– Mais, repondit le pecheur, voila quinze jours a peine que cet excellent prince nous a fait cadeau d’une si jolie chaumiere, comme nous n’aurions jamais ose en rever une pareille. Et tu veux que j’aille l’importuner de nouveau! Il m’enverra promener, et il aura raison.
– Du tout, dit la femme; je le sais mieux que toi, il ne demande pas mieux que de nous faire plaisir. Va le trouver, comme je te le dis.
Le brave homme s’en fut sur la plage; la mer etait bleu fonce, presque violette, mais calme. Le pecheur s’ecria:
– Cabillaud, mon cher cabillaud! ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut absolument quelque chose.
– Que lui faut-il donc? repondit le poisson, qui apparut sur-le-champ, la tete hors de l’eau.
– Imagine-toi, repondit Pierre tout confus, que la belle chaumiere ne lui convient plus, et qu’elle desire un palais en pierres de taille!
– Retourne chez toi, dit le cabillaud, son souhait est deja accompli.
En effet, le pecheur trouva sa femme se promenant dans la vaste cour d’un splendide chateau.
– Oh! ce gentil cabillaud, dit-elle; regarde donc comme tout est magnifique!
Ils entrerent a travers un vestibule en marbre; une foule de domestiques galonnes d’or leur ouvrirent les portes des riches appartements, garnis de meubles dores et recouverts des plus precieuses etoffes. Derriere le chateau s’etendait un immense jardin ou poussaient les fleurs les plus rares puis, venait un grandissime parc, ou folatraient des cerfs, des daims et toute espece d’oiseaux; sur le cote se trouvaient de vastes ecuries, avec des chevaux de luxe et une etable, qui contenait une quantite de belles vaches.
– Quel sort digne d’envie, que le notre, dit le brave pecheur, ecarquillant les yeux a l’aspect de ces merveilles; j’espere que tes v?ux les plus temeraires sont satisfaits.
– C’est ce que je me demande, repondit la femme; mais j’y reflechirai mieux demain.
Puis, apres avoir goute des mets delicieux qui leur furent servis pour le souper, ils allerent se coucher.
Le lendemain matin, qu’il faisait a peine jour, la femme, eveillant son mari, en le poussant du coude, lui dit:
– Maintenant que nous avons ce palais, il faut que nous soyons maitres et seigneurs de tout le pays a l’entour.
– Comment, repondit Pierre, tu voudrais porter une couronne? quant a moi, je ne veux pas etre roi.
– Eh bien, moi je tiens a etre reine. Allons, habille-toi, et cours faire savoir mon desir a ce cher cabillaud.
Le pecheur haussa les epaules, mais il n’en obeit pas moins. Arrive sur la plage, il vit la mer couleur gris sombre, et assez houleuse; il se mit a crier:
– Cabillaud, cher cabillaud! Ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut absolument quelque chose.
– Que lui faut-il donc? dit le poisson qui se presenta aussitot, la tete hors de l’eau.
– Ne s’est-elle pas mise en tete de devenir reine!
– Rentre chez toi, la chose est deja faite, dit la bete.
Et, en effet, Pierre trouva sa femme installee sur un trone en or, orne de gros diamants, une magnifique couronne sur la tete, entouree de demoiselles d’honneur, richement habillees de brocard, et l’une plus belle que l’autre; a la porte du palais, qui etait encore bien plus splendide que le chateau de la veille, se tenaient des gardes en uniformes brillants une musique militaire jouait une joyeuse fanfare; une nuee de laquais galonnes etait repandue dans les vastes cours, ou etaient ranges de magnifiques equipages.
– Eh bien, dit le pecheur, j’espere que te voila au comble de tes v?ux; naguere pauvre entre les plus pauvres, te voila une puissante reine.
– Oui, repondit la femme, c’est un sort assez agreable, mais il y a mieux, et je ne comprends pas comment je n’y ai pas pense; je veux etre imperatrice, ou plutot empereur; oui, je veux etre empereur!
– Mais, ma femme, tu perds le sens; non, je n’irai pas demander une chose aussi folle a ce bon cabillaud; il finira par m’envoyer promener, et il aura raison.
– Pas d’observations, repliqua-t-elle; je suis la reine et tu n’es que le premier de mes sujets. Donc, obeis sur-le-champ.
Pierre s’en fut vers la mer, pensant qu’il faisait une course inutile. Arrive sur la plage, il vit la mer noire, presque comme de l’encre; le vent soufflait avec violence et soulevait d’enormes vagues.
