– Oui, dit la petite sirene d'une voix tremblante en pensant au prince et a son ame immortelle.
– Mais n'oublie pas, dit la sorciere, que lorsque tu auras une apparence humaine, tu ne pourras jamais redevenir sirene, jamais redescendre aupres de tes soeurs dans le palais de ton pere. Et si tu ne gagnes pas l'amour du prince au point qu'il oublie pour toi son pere et sa mere, qu'il s'attache a toi de toutes ses pensees et demande au pasteur d'unir vos mains afin que vous soyez mari et femme, alors tu n'auras jamais une ame immortelle. Le lendemain matin du jour ou il en epouserait une autre, ton coeur se briserait et tu ne serais plus qu'ecume sur la mer.
– Je le veux, dit la petite sirene, pale comme une morte.
– Mais moi, il faut aussi me payer, dit la sorciere, et ce n'est pas peu de chose que je te demande. Tu as la plus jolie voix de toutes ici-bas et tu crois sans doute grace a elle ensorceler ton prince, mais cette voix, il faut me la donner. Le meilleur de ce que tu possedes, il me le faut pour mon precieux breuvage! Moi, j'y mets de mon sang afin qu'il soit coupant comme une lame a deux tranchants.
– Mais si tu prends ma voix, dit la petite sirene, que me restera-t-il?
– Ta forme ravissante, ta demarche ailee et le langage de tes yeux, c'est assez pour seduire un coeur d'homme. Allons, as-tu deja perdu courage? Tends ta jolie langue, afin que je la coupe pour me payer et je te donnerai le philtre tout puissant.
– Qu'il en soit ainsi, dit la petite sirene, et la sorciere mit son chaudron sur le feu pour faire cuire la drogue magique.
– La proprete est une bonne chose, dit-elle en recurant le chaudron avec les couleuvres dont elle avait fait un noeud.
Elle s'egratigna le sein et laissa couler son sang epais et noir. La vapeur s'elevait en silhouettes etranges, terrifiantes. A chaque instant la sorciere jetait quelque chose dans le chaudron et la mixture se mit a bouillir, on eut cru entendre pleurer un crocodile. Enfin le philtre fut a point, il etait clair comme l'eau la plus pure!
– Voila, dit la sorciere et elle coupa la langue de la petite sirene. Muette, elle ne pourrait jamais plus ni chanter, ni parler.
– Si les polypes essayent de t'agripper, lorsque tu retourneras a travers la foret, jette une seule goutte de ce breuvage sur eux et leurs bras et leurs doigts se briseront en mille morceaux.
La petite sirene n'eut pas a le faire, les polypes reculaient effrayes en voyant le philtre lumineux qui brillait dans sa main comme une etoile. Elle traversa rapidement la foret, le marais et le courant mugissant.
Elle etait devant le palais de son pere. Les lumieres etaient eteintes dans la grande salle de bal, tout le monde dormait surement, et elle n'osa pas aller aupres des siens maintenant qu'elle etait muette et allait les quitter pour toujours. Il lui sembla que son coeur se brisait de chagrin. Elle se glissa dans le jardin, cueillit une fleur du parterre de chacune de ses soeurs, envoya de ses doigts mille baisers au palais et monta a travers l'eau sombre et bleue de la mer. Le soleil n'etait pas encore leve lorsqu'elle vit le palais du prince et gravit les degres du magnifique escalier de marbre. La lune brillait merveilleusement claire. La petite sirene but l'apre et brulante mixture, ce fut comme si une epee a deux tranchants fendait son tendre corps, elle s'evanouit et resta etendue comme morte. Lorsque le soleil resplendit au-dessus des flots, elle revint a elle et ressentit une douleur aigue. Mais devant elle, debout, se tenait le jeune prince, ses yeux noirs fixes si intensement sur elle qu'elle en baissa les siens et vit qu'a la place de sa queue de poisson disparue, elle avait les plus jolies jambes blanches qu'une jeune fille put avoir. Et comme elle etait tout a fait nue, elle s'enveloppa dans sa longue chevelure.
Le prince demanda qui elle etait, comment elle etait venue la, et elle leva vers lui doucement, mais tristement, ses grands yeux bleus puis qu'elle ne pouvait parler.
