Contes Merveilleux Tome I - Grimm Jakob et Wilhelm 10 стр.


– Ours, mon ami, que veux-tu? Il repondit:

– Mon maitre, qui a tue le dragon, est ici; je suis charge de demander des sucreries semblables a celles que mange le roi.

La princesse fit venir le confiseur, qui recut l’ordre de preparer des sucreries pareilles a celles que mangeait le roi, et de les porter lui-meme pour l’ours jusqu’a la porte de l’aubergiste.

– Vous le voyez, monsieur l’hote, dit le chasseur, voila que j’ai maintenant du pain, du roti, des legumes et des sucreries; mais je veux aussi boire du vin pareil a celui que boit le roi. Il appela son lion et lui dit:

– Lion, mon ami, je sais que tu te grises volontiers, va donc et rapporte-moi du vin semblable a celui que boit le roi.

Le lion traversa les rues, et les gens fuyaient a son approche, et quand il arriva pres du poste, le factionnaire voulut lui barrer le passage: mais il poussa un rugissement qui mit tous les soldats en fuite. Le lion penetra jusqu’a la chambre de la princesse, et gratta legerement avec sa queue a la porte. La princesse vint lui ouvrir, et peu s’en fallut que l’effroi ne s’emparat d’elle a la vue du lion; mais elle le reconnut au fermoir d’or de son collier, et fit entrer avec elle dans son cabinet:

– Lion, mon ami, lui dit-elle, que veux-tu? Il repondit:

– Mon maitre, qui a tue le dragon, est ici; je viens demander du vin pareil a celui que boit le roi.

La princesse fit venir le sommelier, et lui ordonna de donner au lion du vin semblable a celui que buvait le roi. Le lion prit le panier et le porta a son maitre.

– Vous le voyez, monsieur l’hote, dit le chasseur, j’ai maintenant du pain, du roti, des legumes, des sucreries et du vin pareils a ceux qu’on sert au roi; maintenant, je veux donner un banquet a mes animaux.

Et il se mit a table, but et mangea, et donna aussi une bonne part de tout cela au lievre, au renard, au loup, a l’ours et au lion car la certitude qu’il venait d’acquerir que la princesse l’aimait toujours lui donnait une humeur charmante. Quand le repas fut termine, il dit a l’hote:

– Maintenant que j’ai mange et bu comme boit et mange le roi, je veux aller a la cour du roi, et epouser la fille du roi. L’aubergiste repondit:

– Comment cela pourra-t-il se faire, puisque la princesse a deja un fiance, et que ses noces doivent se celebrer aujourd’hui meme?

Le chasseur tira de sa poche le mouchoir que la princesse lui avait donne sur la montagne du dragon, et ou il avait roule les sept langues du monstre.

– Ce que j’ai la dans la main m’y aidera, dit-il. L’aubergiste examina le mouchoir et repartit:

– Si j’ai cru tout le reste, je ne puis pourtant pas croire cela, et je parie volontiers ma maison et ma cour.

Le chasseur tira de sa poche une bourse ou se trouvaient mille pieces d’or; il la placa sur la table et dit:

– Voici mon enjeu. Lorsque le roi revit sa fille au diner, il lui dit:

– Que te voulaient toutes ces betes qui sont venues te trouver et qui ont parcouru en tous sens mon palais? Elle repondit:

– Je ne puis point le dire, mais depechez quelqu’un et faites chercher le maitre de ces animaux; si vous faites cela, vous ferez bien.

Le roi envoya un de ses gens a l’auberge avec mission d’inviter l’etranger; le serviteur du roi arriva juste au moment ou le chasseur venait de parier avec l’aubergiste.

– Vous le voyez, monsieur l’hote, s’ecria le chasseur, voila que le roi m’envoie un ambassadeur afin de m’inviter.

Le chasseur se rendit aupres du roi. Celui-ci, le voyant venir, dit a sa fille:

– Comment dois-je le recevoir?

Elle repondit:

– Allez a sa rencontre; si vous faites cela, vous ferez bien.

Le roi alla donc a sa rencontre, le fit monter avec lui dans les appartements ou les betes du chasseur le suivirent. Le roi lui indiqua une place entre lui et sa fille, le marechal en sa qualite de fiance prit place de l’autre cote. En ce moment, on apporta en face d’eux les sept tetes du dragon, et le roi dit:

– Ces sept tetes, c’est le marechal qui les a coupees au monstre; voila pourquoi je lui donne aujourd’hui ma fille.

Alors le chasseur se leva, ouvrit les sept gueules et dit:

– Ou sont les sept langues du dragon?

A ces mots, le marechal devint pale il dit dans son trouble:

– Les dragons n’ont point de langue.

Le chasseur reprit:

– Les menteurs devraient n’en point avoir, mais les langues de dragon sont les vrais signes du vainqueur.

