– C’est pour mieux te manger!
A peine le Loup eut-il prononce ces mots, qu’il bondit hors du lit et avala le pauvre Petit Chaperon rouge.
Lorsque le Loup eut apaise sa faim, il se recoucha, s’endormit et commenca a ronfler bruyamment. Un chasseur passait justement devant la maison. Il se dit: «Comme cette vieille femme ronfle! Il faut que je voie si elle a besoin de quelque chose.» Il entre dans la chambre et quand il arrive devant le lit, il voit que c’est un Loup qui y est couche.
– Ah! c’est toi, bandit! dit-il. Voila bien longtemps que je te cherche…
Il se prepare a faire feu lorsque tout a coup l’idee lui vient que le Loup pourrait bien avoir avale la grand-mere et qu’il serait peut-etre encore possible de la sauver. Il ne tire pas, mais prend des ciseaux et commence a ouvrir le ventre du Loup endormi. A peine avait-il donne quelques coups de ciseaux qu’il apercoit le Chaperon rouge. Quelques coups encore et la voila qui sort du Loup et dit:
– Ah! comme j’ai eu peur! Comme il faisait sombre dans le ventre du Loup!
Et voila que la grand-mere sort a son tour, pouvant a peine respirer. Le Petit Chaperon rouge se hate de chercher de grosses pierres. Ils en remplissent le ventre du Loup. Lorsque celui-ci se reveilla, il voulut s’enfuir. Mais les pierres etaient si lourdes qu’il s’ecrasa par terre et mourut.
Ils etaient bien contents tous les trois: le chasseur depouilla le Loup et l’emporta chez lui. La grand-mere mangea le gateau et but le vin que le Petit Chaperon rouge avait apportes. Elle s’en trouva toute ragaillardie. Le Petit Chaperon rouge cependant pensait: «Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour aller me promener dans la foret, quand ma maman me l’aura interdit.»
Le Petit pou et la petite puce
Le petit pou et la petite puce vivaient ensemble, tenaient ensemble leur petite maison et brassaient leur biere dans une coquille d’?uf.
Un jour le petit pou tomba dans la biere et s’ebouillanta. La petite puce se mit a pleurer a chaudes larmes. La petite porte de la salle s’etonna:
– Pourquoi pleures-tu ainsi, petite puce?
– Parce que le pou s’est ebouillante.
La petite porte se mit a grincer et le petit balai dans le coin demanda:
– Pourquoi grinces-tu ainsi, petite porte?
– Comment pourrais-je ne pas grincer!
Le petit pou s’est ebouillante, la petite puce en perd la sante.
Le petit balai se mit a s’agiter de tous cotes. Une petite charrette qui passait par la, cria:
– Pourquoi t’agites-tu ainsi, petit balai?
– Comment pourrais-je rester en place!
Le petit pou s’est ebouillante, la petite puce en perd la sante, et la petite porte grince a qui mieux mieux.
Et la petite charrette dit:
– Moi, je vais rouler. Et elle se mit a rouler a toute vitesse. Elle passa par le depotoir et les balayures lui demanderent:
– Pourquoi fonces-tu ainsi, petite charrette?
– Comment pourrais-je ne pas foncer!
Le petit pou s’est ebouillante, la petite puce en perd la sante, la petite porte grince a qui mieux mieux, le balai s’agite, sauve-qui-peut!
Les balayures deciderent alors:
– Nous allons bruler de toutes nos forces.
Et elles s’enflammerent aussitot. Le petit arbre a cote du depotoir demanda:
– Allons, balayures, pourquoi brulez-vous ainsi?
– Comment pourrions-nous ne pas bruler!
Le petit pou s’est ebouillante, la petite puce en perd la sante, la petite porte grince a qui mieux mieux, le balai s’agite, sauve-qui-peut! La charrette fonce fendant les airs.
Et le petit arbre dit:
– Alors moi, je vais trembler.
Et il se mit a trembler a en perdre toutes ses feuilles. Une petite fille, qui passait par la avec une cruche d’eau a la main, s’etonna:
– Pourquoi trembles-tu ainsi, petit arbre?
– Comment pourrais-je ne pas trembler!
Le petit pou s’est ebouillante, la petite puce en perd la sante, la petite porte grince a qui mieux mieux, le balai s’agite, sauve-qui-peut! la charrette fonce fendant les airs, les balayures brulent en un feu d’enfer.
Et la petite fille dit:
– Alors moi, je vais casser ma cruche. Et elle la cassa.
La petite source d’ou jaillissait l’eau, demanda:
– Pourquoi casses-tu ta cruche, petite fille?