Alors il la prit par la main et la conduisit au palais. A chaque pas, comme la sorciere l'en avait prevenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des couteaux aiguises, mais elle supportait son mal. Sa main dans la main du prince, elle montait aussi legere qu'une bulle et lui-meme et tous les assistants s'emerveillerent de sa demarche gracieuse et ondulante.
On lui fit revetir les plus precieux vetements de soie et de mousseline, elle etait au chateau la plus belle, mais elle restait muette. Des esclaves ravissantes, parees de soie et d'or, venaient chanter devant le prince et ses royaux parents. L'une d'elles avait une voix plus belle encore que les autres. Le prince l'applaudissait et lui souriait, alors une tristesse envahit la petite sirene, elle savait qu'elle-meme aurait chante encore plus merveilleusement et elle pensait: «Oh! si seulement il savait que pour rester pres de lui, j'ai renonce a ma voix a tout jamais!»
La petite sirene n'eut pas a le faire, les polypes reculaient effrayes en voyant le philtre lumineux qui brillait dans sa main comme une etoile. Elle traversa rapidement la foret, le marais et le courant mugissant.
Elle etait devant le palais de son pere. Les lumieres etaient eteintes dans la grande salle de bal, tout le monde dormait surement, et elle n'osa pas aller aupres des siens maintenant qu'elle etait muette et allait les quitter pour toujours. Il lui sembla que son coeur se brisait de chagrin. Elle se glissa dans le jardin, cueillit une fleur du parterre de chacune de ses soeurs, envoya de ses doigts mille baisers au palais et monta a travers l'eau sombre et bleue de la mer. Le soleil n'etait pas encore leve lorsqu'elle vit le palais du prince et gravit les degres du magnifique escalier de marbre. La lune brillait merveilleusement claire. La petite sirene but l'apre et brulante mixture, ce fut comme si une epee a deux tranchants fendait son tendre corps, elle s'evanouit et resta etendue comme morte. Lorsque le soleil resplendit au-dessus des flots, elle revint a elle et ressentit une douleur aigue. Mais devant elle, debout, se tenait le jeune prince, ses yeux noirs fixes si intensement sur elle qu'elle en baissa les siens et vit qu'a la place de sa queue de poisson disparue, elle avait les plus jolies jambes blanches qu'une jeune fille put avoir. Et comme elle etait tout a fait nue, elle s'enveloppa dans sa longue chevelure.
Le prince demanda qui elle etait, comment elle etait venue la, et elle leva vers lui doucement, mais tristement, ses grands yeux bleus puis qu'elle ne pouvait parler.
Alors il la prit par la main et la conduisit au palais. A chaque pas, comme la sorciere l'en avait prevenue, il lui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des couteaux aiguises, mais elle supportait son mal. Sa main dans la main du prince, elle montait aussi legere qu'une bulle et lui-meme et tous les assistants s'emerveillerent de sa demarche gracieuse et ondulante.
On lui fit revetir les plus precieux vetements de soie et de mousseline, elle etait au chateau la plus belle, mais elle restait muette. Des esclaves ravissantes, parees de soie et d'or, venaient chanter devant le prince et ses royaux parents. L'une d'elles avait une voix plus belle encore que les autres. Le prince l'applaudissait et lui souriait, alors une tristesse envahit la petite sirene, elle savait qu'elle-meme aurait chante encore plus merveilleusement et elle pensait: «Oh! si seulement il savait que pour rester pres de lui, j'ai renonce a ma voix a tout jamais!»
Puis les esclaves commencerent a executer au son d'une musique admirable, des danses legeres et gracieuses. Alors la petite sirene, elevant ses beaux bras blancs, se dressa sur la pointe des pieds et dansa avec plus de grace qu'aucune autre. Chaque mouvement revelait davantage le charme de tout son etre et ses yeux s'adressaient au coeur plus profondement que le chant des esclaves.
Tous en etaient enchantes et surtout le prince qui l'appelait sa petite enfant trouvee.
Elle continuait a danser et danser mais chaque fois que son pied touchait le sol. C'etait comme si elle avait marche sur des couteaux aiguises. Le prince voulut l'avoir toujours aupres de lui, il lui permit de dormir devant sa porte sur un coussin de velours.
