Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 8 стр.


La nuit eternelle, sans pensee et sans reve, l'attendait, elle qui n'avait pas d'ame et n'en pouvait esperer.

Sur le navire tout fut plaisir et rejouissance jusque bien avant dans la nuit. Elle dansait et riait mais la pensee de la mort etait dans son coeur. Le prince embrassait son exquise epouse qui caressait les cheveux noirs de son epoux, puis la tenant a son bras il l'amena se reposer sous la tente splendide.

Alors, tout fut silence et calme sur le navire. Seul veillait l'homme a la barre. La petite sirene appuya ses bras sur le bastingage et chercha a l'orient la premiere lueur rose de l'aurore, le premier rayon du soleil qui allait la tuer.

Soudain elle vit ses soeurs apparaitre au-dessus de la mer. Elles etaient pales comme elle-meme, leurs longs cheveux ne flottaient plus au vent, on les avait coupes.

– Nous les avons sacrifies chez la sorciere pour qu'elle nous aide, pour que tu ne meures pas cette nuit. Elle nous a donne un couteau. Le voici. Regarde comme il est aiguise… Avant que le jour ne se leve, il faut que tu le plonges dans le coeur du prince et lorsque son sang tout chaud tombera sur tes pieds, ils se reuniront en une queue de poisson et tu redeviendras sirene. Tu pourras descendre sous l'eau jusque chez nous et vivre trois cents ans avant de devenir un peu d'ecume salee. Hate-toi! L'un de vous deux doit mourir avant l'aurore. Notre vieille grand-mere a tant de chagrin qu'elle a, comme nous, laisse couper ses cheveux blancs par les ciseaux de la sorciere. Tue le prince, et reviens-nous. Hate-toi! Ne vois-tu pas deja cette trainee rose a l'horizon? Dans quelques minutes le soleil se levera et il te faudra mourir.

Un soupir etrange monta a leurs levres et elles s'enfoncerent dans les vagues. La petite sirene ecarta le rideau de pourpre de la tente, elle vit la douce epousee dormant la tete appuyee sur l'epaule du prince. Alors elle se pencha et posa un baiser sur le beau front du jeune homme. Son regard chercha le ciel de plus en plus envahi par l'aurore, puis le poignard pointu, puis a nouveau le prince, lequel, dans son sommeil, murmurait le nom de son epouse qui occupait seule ses pensees, et le couteau trembla dans sa main. Alors, tout a coup, elle le lanca au loin dans les vagues qui rougirent a l'endroit ou il toucha les flots comme si des gouttes de sang jaillissaient a la surface. Une derniere fois, les yeux voiles, elle contempla le prince et se jeta dans la mer ou elle sentit son corps se dissoudre en ecume.

Maintenant le soleil surgissait majestueusement de la mer. Ses rayons tombaient doux et chauds sur l'ecume glacee et la petite sirene ne sentait pas la mort. Elle voyait le clair soleil et, au-dessus d'elle, planaient des centaines de charmants etres transparents. A travers eux, elle apercevait les voiles blanches du navire, les nuages roses du ciel, leurs voix etaient melodieuses, mais si immaterielles qu'aucune oreille terrestre ne pouvait les capter, pas plus qu'aucun regard humain ne pouvait les voir. Sans ailes, elles flottaient par leur seule legerete a travers l'espace. La petite sirene sentit qu'elle avait un corps comme le leur, qui s'elevait de plus en plus haut au-dessus de l'ecume.

– Ou vais-je? demanda-t-elle. Et sa voix, comme celle des autres etres, etait si immaterielle qu'aucune musique humaine ne peut l'exprimer.

– Chez les filles de l'air, repondirent-elles. Une sirene n'a pas d'ame immortelle, ne peut jamais en avoir, a moins de gagner l'amour d'un homme. C'est d'une volonte etrangere que depend son existence eternelle. Les filles de l'air n'ont pas non plus d'ame immortelle, mais elles peuvent, par leurs bonnes actions, s'en creer une. Nous nous envolons vers les pays chauds ou les effluves de la peste tuent les hommes, nous y soufflons la fraicheur. Nous repandons le parfum des fleurs dans l'atmosphere et leur arome porte le reconfort et la guerison. Lorsque durant trois cents ans nous nous sommes efforcees de faire le bien, tout le bien que nous pouvons, nous obtenons une ame immortelle et prenons part a l'eternelle felicite des hommes. Toi, pauvre petite sirene, tu as de tout coeur cherche le bien comme nous, tu as souffert et supporte de souffrir, tu t'es haussee jusqu'au monde des esprits de l'air, maintenant tu peux toi-meme, par tes bonnes actions, te creer une ame immortelle dans trois cents ans.

