Le grand cahier - Агота Кристоф 7 стр.


Bec-de-Lièvre

Nous pêchons à la ligne dans la rivière. Bec-de-Lièvre arrive en courant. Elle ne nous voit pas. Elle se couche dans l'herbe, remonte sa jupe. Elle n'a pas de culotte. Nous voyons ses fesses nues et les poils entre ses jambes. Nous n'avons pas encore de poils entre les jambes. Bec-de-Lièvre en a, mais très peu.

Bec-de-Lièvre siffle. Un chien arrive. C'est notre chien. Elle le prend dans ses bras, elle se roule avec lui dans l'herbe. Le chien aboie, se dégage, se secoue et part en courant. Bec-de-Lièvre l'appelle d'une voix douce en se caressant le sexe avec les doigts.

Le chien revient, renifle plusieurs fois le sexe de Bec-de-Lièvre et se met à le lécher.

Bec-de-Lièvre écarte les jambes, presse la tête du chien sur son ventre avec ses deux mains. Elle respire très fort et se tortille.

Le sexe du chien devient visible, il est de plus en plus long, il est mince et rouge. Le chien relève la tête, il essaie de grimper sur Bec-de-Lièvre.

Bec-de-Lièvre se retourne, elle est sur les genoux, elle tend son derrière au chien. Le chien pose ses pattes de devant sur le dos de Bec-de-Lièvre, ses membres postérieurs tremblent. Il cherche, approche de plus en plus, se met entre les jambes de Bec-de-Lièvre, se colle contre ses fesses. Il bouge très vite d'avant en arrière. Bec-de-Lièvre crie et, au bout d'un moment, elle tombe sur le ventre.

Le chien s'éloigne lentement.

Bec-de-Lièvre reste couchée pendant un certain temps, puis elle se lève, nous voit, elle rougit. Elle crie:

– Sales petits espions! Qu'est-ce que vous avez vu?

Nous répondons:

– Nous t’avons vue jouer avec notre chien.

Elle demande:

– Je suis toujours votre copine?

– Oui. Et nous te permettons de jouer avec notre chien tant que tu veux.

– Et vous ne direz à personne ce que vous avez vu?

– Nous ne disons jamais rien à personne. Tu peux compter sur nous.

Elle s'assied dans l'herbe, elle pleure:

– Il n'y a que les bêtes qui m'aiment.

Nous demandons:

– Est-ce vrai que ta mère est folle?

– Non. Elle est seulement sourde et aveugle.

– Que lui est-il arrivé?

– Rien. Rien de spécial. Un jour, elle est devenue aveugle et, plus tard, elle est devenue sourde. Elle dit que pour moi ce sera pareil. Vous avez vu mes yeux? Le matin, quand je me réveille, mes cils sont collés, mes yeux sont pleins de pus.

Nous disons:

– C'est certainement une maladie qui peut être guérie par la médecine.

Elle dit:

– Peut-être. Mais comment aller chez un médecin sans argent? De toute façon, il n'y a pas de medecin. Ils sont tous au front.

Nous demandons:

– Et tes oreilles? Tu as mal aux oreilles?

– Non, avec mes oreilles, je n'ai aucun problème. Et je crois que ma mère non plus. Elle fait semblant de ne rien entendre, ça l'arrange quand je lui pose des questions.

Exercice de cécité et de surdité

L'un de nous fait l'aveugle, l'autre fait le sourd. Pour s'entraîner, au début, l'aveugle attache un fichu noir de Grand-Mère devant ses yeux, le sourd se bouche les oreilles avec de l'herbe. Le fichu sent mauvais comme Grand-Mère.

Nous nous donnons la main, nous allons nous promener pendant les alertes, quand les gens se cachent dans les caves et que les rues sont désertes.

Le sourd décrit ce qu'il voit:

– La rue est droite et longue. Elle est bordée de maisons basses, sans étage. Elles sont de couleurs blanche, grise, rose, jaune et bleue. Au bout de la rue, on voit un parc avec des arbres et une fontaine. Le ciel est bleu, avec quelques nuages blancs. On voit des avions. Cinq bombardiers. Ils volent bas.

L'aveugle parle lentement pour que le sourd puisse lire sur ses lèvres:

– J'entends les avions. Ils produisent un bruit saccadé et profond. Leur moteur peine. Ils sont chargés de bombes. Maintenant, ils sont passés. J'entends de nouveau les oiseaux. Sinon, tout est silencieux.

Le sourd lit sur les lèvres de l'aveugle et répond:

– Oui, la rue est vide.

L'aveugle dit:

– Pas pour longtemps,. J'entends des pas approcher dans la rue latérale, à gauche!

Le sourd dit:

– Tu as raison. Le voilà, c'est un homme.

L'aveugle demande:

– Comment est-il?

Le sourd répond:

– Comme ils sont tous. Pauvre, vieux.

L'aveugle dit:

– Je le sais. Je reconnais le pas des vieux. J'entends aussi qu'il est pieds nus, donc il est pauvre.

Le sourd dit:

– Il est chauve. Ila une vieille veste de l'armée. Il a des pantalons trop courts. Ses pieds sont sales.

– Ses yeux?

– Je ne les vois pas. Il regarde par terre.

– Sa bouche?

– Lèvres trop rentrées. Il ne doit plus avoir de dents.

– Ses mains?

– Dans les poches. Les poches sont énormes et remplies de quelque chose. De pommes de terre, ou de noix, ça fait de petites bosses. Il lève la tête, il nous regarde. Mais je ne peux pas distinguer la couleur de ses yeux.

– Tu ne vois rien d'autre?

– Des rides, profondes comme des cicatrices, sur son visage.

L'aveugle dit:

– J'entends les sirènes. C'est la fin de l'alerte. Rentrons.

Plus tard, avec le temps, nous n'avons plus besoin de fichu pour les yeux ni d'herbe pour les oreilles. Celui qui a fait l'aveugle tourne simplement son regard vers l'intérieur, le sourd ferme ses oreilles à tous les bruits.

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