Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo 4 стр.


– Elles sont tout juste bonnes a allumer le feu.

– Et le bonnet. Tu m’en donnerais combien?

– Belle acquisition, en verite! Un bonnet en mie de pain! Les souris finiraient par venir me le manger sur la tete!

Pinocchio etait sur des charbons ardents. Il avait bien encore une derniere proposition a lui faire, mais il n’osait pas la formuler. Il hesitait, balancait, etait a la torture. Puis il se decida:

– Ne pourrais-tu pas me donner quatre sous pour cet abecedaire tout neuf?

– Ecoute. Je suis un enfant et je ne fais pas de commerce avec les autres enfants – lui repondit son jeune interlocuteur qui avait beaucoup plus de jugeote que lui.

– Pour quatre sous, moi je le prends – intervint un chiffonnier qui avait entendu leur conversation.

Le livre fut vendu sur-le-champ. Et dire que, pour avoir achete ce meme abecedaire a son fils cheri, le brave Geppetto, en bras de chemise, grelottait de froid chez lui!

Chapitre 10

Les marionnettes reconnaissent en Pinocchio l’une des leurs et lui font fete. Au moment ou l’allegresse est a son comble survient Mangiafoco, le marionnettiste. Pinocchio est promis a une triste fin.

L’entree de Pinocchio dans le petit theatre de marionnettes suscita un incident qui provoqua une sorte de revolution.

Il faut savoir que le rideau etait leve et que le spectacle avait commence.

Sur la scene, Arlequin et Polichinelle se querellaient et s’appretaient, comme d’habitude, a en venir aux gifles et aux coups de baton.

Leur prise de bec faisait se plier de rire un public captive. Les deux marionnettes gesticulaient et s’envoyaient des injures avec tant de naturel qu’elles paraissaient aussi vivantes que vous et moi.

Mais, vivant ou pas, Arlequin s’arreta soudain de jouer. Faisant face au public, il montra de la main quelqu’un au fond de la salle et se mit a declamer avec emphase:

– Dieux du ciel! Est-ce que je reve? Pourtant, c’est bien Pinocchio que je vois la-bas!

– C’est vraiment Pinocchio! – cria Polichinelle a son tour.

– C’est tout a fait lui! – rencherit madame Rosaura dont la tete passa a travers le decor.

– C’est Pinocchio! C’est Pinocchio! – reprirent en ch?ur toutes les marionnettes surgissant des coulisses.

C’est Pinocchio! C’est notre frere a tous! Vive Pinocchio!

– Pinocchio, viens-la! – cria Arlequin – Viens te jeter dans les bras de tes freres en bois!

Cette affectueuse invite fit bondir Pinocchio hors de son siege. D’un saut, il fut dans les premiers rangs. Un autre saut le propulsa sur la tete du chef d’orchestre et, de la, il arriva directement sur la scene.

Difficile d’imaginer la debauche de marques d’amitie que lui temoigna, dans le plus grand desordre, toute la troupe de ce theatre vegetal: ce furent des embrassades, des etreintes, des joyeux petits pincons de complicite, de tendres frottements de museaux que seule une fraternite sincere et reelle peut inspirer.

Il n’y a pas a dire: le spectacle etait emouvant. Pourtant le public, voyant que la comedie n’avancait plus, s’impatienta et se mit a crier:

– La suite! La suite!

Ce fut peine perdue car les marionnettes, au lieu de se remettre a jouer, firent encore plus de tapage et, hissant Pinocchio sur leurs epaules, le porterent en triomphe sur le devant de la scene.

C’est alors qu’intervint le marionnettiste, un homme a la stature colossale et si laid que l’on mourait de peur rien qu’a le regarder. Il avait une barbe noire comme de l’encre, si longue qu’elle trainait par terre et qu’il s’emmelait les pieds dedans quand il marchait. Sa bouche etait vaste comme un four, ses yeux ressemblaient a des lanternes rouges et il faisait claquer un fouet tresse de peaux de serpents et de queues de renards.

Le tapage cessa brusquement a son apparition. Chacun retenait sa respiration et l’on aurait pu entendre une mouche voler. Toutes les pauvres marionnettes, les hommes comme les femmes, furent prises de tremblements.

– Pourquoi es-tu venu mettre la pagaille dans mon theatre? – demanda le marionnettiste a Pinocchio d’une grosse voix d’ogre ayant un bon rhume de cerveau.

