Les Aventures De Pinocchio - Collodi Carlo 6 стр.


– Mort! – repeta l’autre

– Et apres, on tuera aussi ton pere!

– Aussi ton pere!

– Non, non, pas mon pauvre papa! – hurla Pinocchio, desespere.

Mais, en disant, cela, les pieces s’entrechoquerent dans sa bouche.

– Ah! Chenapan! Ton argent, tu l’as donc cache sous ta langue? Crache ces pieces tout de suite!

Pinocchio resta de marbre.

– Tu fais le sourd maintenant? Attends un peu qu’on te les fasse cracher, nous!

Le premier le saisit par le nez et le second lui prit le menton puis ils se mirent a tirer de toutes leurs forces pour l’obliger a ouvrir la bouche. Ils n’y parvinrent pas: la bouche de la marionnette paraissait clouee.

Le plus petit des brigands sortit alors un grand couteau qu’il essaya d’utiliser a la fois comme burin et levier en l’enfoncant entre les levres de Pinocchio.

Mais celui-ci, vif comme l’eclair, referma sa machoire et, d’un coup sec, lui coupa la main. Quand il la recracha, il fut tres etonne de constater que c’etait une patte de chat.

Encourage par cette premiere victoire, il parvint a se sortir des griffes de ses agresseurs et, sautant par-dessus la haie bordant la route, s’echappa a travers les champs. Les deux bandits le suivirent, comme deux chiens poursuivant un lievre. Meme celui qui avait perdu une patte. A se demander comment il pouvait faire…

Apres quinze kilometres de cette course-poursuite, Pinocchio n’en pouvait plus. Se voyant perdu, il s’agrippa au tronc d’un immense pin et grimpa jusqu’au sommet de l’arbre. Les autres essayerent a leur tour mais, a mi-chemin, ils glisserent et retomberent en s’ecorchant les mains et les pieds.

Ils ne s’avouerent pas vaincus pour autant. Ayant ramasse du bois bien sec, ils le deposerent au pied de l’arbre et y mirent le feu. Immediatement, le pin s’embrasa comme une torche dont la flamme est attisee par le vent. Constatant que les flammes montaient de plus en plus haut et ne voulant pas finir en pigeon roti, Pinocchio sauta majestueusement de l’arbre et recommenca a courir a travers champs et vignes. Avec, toujours derriere lui, les deux bandits, manifestement infatigables.

L’aube commencait a luire et ils couraient encore. Soudain, un fosse large et tres profond barra la route de Pinocchio, un fosse au fond duquel coulait une eau sale, couleur cafe au lait. Que faire? «Un, deux, trois»: prenant son elan, la marionnette effectua un bond gigantesque et se retrouva sur l’autre rive. Les brigands voulurent sauter a leur tour mais ils avaient mal calcule leur coup et, patatras!, ils se retrouverent dans le fosse. Pinocchio, entendant le plouf de leur chute dans l’eau, eclata de rire tout en continuant a courir:

– Bon bain, messieurs les assassins!

Il les crut bel et bien noyes. Mais quand il regarda de nouveau derriere lui, il les vit tous les deux. Ils avaient repris la poursuite dans leurs sacs a charbon qui degoulinaient.

Chapitre 15

Les bandits continuent de poursuivre Pinocchio. Apres l’avoir rattrape, ils le pendent a une branche du Grand Chene.

Decouragee, la marionnette etait sur le point de se coucher par terre en se declarant vaincue quand elle apercut dans le lointain, contrastant avec le vert sombre de la frondaison des arbres, une maisonnette blanche comme la neige.

– Si j’ai encore assez de souffle pour arriver jusqu’a cette maison, peut-etre serai-je sauve – pensa Pinocchio.

Sans hesiter un seul instant, il reprit donc sa course folle a travers bois, les bandits toujours a ses trousses.

Deux heures plus tard, il arrivait tout essouffle a la porte de la maisonnette et frappait a la porte.

Pas de reponse.

Entendant croitre le bruit des pas et de la respiration haletante de ses persecuteurs, il frappa plus fort.

La maison resta silencieuse.

Puisque frapper ne servait a rien, il s’en prit frenetiquement a la porte en lui donnant des coups de pieds et en la martelant avec sa tete. Finalement, apparut a la fenetre une jolie fillette aux cheveux bleu-nuit et au visage pale comme une statue de cire. Son regard etait eteint et elle tenait ses bras croises sur sa poitrine. Elle murmura d’une voix faible qui paraissait venir de l’au-dela:

– Il n’y a personne dans cette maison. Ils sont tous morts.

