Contes Merveilleux Tome I - Grimm Jakob et Wilhelm 9 стр.


– Que viens-tu faire sur cette montagne? Le chasseur repondit:

– Je viens combattre contre toi. Le dragon repondit:

– De meme que maint chevalier a deja perdu la vie en ces lieux, ainsi serai-je bientot debarrasse de toi.

Et en disant ces mots, ses sept gueules lancerent des flammes. Ces flammes devaient allumer l’herbe seche et le chasseur aurait ete suffoque par le feu et la fumee, mais ses animaux accoururent et eteignirent le feu sous leurs pattes. Alors le dragon s’elanca contre le chasseur, qui brandissant son epee, fit siffler l’air et abattit trois tetes du monstre. Cette blessure rendit le dragon furieux il se dressa de toute sa hauteur, vomit des flots de flammes contre le chasseur et voulut se precipiter sur lui mais celui-ci fit de nouveau jouer son epee et lui coupa encore trois tetes. Le monstre etait a bout de ses forces; il tomba en faisant mine encore de vouloir s’elancer sur le chasseur mais le jeune homme, concentrant tout ce qui lui restait de force dans un dernier coup, lui coupa la queue, et comme il etait desormais trop fatigue pour continuer le combat, il appela a lui ses betes, qui acheverent de mettre le dragon en pieces. La lutte terminee, le chasseur ouvrit la porte de l’eglise, et il trouva la princesse etendue par terre, car elle s’etait evanouie d’inquietude et d’effroi pendant le combat. Le jeune homme la porta au grand air, et quand elle eut repris ses esprits et rouvert les yeux, il lui montra le dragon en lambeaux, il lui annonca que desormais elle etait libre; elle s’abandonna a sa joie et lui dit:

– Maintenant, tu vas devenir mon epoux, car mon pere m’a promise a celui qui tuerait le dragon.

Cela dit, elle detacha de son cou son collier de corail et le partagea entre les animaux, et le lion recut pour sa part le fermoir d’or. Quant a son mouchoir, ou son nom etait brode, elle en fit cadeau au chasseur, qui s’eloigna un moment, coupa les langues des sept tetes du dragon, les roula dans le mouchoir et les mit soigneusement dans sa poche. Cela fait, comme les flammes et le combat l’avaient excessivement fatigue, il dit a la jeune fille:

– Nous sommes tous deux si las que nous ferons bien de prendre un peu de repos. La princesse y consentit; ils s’etendirent sur l’herbe, et le chasseur dit au lion:

– Tu vas veiller a ce que personne ne nous surprenne pendant notre sommeil.

Et ils s’endormirent. Le lion se placa pres d’eux pour faire sentinelle, mais lui aussi etait fatigue du combat, de sorte qu’il appela l’ours et lui dit:

– Place-toi pres de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, aie soin de m’eveiller. L’ours se placa donc pres de lui, mais lui aussi etait fatigue il appela le loup et lui dit:

– Place-toi pres de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, hate-toi de m’eveiller. Le loup se placa donc pres de lui, mais lui aussi etait fatigue; il appela le renard et lui dit:

– Place-toi pres de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, hate-toi de m’eveiller. Le renard se placa pres de lui, mais lui aussi etait fatigue; il appela le lievre et lui dit:

– Place-toi pres de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, hate-toi de me reveiller.

Le lievre se placa donc pres de lui, mais le pauvre lievre aussi etait fatigue; il n’avait personne qu’il put charger de faire sentinelle, et il s’endormit. Ainsi dormaient donc la princesse, le chasseur, le lion, l’ours, le renard et le lievre et tous dormaient d’un profond sommeil. Cependant le marechal qui avait ete charge de regarder tout de loin, n’ayant point vu le dragon s’enfuir avec la jeune fille, et remarquant que tout etait tranquille sur la montagne, s’enhardit et se mit a la gravir. Quand il fut arrive au sommet, il apercut le monstre dont les membres epars gisaient a terre, et non loin de la, la princesse et le chasseur avec ses betes, tous plonges dans un sommeil profond. Et comme il etait mechant et cruel, il prit son epee, coupa la tete du chasseur, saisit la jeune fille dans ses bras et la porta au bas de la montagne. Arrives au pied, celle-ci s’eveilla et fut saisie d’effroi; mais le marechal lui dit:

– Tu es en mon pouvoir, il faut que tu dises que c’est moi qui ai tue le dragon.

– Je ne le puis, repondit-elle, car c’est un chasseur qui l’a fait avec le secours de ses betes.

– Alors le marechal tira son epee et la menaca de l’en frapper si elle ne consentait pas a lui obeir.

La jeune fille ceda a cette violence; il la conduisit en presence du roi qui fut au comble de la joie, de revoir en vie sa chere enfant qu’il croyait devenue la proie du dragon. Le marechal lui dit:

– J’ai tue le monstre et delivre ainsi la princesse et le pays tout entier; en consequence, je la reclame pour mon epouse, suivant votre parole royale. Le roi dit a la jeune fille:

– Est-ce la verite que je viens d’entendre?