– Ce n’est pas de ma faute, Monsieur, je vous supplie de me croire.

– Suffit! On reglera nos comptes ce soir.

Ce n’etaient pas des paroles en l’air. Car, le spectacle termine, le marionnettiste se rendit a la cuisine ou il s’etait prepare pour le diner un mouton entier qui cuisait lentement a la broche. Or, comme il lui manquait du bois pour parachever la cuisson afin qu’il soit bien dore, il appela Arlequin et Polichinelle et leur dit:

– Apportez-moi donc cette marionnette qui est accrochee au clou. Elle m’a paru d’un bois tres sec et fera une belle flambee pour mon roti.

D’abord ils hesiterent. Mais un mechant coup d’?il de leur patron terrorisa tellement Arlequin et Polichinelle qu’ils obeirent.

Peu apres, ils revenaient portant le pauvre Pinocchio qui se debattait comme une anguille hors de l’eau et qui criait desesperement:

– Papa, papa, sauve-moi! Je ne veux pas mourir! Je ne veux pas mourir!

Chapitre 11

Mangiafoco eternue et pardonne a Pinocchio, lequel sauve de la mort son ami Arlequin.

Certes, le montreur de marionnettes Mangiafoco (qui veut dire Mange-feu: c’etait vraiment son nom) avait toutes les apparences d’un homme terrifiant, particulierement avec sa barbe noire qui, comme un tablier, lui recouvrait entierement poitrine et jambes. Mais au fond, ce n’etait pas un mechant homme.

La preuve: quand on lui amena Pinocchio, se debattant et hurlant «Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir!», il fut tout de suite trouble et ressentit de la pitie pour la pauvre marionnette. Il resista bien un bon moment mais, ne se controlant plus, il finit par emettre un tres sonore eternuement.

Arlequin, qui semblait avoir ete transforme en saule pleureur tellement il etait afflige, retrouva subitement un visage joyeux a la suite de cet eternuement et, se penchant vers Pinocchio, lui souffla:

– Bonne nouvelle, mon frere: le maitre vient d’eternuer, ce qui veut dire qu’il s’est pris de compassion pour toi et que tu es sauve.

En effet, alors que tous les humains pleurent ou, du moins, font semblant de secher des larmes quand quelqu’un leur fait pitie, Mangiafoco, lui, eternuait.

C’etait sa maniere a lui de faire savoir qu’il avait du c?ur.

Apres avoir eternue, le montreur de marionnettes choisit de refaire le bourru et grommela a l’adresse de Pinocchio:

– Arrete de pleurer! Toutes ces lamentations m’ont ouvert l’appetit. Je sens un tiraillement qui… atchoum, atchoum!

– A vos souhaits! – dit Pinocchio

– Merci! Dis-moi: ton papa et ta maman sont toujours vivants?

– Papa, oui. Je n’ai jamais connu ma maman.

– Evidemment, evidemment… Quelle tristesse ce serait pour ton vieux papa si je te faisais griller sur ces braises rouges! Pauvre homme! Vraiment je compatis!… Atchoum, atchoum, atchoum!

– A vos souhaits – repeta Pinocchio

– Merci! Mais il faut aussi eprouver de la compassion pour moi car, comme tu le vois, je n’ai plus de bois pour finir de cuire ce mouton. En verite, te jeter dans le feu m’aurait bien arrange. Mais, que veux-tu, j’ai eu pitie. Maintenant c’est trop tard. Je vais donc te remplacer par l’une de mes marionnettes. Hola, les gendarmes!

Tres longs, tres maigres, bicornes sur la tete et sabres au clair, deux gendarmes surgirent immediatement.

Le marionnettiste, d’une voix rauque, leur ordonna:

– Attrapez-moi cet Arlequin, ligotez-le bien et jetez-le dans le feu. Je veux que mon roti soit reussi!

Imaginez la tete du pauvre Arlequin! Il fut si epouvante que ses jambes plierent sous lui et qu’il se retrouva a plat ventre par terre.

Bouleverse par ce spectacle, Pinocchio, en sanglots, se jeta aux pieds du marionnettiste et inonda sa barbe de ses pleurs. Il supplia:

– Pitie, Monsieur Mangiafoco!

– Ici, il n’y aucun monsieur! – repliqua sechement le marionnettiste.

– Pitie, Monsieur le Chevalier!

– Il n’y a pas de chevalier non plus!

