Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo 5 стр.


– Il n’y a pas de quoi rire – grogna Pinocchio, pique au vif – Desole de vous faire venir l’eau a la bouche mais, si vous vous y connaissez, dites-moi donc ce que vous pensez de ces cinq magnifiques pieces!

Et il montra aux deux comperes le cadeau de Mangiafoco.

L’agreable tintement des pieces d’or fit que le Renard tendit sans le vouloir sa patte malade alors que le Chat ouvrait tout grand ses yeux verts qui brillaient comme des lanternes. Mais il les referma aussitot, de sorte que Pinocchio ne s’apercut de rien.

– Et que vas-tu faire avec cet argent? – demanda le Renard.

– D’abord – repondit la marionnette – je vais acheter a mon papa un beau manteau neuf, tisse de fils d’or et d’argent avec des pierres precieuses en guise de boutons. Apres, je m’acheterai un abecedaire.

– Un abecedaire? Pour toi?

– Pour moi. Je veux aller a l’ecole et me mettre a etudier pour de bon.

– Moi, j’ai perdu une patte pour avoir eu la sotte passion des etudes.

– Et moi je suis devenu aveugle pour la meme raison – ajouta le Chat.

Pendant ce temps, un merle blanc s’etait pose sur une haie au bord de la route.

Il siffla, a l’intention de Pinocchio:

– N’ecoute pas ces deux lascars: sinon, tu t’en repentiras.

Pauvre merle! Il aurait mieux fait de se taire! Le Chat, d’un seul bond, lui sauta dessus et, sans que l’autre ait pu dire ouf, l’avala d’une seule bouchee, plumes comprises.

Une fois l’oiseau mange et son museau nettoye, le Chat ferma les yeux et refit l’aveugle, comme avant.

– Pauvre merle! – gemit Pinocchio, – pourquoi as-tu ete si cruel avec lui?

– Pour lui donner une lecon – repondit le Chat – Cela lui apprendra a s’occuper de ses oignons.

Ils etaient a mi-parcours quand le Renard, sans crier gare, s’arreta et demanda a la marionnette:

– Veux-tu multiplier tes pieces d’or?

– C’est a dire?

– Eh bien, a la place de ces cinq miserables sequins, ne voudrais-tu pas en avoir cent, mille, deux mille?

– Bien sur! Mais comment?

– C’est tres facile. Au lieu de rentrer chez toi, tu n’as qu’a venir avec nous.

– Pour aller ou?

– Au Pays des Nigauds.

Pinocchio reflechit un moment puis declara resolument:

– Non, je ne peux pas venir. Je suis pres de ma maison et je veux retrouver mon papa qui m’attend. Quels soupirs il a du pousser, le pauvre homme, quand il ne m’a pas vu revenir! Je suis vraiment un mauvais fils et le Grillon-qui-parle avait bien raison quand il disait que les enfants desobeissants n’avaient aucune chance de reussir dans la vie. Je l’ai appris a mes depens. Il m’est arrive beaucoup de malheurs. Hier encore, dans la maison de Mangiafoco, j’ai couru un terrible danger. Brrr, rien que d’y penser me donne le bourdon.

– Si tu tiens vraiment a rentrer, alors vas-y et tant pis pour toi! – soupira le Renard.

– Tant pis pour toi! – repeta le Chat.

– Mais en te conduisant ainsi, Pinocchio, tu tournes le dos a la chance – ajouta le Renard.

– A la chance! – repeta le Chat.

– D’ici a demain, tu aurais pu transformer tes cinq sequins en deux mille – insista le Renard.

– En deux mille! – repeta le Chat.

– Tant que cela? Comment est-ce possible? – s’etonna Pinocchio, eberlue.

– Je vais te l’expliquer – dit le Renard. Sache donc qu’au Pays-des-Nigauds il y a un champ sacre que tout le monde appelle le Champ des miracles. Dans ce champ, tu creuses un petit trou et tu y mets, par exemple, un sequin d’or. Tu combles le trou avec de la terre, tu l’arroses avec deux seaux d’eau, tu jettes une pincee de sel et tu rentres tranquillement te mettre au lit. Pendant la nuit, le sequin germe et fleurit. Le lendemain matin, tu retournes dans le champ et qu’y trouves-tu? Tu trouves un magnifique arbre charge d’autant de sequins qu’un bel epi a de grains de ble en plein mois de juin.

– Alors, moi, si j’enterrais mes cinq pieces dans ce champ, combien de sequins trouverais-je le lendemain matin? – demanda Pinocchio, de plus en plus etonne.

