaient prospere malgre les durs hivers; en ete, on se rattrapait et l'on engraissait. Quand on se rencontrait, on se reconnaissait au signal convenu: trois grattements de la patte gauche. Presque tous s'etablissaient jeunes, se mariaient et faisaient leur nid non loin les uns des autres. Mais une petite pierrette alerte et aventureuse, trop volontaire pour se mettre en menage, partit un jour pour les contrees lointaines et elle vint s'installer a Copenhague.

– Comme tout cela brille! dit la pierrette en voyant le soleil se refleter dans les vastes fenetres du chateau. Ne serait-ce pas le beau? Dans notre famille on sait le reconnaitre. Seulement, ce que je vois la, c'est autrement grand qu'un paon. Et ma mere m'a dit que cet animal etait le type du beau. Et la pierrette descendit dans la cour de l'edifice; sur les murs etaient peintes des fresques; au milieu etait un grand rosier qui etendait ses branches fraiches et fleuries sur un tombeau. La pierrette voleta de ce cote; trois moineaux sautillaient de compagnie. Elle fit les trois grattements et lanca un

de poitrine; les moineaux firent de meme. On se complimenta, on se salua de nouveau, et l'on causa. Deux des moineaux se trouvaient etre les freres nes dans le nid d'hirondelles; sur leurs vieux jours ils avaient eu la curiosite de voir la capitale. La nouvelle venue leur communiqua ses doutes sur la nature du beau.

– Oh! c'est bien ici qu'il se trouve, dit l'aine des freres. Tout est solennel; les visiteurs sont graves, et il n'y a rien a manger. Ce n'est que pure apparence. Des personnes qui venaient d'admirer les oeuvres sublimes du maitre approcherent du tombeau ou il repose. Leurs figures etaient encore illuminees par les impressions qu'ils venaient de recevoir dans ce sanctuaire de l'art. C'etaient de grands personnages venus de loin, d'Angleterre, de France, d'Italie; la fille de l'un d'eux, une charmante enfant, cueillit une des roses en souvenir du celebre sculpteur, et la mit dans son sein. Les moineaux, en voyant le muet hommage qu'on venait rendre au rosier, penserent que l'edifice etait construit en son honneur; cela leur parut exorbitant; mais, pour ne point paraitre trop campagnards, ils firent comme tout le monde et saluerent a leur facon. En regardant de pres, ils remarquerent que c'etait leur ancien voisin. Le peintre qui avait dessine le rosier au pied de la maison brulee avait demande la permission de l'enlever, et l'avait donne a l'architecte qui avait construit l'edifice. Celui-ci en avait trouve les fleurs si admirables, qu'il l'avait place sur le tombeau de Thorwaldsen, ou ces roses etaient comme l'embleme du beau; on les emportait bien loin en souvenir des emotions que produit la sublimite de l'art.

– Tiens, dirent les moineaux, vous avez trouve un bon emploi en ville. Les roses reconnurent leurs voisins et repondirent:

– Quelle joie de revoir d'anciens amis! Il ne manquait plus que cela a notre bonheur. Que l'existence est belle! Tous les jours ici sont des jours de fete.

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