– Mais toi, tu peux m’ouvrir! – cria Pinocchio, pleurant et suppliant.

– Moi aussi, je suis morte.

– Morte? Mais alors, qu’est-ce que tu fais la, a la fenetre?

– J’attends le cercueil qui m’emportera.

Sur ces dernieres paroles, la fillette disparut et la fenetre se referma sans bruit.

– O jolie fillette aux cheveux bleu-nuit, ouvre-moi, par pitie! Aide un pauvre garcon poursuivi par des ban…

Pinocchio ne put finir sa phrase. On l’avait saisi par le cou et deux sinistres voix – toujours les memes – gronderent, menacantes:

– A present, tu ne nous echapperas plus!

Voyant se profiler le spectre de la mort, la marionnette fut prise d’un tremblement si intense que l’on pouvait entendre craquer les jointures de ses jambes et tinter les quatre pieces d’or cachees sous sa langue.

– Et maintenant? – fulminerent les brigands – Cette bouche, tu vas l’ouvrir, oui ou non? Tu ne reponds toujours pas? Aucune importance: nous, on va bien t’obliger a l’ouvrir!

Alors, sortant deux longs couteaux tranchants comme des rasoirs, chlak… ils lui porterent deux coups dans les reins.

Par chance, le bois dont etait fait la marionnette etait si dur que les lames des couteaux se briserent en mille morceaux. Il n’en restait plus que les manches. Les deux bandits se regarderent:

– J’ai compris – dit l’un. – Il faut le pendre. Pendons-le!

– Pendons-le! – repeta l’autre.

Sans attendre, ils lui lierent les mains dans le dos et, lui ayant passe un n?ud coulant autour du cou, l’accrocherent a une branche d’un gros arbre appele le Grand Chene.

Puis, assis dans l’herbe, ils attendirent que la marionnette eut une derniere convulsion. Mais celle-ci, trois heures apres, avait toujours les yeux ouverts et gigotait comme jamais.

Finalement, fatigues d’attendre, ils s’adresserent a Pinocchio en ricanant:

– On te laisse! Mais reviendrons demain. D’ici la, esperons que tu auras la courtoisie de mourir tout a fait et d’ouvrir ta bouche toute grande.

Puis ils partirent.

Au meme moment se leva la Tramontane, un vent violent mugissant rageusement qui s’abattit sur le pauvre pendu et le ballotta comme le battant d’une cloche sonnant a toutes volees. Ce terrible balancement lui causait d’horribles douleurs et le n?ud coulant, enserrant de plus en plus sa gorge, l’empechait de respirer.

Peu a peu, sa vue se brouilla. Tout en sentant la mort arriver, il imaginait encore qu’une ame compatissante viendrait le sauver. Et quand, apres avoir longuement attendu et espere, il comprit que personne, vraiment personne ne lui porterait secours, sa pensee se tourna alors vers son pauvre papa et il balbutia tout en agonisant:

– Oh, mon papa a moi! Si tu pouvais etre la!…

Il n’eut pas la force d’en dire plus. Il ferma les yeux, ouvrit la bouche, laissa pendre ses jambes puis, apres un dernier spasme, se figea au bout de sa corde.

Chapitre 16

La jolie fillette aux cheveux bleu-nuit envoie chercher la marionnette, la met au lit et appelle trois medecins pour savoir si elle est morte ou vivante.

Alors que le pauvre Pinocchio, pendu a une branche du Grand Chene par les brigands, semblait plus mort que vif, la jolie fillette aux cheveux bleu-nuit se mit de nouveau a sa fenetre. En voyant ce malheureux suspendu par le cou que le vent du nord faisait danser au bout de sa corde, elle fut prise de pitie et frappa dans ses mains trois fois.

On entendit alors un grand bruissement d’ailes battant l’air avec fougue et un Faucon de belle taille vint se poser sur le rebord de la fenetre.

– Quels sont les ordres de ma gracieuse Fee? – demanda le Faucon en inclinant respectueusement son bec.

Il faut savoir que la fillette aux cheveux bleus etait, en fait, une bonne Fee vivant dans ce bois depuis plus de mille ans.

– Tu vois cette marionnette pendue a une branche du Grand Chene? – dit la Fee.

– Je la vois.

– Alors, vole immediatement jusqu’a elle, sers-toi de ton solide bec pour defaire le n?ud qui la retient en l’air et couche-la delicatement sur l’herbe, au pied du chene.

Le Faucon s’envola. Deux minutes plus tard, il etait de retour:

– Vos ordres ont ete executes.

