Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 22 стр.


Les petits obeissaient, mais les canards autour d'eux les regardaient et s'exclamaient a haute voix:

– Encore une famille de plus, comme si nous n'etions pas deja assez. Et il y en a un vraiment affreux, celui-la nous n'en voulons pas.

Une cane se precipita sur lui et le mordit au cou.

– Laissez le tranquille, dit la mere. Il ne fait de mal a personne.

– Non, mais il est trop grand et mal venu. Il a besoin d'etre rosse.

– Elle a de beaux enfants, cette mere! dit la vieille cane au chiffon rouge, tous beaux, a part celui-la: il n'est guere reussi. Si on pouvait seulement recommencer les enfants rates!

– Ce n'est pas possible, Votre Grace, dit la mere des canetons; il n'est pas beau mais il est tres intelligent et il nage bien, aussi bien que les autres, mieux meme. J'espere qu'en grandissant il embellira et qu'avec le temps il sera tres presentable.

Elle lui arracha quelques plumes du cou, puis le lissa:

– Du reste, c'est un male, alors la beaute n'a pas tant d'importance.

– Les autres sont adorables, dit la vieille. Vous etes chez vous, et si vous trouvez une tete d'anguille, vous pourrez me l'apporter.

Cependant, le pauvre caneton, trop grand, trop laid, etait la risee de tous. Les canards et meme les poules le bousculaient. Le dindon-ne avec des eperons-et qui se croyait un empereur, gonflait ses plumes comme des voiles. Il se precipitait sur lui en poussant des glouglous de colere. Le pauvre caneton ne savait ou se fourrer. La fille de basse-cour lui donnait des coups de pied. Ses freres et soeurs, eux-memes, lui criaient:

– Si seulement le chat pouvait te prendre, phenomene!

Et sa mere:

– Si seulement tu etais bien loin d'ici!

C'en etait trop! Le malheureux, d'un grand effort s'envola par-dessus la haie, les petits oiseaux dans les buissons se sauvaient a tire d'aile.

«Je suis si laid que je leur fais peur», pensa-t-il en fermant les yeux.

Il courut tout de meme jusqu'au grand marais ou vivaient les canards sauvages. Il tombait de fatigue et de chagrin et resta la toute la nuit.

Au matin, les canards en voyant ce nouveau camarade s'ecrierent:

– Qu'est-ce que c'est que celui-la?

Notre ami se tournait de droite et de gauche, et saluait tant qu'il pouvait.

– Tu es affreux, lui dirent les canards sauvages, mais cela nous est bien egal pourvu que tu n'epouses personne de notre famille.

Il ne songeait guere a se marier, le pauvre! Si seulement on lui permettait de coucher dans les roseaux et de boire l'eau du marais.

Il resta la deux jours. Vinrent deux oies sauvages, deux jars plutot, car c'etaient des males, il n'y avait pas longtemps qu'ils etaient sortis de l'oeuf et ils etaient tres desinvoltes.

– Ecoute, camarade, dirent-ils, tu es laid, mais tu nous plais. Veux-tu venir avec nous et devenir oiseau migrateur? Dans un marais a cote il y a quelques charmantes oiselles sauvages, toutes demoiselles bien capables de dire coin, coin (oui, oui), et laid comme tu es, je parie que tu leur plairas.

Au meme instant, il entendit

Des chasseurs passaient, ils cernerent le marais, il y en avait meme grimpes dans les arbres. Les chiens de chasse couraient dans la vase.

Klap!

– Oh! Dieu merci! je suis si laid que meme le chien ne veut pas me mordre.

Il se tint tout tranquille pendant que les plombs sifflaient et que les coups de fusils claquaient.

Le calme ne revint qu'au milieu du jour, mais le pauvre n'osait pas se lever, il attendit encore de longues heures, puis quittant le marais il courut a travers les champs et les pres, malgre le vent qui l'empechait presque d'avancer.

