La collection Kledermann - Жюльетта Бенцони 3 стр.


— Nous pleurons ? gémit Marie-Angéline. C’est si désespéré ?

— Oh non ! C’est la joie sans doute : il m’a reconnue !

Déjà Adalbert l’avait remplacée. Deux minutes plus tard il revenait, offrant la mine rayonnante d’un élu qui a vu s’entrouvrir le ciel :

— Il m’a appelé « Vieille Branche ! », soupira-t-il extatique. Il est guéri !

— Pas encore ! rectifia le docteur Lhermitte qui venait d’arriver. Néanmoins je pense sincèrement que l’on peut augurer une remise en ordre totale. À condition toutefois de ne pas courir la poste ! Il lui faut du repos… mais pas dans une chaise longue à papoter de l’aube au crépuscule et davantage ! Alors pour commencer je le garde quinze jours ici. Ensuite il pourra rentrer à Paris en ambulance. Il habite Venise, ajouta-t-il rapidement en voyant Adalbert ouvrir la bouche, mais le voyage est trop long. En outre, à Paris, je souhaiterais un endroit aéré…

— Si le parc Monceau vous convient j’y habite un hôtel particulier ! dit Mme de Sommières. Il y est chez lui autant que moi. Mais pour en revenir à Venise, quand envisagez-vous…

— De le rapatrier ? Pas avant trois bons mois !… Je sais à quoi vous pensez, dit-il en voyant Adalbert se gratter le crâne : la police va vouloir l’interroger ?

— C’est vrai, j’y pensais !

— Je m’en suis expliqué avec le commissaire Desjardins, de Chinon. Comme il était prisonnier et ignorait où il se trouvait, sa déposition peut attendre quelques jours et soyez certain que je ne l’abandonnerai pas ! Enfin, aucun journaliste ne franchira le seuil de sa chambre. Elle va être gardée jour et nuit !

Ayant dit cela, il salua courtoisement les deux femmes, serra la main d’Adalbert et suivit l’interne qui venait réclamer sa présence.

— Eh bien, nous allons donc nous installer ici pour une quinzaine. Nous aurions pu tomber plus mal ! constata la marquise avec une certaine satisfaction. J’ai toujours aimé la Touraine !…

— Ce jardin des rois ! émit Marie-Angéline en écho.

— Allons, tant mieux ! repartit Adalbert. Pour l’instant je vous emmène à Chinon visiter…

— Les ruines du vieux château ? J’adore !… Et peut-être aussi ce qu’il reste de la Croix-Haute ?

— Pour l’instant on va surtout explorer le commissariat de police ! J’ai promis d’y passer aujourd’hui ! Des questions auxquelles il faudra répondre…

— Puisque vous étiez avec lui, ce vieux fou d’Hubert a dû se dépêcher de retracer votre aventure ? marmotta la marquise.

— Sans doute, mais Desjardins se doit de m’entendre aussi. Et puis je vous avoue que je ne serais pas fâché d’apprendre que l’on a réussi à récupérer les joyaux descendant de Borgia, vrais ou faux ! Il est impossible qu’ils aient disparu sans laisser de traces…

Le temps s’était soudain mis au beau et considérablement radouci. Adalbert rabattit la capote de la voiture afin que ses passagères pussent profiter pleinement d’une région où l’approche du printemps se faisait toujours sentir plus précocement qu’ailleurs… La promenade fut charmante mais l’état de grâce prit fin dès que l’on atteignit les locaux de la police où retentissaient les éclats de voix du professeur :

— Quand je vous certifie que ce coteau est troué comme un gruyère vous me répondez que je vois des souterrains partout ! D’abord j’en connais déjà pas mal mais je suis persuadé qu’il y en a d’autres. Sinon, expliquez-moi comment les vipères qui logeaient à la Croix-Haute ont-elles pu disparaître si facilement ?

L’arrivée des nouveaux venus parut soulager Desjardins : il les accueillit avec un empressement révélateur. D’ailleurs son bourreau fut soudain tout sucre et tout miel :

— Je ne désespère pas de vous prouver que j’ai raison ! ne put-il s’empêcher d’assener, pensant ainsi avoir le dernier mot mais, occupé à souhaiter la bienvenue à ses visiteurs, surtout aux deux dames, Desjardins ne l’écoutait plus.