Et il ouvrit le mouchoir ou se trouvaient les sept langues et il en mit une dans chacune des sept gueules. Cela fait, il prit le mouchoir sur lequel etait brode le nom de la princesse, et le montrant a la jeune fille, il lui demanda a qui elle l’avait donne. Elle repondit:

– Je l’ai donne a celui qui a tue le dragon.

Puis il appela ses animaux, leur enleva a chacun leur collier ainsi qu’au lion son fermoir d’or, et les montrant a la jeune fille, il lui demanda a qui cela appartenait. Elle repondit:

– Le collier et le fermoir d’or etaient a moi, je les ai partages entre les animaux qui ont contribue a dompter le dragon.

Le chasseur dit alors:

– M’etant endormi de fatigue apres le combat, le marechal est arrive, m’a coupe la tete, a enleve la princesse et declare que c’etait lui qui avait tue le dragon; en quoi il a menti, comme le prouve par ces langues, par ce mouchoir et par ce collier.

Le roi s’adressant alors a sa fille:

– Est-il vrai, lui dit-il, que c’est lui qui a tue le dragon?

Elle repondit:

– Oui, c’est vrai; et maintenant il m’est permis de devoiler toute l’infamie du marechal qui m’avait fait donner ma parole que je garderais le silence. C’etait aussi pour cela que j’avais exige que les noces n’eussent lieu qu’apres un an et un jour.

Apres avoir entendu cette deposition, le roi fit appeler douze conseillers qu’il chargea de juger le marechal. Ceux-ci le condamnerent a avoir les membres dechires par quatre b?ufs. Ainsi fut puni le marechal. Ensuite, le roi donna sa fille au chasseur qui fut de plus reconnu dans tout le pays pour son heritier. Le jeune roi et la jeune reine vecurent desormais heureux et contents. Le jeune roi allait souvent a la chasse qu’il aimait, et ses animaux devaient l’accompagner. Or il y avait a peu de distance de la une foret qui, d’apres le bruit general, n’etait pas sure. Celui, disait-on, qui s’y risquait une fois, n’en revenait pas facilement. Depuis longtemps le jeune prince nourrissait un grand desir d’aller y chasser, et il ne laissa pas de repos au vieux roi qu’il lui en donna la permission. Il sortit donc un jour avec une nombreuse escorte, et quand il fut arrive pres de la foret, il apercut a travers les arbres une biche blanche comme de la neige, et il dit a ses gens:

– Attendez ici mon retour; je veux poursuivre cette bete. Et il s’enfonca sur sa trace dans la foret, ou ses animaux seuls l’escorterent.

Ses gens l’attendirent jusqu’au soir; mais comme il ne revenait pas, ils retournerent au palais et dirent a la jeune princesse:

– Le jeune prince s’est aventure dans la foret enchantee a la poursuite d’une blanche biche, et il n’est point revenu.

A ces mots, la princesse fut saisie d’une grande inquietude; quant au prince, il n’avait pas cesse de poursuivre la belle bete sans jamais pouvoir l’atteindre. A la fin, il s’apercut qu’il s’etait egare bien avant dans la foret; il sonna du cor, mais il ne recut aucune reponse, car ses gens ne pouvaient l’entendre. Et comme la nuit tombait, il vit bien qu’il ne pourrait revenir ce jour la au palais; il descendit de cheval, alluma du feu au pied d’un arbre, et resolut d’y passer la nuit. Comme il etait assis a cote du feu, et que ses animaux s’etaient etendus autour de lui, il crut entendre les sons d’une voix humaine et regarda autour de lui, mais il ne put rien apercevoir. Bientot apres, il lui sembla entendre comme une toux qui venait d’en haut; il leva la tete et apercut une vieille femme assise sur l’arbre, et qui se plaignait en criant:

– Hu! hu! hu! que j’ai froid!

Le jeune prince lui dit:

– Descends et viens te chauffer, puisque tu as froid.

Mais elle repondit:

– Non, car tes animaux me mordraient.

Il reprit:

– Ils ne te feront rien, vieille mere, descends seulement.

Or cette vieille etait une sorciere. Elle repondit:

– Je vais te jeter une verge du haut de cet arbre; si tu leur en donnes un coup sur le dos, ils ne me feront pas de mal.