Il lui fit faire un habit d'homme pour qu'elle put le suivre a cheval. Ils chevauchaient a travers les bois embaumes ou les branches vertes lui battaient les epaules, et les petits oiseaux chantaient dans le frais feuillage. Elle grimpa avec le prince sur les hautes montagnes et quand ses pieds si delicats saignaient et que les autres s'en apercevaient, elle riait et le suivait la-haut d'ou ils admiraient les nuages defilant au-dessous d'eux comme un vol d'oiseau migrateur partant vers des cieux lointains.
La nuit, au chateau du prince, lorsque les autres dormaient, elle sortait sur le large escalier de marbre et, debout dans l'eau froide, elle rafraichissait ses pieds brulants. Et puis, elle pensait aux siens, en bas, au fond de la mer.
Une nuit elle vit ses soeurs qui nageaient enlacees, elles chantaient tristement et elle leur fit signe. Ses soeurs la reconnurent et lui dirent combien elle avait fait de peine a tous. Depuis lors, elles lui rendirent visite chaque soir, une fois meme la petite sirene apercut au loin sa vieille grand-mere qui depuis bien des annees n'etait montee a travers la mer et meme le roi, son pere, avec sa couronne sur la tete. Tous deux lui tendaient le bras mais n'osaient s'approcher autant que ses soeurs.
De jour en jour, elle devenait plus chere au prince; il l'aimait comme on aime un gentil enfant tendrement cheri, mais en faire une reine! Il n'en avait pas la moindre idee, et c'est sa femme qu'il fallait qu'elle devint, sinon elle n'aurait jamais une ame immortelle et, au matin qui suivrait le jour de ses noces, elle ne serait plus qu'ecume sur la mer.
– Ne m'aimes-tu pas mieux que toutes les autres? semblaient dire les yeux de la petite sirene quand il la prenait dans ses bras et baisait son beau front.
– Oui, tu m'es la plus chere, disait le prince, car ton coeur est le meilleur, tu m'est la plus devouee et tu ressembles a une jeune fille une fois apercue, mais que je ne retrouverai sans doute jamais. J'etais sur un vaisseau qui fit naufrage, les vagues me jeterent sur la cote pres d'un temple desservi par quelques jeunes filles; la plus jeune me trouva sur le rivage et me sauva la vie. Je ne l'ai vue que deux fois et elle est la seule que j'eusse pu aimer d'amour en ce monde, mais toi tu lui ressembles, tu effaces presque son image dans mon ame puisqu'elle appartient au temple. C'est ma bonne etoile qui t'a envoyee a moi. Nous ne nous quitterons jamais.
«Helas! il ne sait pas que c'est moi qui ai sauve sa vie! pensait la petite sirene. Je l'ai porte sur les flots jusqu'a la foret pres de laquelle s'eleve le temple, puis je me cachais derriere l'ecume et regardais si personne ne viendrait. J'ai vu la belle jeune fille qu'il aime plus que moi.»
La petite sirene poussa un profond soupir. Pleurer, elle ne le pouvait pas.
– La jeune fille appartient au lieu saint, elle n'en sortira jamais pour retourner dans le monde, ils ne se rencontreront plus, moi, je suis chez lui, je le vois tous les jours, je le soignerai, je l'adorerai, je lui devouerai ma vie.
Mais voila qu'on commence a murmurer que le prince va se marier, qu'il epouse la ravissante jeune fille du roi voisin, que c'est pour cela qu'il arme un vaisseau magnifique… On dit que le prince va voyager pour voir les Etats du roi voisin, mais c'est plutot pour voir la fille du roi voisin et une grande suite l'accompagnera… Mais la petite sirene secoue la tete et rit, elle connait les pensees du prince bien mieux que tous les autres.
– Je dois partir en voyage, lui avait-il dit. Je dois voir la belle princesse, mes parents l'exigent, mais m'obliger a la ramener ici, en faire mon epouse, cela ils n'y reussiront pas, je ne peux pas l'aimer d'amour, elle ne ressemble pas comme toi a la belle jeune fille du temple. Si je devais un jour choisir une epouse ce serait plutot toi, mon enfant trouvee qui ne dis rien, mais dont les yeux parlent.
Et il baisait ses levres rouges, jouait avec ses longs cheveux et posait sa tete sur son coeur qui se mettait a rever de bonheur humain et d'une ame immortelle.
– Toi, tu n'as surement pas peur de la mer, ma petite muette cherie! lui dit-il lorsqu'ils monterent a bord du vaisseau qui devait les conduire dans le pays du roi voisin.