Alors, la petite sirene leva ses bras transparents vers le soleil de Dieu et, pour la premiere fois, des larmes monterent a ses yeux.

Sur le bateau, la vie et le bruit avaient repris, elle vit le prince et sa belle epouse la chercher de tous cotes, elle les vit fixer tristement leurs regards sur l'ecume dansante, comme s'ils avaient devine qu'elle s'etait precipitee dans les vagues. Invisible elle baisa le front de l'epoux, lui sourit et avec les autres filles de l'air elle monta vers les nuages roses qui voguaient dans l'air.

– Dans trois cents ans, nous entrerons ainsi au royaume de Dieu.

Nous pouvons meme y entrer avant, murmura l'une d'elles. Invisibles nous penetrons dans les maisons des hommes ou il y a des enfants et, chaque fois que nous trouvons un enfant sage, qui donne de la joie a ses parents et merite leur amour, Dieu raccourcit notre temps d'epreuve.

Lorsque nous voltigeons a travers la chambre et que de bonheur nous sourions, l'enfant ne sait pas qu'un an nous est soustrait sur les trois cents, mais si nous trouvons un enfant cruel et mechant, il nous faut pleurer de chagrin et chaque larme ajoute une journee a notre temps d'epreuve.

La plume et l'encrier

Que de choses dans un encrier! disait quelqu'un qui se trouvait chez un poete; que de belles choses! Quelle sera la premiere oeuvre qui en sortira? Un admirable ouvrage sans doute.

– C'est tout simplement admirable, repondit aussitot la voix de l'encrier; tout ce qu'il y a de plus admirable! repeta-t-il, en prenant a temoin la plume et les autres objets places sur le bureau. Que de choses en moi… on a quelque peine a le concevoir… Il est vrai que je l'ignore moi-meme et que je serais fort embarrasse de dire ce qui en sort quand une plume vient de s'y plonger. Une seule de mes gouttes suffit pour une demi-page: que ne contient pas celle-ci! C'est de moi que naissent toutes les oeuvres du maitre de ceans. C'est dans moi qu'il puise ces considerations subtiles, ces heros aimables, ces paysages seduisants qui emplissent tant de livres. Je n'y comprends rien, et la nature me laisse absolument indifferent; mais qu'importe: tout cela n'en a pas moins sa source en moi, et cela me suffit.

– Vous avez parfaitement raison de vous en contenter, repliqua la plume; cela prouve que vous ne reflechissez pas, car si vous aviez le don de la reflexion, vous comprendriez que votre role est tout different de ce que vous le croyez. Vous fournissez la matiere qui me sert a rendre visible ce qui vit en moi; vous ne contenez que de l'encre, l'ami, pas autre chose. C'est moi, la plume, qui ecris; il n'est pas un homme qui le conteste et, cependant, beaucoup parmi les hommes s'entendent a la poesie autant qu'un vieil encrier.

– Vous avez le verbe bien haut pour une personne d'aussi peu d'experience; car, vous ne datez guere que d'une semaine, ma mie, et vous voici deja dans un lamentable etat. Vous imagineriez-vous par hasard que mes oeuvres sont les votres? Oh! la belle histoire! Plumes d'oie ou plumes d'acier, vous etes toutes les memes et ne valez pas mieux les unes que les autres. A vous le soin machinal de reporter sur le papier ce que je renferme quand l'homme vient me consulter. Que m'empruntera-t-il la prochaine fois? Je serais curieux de le savoir.

– Pataud! conclut la plume.

Cependant, le poete etait dans une vive surexcitation d'esprit lorsqu'il rentra, le soir. Il avait assiste a un concert et subi le charme irresistible d'un incomparable violoniste. Sous le jeu inspire de l'artiste, l'instrument s'etait anime et avait exhale son ame en debordantes harmonies.