Elle lui jeta donc une verge, et il en frappa ses animaux. A peine l’eut-il fait qu’ils furent metamorphoses en pierres. Et quand la sorciere vit qu’elle n’avait plus rien a craindre des animaux, elle se laissa couler en bas de l’arbre, et le toucha, lui aussi, avec une verge et lui aussi fut metamorphose en pierre. Cela fait, la vieille se mit a rire et elle le cacha ainsi que les animaux dans une caverne ou se trouvaient deja beaucoup de pierres pareilles. Cependant, comme le jeune prince ne revenait pas, l’inquietude de la princesse augmentait. Il se trouva qu’en ce meme temps l’autre frere qui, lors de la separation, s’etait dirige vers l’orient, arriva dans le royaume. Il avait cherche, mais en vain, un service; ne sachant que faire, il s’etait mis a courir le monde avec ses animaux qui dansaient devant les gens. L’idee lui vint d’aller consulter le couteau que son frere et lui avaient enfonce dans l’arbre au moment de se quitter, afin de connaitre le sort l’un de l’autre. Quand il arriva au pied de l’arbre, le cote du couteau qui concernait son frere avait une moitie deja couverte de rouille; mais l’autre etait encore blanche. L’inquietude s’empara de lui, et il se prit a penser: «Il faut qu’un grand malheur menace la vie de mon frere mais peut-etre que je puis le sauver, car la moitie du couteau est encore blanche.» Cela dit, il se dirigea avec ses animaux vers le couchant. Quand il arriva a la porte de la ville, le factionnaire vint a sa rencontre et lui demanda s’il devait aller l’annoncer a son epouse: il ajouta que son absence plongeait depuis quelques jours la jeune princesse dans une profonde inquietude, qu’elle craignait qu’il ne lui fut arrive malheur dans la foret enchantee. Le factionnaire lui parlait ainsi, parce qu’il le prenait pour le jeune prince, tant son frere lui ressemblait, et a cause des animaux qui le suivaient. Celui-ci, entendant parler de son frere, se dit en lui-meme: «Il vaut mieux que je me laisse prendre pour lui; il me sera plus facile ainsi de le sauver.» Il se laissa donc accompagner par le factionnaire jusque dans le palais, ou il fut recu avec de grandes demonstrations de joie. La jeune princesse ne douta pas un moment que ce fut son epoux; il lui raconta qu’il s’etait egare dans la foret, et qu’il lui avait ete impossible de retrouver plus tot son chemin. Il demeura quelques jours au chateau, s’informant de tout ce qui se trouvait dans la foret enchantee. A la fin, il dit:

– Il faut que j’aille y chasser encore une fois.

Le roi et la princesse voulurent l’en detourner, mais il tint ferme et sortit avec une nombreuse escorte. Lorsqu’il arriva devant la foret, il apercut, comme avait fait son frere, une blanche biche, et il dit a ses gens:

– Attendez-moi jusqu’a ce que je revienne; je veux courir cette belle bete.

Il entra donc dans la foret, accompagne de ses fideles animaux. Il lui arriva les memes aventures qu’a son frere; il ne put atteindre la biche, et s’enfonca si avant dans la foret, qu’il dut se resoudre a y passer la nuit. Et lorsqu’il eut allume du feu, il entendit ces plaintes au-dessus de sa tete:

– Hu! hu! hu! comme je gele! Il leva la tete, et il apercut la meme sorciere assise dans l’arbre. Il lui cria:

– Si tu geles, descends, vieille mere, et viens te chauffer.

Elle repond:

– Non, car tes animaux me mordraient.

Il repartit:

– Ils ne te feront rien.

Elle lui cria:

– Je veux te jeter du haut de cet arbre une verge, et si tu les en frappes, ils ne me feront aucun mal.

Le chasseur ne se fia pas a ces paroles de la vieille; il repondit:

– Je ne frapperai pas mes betes, mais descends, ou j’irai te chercher.

Elle lui cria:

– Que veux-tu me faire? Tu ne pourras rien contre moi.

– Si tu ne descends pas, reprit-il, je t’envoie une balle.

Elle lui cria:

– Tu peux tirer, je n’ai pas peur de tes balles.

Le chasseur la mit en joue, mais la sorciere etait invulnerable a toutes les balles de plomb; elle se mettait a rire toutes les fois qu’il la touchait, et criait:

– Tu ne pourras pourtant pas me blesser.

Le chasseur etait ruse, il arracha de sa veste trois boutons d’argent et les coula dans son fusil, car l’art de la sorciere ne pouvait rien contre ce metal; et des qu’il eut lache la detente, elle tomba de l’arbre en poussant de grands cris. Il lui mit le pied sur la poitrine, et lui dit:

– Vieille sorciere, si tu ne m’avoues pas sur-le-champ ou est mon frere, je te prends et je te jette dans le feu.

L’anxiete de la vieille etait profonde, elle implora merci en disant:

– Transforme en pierre ainsi que ses animaux, il est avec eux dans une caverne.

Alors il la forca de l’y conduire et lui dit:

– Vieille fee, tu vas sur-le-champ rendre la vie a mon frere et a toutes les autres creatures qui se trouvent ici, sinon je te jette dans le feu.

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