– Cabillaud, cher cabillaud, s’ecria-t-il, ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut encore quelque chose.
– Qu’est-ce encore? dit le poisson qui se montra aussitot.
– Les grandeurs lui tournent la tete, elle souhaite d’etre empereur.
– Retourne chez toi, repondit le poisson; la chose est faite.
Lorsque Pierre revint chez lui, il apercut un immense palais, tout construit en marbre precieux; le toit en etait de lames d’or. Apres avoir passe par une vaste cour, remplie de belles statues et de fontaines qui lancaient les plus delicieux parfums, il traversa une haie formee de gardes d’honneur, tous geants de plus de six pieds; et, apres avoir passe par une enfilade d’appartements decores avec une richesse extreme, il atteignit une vaste salle ou sur un trone d’or massif, haut de deux metres, se tenait sa femme, revetue d’une robe splendide, toute couverte de gros diamants et de rubis, et portant une couronne qui a elle seule valait plus que bien des royaumes; elle etait entouree d’une cour composee rien que de princes et de ducs; les simples comtes etaient relegues dans l’antichambre.
Isabelle paraissait tout a fait a son aise au milieu de ces splendeurs.
– Eh bien, lui dit Pierre, j’espere que te voila au comble de tes v?ux; il n’y a jamais eu de sort comparable au tien.
– Nous verrons cela demain, repondit-elle.
Apres un festin magnifique, elle alla se coucher; mais elle ne put dormir; elle etait tourmentee a l’idee qu’il y avait peut-etre quelque chose de plus desirable encore que d’etre empereur. Le matin, lorsqu’elle se leva, elle vit que le ciel etait brumeux.
«Tiens, se dit-elle, je voudrais bien voir le soleil; les nuages sombres m’attristent. Oui, mais, pour faire lever le soleil, il faudrait etre le bon Dieu. C’est cela, je veux etre aussi puissante que le bon Dieu.»
Toute ravie de son idee, elle s’ecria:
– Pierre, habille-toi sur-le-champ, et va dire a ce brave cabillaud que je desire avoir la toute-puissance sur l’univers, comme le bon Dieu; il ne peut pas te refuser cela.
Le brave pecheur fut tellement saisi d’effroi, en entendant ces paroles impies, qu’il dut se tenir a un meuble pour ne pas tomber a la renverse.
– Mais, ma femme, dit-il, tu es tout a fait folle. Comment, il ne te suffit pas de regner sur un immense et riche empire?
– Non, dit-elle, cela me vexe, de ne pas pouvoir faire se lever ou se coucher le soleil, la lune et les astres. Il me faut pouvoir leur commander comme le bon Dieu.
– Mais enfin, cela passe le pouvoir de ce bon cabillaud; il se fachera a la fin, si je viens l’importuner avec une demande aussi insensee.
– Un empereur n’admet pas d’observations, repliqua-t-elle avec colere; fais ce que je t’ordonne, et cela, sur-le-champ.
Le brave Pierre, le c?ur tout en emoi, se mit en route. Il s’etait leve une affreuse tempete, qui courbait les arbres les plus forts des forets, et faisait trembler les rochers; au milieu du tonnerre et des eclairs, le pecheur atteignit avec peine la plage. Les vagues de la mer etaient hautes comme des tours, et se poussaient les unes les autres avec un epouvantable fracas.
– Cabillaud, cher cabillaud, s’ecria Pierre, ma femme, mon Isabelle, malgre moi, elle veut encore une derniere chose.
– Qu’est-ce donc? dit le poisson, qui apparut aussitot.
– J’ose a peine le dire, repondit Pierre; elle veut etre toute-puissante comme le bon Dieu.
– Retourne chez toi, dit le cabillaud, et tu la trouveras dans la pauvre cabane, d’ou je l’avais tiree.
Et, en effet, palais et splendeurs avaient disparu; l’insatiable Isabelle, vetue de haillons, se tenait sur un escabeau dans son ancienne miserable hutte. Pierre en prit vite son parti, et retourna a ses filets; mais jamais plus sa femme n’eut un moment de bonheur.
Le Petit Chaperon rouge
Il etait une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa grand-mere. Elle ne savait qu’entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait si bien qu’elle ne voulut plus en porter d’autre. Du coup, on l’appela «Chaperon rouge».