Il se montra soulagé des nouvelles encourageantes qu’on lui apportait :

— Une victime de moins, c’est appréciable, vous savez ? En particulier avec cette sorte de gens ! Songez que l’on a retrouvé dans les gravats le corps du vieux Catannei presque intact… à ceci près qu’on lui avait tiré une balle dans la tête !

— Curieux ! remarqua Adalbert. Selon Mr. Wishbone on avait annoncé sa mort la veille de l’incendie !

— Le légiste, lui, pense différemment. Guère soucieux de s’encombrer d’un malade, ses enfants, ou je ne sais trop ce qu’ils étaient pour lui, l’ont abattu avant de s’enfuir, comptant sans doute sur le feu et les charges d’explosifs disposées ici ou là pour le faire disparaître définitivement. Or, en s’écroulant, le plafond de sa chambre est tombé de telle façon que deux poutres protégeaient le corps…

— C’est une chance – si l’on peut dire ! – qu’il ait été si vite repéré ! Que reste-t-il du château ?

— Un énorme tas de décombres que les gens de la ville, maire en tête, fouillent farouchement. Il ne faut pas oublier qu’ils en étaient propriétaires. Et qu’ils y tenaient !

— L’assurance les consolera ! fit Adalbert.

— Je ne suis pas certain qu’il en existe une. Depuis la mort de M. Van Tilden ils ne s’en sont pas souciés, faisant confiance à des locataires particulièrement généreux ! Monsieur Vidal-Pellicorne, puis-je vous poser quelques questions ?… Ne fût-ce que pour confirmer la déposition du professeur !

— Est-ce que, par hasard, vous mettriez ma parole en doute ? rugit celui-ci.

— Du tout… si ce n’est votre talent de conteur ! Vous aimez tellement les histoires que, sans vous en rendre compte, vous leur donnez facilement un tour poétique dont s’accommodent mal les dures réalités d’une déposition.

— Dans ce cas, je m’en vais ! Adalbert, mon garçon, racontez-lui notre odyssée ! Pour rien au monde je ne voudrais que ma présence vous amène à fabuler aussi ! Venez donc prendre une tasse de thé chez moi, Amélie ! Et vous aussi, jeune fille !

La rancune que cette dernière gardait envers l’ex-beau-frère de la marquise ne résista pas à ces deux mots !

— Avec plaisir ! fit-elle en sautant sur ses pieds.

Naturellement, le récit de l’égyptologue fut en tous points semblable – le talent y compris ! – à celui de son ancien professeur au lycée Janson-de-Sailly mais vint ensuite la question qu’il redoutait et à laquelle Hubert de Combeau-Roquelaure n’avait apporté qu’une vague réponse : qu’était devenue l’épouse d’Aldo ?

— Si j’ai bien compris le professeur la voyait pour la première fois ?

— Absolument. Morosini lui-même ignorait ce cousin-là jusqu’à ce qu’il le rencontre dans ce bureau et vous le savez pertinemment !

— Certes. Il m’a seulement dit que c’était une fort belle femme et qu’elle semblait détester son mari ?

— Exact. Elle est ravissante. Quant à sa colère on peut la comprendre. Votre Borgia de pacotille l’avait sommée d’apporter un million de dollars si elle voulait revoir vivants non seulement son mari mais aussi la maîtresse dudit mari… Mais vous avez déjà dû entendre Mrs. Belmont ?

— Une très belle femme elle aussi ! Votre Morosini a de la chance !

— Si l’on veut ! Je vous rappelle qu’il a pris une balle dans le crâne ! Il est vrai qu’il devrait s’en sortir. Que vous a appris Pauline Belmont, si je peux me permettre ? C’est pour moi une amie chère !

— Elle m’a paru extrêmement malheureuse en dépit d’un comportement d’une grande… dignité ! Elle a volontiers admis qu’elle s’était sentie profondément humiliée, mais en dehors du fait qu’elles ont quitté le château en même temps ou presque, elle n’a pu me dire ce que la princesse était devenue. M’en direz-vous autant ?

— Un peu plus peut-être. Dès qu’elle a été hors du château, je l’ai vue partir en courant vers la lisière des bois.

— Vous n’avez pas essayé de la rattraper ?

— D’abord oui mais, peu après, le coup de feu qui a abattu Morosini a éclaté et je me suis précipité à son secours.

— D’où a-t-on tiré ?