Le poete avait cru entendre chanter son propre coeur, chanter avec une voix divine comme en ont parfois des femmes. On eut dit que tout vibrait dans ce violon, les cordes, la chanterelle, la caisse, pour arriver a une plus grande intensite d'expression. Bien que le jeu du virtuose fut d'une science extreme, l'execution semblait n'etre qu'un enfantillage: a peine voyait-on parfois l'archet effleurer les cordes; c'etait a donner a chacun l'envie d'en faire autant avec un violon qui paraissait chanter de lui-meme, un archet qui semblait aller tout seul. L'artiste etait oublie, lui, qui pourtant les faisait ce qu'ils etaient, en faisant passer en eux une parcelle de son genie. Mais le poete se souvenait et s'asseyant a sa table, il prit sa plume pour ecrire ce que lui dictaient ses impressions.

«Combien ce serait folie a l'archet et au violon de s'enorgueillir de leurs merites! Et cependant nous l'avons cette folie, nous autres poetes, artistes, inventeurs ou savants. Nous chantons nos louanges, nous sommes fiers de nos oeuvres, et nous oublions que nous sommes des instruments dont joue le Createur. Honneur a lui seul! Nous n'avons rien dont nous puissions nous enorgueillir.»

Sur ce theme, le poete developpa une parabole, qu'il intitula l'Ouvrier et les instruments.

– A bon entendeur, salut! mon cher, dit la plume a l'encrier, apres le depart du maitre. Vous avez bien compris ce que j'ai ecrit et ce qu'il vient de relire tout haut?

– Naturellement, puisque c'est chez moi que vous etes venue le chercher, la belle. Je vous conseille de faire votre profit de la lecon, car vous ne pechez pas, d'ordinaire, par exces de modestie. Mais vous n'avez pas meme senti qu'on s'amusait a vos depens!

– Vieille cruche! repliqua la plume.

– Vieux balai! riposta l'encrier.

Et chacun d'eux resta convaincu d'avoir reduit son adversaire au silence par des raisons ecrasantes. Avec une conviction semblable, on a la conscience tranquille et l'on dort bien; aussi s'endormirent-ils tous deux du sommeil du juste.

Cependant, le poete ne dormait pas, lui; les idees se pressaient dans sa tete comme les notes sous l'archet du violoniste, tantot fraiches et cristallines comme les perles egrenees par les cascades, tantot impetueuses comme les rafales de la tempete dans la foret. Il vibrait tout entier sous la main du Maitre Supreme. Honneur a lui seul!

La princesse au petit pois

Il etait une fois un prince qui voulait epouser une princesse, mais une vraie princesse. Il fit le tour de la terre pour en trouver une mais il y avait toujours quelque chose qui clochait; des princesses, il n'en manquait pas, mais etaient-elles de vraies princesses? C'etait difficile a apprecier, toujours une chose ou l'autre ne lui semblait pas parfaite.

Il rentra chez lui tout triste, il aurait tant voulu avoir une veritable princesse. Un soir par un temps affreux, eclairs et tonnerre, cascades de pluie que c'en etait effrayant, on frappa a la porte de la ville et le vieux roi lui-meme alla ouvrir. C'etait une princesse qui etait la, dehors. Mais grands dieux! de quoi avait-elle l'air dans cette pluie, par ce temps! L'eau coulait de ses cheveux et de ses vetements, entrait par la pointe de ses chaussures et ressortait par le talon… et elle pretendait etre une veritable princesse!-Nous allons bien voir ca, pensait la vieille reine, mais elle ne dit rien.

Elle alla dans la chambre a coucher, retira toute la literie et mit un petit pois au fond du lit; elle prit ensuite vingt matelas qu'elle empila sur le petit pois et, par-dessus, elle mit encore vingt edredons en plumes d'eider. C'est la-dessus que la princesse devait coucher cette nuit-la.

Au matin, on lui demanda comment elle avait dormi.-Affreusement mal, repondit-elle, je n'ai presque pas ferme l'oeil de la nuit. Dieu sait ce qu'il y avait dans ce lit. J'etais couche sur quelque chose de si dur que j'en ai des bleus et des noirs sur tout le corps! C'est terrible!