Un jour, sa mere lui dit:
– Viens voir, Chaperon rouge: voici un morceau de gateau et une bouteille de vin. Porte-les a ta grand-mere; elle est malade et faible; elle s’en delectera; fais vite, avant qu’il ne fasse trop chaud. Et quand tu seras en chemin, sois bien sage et ne t’ecarte pas de ta route, sinon tu casserais la bouteille et ta grand-mere n’aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle, n’oublie pas de dire «Bonjour» et ne va pas fureter dans tous les coins.
– Je ferai tout comme il faut, dit le Petit Chaperon rouge a sa mere.
La fillette lui dit au revoir. La grand-mere habitait loin, au milieu de la foret, a une demi-heure du village. Lorsque le Petit Chaperon rouge arriva dans le bois, il rencontra le Loup. Mais il ne savait pas que c’etait une vilaine bete et ne le craignait point.
– Bonjour, Chaperon rouge, dit le Loup.
– Bonjour, Loup, dit le Chaperon rouge.
– Ou donc vas-tu si tot, Chaperon rouge?
– Chez ma grand-mere.
– Que portes-tu dans ton panier?
– Du gateau et du vin. Hier nous avons fait de la patisserie, et ca fera du bien a ma grand-mere. Ca la fortifiera.
– Ou habite donc ta grand-mere, Chaperon rouge?
– Oh! a un bon quart d’heure d’ici, dans la foret. Sa maison se trouve sous les trois gros chenes. En dessous, il y a une haie de noisetiers, tu sais bien? dit le petit Chaperon rouge.
Le Loup se dit: «Voila un mets bien jeune et bien tendre, un vrai regal! Il sera encore bien meilleur que la vieille. Il faut que je m’y prenne adroitement pour les attraper toutes les eux!»
Il l’accompagna un bout de chemin et dit:
– Chaperon rouge, vois ces belles fleurs autour de nous. Pourquoi ne les regardes-tu pas? J’ai l’impression que tu n’ecoutes meme pas comme les oiseaux chantent joliment. Tu marches comme si tu allais a l’ecole, alors que tout est si beau, ici, dans la foret!
Le Petit Chaperon rouge ouvrit les yeux et lorsqu’elle vit comment les rayons du soleil dansaient de-ci, de-la a travers les arbres, et combien tout etait plein de fleurs, elle pensa: «Si j’apportais a ma grand-mere un beau bouquet de fleurs, ca lui ferait bien plaisir. Il est encore si tot que j’arriverai bien a l’heure.»
Elle quitta le chemin, penetra dans le bois et cueillit des fleurs. Et, chaque fois qu’elle en avait cueilli une, elle se disait: «Plus loin, j’en vois une plus belle»; et elle y allait et s’enfoncait toujours plus profondement dans la foret. Le Loup lui, courait tout droit vers la maison de la grand-mere. Il frappa a la porte.
– Qui est la?
– C’est le Petit Chaperon rouge qui t’apporte du gateau et du vin.
– Tire la chevillette, dit la grand-mere. Je suis trop faible et ne peux me lever.
Le Loup tire la chevillette, la porte s’ouvre et sans dire un mot, il s’approche du lit de la grand-mere et l’avale. Il enfile ses habits, met sa coiffe, se couche dans son lit et tire les rideaux.
Pendant ce temps, le petit Chaperon Rouge avait fait la chasse aux fleurs. Lorsque la fillette en eut tant qu’elle pouvait a peine les porter, elle se souvint soudain de sa grand-mere et reprit la route pour se rendre aupres d’elle. Elle fut tres etonnee de voir la porte ouverte. Et lorsqu’elle entra dans la chambre, cela lui sembla si curieux qu’elle se dit: «Mon dieu, comme je suis craintive aujourd’hui. Et, cependant, d’habitude, je suis si contente d’etre aupres de ma grand-mere!» Elle s’ecria:
– Bonjour!
Mais nulle reponse. Elle s’approcha du lit et tira les rideaux. La grand-mere y etait couchee, sa coiffe tiree tres bas sur son visage. Elle avait l’air bizarre.
– Oh, grand-mere, comme tu as de grandes oreilles.
– C’est pour mieux t’entendre…
– Oh! grand-mere, comme tu as de grands yeux!
– C’est pour mieux te voir!
– Oh! grand-mere, comme tu as de grandes mains!
– C’est pour mieux t’etreindre…
– Mais, grand-mere, comme tu as une horrible et grande bouche!