– C’est tres simple, – repondit le Renard – toi-meme pourrais en faire le compte avec les doigts de la main. Attendu que chaque piece donne une grappe de cinq cents sequins et que tu as cinq pieces, tu te retrouveras, le lendemain matin, avec en poche deux mille cinq cents sequins sonnants et trebuchants.

– Mais c’est formidable! – hurla Pinocchio, dansant de joie – Formidable! Des que j’aurai recolte tous ces sequins, j’en prendrai deux mille pour moi et les cinq cents autres seront pour vous deux.

– Un cadeau? Pour nous? Dieu t’en preserve! – s’indigna le Renard en prenant une mine offensee.

– Dieu t’en preserve! – repeta le Chat.

– Nous n’agissons pas par interet, – expliqua le Renard – nous agissons uniquement pour enrichir les autres.

– Les autres! – repeta le Chat.

Quels braves gens! – se dit Pinocchio. Alors, oubliant instantanement son papa, le manteau neuf, l’abecedaire et toutes ses bonnes resolutions, il declara:

– D’accord, je viens avec vous.

Chapitre 13

A l’auberge de l’Ecrevisse Rouge

Ils marcherent longtemps. A la tombee de la nuit, ils arriverent, morts de fatigue, a l’auberge de l’Ecrevisse Rouge.

– On va s’arreter ici – declara le Renard – pour avaler une bouchee et se reposer quelques heures. Nous repartirons a minuit pour etre demain, a l’aube, au Champ des miracles.

Entres dans l’auberge, ils prirent place tous les trois a une table mais aucun d’eux n’avait tres faim.

Le pauvre Chat, ayant l’estomac brouille, ne put manger que trente-cinq rougets a la sauce tomate et quatre portions seulement de tripes a la mode de Parme tout en reclamant trois fois de suite, ne les trouvant pas assez onctueuses, du beurre et du fromage rape.

Le Renard aurait bien aime, lui aussi, faire bombance mais, comme le medecin l’avait mis a la diete la plus severe, il dut se contenter d’un simple lievre accompagne d’une terrine de poulardes et de coquelets. Pour faire passer le lievre, il commanda ensuite une fricassee de perdrix, de lapin, de grenouille et de lezard aux raisins. Et puis il s‘arreta la, disant qu’il ne pourrait plus rien avaler, que tout ce qui etait nourriture le degoutait.

Mais celui qui mangea le moins, ce fut Pinocchio. Il demanda une poignee de noix avec un morceau de pain et laissa tout dans son assiette. Le pauvre garcon etait tellement obsede par le Champ des miracles qu’il souffrait d’une indigestion anticipee de pieces d’or.

Quand ils eurent fini, le Renard s’adressa a l’aubergiste:

– Donnez-nous deux bonnes chambres: une pour monsieur Pinocchio, une autre pour mon compagnon et moi. Nous ferons un petit somme avant de repartir. N’oubliez pas de nous reveiller a minuit.

A vos ordres, messieurs – repondit l’aubergiste tout en faisant un clin d’?il au Renard et au Chat comme s’il voulait dire: «Je vois clair dans votre jeu, comptez sur moi.»

Des que Pinocchio fut au lit, il s’endormit et reva immediatement. Il reva qu’il etait dans un champ recouvert de jeunes arbres charges de grappes de sequins d’or qui tintinnabulaient au gre d’une legere brise. Et cette musique semblait dire: «Viens donc nous cueillir». Mais juste au moment ou Pinocchio s’appretait a les recolter par poignees entieres et a s’en mettre plein les poches, on frappa bruyamment a la porte de la chambre.

C’etait l’aubergiste qui venait le prevenir qu’il etait minuit.

– Et mes amis? Sont-ils prets? – lui demanda la marionnette.

– Mieux que prets. Ils sont partis, il y a deja deux bonnes heures.

– Si vite? Mais pourquoi?

– Le Chat a recu un message lui apprenant que son fils aine avait des engelures aux pieds et qu’il etait entre la vie et la mort.

– Et le repas, ils l’ont paye?

– Bien sur que non! Ce sont des personnes trop bien eduquees pour faire cet affront a votre seigneurie.

– Ah? Dommage! Cet affront ne m’aurait pas deplu! – fit remarquer Pinocchio en se grattant la tete. Et ou ont-ils dit qu’ils m’attendraient, ces chers amis?

– Au Champ des miracles, au lever du jour.

Pinocchio regla donc son repas et celui de ses compagnons: il lui en couta une piece d’or. Puis il partit.