– Et comment l’as-tu trouvee? Est-elle morte ou vivante?

– A premiere vue, la marionnette paraissait sans vie, mais elle ne devait pas etre tout a fait morte car, alors que je brisais le n?ud coulant lui enserrant le cou, je l’ai entendue pousser un soupir et murmurer: «Maintenant, je me sens mieux».

La Fee frappa dans ses mains deux fois et, cette fois, apparut un magnifique Caniche qui marchait droit sur ses deux pattes de derriere, comme s’il etait un humain.

Le Caniche etait habille comme un cocher ayant revetu sa livree de gala. Il portait une coiffe a trois pointes bordee d’or, une perruque blanche dont les boucles lui tombaient sur les epaules, une veste couleur chocolat avec des boutons qui brillaient et deux grandes poches pour y mettre les os que lui donnait sa patronne, un pantalon court en velours rouge vif, des bas de soie, des souliers decoupes et, dans le dos, une sorte de fourreau en satin bleu pour y abriter sa queue quand le temps tournait a la pluie.

– Allez, Medor, du courage! – lui dit la Fee. Fais atteler tout de suite le plus beau carrosse de mon ecurie et dirige-toi vers le bois. Arrive sous le Grand Chene, tu trouveras une marionnette a moitie morte etendue sur l’herbe. Prends-la delicatement, pose-la en faisant tres attention sur les coussins du carrosse et amene-la-moi. Tu as compris?

Le Caniche, pour montrer qu’il avait bien compris, remua le fourreau de satin bleu qu’il avait dans le dos et detala comme un cheval barbe.

Peu de temps apres, on vit sortir de l’ecurie un joli petit carrosse bleu-ciel, entierement capitonne de plumes de canaris et, a l’interieur, matelasse avec de la creme fouettee et des biscuits a la cuiller. Le carrosse etait tire par un attelage de deux cents petites souris blanches. Assis sur le siege du cocher, le Caniche faisait claquer son fouet, tel un postillon ayant peur d’etre en retard.

Il ne s’etait pas ecoule un quart d’heure que le carrosse revenait. La Fee, qui attendait a la porte de la maison, prit par le cou la pauvre marionnette, la porta jusque dans une petite chambre aux murs de nacre puis fit appeler les plus fameux medecins du voisinage.

Les medecins arriverent l’un apres l’autre. Il y avait un Corbeau, une Chouette et un Grillon-qui-parle. Les ayant reunis autour du lit ou gisait Pinocchio, la Fee leur demanda:

– Je souhaiterais que vous me disiez, messieurs, si cette malheureuse marionnette est morte ou vivante.

Le Corbeau fut le premier a s’avancer. Il prit le pouls de Pinocchio, lui tata le nez, le petit orteil et, apres avoir soigneusement accompli son examen, declara solennellement:

– A mon avis, cette marionnette est bel et bien morte. Pourtant, si par hasard elle n’etait pas morte, alors on pourrait dire sans hesitation possible qu’elle est toujours vivante!

– Je regrette – repliqua la Chouette – de devoir contredire mon illustre ami et collegue le Corbeau mais, selon moi, bien au contraire, la marionnette est vivante. Evidemment, si par mesaventure elle n’etait pas vivante, ce serait alors le signe indiscutable qu’elle est morte!

– Et vous? Vous ne dites rien? – demanda la Fee au Grillon-qui-parle.

– Moi je dis que la meilleure chose que puisse faire un medecin qui ne sait pas de quoi il parle serait qu’il se taise. Du reste, cette marionnette ne m’est pas inconnue. Je la connais meme depuis longtemps!…

Pinocchio qui, jusque la, etait reste aussi inerte qu’un bout de bois, eut une sorte de fremissement convulsif qui ebranla le lit.

– Cette marionnette – continua le Grillon-qui-parle – est un fieffe coquin.

Pinocchio ouvrit les yeux mais les referma aussitot.

– C’est un polisson, un paresseux et un vagabond.

Pinocchio enfouit sa tete sous les draps.

– De plus, c’est un enfant desobeissant qui fera mourir de chagrin son pauvre pere.

On entendit alors quelqu’un sangloter. Imaginez la surprise de l’assistance quand, soulevant les draps, on comprit que c’etait Pinocchio qui pleurait.

– Quand un mort pleure, cela signifie qu’il va guerir – declara alors le Corbeau avec solennite.

– Je deplore de devoir contredire encore mon illustre ami et collegue – intervint la Chouette – mais, pour moi, quand un mort pleure, cela veut dire qu’il lui deplait d’etre mort.

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