Alors ils reconnurent que c'etait une vraie princesse puisque, a travers les vingt matelas et les vingt edredons en plumes d'eider, elle avait senti le petit pois. Une peau aussi sensible ne pouvait etre que celle d'une authentique princesse.

Le prince la prit donc pour femme, sur maintenant d'avoir une vraie princesse et le petit pois fut expose dans le cabinet des tresors d'art, ou on peut encore le voir si personne ne l'a emporte. Et ceci est une vraie histoire.

La princesse et le porcher

Il y avait une fois un prince pauvre. Son royaume etait tout petit mais tout de meme assez grand pour s'y marier et justement il avait le plus grand desir de se marier.

Il y avait peut-etre un peu de hardiesse a demander a la fille de l'empereur voisin: «Veux-tu de moi?» Il l'osa cependant car son nom etait honorablement connu, meme au loin, et cent princesses auraient accepte en remerciant, mais allez donc comprendre celle-ci… Ecoutez, plutot:

Sur la tombe du pere du prince poussait un rosier, un rosier miraculeux. Il ne donnait qu'une unique fleur tous les cinq ans, mais c'etait une rose d'un parfum si doux qu'a la respirer on oubliait tous ses chagrins et ses soucis. Le prince avait aussi un rossignol qui chantait comme si toutes les plus belles melodies du monde etaient enfermees dans son petit gosier. Cette rose et ce rossignol, il les destinait a la princesse, tous deux furent donc places dans deux grands ecrins d'argent et envoyes chez elle.

L'empereur les fit apporter devant lui dans le grand salon ou la princesse jouait «a la visite» avec ses dames d'honneur-elles n'avaient du reste pas d'autre occupation-et lorsqu'elle vit les grandes boites contenant les cadeaux, elle applaudit de plaisir.

– Si seulement c'etait un petit minet, dit-elle. Mais c'est la merveilleuse rose qui parut.

– Comment elle est joliment faite! s'ecrierent toutes les dames d'honneur.

– Elle est plus jolie, surencherit l'empereur, elle est la beaute meme.

Cependant la princesse la toucha du doigt et fut sur le point de pleurer.

– Oh! papa, cria-t-elle, quelle horreur, elle n'est pas artificielle, c'est une vraie!

– Fi donc! s'exclamerent toutes ces dames, c'est une vraie!

– Avant de nous facher, regardons ce qu'il y a dans la deuxieme boite, opina l'empereur.

Alors le rossignol apparut et il se mit a chanter si divinement que tout d'abord on ne trouva pas de critique a lui faire.

– Superbe! charmant! s'ecrierent toutes les dames de la cour, car elles parlaient toutes francais, l'une plus mal que l'autre du reste.

– Comme cet oiseau me rappelle la boite a musique de notre defunte imperatrice! dit un vieux gentilhomme. Mais oui, c'est tout a fait la meme maniere, la meme diction musicale!

– Eh oui! dit l'empereur. Et il se mit a pleurer comme un enfant.

– Mais au moins j'espere que ce n'est pas un vrai, dit la princesse.

– Mais si, c'est un veritable oiseau, affirmerent ceux qui l'avaient apporte.

– Ah! alors qu'il s'envole, commanda la princesse. Et elle ne voulut pour rien au monde recevoir le prince.

Mais lui ne se laissa pas decourager, il se barbouilla le visage de brun et de noir, enfonca sa casquette sur sa tete et alla frapper la-bas.

– Bonjour, empereur! dit-il, ne pourrais-je pas trouver du travail au chateau?

– Euh! il y en a tant qui demandent, repondit l'empereur, mais, ecoutez… je cherche un valet pour garder les cochons car nous en avons beaucoup.

Et voila le prince engage comme porcher imperial. On lui donna une mauvaise petite chambre a cote de la porcherie et c'est la qu'il devait se tenir. Cependant, il s'assit et travailla toute la journee, et le soir il avait fabrique une jolie petite marmite garnie de clochettes tout autour. Quand la marmite se mettait a bouillir, les clochettes tintaient et jouaient:

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