On peut meme dire qu’il partit a l’aveuglette car, dehors, il faisait si noir qu’on ne voyait goutte autour de soi. Pas une feuille ne bougeait dans la campagne alentour. Seuls quelques gros oiseaux de nuit, volant d’un buisson a l’autre, venaient battre des ailes sous le nez de Pinocchio. Celui-ci, apeure, criait «Qui va la?» et seul l’echo lointain des collines environnantes repondait: «Qui va la? Qui va la? Qui va la?».

Alors qu’il marchait, il vit soudain, sur le tronc d’un arbre, une petite bestiole qui emettait un pale halo de lumiere, comme la petite flamme d’une veilleuse de nuit.

– Qui es-tu? – s’enquit Pinocchio.

– Je suis l’ombre du Grillon-qui-parle – repondit la bestiole d’une voix infiniment faible et qui semblait venir de l’au-dela.

– Qu’est-ce que tu me veux?

– Je veux te donner un conseil. Fais demi-tour et porte les quatre pieces qui te restent a ton pauvre papa qui pleure et se desespere en ne te voyant pas revenir.

– Demain, mon papa sera un grand monsieur car ces quatre sequins vont en faire deux mille.

– Ne te fie jamais, mon garcon, a ceux qui te promettent de te rendre riche du jour au lendemain. Ce sont toujours, soit des fous, soit des filous. Crois-moi, rentre chez toi.

– Et moi, au contraire, je veux continuer.

– Il est tard…

– Je veux continuer.

– Il fait noir…

– Je veux continuer.

– Le chemin est dangereux…

– Je continuerai quand meme.

– Rappelle-toi que les enfants capricieux tot ou tard s’en repentent toujours.

– Oh! Toujours les memes histoires! Bonne nuit, grillon.

– Bonne nuit, Pinocchio. Que le ciel te protege de la rosee et des assassins!

Ces dernieres paroles prononcees, plus rien n’eclaira l’endroit ou se tenait le Grillon-qui-parle. Il s’etait eteint comme s’eteint une chandelle dont on vient de souffler la flamme. Et l’obscurite sur la route en fut plus profonde encore.

Chapitre 14

Pinocchio, qui n’a pas suivi les excellents conseils du Grillon-qui-parle, se retrouve nez a nez avec des bandits.

La marionnette reprit sa route en bougonnant:

– Nous autres, les enfants, n’avons vraiment pas de chance. Tout le monde nous donne des lecons ou nous reprimande. A les entendre, ils se prennent tous pour nos papas ou nos maitres d’ecole. Tous, meme un simple grillon! Parce que je n’ai pas voulu suivre les conseils de cet ennuyeux Grillon-qui-parle, le voila qui me predit plein d’ennuis. D’apres lui, je risquerais de rencontrer des bandits! Encore heureux que je n’y croie pas. D’ailleurs, je n’y ai jamais cru. Pour moi, les bandits ont ete inventes expres par les papas pour faire peur aux enfants qui veulent sortir la nuit. Et meme si j’en croisais sur cette route, est-ce que je me laisserais intimide? Jamais de la vie! Je leur dirais, bien en face: «C’est a quel sujet, messieurs les bandits?». Ah mais! Ils s’apercevraient qu’on ne plaisante pas avec moi. Ils continueraient leur chemin, et basta! Des paroles bien senties et ces bandits, moi, je les vois detalant comme le vent. D’ailleurs, s’ils n’etaient pas suffisamment eduques pour s’en aller, c’est moi qui partirais pour avoir la paix…

Pinocchio n’eut pas le temps d’achever son raisonnement car il venait d’entendre le bruissement d’une feuille derriere lui.

Il se retourna. Dans la penombre, il distingua deux sinistres individus dissimules dans des sacs de charbon qui le suivaient sur la pointe des pieds. On aurait dit deux fantomes.

– Ce sont les bandits! – se dit-il.

Et, comme il ne savait pas ou cacher ses pieces d’or, il les fourra dans sa bouche et les glissa sous sa langue. Puis il essaya de se sauver. Mais a peine avait-il bouge qu’il sentit qu’on l’attrapait par le bras. Deux voix caverneuses vocifererent:

– La bourse ou la vie!

Pinocchio ne pouvait pas repondre a cause des sequins qu’il avait dans la bouche. Il multiplia contorsions et mimiques pour expliquer a ces deux encagoules, dont on ne voyait que les yeux a travers des trous faits dans les sacs, qu’il n’etait qu’une pauvre marionnette n’ayant pas la moindre piecette, meme fausse, sur lui.

– Ca suffit! Arrete ton baratin et montre ton argent! – crierent en ch?ur les deux brigands.

Pinocchio, d’un signe de tete accompagne d’un mouvement des mains, leur signifia qu’il n’en avait pas.

– Sors-le! Sinon, tu es mort. – menaca le plus grand.

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