Vers le soir, il atteignit une pauvre masure paysanne, si miserable qu'elle ne savait pas elle-meme de quel cote elle avait envie de tomber, alors elle restait debout provisoirement. Le vent sifflait si fort qu'il fallait au caneton s'asseoir sur sa queue pour lui resister. Il s'apercut tout a coup que l'un des gonds de la porte etait arrache, ce qui laissait un petit espace au travers duquel il etait possible de se glisser dans la cabane. C'est ce qu'il fit.

Une vieille paysanne habitait la, avec son chat et sa poule. Le chat pouvait faire le gros dos et ronronner. Il jetait meme des etincelles si on le caressait a rebrousse-poil. La poule avait les pattes toutes courtes, elle pondait bien et la femme les aimait tous les deux comme ses enfants.

Au matin, ils remarquerent l'inconnu. Le chat fit

cotcotcot

«Bonne affaire, pensa-t-elle, je vais avoir des oeufs de cane. Pourvu que ce ne soit pas un male. Nous verrons bien.»

Le caneton resta a l'essai, mais on s'apercut tres vite qu'il ne pondait aucun oeuf. Le chat etait le maitre de la maison et la poule la maitresse. Ils disaient: «Nous et le monde», ils pensaient bien en etre la moitie, du monde, et la meilleure. Le caneton etait d'un autre avis, mais la poule ne supportait pas la contradiction.

– Sais-tu pondre? demandait-elle.

– Non.

– Alors, tais-toi.

Et le chat disait:

– Sais-tu faire le gros dos, ronronner?

– Non.

– Alors, n'emets pas des opinions absurdes quand les gens raisonnables parlent. Le caneton, dans son coin, etait de mauvaise humeur; il avait une telle nostalgie d'air frais, de soleil, une telle envie de glisser sur l'eau. Il ne put s'empecher d'en parler a la poule.

– Qu'est-ce qui te prend, repondit-elle. Tu n'as rien a faire, alors tu te montes la tete. Tu n'as qu'a pondre ou a ronronner, et cela te passera.

– C'est si delicieux de glisser sur l'eau, dit le caneton, si exquis quand elle vous passe par-dessus la tete et de plonger jusqu'au fond!

– En voila un plaisir, dit la poule. Tu es completement fou. Demande au chat, qui est l'etre le plus intelligent que je connaisse, s'il aime glisser sur l'eau ou plonger la tete dedans. Je ne parle meme pas de moi. Demande a notre hotesse, la vieille paysanne. Il n'y a pas plus intelligent. Crois-tu qu'elle a envie de nager et d'avoir de l'eau par-dessus la tete?

– Vous ne me comprenez pas, soupirait le caneton.

– Alors, si nous ne te comprenons pas, qui est-ce qui te comprendra! Tu ne vas tout de meme pas croire que tu es plus malin que le chat ou la femme… ou moi-meme! Remercie plutot le ciel de ce qu'on a fait pour toi. N'es-tu pas la dans une chambre bien chaude avec des gens capables de t'apprendre quelque chose? Mais tu n'es qu'un vaurien, et il n'y a aucun plaisir a te frequenter. Remarque que je te veux du bien et si je te dis des choses desagreables, c'est que je suis ton amie. Essaie un peu de pondre ou de ronronner!

– Je crois que je vais me sauver dans le vaste monde, avoua le caneton.

– Eh bien! vas-y donc.

Il s'en alla.

L'automne vint, les feuilles dans la foret passerent du jaune au brun, le vent les faisait voler de tous cotes. L'air etait froid, les nuages lourds de grele et de neige, dans les haies nues les corbeaux croassaient

Un soir, au soleil couchant, un grand vol d'oiseaux sortit des buissons. Jamais le caneton n'en avait vu de si beaux, d'une blancheur si immaculee, avec de longs cous ondulants. Ils ouvraient leurs larges ailes et s'envolaient loin des contrees glacees vers le midi, vers les pays plus chauds, vers la mer ouverte. Ils volaient si haut, si haut, que le caneton en fut impressionne; il tournait sur l'eau comme une roue, tendait le cou vers le ciel… il poussa un cri si etrange et si puissant que lui-meme en fut effraye.