– Comment pourrais-je ne pas la casser!
Le petit pou s’est ebouillante, la petite puce en perd la sante, la porte grince a qui mieux mieux, le balai s’agite, sauve-qui-peut! la charrette fonce fendant les airs, les balayures brulent en un feu d’enfer. Et le petit arbre, le pauvre, du pied a la tete il tremble.
– Ah bon, dit la petite source, alors moi, Je vais deborder.
Et elle se mit a deborder; et l’eau inonda tout en noyant la petite fille, le petit arbre, les balayures, la charrette, le petit balai, la petite porte, la petite puce et le petit pou, tous autant qu’ils etaient.
Le Petit vieux rajeuni par le feu
Du temps que le Seigneur cheminait encore sur la terre, Il entra un soir chez un forgeron, avec saint Pierre, demandant accueil pour la nuit. Le brave forgeron les recut de bon c?ur, et voila qu’un peu plus tard un pauvre mendiant, tout retreci par l’age et courbe par les maux, frappa a la porte de la meme maison et demanda l’aumone. Apitoye, saint Pierre fit une priere:«Mon Seigneur et mon Maitre, s’il vous plait, guerissez-le de son tourment, afin qu’il soit capable de se gagner son pain!»
– Forgeron, dit le Seigneur debonnaire, allume-moi ta forge et chauffe-la-moi a blanc: je vais y rajeunir tout de suite ce pauvre vieil homme souffrant. Le forgeron s’y preta de bonne grace et saint Pierre fit marcher le soufflet, poussant le feu au rouge-blanc. Quand le brasier fut bien ardent, le Seigneur saisit le petit vieux et le jeta dans la forge, au beau milieu du foyer incandescent, ou il flamboya soudain comme un rosier flamboyant, tout en louant Dieu a haute et pleine voix. Ensuite, le Seigneur le tira du feu pour le precipiter dans le grand bac de forge, ou le petit vieux tout incandescent s’eteignit en faisant siffler l’eau; puis, quand il fut suffisamment rafraichi et trempe convenablement, le Seigneur lui donna Sa benediction et le petit homme sortit de la d’un bond, tout gaillard, souple, droit, vif et alerte comme a vingt ans. Le forgeron, qui avait suivi toute l’operation avec une attention precise et soutenue, les invita tous a diner. Or, il avait dans sa maison une vieille belle-mere toute tordue par l’age et a demi aveugle, qui s’approcha du nouveau jeune homme pour s’informer gravement et apprendre si le feu l’avait douloureusement brule.
– Mais pas du tout! repondit avec petulance le nouveau jeune homme. Jamais je ne me suis senti aussi bien: j’y etais comme dans un bain de rosee. Ce que ce petit jeune homme lui avait dit resonna dans les oreilles de la vieille femme toute la nuit. Le lendemain matin, de bonne heure, des que le Seigneur fut reparti sur son chemin, le forgeron se dit, apres mure reflexion, qu’il pourrait aussi rajeunir sa belle-mere de la meme facon, car il avait bien observe et attentivement suivi tous les details de l’operation et, somme toute, cela relevait egalement de son art. Aussi, lorsqu’il lui demanda tout a trac si elle n’aimerait pas aller et venir dans la maison en sautant comme une fille de dix-huit ans, la vieille femme lui repondit-elle que ce serait avec plaisir, puisque la chose avait ete si douce et delicieuse au jeune homme de la veille. Le forgeron activa donc le feu de sa forge et y jeta la vieille quand il fut bien ardent; mais voila qu’elle se tordit dans tous les sens en poussant des cris affreux. «Du calme! lui cria-t-il. Qu’as-tu donc a t’agiter comme cela et a hurler comme une pendue? Il faut d’abord que je te fasse un feu vigoureux!» Il se mit au soufflet et activa le brasier de plus belle, si bien que tout brula sur la pauvre vieille femme, qui hurlait a la mort sans discontinuer. «Mon metier n’est pas suffisant!», pensa le forgeron en la retirant bien vite du foyer pour la plonger dans l’eau du bac a trempe, ou la malheureuse se mit a hurler encore plus fort qu’avant, si fort et si desesperement que ses cris ameuterent la-haut, a l’etage, la femme et la bru du forgeron. Toutes les deux descendent les marches quatre a quatre, et que voient-elles? L’aieule qui piaule et miaule lugubrement, plongee dans le bac de forge, le corps tout racorni, le visage atrocement deforme, tordu, ratatine. Le spectacle etait si horrible et les deux femmes, qui etaient enceintes l’une et l’autre, en recurent un tel choc, qu’elles accoucherent toutes les deux dans la nuit meme, et que leurs deux enfants ne furent pas conformes comme des humains, mais comme de petits singes, qui s’en allerent courir dans la foret. Ce sont eux qui ont commence la famille et donne origine a l’espece des singes.