Il lui parlait de la mer tempetueuse et de la mer calme, des etranges poissons des grandes profondeurs et de ce que les plongeurs y avaient vu. Elle souriait de ce qu'il racontait, ne connaissait-elle pas mieux que quiconque le fond de l'ocean? Dans la nuit, au clair de lune, alors que tous dormaient a bord, sauf le marin au gouvernail, debout pres du bastingage elle scrutait l'eau limpide, il lui semblait voir le chateau de son pere et, dans les combles, sa vieille grand-mere, couronne d'argent sur la tete, cherchant des yeux a travers les courants la quille du bateau. Puis ses soeurs arriverent a la surface, la regardant tristement et tordant leurs mains blanches. Elle leur fit signe, leur sourit, voulut leur dire que tout allait bien, qu'elle etait heureuse, mais un mousse s'approchant, les soeurs replongerent et le garcon demeura persuade que cette blancheur apercue n'etait qu'ecume sur l'eau.
Le lendemain matin le vaisseau fit son entree dans le port splendide de la capitale du roi voisin. Les cloches des eglises sonnaient, du haut des tours on soufflait dans les trompettes tandis que les soldats sous les drapeaux flottants presentaient les armes.
Chaque jour il y eut fete; bals et receptions se succedaient mais la princesse ne paraissait pas encore. On disait qu'elle etait elevee au loin, dans un couvent ou lui etaient enseignees toutes les vertus royales.
Elle vint, enfin!
La petite sirene etait fort impatiente de juger de sa beaute. Il lui fallut reconnaitre qu'elle n'avait jamais vu fille plus gracieuse. Sa peau etait douce et pale et derriere les longs cils deux yeux fideles, d'un bleu sombre, souriaient. C'etait la jeune fille du temple…
– C'est toi! dit le prince, je te retrouve-toi qui m'as sauve lorsque je gisais comme mort sur la greve! Et il serra dans ses bras sa fiancee rougissante. Oh! je suis trop heureux, dit-il a la petite sirene. Voila que se realise ce que je n'eusse jamais ose esperer. Toi qui m'aimes mieux que tous les autres, tu te rejouiras de mon bonheur.
La petite sirene lui baisait les mains, mais elle sentait son coeur se briser. Ne devait-elle pas mourir au matin qui suivrait les noces? Mourir et n'etre plus qu'ecume sur la mer!
Des herauts parcouraient les rues a cheval proclamant les fiancailles. Bientot toutes les cloches des eglises sonnerent, sur tous les autels des huiles parfumees brulaient dans de precieux vases d'argent, les pretres balancerent les encensoirs et les epoux se tendirent la main et recurent la benediction de l'eveque.
La petite sirene, vetue de soie et d'or, tenait la traine de la mariee mais elle n'entendait pas la musique sacree, ses yeux ne voyaient pas la ceremonie sainte, elle pensait a la nuit de sa mort, a tout ce qu'elle avait perdu en ce monde.
Le soir meme les epoux s'embarquerent aux salves des canons, sous les drapeaux flottants.
Au milieu du pont, une tente d'or et de pourpre avait ete dressee, garnie de coussins moelleux ou les epoux reposeraient dans le calme et la fraicheur de la nuit.
Les voiles se gonflerent au vent et le bateau glissa sans effort et sans presque se balancer sur la mer limpide. La nuit venue on alluma des lumieres de toutes les couleurs et les marins se mirent a danser.
La petite sirene pensait au soir ou, pour la premiere fois, elle avait emerge de la mer et avait apercu le meme faste et la meme joie. Elle se jeta dans le tourbillon de la danse, ondulant comme ondule un cygne pourchasse et tout le monde l'acclamait et l'admirait: elle n'avait jamais danse si divinement. Si des lames aigues transpercaient ses pieds delicats, elle ne les sentait meme pas, son coeur etait meurtri d'une bien plus grande douleur. Elle savait qu'elle le voyait pour la derniere fois, lui, pour lequel elle avait abandonne les siens et son foyer, perdu sa voix exquise et souffert chaque jour d'indicibles tourments, sans qu'il en eut connaissance. C'etait la derniere nuit ou elle respirait le meme air que lui, la derniere fois qu'elle pouvait admirer cette mer profonde, ce ciel plein d'etoiles.