— Difficile à préciser ! Le terrain est en pente et il a roulé sur lui-même. Naturellement je ne me suis pas soucié plus longtemps de Lisa… sa femme. Mais comme elle se dirigeait vers la ville, quelqu’un a bien dû la remarquer ? ajouta-t-il l’œil chargé d’innocence.

— La ville ? Elle était tout entière sur les lieux de l’incendie, à l’exception des impotents ! Ça les intéressait au premier chef comme vous pensez !

— Elle avait peut-être dans l’idée de faire de l’auto-stop ?

— Mais c’est idiot ! Il y avait un monde fou là-haut ! Elle pouvait demander de l’aide à n’importe qui ? À commencer par vous ?

— Vous avez entièrement raison… vu d’ici ! Mais je vous rappelle qu’elle vivait un cauchemar depuis plusieurs jours et qu’elle n’était plus elle-même. Dans son état on pouvait redouter le pire !

— À quoi pensez-vous ?… Un plongeon dans la Vienne ?

— Tout de même pas. Elle a trois enfants qu’elle adore au point de rendre parfois son mari jaloux. Non, avec une femme comme elle le suicide est exclu dans tous les cas ! Elle est suissesse, souvenez-vous, fille de banquier, elle a toujours eu les pieds sur terre et quand elle a épousé Aldo, elle n’ignorait rien de sa vie sentimentale passée. Elle le savait sujet à des poussées… de chaleur, dirais-je !

— Cette fois, cependant, il s’agissait d’un peu plus qu’une « poussée de chaleur », pour employer votre expression, mais bel et bien d’une maîtresse affirmée !

— Eh bien non, si étrange que cela puisse paraître ! Aldo ne nie pas que Pauline exerce sur lui un attrait puissant mais presque uniquement charnel.

— Difficile à admettre ! Elle est diablement séduisante !

— Oh, je vous l’accorde et d’ailleurs il lui voue une sorte de tendresse mais c’est sa femme qu’il aime !

— Pas très clair, tout de même !

— Ça le devient si j’ajoute que Pauline, elle, l’aime passionnément ! C’est elle qui a pris l’initiative de le rejoindre dans le Simplon-Orient-Express alors qu’il rentrait chez lui justement pour la fuir ! Tout le mal est venu de ce voyage en ce qui le concerne ! Là-dessus évidemment se sont greffées l’aide que Mr. Wishbone lui a demandée pour retrouver la Chimère des Borgia afin de l’offrir à la Torelli qui s’en prétend descendante… et la haine solide que celle-ci lui voue pour avoir refusé – et par deux fois –, alors qu’il est sans doute le plus grand expert européen en joyaux anciens, de s’intéresser à elle. Enfin, pour en finir avec la princesse Morosini, je pense qu’à l’heure présente elle a dû regagner Venise… d’où elle reviendra, j’espère, quand elle saura son mari gravement blessé ! Voilà, monsieur le commissaire, tout ce que je peux vous dire… Si vous avez encore besoin de moi vous n’aurez qu’à m’appeler ou en avertir mon vieux maître ! Je ne quitterai pas la Touraine tant que Morosini y sera…

— Aucun doute ! Vous avez menti effrontément à ce brave homme, décréta Mme de Sommières tandis que l’on revenait vers Tours. Et je pense que dans ce cas particulier vous avez bien fait de protéger Lisa mais vous avez couvert du même coup l’homme qui l’attendait et…

— Nous n’allons pas le lui reprocher ? coupa Marie-Angéline. Le seul à qui l’on peut dire la vérité dans cette histoire, c’est Langlois ! Et encore…

— Comment ça « Et encore » ? Il ne vous vient pas à l’idée, Plan-Crépin, que le tireur pourrait être cet homme ?…

— Lui, non ! émit l’égyptologue. Je suis formel. La voiture s’éloignait quand le coup a éclaté et je vois difficilement Lisa regardant sans broncher son « ami » tirer son mari comme un vulgaire lapin. Mais pour en revenir à Langlois et à la réflexion, je préfère éviter de lui en parler…

— Oh, je crois que je devine pourquoi ! fit Plan-Crépin avec un petit rire. Vous avez l’intention de régler ça tout seul, non ? Eh là ! Attention…

Adalbert, en effet, venait de donner un tour de volant imprévu afin d’éviter une poule qui sortait majestueusement d’une cour de ferme tentée par l’idée d’aller rejoindre son coq de l’autre côté de la route. Grâce à l’habileté du conducteur, la volaille put mener son projet à bonne fin avec un dédain absolu de la bordée d’injures un peu excessive peut-être mais qui fit un bien énorme à Adalbert en lui permettant de se défouler…

— Ça soulage, hein ? reprit Plan-Crépin en remettant son chapeau à sa place. À présent vous répondrez peut-être à ma question ? Vous vous réservez l’affaire Lisa et compagnie ?