– Helas! oui, repondit-elle, mais je mets pour condition que le mariage ne se celebrera qu’apres un an et un jour.

Elle esperait que ce temps ne s’ecoulerait pas sans lui apporter des nouvelles de son cher liberateur. Cependant, sur la montagne, les animaux continuaient de dormir aupres de leur maitre mort. Un gros bourdon dirigea son vol de ce cote, et s’abattit sur le nez du lievre, mais le lievre le chassa avec sa patte et continua a dormir. Le bourdon vint une seconde fois, mais le lievre le chassa de nouveau et continua de dormir. Le bourdon vint une troisieme fois, lui enfoncant son dard dans le nez et le lievre se reveilla. Aussitot il reveilla le renard, qui s’empressa de reveiller le loup, qui reveilla l’ours, qui reveilla le lion. Lorsque le lion eut ouvert les yeux, et qu’il vit que la jeune fille avait disparu et que son maitre etait mort, il se mit a pousser des rugissements terribles et s’ecria:

– Quel est l’auteur de ce meurtre? Ours, pourquoi ne m’as-tu pas reveille? Et l’ours dit au loup:

– Pourquoi ne m’as-tu pas reveille? Et le loup au renard:

– Pourquoi ne m’as-tu pas reveille? Et le renard au lievre:

– Pourquoi ne m’as-tu pas reveille?

Le pauvre lievre ne savait seul que repondre, et toute la faute pesa sur lui. En consequence, tous les animaux voulurent tomber sur lui, mais il demanda a etre entendu et dit:

– Ne me tuez pas, je promets de rendre la vie a notre maitre. Je connais une montagne sur laquelle croit une racine; quiconque a cette racine dans la bouche est gueri aussitot de toute maladie et de toute blessure. Mais la montagne dont je vous parle se trouve a deux cents lieues d’ici.

Le lion repondit:

– Il faut qu’en vingt-quatre heures tu sois de retour avec cette racine.

Le lievre ne fit qu’un bond, et vingt-quatre heures apres il etait de retour avec la racine. Le lion replaca la tete sur les epaules du chasseur, et le lievre lui mit la racine dans la bouche; aussitot tout reprit son cours naturel; le c?ur palpita de nouveau et la vie revint. En ce moment le chasseur se reveilla; il fut saisi d’epouvante en n’apercevant plus la jeune fille, et il se dit:

– Elle s’est enfuie sans doute pendant mon sommeil, afin de se debarrasser de moi.

Dans l’exces de son empressement, le lion avait remis de travers la tete de son maitre; celui-ci n’y prit point garde, absorbe qu’il etait dans ses tristes pensees. Ce ne fut qu’a midi, lorsqu’il voulut manger, qu’il remarqua qu’il avait le visage tourne du cote du dos; ne pouvant s’expliquer ce prodige, il demanda aux animaux ce qu’il lui etait arrive pendant son sommeil. Le lion lui raconta alors qu’au lieu de faire sentinelle, ils s’etaient tous endormis de fatigue; qu’a leur reveil, ils l’avaient trouve mort, la tete separee du tronc; que le lievre etait alle chercher la racine de vie, mais que lui, dans son empressement, il lui avait mis la tete de travers; il ajouta qu’il voulait reparer sa faute. Cela dit, il arracha de nouveau la tete du chasseur, la lui replaca dans l’autre sens, et la racine du lievre aidant, tout fut repare. Cependant le chasseur etait triste; il se mit a parcourir le monde et il gagnait sa vie en faisant danser ses betes devant les gens. Il arriva que juste un an apres ce jour, il revint dans la meme ville ou il avait delivre la fille du roi, et cette fois la ville etait entierement decoree de tenture ecarlate. Il dit a l’aubergiste:

– Que signifie cela? Il y a un an a pareil jour, la ville etait toute couverte de crepe noir; que veut dire aujourd’hui cette decoration ecarlate? L’aubergiste repondit:

– Il y a un an, la fille de notre roi devait etre livree au dragon, mais le marechal a combattu contre le monstre et il l’a tue; aussi ses noces se celebrent-elles demain; c’est pourquoi la ville qui etait naguere tendue de crepe noir en signe de deuil, l’est aujourd’hui de rouge ardent en signe de joie. Le lendemain, le chasseur dit a son hote vers l’heure du diner:

– Croiriez-vous, monsieur l’aubergiste, que je veux aujourd’hui en votre compagnie manger du pain de la table du roi?

– Oui, repondit l’hote, et moi, je parierais volontiers cent pieces d’or que ce ne sera pas. Le chasseur accepta le pari et placa sur la table une bourse avec le nombre de pieces d’or engagees par l’aubergiste. Cela fait, il appela le lievre et lui dit:

– En route, mon cher sauteur, va me chercher du pain dont mange le roi.

