L'Anneau d'Atlantide - Жюльетта Бенцони 13 стр.


— Pour ce que j’ai cru comprendre du peu de paroles qu’il a pu exhaler en mourant : une Reine Inconnue. Les autres mots, à peine audibles, furent Assouan, Ibrahim et Sanctuaire. Voilà pourquoi j’ai tenu à vous porter ce message. Selon mon ami Vidal-Pellicorne, il ne pouvait s’agir que de vous…

— En effet, et je vous en remercie. Je devine ce qu’il est allé chercher, et si on l’a tué, c’est qu’il avait dû réussir à se le procurer, mais où ? Au Museum ? Il savait que je ne l’aurais pas admis…

— Non, fit Adalbert : chez Howard Carter, que l’Anneau a protégé de la malédiction quand il a ouvert la tombe de Tout-Ank-Amon, mais il a bel et bien été volé, même si l’on a refusé d’en informer la presse…

— C’était une faute grave et mon pauvre Gamal l’a payée de sa vie. Qu’Allah ait pitié de lui… de moi aussi, puisque j’en porte la responsabilité involontaire. Qui a veillé à ses funérailles ?

— Je m’en serais volontiers chargé, dit Aldo, mais son frère est venu réclamer sa dépouille.

Ibrahim Bey eut un haut-le-corps :

— Son frère ? Il n’en a jamais eu !

— Et pourtant, il s’est trouvé quelqu’un pour jouer ce rôle.

— Dans ce cas, ce ne peut être qu’un imposteur dont vous auriez dû vous méfier. En ce qui me concerne, je ne vois pas ce que je pourrais vous dire.

— C’est bien ce que nous pensions. Excellence, soupira Aldo, il ne me reste plus qu’à vous remercier de nous avoir reçus…

— Encore un instant, je vous prie ! Avez-vous pu obtenir des informations touchant ce personnage inattendu, donc inquiétant ?

— Oui. J’ai été appelé en Égypte par une princesse appartenant à la famille royale qui souhaitait traiter une affaire que je n’hésiterai pas à qualifier de louche. C’est chez elle que j’ai aperçu le pseudo-El-Kouari.

— Pouvez-vous me nommer cette dame ?

— La princesse Shakiar !

L’imposant et impassible visage eut une brève crispation :

— Oh, cette femme ! Si vous avez eu des réticences, je vous approuve !

— Vous la connaissez ? demanda Adalbert.

— Personnellement non, mais je connais sa réputation. Quelqu’un qui m’est proche entretient des relations avec elle et je ne crois pas que ce soit dans son intérêt… Quant à moi, je ne peux que vous exprimer ma gratitude pour avoir assisté mon pauvre Gamal à ses derniers instants. A-t-on retrouvé les assassins ?

— Pas que je sache. La version de la police est des plus élémentaires : un voyageur étranger de passage à Venise avant de repartir pour l’Égypte – il était descendu à l’hôtel Danieli avant de reprendre le bateau – a été attaqué par des malandrins qui l’ont détroussé et tué au cours d’une promenade nocturne.

— Votre police se contente de peu.

— Pourtant, le commissaire Salviati que je connais de longue date est un bon professionnel, mais il semble qu’il se soit attaché à effacer toute trace. J’ajoute que le faux frère s’était assuré la connivence des gens du Duce…

— N’en dites pas plus ! J’ai compris. Qu’Allah vous garde, Messieurs. Je suis heureux de vous avoir rencontrés.

5

Une histoire de fous

— Mis à part le fait qu’El-Kouari II n’est pas ce qu’il prétend, ton saint homme ne nous en a guère appris, grogna Aldo une fois dans la voiture qui les ramenait à la maison des Palmes.

— Qu’est-ce que tu espérais ?

— Je ne sais pas, moi ! Que vous alliez parler longuement de la Reine Inconnue. Or, vous n’avez même pas effleuré le sujet ! C’est parce que j’étais là ?

— Peut-être… et peut-être pas. C’est un homme très secret et, même si je suis un peu déçu, je ne m’attendais guère qu’il en parle.

— Il s’y intéresse tout de même ? Sinon, s’il n’a pas le moindre soupçon concernant l’emplacement de cette tombe, je ne vois pas bien pourquoi un malheureux type aurait joué sa vie pour lui procurer la protection absolue contre les maléfices. Toi non plus, d’ailleurs !