— Naturellement ! Je considère ça comme un cas familial !

— Alors part à deux !… ou je mange le morceau !

— Plan-Crépin ! s’indigna la marquise. Voilà que vous pratiquez le chantage maintenant ? Et en quels termes ! Il est vrai qu’avec vous il faut s’attendre à tout !

— Nous devrions savoir que je suis capable de tout quand il s’agit de ceux que j’aime ! Et d’ailleurs est-ce que vous-même…

— Ne soyez pas insolente ! Depuis le temps vous devriez savoir que je déteste que l’on me dise mes vérités ! Conclusion, Adalbert ?

— On garde ça pour nous jusqu’à nouvel ordre ! Et il faut d’abord savoir où est passée Lisa !

2

Une nouvelle guerre des Deux-Roses ?

Décider de ce que l’on dirait ou qu’on ne dirait pas en roulant – même trop vite ! – sur une route de campagne et s’en tenir là quand la personne en question s’inscrit dans le paysage n’est pas du tout la même chose ! Adalbert allait en faire l’expérience dès le lendemain matin, en rencontrant ledit Langlois dans le hall de l’hôpital. Il s’y attendait si peu qu’il se sentit rougir comme s’il était coupable.

Pourtant, en le voyant venir, le visage cependant soucieux du policier s’éclaira :

— Content de vous voir, Vidal-Pellicorne ! Vous ne le savez peut-être pas, mais vous avez quelque chose de réconfortant ! Surtout pour moi qui ai toujours eu les hôpitaux en horreur.

— Vous avez dû pourtant en rencontrer quelques-uns… et ce n’est pas fini !… Mais c’est gentil d’être venu voir Morosini ! Il a dû être content ?

— Pas vraiment : il ne m’a pas reconnu !

— Quoi ? Pas reconnu ? Mais…

— Il paraît que ça va plus mal qu’hier. J’ai vu le chirurgien et il est un peu inquiet…

Adalbert ne l’écoutait déjà plus et fonçait vers la chambre d’Aldo dont Mme Vernon lui barra le passage :

— Où allez-vous ainsi ?

— On vient de me dire qu’il va mal, qu’il n’a pas reconnu…

— Ne dramatisez pas ! Il nous fait une montée de température et il est moins bien qu’hier mais ce sont des accidents qui se produisent. Cela ne signifie pas qu’il soit en train de mourir et nous sommes là pour le surveiller !

— Je peux le voir ?

— Pas pour le moment ! Voulez-vous une tasse de café ?

— Merci, non. Je dois rejoindre le commissaire principal !

— Et prévenir les dames ! Plus de visites aujourd’hui mais vous pouvez m’appeler ce soir. Je passe la nuit ici. Et ne vous tourmentez pas trop. Il est solide !

— Sauf des bronches ! Il a déjà eu des problèmes…

— Elles ne sont pas en cause !

Il retrouva Langlois qui faisait les cent pas dans le hall et vint vers lui aussitôt :

— Vous l’avez vu ?

— Non ! Plus de visites aujourd’hui mais je peux appeler ce soir. Venons-en à vous…

— Vous allez me demander ce que je fais là ? fit Langlois avec l’esquisse d’un sourire. D’habitude c’est plutôt moi qui pose les questions, non ?… Vous devez bien penser que l’affaire déborde largement la région de Touraine ? Je suis venu m’entretenir avec le préfet et le sous-préfet de Chinon pour leur donner les informations qui nous sont parvenues. On sait maintenant comment les coupables ont pu fuir.

— Vous savez où ils sont ?

— Là nous n’en sommes qu’aux suppositions, en Italie sans doute. Quant aux moyens de quitter la Croix-Haute, ils devaient être prévus depuis longtemps, ce genre d’organisation ne laissait rien au hasard ! Ils sont partis en bateau mais au lieu de se laisser glisser jusqu’à la Loire, ils ont remonté la Vienne jusqu’à un petit aérodrome plus ou moins abandonné près de L’île-Bouchard où ils ont laissé le bateau…

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