«Eh! pensa le lievre, si je vais ainsi seul en sautant dans les rues, les chiens se mettront a mes trousses.» Il avait pense juste; les chiens lui firent la chasse et voulurent gouter de sa chair succulente. Aussi fallait-il voir les bonds qu’il faisait. Il se glissa dans une guerite sans etre apercu par le factionnaire; les chiens arriverent pour le saisir, mais le soldat n’entendit pas la plaisanterie, et il les recut avec des coups de crosse qui les firent fuir en poussant des cris. Lorsque le lievre apercut le champ libre, il s’elanca dans le palais, entra dans la chambre de la princesse, se placa sous son siege et lui gratta legerement le pied. La princesse cria:

– Veux-tu bien partir! Car elle pensait que s’etait son chien.

Le lievre gratta une seconde fois, et la princesse repeta les memes paroles, toujours dans la pensee que s’etait son chien, mais le lievre ne la laissa pas dans cette erreur; il gratta une troisieme fois; la princesse baissa les yeux et reconnut le lievre a son collier; aussitot elle le prit dans ses bras, le porta dans son cabinet et lui dit:

– Lievre, mon ami, que veux-tu? Il repondit:

– Mon maitre, qui a tue le dragon, est ici, et il m’envoie pour que je demande un pain pareil a celui dont mange le roi.

A ces mots, la princesse ne se sentit pas de joie; elle fit venir le boulanger, et lui ordonna d’apporter un pain pareil a ceux dont mangeait le roi. Le lievre prenant la parole:

– Mais il faut, dit-il, que le boulanger me porte moi-meme avec le pain, pour que les chiens ne me fassent pas de mal.

Le boulanger le prit donc dans ses bras et alla ainsi jusqu’a la porte de l’aubergiste; la, le lievre se posa sur ses pattes de devant et le porta a son maitre. Le chasseur dit alors:

– Vous le voyez, monsieur l’hote, les cent pieces d’or sont a moi. L’aubergiste etait au comble de l’etonnement. Cependant le chasseur ajouta:

– J’ai bien le pain, monsieur l’hote, mais je veux encore de plus, maintenant, manger du roti du roi. Le chasseur appela le renard et lui dit:

– Renard, mon ami, mets-toi en route et va me chercher du roti pareil a celui que mange le roi.

Le renard connaissait mieux les detours que le lievre; il se glissa le long des coins et des angles obscurs des rues sans qu’un seul chien l’apercut, alla se placer sous le siege de la princesse et lui gratta le pied. La princesse baissa les yeux, reconnut le renard a son collier, le prit dans ses bras, le porta dans son cabinet et lui dit:

– Renard, mon ami, que veux-tu? Il repondit:

– Mon maitre, qui a tue le dragon, est ici, et il m’envoie pour que je demande un roti pareil a celui dont mange le roi. La princesse fit venir le cuisinier.

Celui-ci recut l’ordre de preparer un roti pareil a celui que mangeait le roi, de le porter pour le renard jusqu’a la porte de l’aubergiste. Quand ils y furent arrives, le renard prit le plat et le porta a son maitre.

– Vous voyez, monsieur l’hote, dit le chasseur, nous avons deja le pain et le roti; mais je veux encore avoir un plat de legumes comme ceux que mange le roi.

Cela dit, il appela le loup:

– Loup, mon ami, lui dit-il, mets-toi en route et apporte-moi des legumes pareils a ceux que mange le roi.

Le loup, qui n’avait peur de personne, se dirigea tout droit vers le palais, et quand il fut entre dans la chambre de la princesse, il tira cette derniere par le pan de sa robe, ce qui la fit se retourner. Elle reconnut le loup a son collier, et le conduisant dans son cabinet:

– Loup, mon ami, lui dit-elle, que veux-tu? Il repondit:

– Mon maitre, qui a tue le dragon, est ici, et il m’a envoye demander un plat de legumes pareils a ceux que mange le roi.

La princesse fit venir le cuisinier, qui recut l’ordre de preparer un plat de legumes pareils a ceux que mangeait le roi, et de le porter lui-meme pour le loup jusqu’a la porte de l’aubergiste. Le loup prit le plat et le porta a son maitre.

– Vous le voyez, dit le chasseur, voila que j’ai maintenant du pain, du roti et des legumes; mais il me faut des sucreries semblables a celles que mange le roi.

Il appela l’ours et lui dit:

– Ours, mon ami, tu ne dedaignes pas de lecher quelque chose de doux; va donc et rapporte-moi des sucreries semblables a celles que mange le roi.

L’ours se mit en route vers le palais, et chacun s’enfuit a son approche, et quand il arriva pres du fonctionnaire, celui-ci lui presenta le bout de son fusil et ne voulut point le laisser penetrer dans le palais du roi. Mais l’ours se dressa sur ses pattes de derriere et distribua a droite et a gauche quelques bons soufflets qui firent trebucher tout le poste apres cet exploit, il continua son chemin, entra dans la chambre de la princesse, se placa derriere elle et grogna legerement. La princesse se retourna, et reconnut l’ours, l’emmena dans son cabinet et lui dit:

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