— Quoi, moi non plus ?

— As-tu seulement une notion de la région où elle est cachée, cette tombe ? C’est plutôt vaste, dans le coin ! ajouta-t-il en englobant d’un geste circulaire l’immense paysage où ils évoluaient. Alors, posséder un talisman grâce auquel on peut violer n’importe quel sanctuaire, c’est réconfortant, mais quand on ne sait pas où chercher, ça ne sert strictement à rien !

— Nous sommes d’accord… à ce détail près que c’est fichtrement utile pour tout archéologue digne de ce nom. Carter n’a jamais recherché la Reine Inconnue car il était trop positif pour s’attaquer à ce qu’il devait considérer comme une sorte de conte de fées, mais tu ne nieras pas que la tombe du Grand Prêtre Jua lui a fait un beau cadeau ? En ce qui me concerne, je suis persuadé que la Reine est dans les environs… et Ibrahim aussi, j’en jurerais ! À cette différence près qu’il doit en savoir plus…

— Alors, faisons demi-tour, va lui donner l’Anneau et traite avec lui : il apporte ce qu’il sait et vous faites part à deux !

— Tu as vu à quoi il ressemble ? Tu m’imagines allant lui proposer ton petit marché ? C’est bien une idée de commerçant, ça !

Les yeux d’Aldo prirent une curieuse teinte verte cependant que ses narines se pinçaient :

— Tandis que vous, les prospecteurs de momies, voguez exclusivement dans les sphères les plus éthérées de l’atmosphère ? C’était tellement évident, l’autre jour, quand tu administrais une si splendide raclée à ce pauvre Freddy Duckworth ? Sans oublier ton anodin règlement de compte, il y a quatre ans, avec l’ineffable La Tronchère (5) au coin de la rue de Castiglione et de la rue du Mont-Blanc… Alors, si tu veux savoir ce qu’il va faire, le « commerçant », il va reprendre, dans l’ordre, ses valises, le train pour Alexandrie ou Port-Saïd et le premier bateau en partance afin de regagner au plus vite sa boutique et ses pantoufles ! Parce qu’il déteste perdre son temps, le commerçant !

Un silence suivit cette philippique. Adalbert, qui avait tourné la tête, un rien gêné, renifla puis concéda :

— Bon ! Excuse-moi ! Les mots ont dépassé ma pensée. Seulement…

— Mais tu les as dits !

— Ce que tu peux être susceptible ! Essaie de comprendre que cet homme m’impressionne. Comme tout le monde ici. On l’y considère comme un esprit d’une grande élévation spirituelle, un vrai croyant détaché des vulgaires contingences terrestres qui a choisi de vivre dans l’isolement et l’étude…

— Moi, il me ferait davantage penser au Vieux de la Montagne ! À cette différence près qu’il n’ordonne pas à l’un de ses serviteurs de se jeter du haut des tours de son château chaque fois qu’il lui prend l’envie de s’assurer qu’ils sont toujours aussi obéissants ! Il a un regard…

— C’est vrai pour le regard et, pour le reste, tu n’as peut-être pas entièrement tort ! Ce qui est certain, c’est qu’il n’est pas de ce siècle et c’est probablement la raison pour laquelle il m’impressionne tant…

Encore un silence, puis :

— Tu n’as pas l’intention de me laisser tomber ?

— Veux-tu me dire à quoi je te sers ?

Adalbert renifla encore un coup mais se décida à regarder son ami :

— Comme remonte moral, tu es inappréciable ! On a toujours fait une bonne équipe, non ?

— Ce n’est pas moi qui dirai le contraire.

— Alors reste encore un peu ! J’ai le sentiment que ça pourrait bouger autour de nous. Tiens ! j’y pense : on pourrait aller faire un tour à la tombe de Jua ? Henri nous obtiendra l’autorisation sans difficulté. Lui aussi, c’est une personnalité dans le coin.

— Qu’espères-tu y trouver ? Carter a dû la vider consciencieusement.

— Sans aucun doute, mais on ne sait jamais. On a déjà vu des tombes récurées à fond et qui pourtant n’avaient pas fini de receler des surprises.