– Pitie, Monsieur le Commandeur!

– Ou vois-tu des commandeurs ici?

– Pitie, Excellence!

Cette fois, tres flatte de s’entendre appele Excellence, le montreur de marionnette s’humanisa et demanda a Pinocchio d’un ton plus affable:

– Et bien, que veux-tu?

– Vous demander la grace de ce pauvre Arlequin.

– Il n’y a pas de grace qui tienne! Puisque je t’ai epargne, toi, il faut bien que je le mette dans le feu, lui. Sinon, mon mouton ne sera pas bien dore.

– Dans ce cas – repliqua fierement Pinocchio en se levant et en jetant son bonnet de mie de pain – dans ce cas, je sais ou est mon devoir. Avancez, messieurs les gendarmes! Attachez-moi et jetez-moi dans les flammes! Il n’est pas juste qu’Arlequin, un veritable ami, dusse mourir a ma place!

Cette declaration heroique, prononcee haut et fort, fit couler les larmes de toutes les marionnettes presentes. Jusqu’aux gendarmes qui, bien que de bois, pleuraient comme des veaux.

Au debut, Mangiafoco resta intraitable, un vrai bloc de glace. Mais, peu a peu, il s’attendrit, puis il eternua. Apres quatre ou cinq eternuements, il ouvrit ses bras:

– Tu es un garcon tres courageux. Viens m’embrasser.

Pinocchio se jeta dans les bras du marionnettiste. Grimpant dans sa barbe comme un ecureuil, il alla poser un gros baiser sur son nez.

– Je suis gracie? – demanda, a peine audible, le pauvre Arlequin qui n’avait plus qu’un filet de voix.

– Gracie! – repondit Mangiafoco.

Tout en soupirant et en hochant la tete, il ajouta:

– Tant pis! Aujourd’hui, je me contenterai d’un mouton a moitie cru mais, la prochaine fois, gare a celui sur qui ca tombera!

Apprenant que la grace avait ete obtenue, toutes les marionnettes se precipiterent sur la scene et, apres avoir allume toutes les lumieres comme pour une soiree de gala, se mirent a danser et a sauter dans tous les sens. A l’aube, elles dansaient encore.

Chapitre 12

Mangiafoco, le marionnettiste, donne cinq pieces d’or a Pinocchio pour qu’il les porte a son papa Geppetto. Mais Pinocchio se laisse embobiner par le Renard et le Chat: il part avec eux.

Le jour suivant, Mangiafoco prit Pinocchio a part et lui demanda:

– Comment s’appelle ton papa?

– Geppetto

– Et quel est son metier?

– Le metier de pauvre.

– Cela lui rapporte beaucoup?

– Suffisamment pour n’avoir jamais un sou en poche. Il a du vendre son manteau tout rapiece et reprise, une vraie misere, pour m’acheter l’abecedaire de l’ecole. Vous vous rendez compte!

– Pauvre diable! Cela me fait de la peine. Tiens, voila cinq pieces d’or. Pars tout de suite les lui porter et salue-le de ma part.

Pinocchio, comme on l’imagine, se confondit en remerciements, embrassa toutes les marionnettes de la Compagnie, meme les gendarmes, puis, fou de joie, se mit en route pour rentrer chez lui.

Mais il n’avait pas fait cinq cents metres qu’il rencontra un Renard clopinant sur trois pieds et un Chat aveugle. Ils allaient, s’aidant l’un l’autre, comme deux bons compagnons d’infortune. Le Renard boiteux s’appuyait sur le Chat aveugle qui se laissait guider par son camarade.

– Bonjour Pinocchio – dit le Renard en le saluant gracieusement.

– Comment sais-tu mon nom? – s’etonna la marionnette.

– Je connais bien ton papa.

– Tu l’as vu?

– Je l’ai vu hier. Il etait sur le pas de sa porte.

– Et que faisait-il?

– Il etait en bras de chemise et tremblait de froid.

– Pauvre papa! Mais, si Dieu le veut, a partir d’aujourd’hui il ne tremblera plus!

– Pourquoi donc? – interrogea le Renard.

– Parce que je suis devenu un Monsieur.

– Un Monsieur, toi?

Le Renard ne put s’empecher de rire. Un rire moqueur, peu flatteur. Le Chat riait aussi mais, pour qu’on ne s’en apercoive pas, il se lissait en meme temps les moustaches avec ses pattes de devant.

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