Jamais il ne pourrait oublier ces oiseaux merveilleux! Lorsqu'ils furent hors de sa vue, il plongea jusqu'au fond de l'eau et quand il remonta a la surface, il etait comme hors de lui-meme. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux ni ou ils s'envolaient, mais il les aimait comme il n'avait jamais aime personne. Il ne les enviait pas, comment aurait-il reve de leur ressembler…

L'hiver fut froid, terriblement froid. Il lui fallait nager constamment pour empecher l'eau de geler autour de lui. Mais, chaque nuit, le trou ou il nageait devenait de plus en plus petit. La glace craquait, il avait beau remuer ses pattes, a la fin, epuise, il resta pris dans la glace.

Au matin, un paysan qui passait le vit, il brisa la glace de son sabot et porta le caneton a la maison ou sa femme le ranima.

Les enfants voulaient jouer avec lui, mais lui croyait qu'ils voulaient lui faire du mal, il s'elanca droit dans la terrine de lait eclaboussant toute la piece; la femme criait et levait les bras au ciel. Alors, il vola dans la baratte ou etait le beurre et, de la, dans le tonneau a farine. La paysanne le poursuivait avec des pincettes; les enfants se bousculaient pour l'attraper… et ils riaient… et ils criaient. Heureusement, la porte etait ouverte! Il se precipita sous les buissons, dans la neige molle, et il y resta aneanti.

Il serait trop triste de raconter tous les malheurs et les peines qu'il dut endurer en ce long hiver. Pourtant, un jour enfin, le soleil se leva, deja chaud, et se mit a briller. C'etait le printemps.

Alors, soudain, il eleva ses ailes qui bruirent et le souleverent, et avant qu'il put s'en rendre compte, il se trouva dans un grand jardin plein de pommiers en fleurs. La, les lilas embaumaient et leurs longues branches vertes tombaient jusqu'aux fosses.

Comme il faisait bon et printanier! Et voila que, devant lui, sortant des fourres trois superbes cygnes blancs s'avancaient. Il ebouriffaient leurs plumes et nageaient si legerement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une etrange melancolie s'empara de lui.

– Je vais voler jusqu'a eux et ils me battront a mort, moi si laid, d'avoir l'audace de les approcher! Mais tant pis, plutot mourir par eux que pince par les canards, pique par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour!

Il s'elanca dans l'eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. A son etonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigerent vers lui.

– Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tete vers la surface des eaux.

Et il attendit la mort.

Mais alors, qu'est-ce qu'il vit, se refletant sous lui, dans l'eau claire? C'etait sa propre image, non plus comme un vilain gros oiseau gris et lourdaud… il etait devenu un cygne!!!

Car il n'y a aucune importance a etre ne parmi les canards si on a ete couve dans un oeuf de cygne!

Il ne regrettait pas le temps des miseres et des epreuves puisqu'elles devaient le conduire vers un tel bonheur! Les grands cygnes blancs nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.

Quelques enfants approchaient, jetant du pain et des graines. Le plus petit s'ecria:-Oh! il y en a un nouveau.

Et tous les enfants de s'exclamer et de battre des mains et de danser en appelant pere et mere.

On lanca du pain et des gateaux dans l'eau. Tous disaient: «Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux.» Les vieux cygnes s'inclinaient devant lui.

Il etait tout confus, notre petit canard, et cachait sa tete sous l'aile, il ne savait lui-meme pourquoi. Il etait trop heureux, pas du tout orgueilleux pourtant, car un grand coeur ne connait pas l'orgueil. Il pensait combien il avait ete pourchasse et hai alors qu'il etait le meme qu'aujourd'hui ou on le declarait le plus beau de tous! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil etincelait. Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son coeur comble il cria: «Aurais-je pu rever semblable felicite quand je n'etais que le vilain petit canard!»

Les voisins

On aurait vraiment pu croire que la mare aux canards etait en pleine revolution; mais il ne s'y passait rien. Pris d'une folle panique, tous les canards qui, un instant avant, se prelassaient avec indolence sur l'eau ou y barbotaient gaiement, la tete en bas, se mirent a nager comme des perdus vers le bord, et, une fois a terre, s'enfuirent en se dandinant, faisant retentir les echos d'alentour de leurs cris les plus discordants. La surface de l'eau etait tout agitee. Auparavant elle etait unie comme une glace; on y voyait tous les arbres du verger, la ferme avec son toit et le nid d'hirondelles; au premier plan, un grand rosier tout en fleur qui, adosse au mur, se penchait au-dessus de la mare. Maintenant on n'apercevait plus rien; le beau paysage avait disparu subitement comme un mirage. A la place il y avait quelques plumes que les canards avaient perdues dans leur fuite precipitee; une petite brise les balancait et les poussait vers le bord. Survint une accalmie, et elles resterent en panne. La tranquillite retablie, l'on vit apparaitre de nouveau les roses. Elles etaient magnifiques; mais elles ne le savaient pas. La lumiere du soleil passait a travers leurs feuilles delicates; elles repandaient la plus delicieuse senteur.

– Que l'existence est donc belle! dit l'une d'elles. Il y a pourtant une chose qui me manque. Je voudrais embrasser ce cher soleil, dont la douce chaleur nous fait epanouir; je voudrais aussi embrasser les roses qui sont la dans l'eau. Comme elles nous ressemblent! Il y a encore la-haut les gentils petits oiseaux que je voudrais caresser. Comme ils gazouillent joliment quand ils tendent leurs tetes mignonnes hors de leur nid! Mais il est singulier qu'ils n'aient pas de plumes, comme leur pere et leur mere. Quels excellents voisins cela fait! Ces jeunes oiseaux etaient des moineaux; leurs parents aussi etaient des moineaux; ils s'etaient installes dans le nid que l'hirondelle avait confectionne l'annee d'avant: ils avaient fini par croire que c'etait leur propriete.

– Sont-ce des pieces pour faire des habits aux canards? demanda l'un des petits moineaux, en apercevant les plumes sur l'eau.

– Comment pouvez-vous dire des sottises pareilles? dit la mere. Ne savez-vous donc pas qu'on ne confectionne pas des vetements aux oiseaux comme aux hommes? Ils nous poussent naturellement. Les notres sont bien plus fins que ceux des canards. A propos, je voudrais bien savoir ce qui a pu tant effrayer ces lourdes betes. Je me rappelle que j'ai pousse quelques

energiques en vous grondant tout a l'heure. Serait-ce cela? Ces grosses roses, qui etaient aux premieres loges, devraient le savoir; mais elles ne font attention a rien; elles sont perdues dans la contemplation d'elles-memes. Quels ennuyeux voisins! Les petits marmotterent quelques legers

d'approbation.

– Entendez-vous ces amours d'oiseaux! dirent les roses. Ils s'essayent a chanter; cela ne va pas encore; mais dans quelque temps ils fredonneront gaiement. Que ce doit etre agreable de savoir chanter! on fait plaisir a soi-meme et aux autres. Que c'est charmant d'avoir de si joyeux voisins! Tout a coup deux chevaux arriverent au galop; on les menait boire a la mare. Un jeune paysan montait l'un; il n'avait sur lui que son pantalon et un large chapeau de paille. Le garcon sifflait mieux qu'un moineau; il fit entrer ses chevaux dans l'eau jusqu'a l'endroit le plus profond. En passant pres du rosier, il en cueillit une fleur et la mit a son chapeau. Il n'etait pas peu fier de cet ornement. Les autres roses, en voyant s'eloigner leur soeur, se demanderent l'une a l'autre:

– Ou peut-elle bien aller? Aucune ne le savait.

– Parfois je souhaite de pouvoir me lancer a travers le monde, dit l'une d'elles; mais reellement je me trouve tres bien ici: le jour, le soleil y donne en plein; et la nuit, je puis admirer le bel eclat lumineux du ciel a travers les petits trous du grand rideau bleu. C'est ainsi que dans sa simplicite elle designait les etoiles.

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