— Au fond, pourquoi pas…

Henri Lassalle, lui, montra un enthousiasme réservé :

— La tombe de Jua ? Tu peux y aller à loisir. Elle est seulement fermée par une porte en fer dont on a peut-être perdu la clef parce qu’elle n’est jamais fermée. Tout ce que tu verras, ce sont les peintures murales assez bien conservées et non sans beauté mais, pour le reste, Carter et ses successeurs l’ont grattée jusqu’à l’os ! Si tu me parlais plutôt de votre visite à Ibrahim Bey. Qu’en avez-vous appris ?

— Que l’homme venu chez moi ne pouvait pas être le frère d’El-Kouari pour l’excellente raison qu’il n’en avait pas. Quant à ce pauvre type, il dit qu’il était légèrement timbré et qu’en allant voler l’Anneau chez Carter il a agi de son propre chef. En ce qui le concerne, il réprouve ce genre d’initiative…

— Cela ne m’étonne pas venant de sa part, mais aurait-il refusé l’Anneau si on avait réussi à le lui rapporter ?

— Je l’en crois capable, soupira Adalbert. Un homme tel que lui ne doit avoir nul besoin de talisman pour affronter les forces les plus obscures. Il doit traiter d’égal à égal avec l’au-delà…

— Maintenant que tu le dis, il m’a rappelé le rabbin Loew que j’ai rencontré à Prague et qui nous a permis de retrouver le rubis de Jeanne la Folle (6), reprit Aldo, soudain songeur. Les pouvoirs de ces hommes nous dépassent. Peut-être, en effet, aurait-il refusé…

— Mais vous a-t-il appris quelque chose touchant la Reine Inconnue ?

— Rien, absolument rien ! grogna Adalbert. Nous avons été reçus d’une façon extrêmement courtoise, mais l’entretien ne s’est pas prolongé.

— Pourtant, je jurerais qu’il sait quelque chose, murmura Lassalle. Si ce n’est pas tout ce qu’il y a à savoir !

— Peut-être aussi que cela ne l’intéresse pas… et sur ces fortes paroles il ne nous reste plus qu’à hisser le grand pavois pour aller danser chez le gouverneur ! conclut Adalbert en se levant.

— Pas moi, si vous le permettez ! dit Aldo. Je préfère de beaucoup rester ici.

— Tu nous fais une crise de sauvagerie ou quoi ?

— Non, mais il y aura des gens que je n’ai pas envie de revoir !

— La princesse Shakiar ou la Rinaldi ?

— Les deux !

— Tu as tort. C’est toujours très réussi.

— Je n’en doute pas un instant mais, si vous le permettez, Monsieur Lassalle, j’aimerais mieux passer la soirée sur votre belle terrasse à fumer en regardant le ciel. Des fêtes, j’en ai vu et j’en verrai d’autres, mais ce paysage est trop beau pour ne pas l’emporter sur les mondanités…

Au sourire que lui adressa son hôte, il comprit qu’il venait de gagner une part dans son amitié.

— Ce n’est pas moi qui vous donnerai tort, acquiesça-t-il, et je vous avoue qu’il me plairait davantage de partager votre contemplation. Mais je dois y aller. Si ce qui compte plus ou moins dans Assouan ne va pas lui faire une révérence, Mahmud Pacha est capable de faire un caprice. Si tu veux rester aussi, Adalbert, je ne t’en voudrai pas !

— Ma foi, non ! Une petite sauterie me changera les idées et me fera le plus grand bien. Je vous accompagne…

Le soudain besoin de solitude de son ami n’avait pas convaincu Adalbert. Tandis qu’ils regagnaient leurs quartiers, il ne le lui cacha pas :

— Elles te font peur à ce point-là, ces deux bonnes femmes ?

— Peur, non, mais je n’ai pas envie de les revoir. Et je vais même te dire mieux : si elles pouvaient croire que je suis reparti vers ma lagune, je n’en serais que plus content.

— Comme tu voudras…

Deux heures plus tard, après avoir mis en voiture les deux hommes en grande tenue chamarrée de décorations – surtout Lassalle qui en possédait de nombreux pays tandis qu’Adalbert se contentait de la Légion d’honneur, de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palmes –, Aldo, en smoking afin de se comporter selon les règles de la maison, allait prendre possession de la terrasse avec délectation. La table dressée l’y attendait, une paire de photophores allumés encadrant son couvert. Farid, après lui avoir proposé un whisky qu’il refusa, lui servit du « foul », le plat national qu’il avait appris à aimer, une purée mélangée de lentilles, de fèves et d’aubergines à l’huile de sésame accompagnée de jus de citron vert, un poisson inconnu – dont il ne chercha du reste pas à percer l’anonymat ! – servi avec une sauce aux herbes, un pigeon grillé garni de boulettes de sésame et d’un assortiment de légumes. En dessert, des gâteaux au miel et aux amandes dont il ne fit qu’une consommation modérée, l’ensemble arrosé de champagne. Henri Lassalle s’était peut-être converti à l’islam – en réalité il était ismaélien, relevant de l’Aga Khan comme quantité d’autres dans la région –, mais il n’avait jamais renoncé aux productions viticoles de sa chère France. La nuit était tombée, succédant à un incendie de pourpre et d’or peu à peu mué en violet profond puis en bleu indigo, tandis que la lune en son premier quartier argentait les eaux du Nil. Des lumières brillaient dans l’île Éléphantine qui posait sur le fleuve un long jardin sertissant d’admirables ruines de temple et quelques anciennes demeures. Plus haut encore, l’île d’Amoun semblait poser un bouquet de palmiers sur les eaux… Les felouques avaient replié leurs ailes et la ville baignait dans la qualité de silence que compose cette multitude de légers bruits tellement habituels que l’on n’y prête plus attention. On n’entendait même pas l’orchestre de l’hôtel Cataract. En revanche, le bâtiment brillait de toutes ses lumières, battu pour cette fois par le palais du gouverneur éclairé  a giorno. De son observatoire, Aldo pouvait distinguer ses illuminations et aussi ses rumeurs portées sur un vague fond musical.

Son dîner achevé, il remercia Farid d’un sourire et alla s’installer dans un vaste fauteuil de rotin où il alluma un cigare dont il savoura, les yeux mi-clos, le parfum suave. Une brise caressante se levait sur la vallée, convoyant les échos plus nets du palais. Qui, soudain, se turent, cependant que s’élevait celui d’une voix admirable, sensiblement affaibli par la distance mais qui n’en prenait que plus de mystère.

La Rinaldi interprétait le grand air d ’Aida et, cette fois, Aldo ferma les yeux afin de mieux se laisser envahir par cet instant de beauté pure. Débarrassée de sa forme terrestre, la voix sublime lui faisait courir des frissons dans le dos et il se félicita d’avoir renoncé à se rendre au palais où le charme n’eût pas été aussi puissant en contemplant une femme dont il savait combien elle pouvait être odieuse et dont la plastique laissait à désirer. Là, elle se trouvait miséricordieusement désincarnée et c’était absolument divin… Le tonnerre d’applaudissements qui salua la fin du morceau roula jusqu’à lui.

Elle enchaîna sur la prière de  Tosca, puis l’air de Liu de  Turandot qu’Aldo aimait particulièrement et qu’elle dut bisser pour son plus grand bonheur. Emporté par l’enthousiasme, il allait se lever pour applaudir comme il l’eût fait à la Fenice de Venise ou à l’Opéra de Paris, quand le coup l’atteignit à la base du crâne et l’envoya s’étaler sur les dalles, sans connaissance…

Le contact de l’eau froide le ramena en surface. Ses idées étaient brumeuses et il avait mal à la tête, mais il n’en fut pas moins surpris de se retrouver à la même place, dans son fauteuil, tandis que deux visages inquiets, celui d’Adalbert et celui de Lassalle, se penchaient sur lui. L’odeur des sels d’ammoniac que l’on promenait sous son nez le fit éternuer et il repoussa le flacon, préférant de loin l’armagnac qu’une main compatissante lui introduisait dans la bouche. Après la première gorgée, il s’empara du verre et le vida sans aide.

— Qu’est-ce que je fais là ? marmonna-t-il. Quand on assomme quelqu’un c’est pour l’enlever, non ?

— Ou afin de se laisser le champ libre pour une malfaisance, fit le vieux monsieur, pas autrement surpris. J’en ai été victime, un jour, en 1922. C’était à Londres où je m’étais rendu pour…

— Soyez gentil, Henri, vous nous raconterez plus tard. Comment te sens-tu ?

— Vaseux ! Un peu moins avec l’armagnac dont je reprendrais bien quelques gouttes…

— Mais comment donc !

Une seconde ration lui fut adjugée qu’il entreprit de déguster plus sobrement que la première. Parfumé à souhait, l’alcool gascon était délicieux…

— Il y a longtemps que vous me contemplez ? demanda-t-il.

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