La Petite table, l’ane et le baton
Il y a bien longtemps, il etait un tailleur qui avait trois fils et une seule chevre.
La chevre devait les nourrir tous les trois avec son lait; il fallait qu’elle mangeat bien et qu’on la menat tous les jours aux champs. Les fils s’en occupaient chacun a son tour.
Un jour, l’aine la mena au cimetiere, ou l’herbe etait la plus belle, la laissa la a manger et a gambader. Le soir, quand le moment fut venu de rentrer a la maison, il demanda:
– Alors, chevre, es-tu repue?
La chevre repondit:
– J’ai tant mange que je ne peux plus avaler – be, be, be, be!
– Eh bien! viens a la maison, dit le garcon.
Il la prend par sa corde, la conduit a l’ecurie et l’attache.
– Alors, demanda le vieux tailleur, la chevre a-t-elle assez mange?
– Oh! repondit le fils, elle a tant mange qu’elle ne peut plus rien avaler.
Le pere voulut s’en rendre compte par lui-meme. Il alla a l’ecurie, caressa la chere petite chevre et demanda:
– Chevre, es-tu repue?
La chevre repondit:
– De quoi devrais-je etre repue? Parmi les tombes j’ai couru pour me nourrir rien n’ai trouve be, be, be, be!
– Qu’entends-je! s’ecria le tailleur. Il rentre a la maison et dit au garcon:
– Ah, menteur, tu dis que la chevre est repue et tu l’as laissee sans nourriture! Et, dans sa colere, il prend une canne et en bat son fils en le jetant dehors.
Le lendemain, c’etait au tour du second fils. Il chercha dans le jardin un coin ou poussaient de belles herbes et la chevre s’en regala. Le soir, comme il voulait rentrer, il demanda:
– Chevre, es-tu repue?
La chevre repondit:
– J’ai tant mange que je ne peux plus avaler – be, be, be, be!
– Alors, rentre a la maison, dit le garcon.
Il la tira vers la maison, l’attacha dans l’ecurie.
– Eh bien? demanda le vieux tailleur, la chevre a-t-elle assez mange?
– Oh! repondit le fils, elle a tant mange qu’elle ne peut plus rien avaler. Le tailleur n’avait pas confiance. Il se rendit a l’ecurie et demanda:
– Chevre, es-tu repue?
La chevre repondit:
– De quoi devrais-je etre repue? Parmi les sillons j’ai couru pour me nourrir n’ai rien trouve be, be, be be!
– L’impudent mecreant! s’ecria le tailleur. Laisser sans nourriture un animal si doux!
Il rentre a la maison et, a coups d’aune, met le garcon a la porte.
C’est maintenant au tour du troisieme fils. il veut bien faire les choses, recherche les taillis les plus touffus et y fait brouter la chevre. Le soir, comme il veut rentrer, il demande a la chevre:
– Chevre, es-tu repue?
La chevre repondit:
– J’ai tant mange que je ne peux plus avaler – be, be, be, be!
– Alors viens a la maison, dit le garcon.
Et il la conduisit a l’ecurie et l’attacha.
– Eh bien? demanda le vieux tailleur, la chevre a-t-elle assez mange?
– Oh! repondit le fils, elle a tant mange qu’elle ne peut plus rien avaler. Le tailleur ne le croit pas.
Il sort et demande:
– Chevre, es-tu repue?
La mechante bete repondit:
– De quoi devrais-je etre repue? Parmi les sillons j’ai couru pour me nourrir n’ai rien trouve – be, be, be, be!
– Ah! le vilain menteur, s’ecria le tailleur. Ils sont aussi fourbes et oublieux du devoir l’un que l’autre! Vous ne me ferez pas plus longtemps tourner en bourrique!
Et, de colere hors de lui, il rentre a la maison, frappe le pauvre garcon avec l’aune, si fort qu’il le jette par la porte.
Et voila le vieux tailleur seul avec sa chevre. Le lendemain matin, il va a l’ecurie, caresse la chevre et dit:
– Viens, ma mignonne, je vais te conduire moi-meme au champ.
Il la prend par sa longe et la mene la ou se trouvent les baies que les chevres mangent avec le plus de plaisir.
– Pour une fois, tu peux y aller de bon c?ur, lui dit-il, et il la laissa brouter jusqu’au soir. Il demanda alors:
– Chevre, es-tu repue?
Elle repondit: