La main coupée (Отрезанная рука) - Сувестр Пьер 10 стр.


Au moment où Fandor et Louppe rejoignaient Juve, celui-ci laissa échapper une exclamation de surprise, cependant qu’il se jetait à genoux sur le sol :

— Fandor, avait crié Juve sur un ton ému qui faisait frémir le journaliste.

Fandor aussitôt accourut.

— Regarde, fit Juve, désignant l’aiguille, au bas du rail.

Fandor ayant regardé demeura stupéfait, silencieux, mais la petite Louppe, qui s’était approchée, poussa, elle aussi, un cri horrifié.

Moins maîtresse d’elle-même que les deux hommes, elle hurla :

— Mon Dieu, c’est épouvantable ! Une main ! La main d’un type ! Comment se fait-il qu’elle se trouve dans l’aiguille ? sûr que c’est le train qui l’a coupée. Eh bien, après ce que j’ai vu, me voilà les sangs retournés pour au moins quarante-huit heures.

***

Le rapide de la Côte d’Azur avait repris sa marche régulière. La plupart des voyageurs s’étaient rendormis dans leurs compartiments, n’ayant rien compris à ce qui s’était passé.

Louppe avait retrouvé la compagnie de son député.

Seuls, Fandor et Juve demeuraient éveillés.

Le policier, sitôt qu’il avait vu cette main humaine introduite entre l’aiguille et le rail et en maintenant la pointe de telle sorte que le train qui venait devait fatalement s’engager sur la voie de garage terminée par le butoir, avait cru que l’on se trouvait en présence d’un accident, quelque malheureux, surpris par le train, avait eu la main coupée. Le reste du corps devait se trouver ailleurs, non loin sans doute, et Juve s’était efforcé de regarder autour de lui pour retrouver les débris d’un cadavre sur lequel il comptait.

Mais, après un examen plus attentif, il reconnut qu’il s’agissait d’une main seule, d’une main appartenant à un cadavre qui n’était pas là, d’une main morte déjà depuis plusieurs heures, qu’on avait assurément introduite dans l’aiguille, à des fins décidées d’avance, encore que fort imprécises dans l’esprit du policier.

Juve avait fait connaître sa qualité au chef de train, puis au chef de gare de la petite station voisine que l’on avait été réveiller. Il avait obtenu sans peine l’autorisation de garder cette terrible pièce à conviction, et il avait repris sa place dans le compartiment, car l’essentiel était de repartir. Il n’y avait aucun mal. L’important consistait surtout désormais à regagner le temps perdu.

Tout cela s’était passé si vite que la plupart des voyageurs n’y avaient rien vu. Il y avait Louppe, cependant, Louppe qui s’était écriée :

— Mais c’est la bague d’Isabelle de Guerray. C’est une bague comme elle en a donné une à son amant.

Juve et Fandor qui ignoraient que semblable cadeau était un usage établi, presque une tradition, chez la vieille demi-mondaine, en arrivaient tout naturellement à une conclusion :

— Juve.

— Fandor.

— Que signifie tout cela ?

— Quelle coïncidence.

— Cette main de cadavre nous menace.

— Ou nous défie.

— Juve, on savait que nous étions dans le train.

— Fandor on veut nous défendre de nous occuper de cette affaire.

Et les deux hommes se turent.

Qui donc pouvait oser leur adresser semblable ultimatum ?

Déjà, le policier et le journaliste pensaient à…

7 – DE PLUS EN PLUS FORT

— Fandor ?

— Mon bon Juve ?

— Où t’imagines-tu que nous allons descendre ?

— Je n’en ai aucune idée. Vous tenez à un hôtel plutôt qu’à un autre ?

— Imbécile. Idiot. Crétin.

Tous deux venaient de descendre à la gare de Monaco, quittant avec joie ce train maléfique. Tous deux avaient pris congé, avec force promesse de se revoir, de leurs compagnons et de leurs compagnes de route, de la belle Daisy Kissmi, de Mario Isolino.

Et Juve continuait :

— Imbécile, triple imbécile ! Comment, voilà plus de dix ans que nous travaillons ensemble, et tu n’es pas encore capable, Fandor, au moment où nous débutons dans l’étude d’une affaire mystérieuse et intrigante, dangereuse aussi, de deviner à quel hôtel il faut descendre ?

— Juve, nous descendrons où vous voudrez. Mais je vous avoue que je n’ai aucune idée quant au choix de l’hôtel.

— Pourtant, Fandor, cela s’impose.

— Qu’est-ce qui s’impose, Juve ?

— Mais que nous devons descendre dans l’hôtel le plus moche.

— C’est toujours agréable. Et pourquoi cela, Juve ?

— Parce que j’imagine qu’on ne nous y attend pas.

Tandis que Fandor était rompu, éreinté à l’extrême par le dur voyage qu’il venait d’accomplir, voyage tragiquement interrompu par l’incident d’Arles et la menace implicite que cet incident comportait, Juve, au contraire, était frais et dispos, reposé, prêt à agir, exactement comme s’il eût quitté son lit depuis quelques minutes.

— Mon petit Fandor, les autruches sont des animaux stupides. Rien ne sert de se mettre la tête dans le sable pour fuir un danger. Autrement dit, nous agirions l’un et l’autre comme de véritables insensés si, parce que nous ne convenions pas du péril où nous sommes, nous pensions mieux y échapper.

— Juve, je vous donne toutes les médailles de chocolat du monde, et même un bâton de sucre d’orge si vous vous décidez à parler autrement que par énigmes. De quel danger nous menacez-vous ?

— De quel danger je nous menace, Fandor ? Voyons. La main retrouvée cette nuit dans l’aiguille d’Arles provient du cadavre de Norbert du Rand ? Nous sommes bien d’accord que c’est à peu près certain ?

— Oui, nous sommes d’accord, poursuivit Fandor, cela résulte de la bague identifiée par la jeune Louppe. Mais en quoi…

— En quoi ceci nous intéresse ? En cela, mon petit, que ce n’est pas par hasard, à coup sûr, qu’un assassin s’est donné la peine de tuer un individu sur la ligne de Vintimille à Nice, puis d’aller faire retrouver sa main par toi et moi sur la ligne de Paris-Marseille.

— Non, Juve. Mais…

— Attends. Donc, si ce n’est pas l’effet du hasard, c’est le résultat d’une volonté bien arrêtée. La volonté de qui ? tu l’as deviné ?

— Non.

— Alors, écoute : l’homme qui a fait cela, l’a fait, à coup sûr, pour tâcher de nous retenir, toi et moi, à l’endroit où nous avons découvert cette main. Maintenant, dis-moi, Fandor, quel homme imagines-tu ayant intérêt à nous écarter de Monaco, où un crime extraordinaire vient d’être commis ?

— L’assassin, Juve.

— Et l’assassin se nomme ?

— Fantômas, bien sûr.

Et Juve, net et précis comme à son ordinaire, fit alors à Fandor l’exposé de ce qu’il appelait lui-même le modus vivendiqu’ils devaient adopter tous deux.

— Fantômas, affirmait Juve, doit avoir connaissance de notre venue. C’est lui, n’en doutons pas, qui nous a fait retrouver cette main de cadavre. Il doit être persuadé actuellement que nous avons dû rester à Arles pour enquêter au sujet de ce macabre débris. Donc, Fantômas ne nous attend pas. Eh bien mon cher Fandor, profitons-en. Ne commettons pas la lourde gaffe d’aller descendre dans un hôtel en renom, où notre arrivée lui serait tout de suite signalée. Choisissons, au contraire, une boîte tranquille, et, puisque nous avons de l’avance sur ce bandit, ne la perdons pas, préparons-nous à enquêter dès demain matin, mais à enquêter discrètement.

***

Ils descendirent à la Bonne Chance, et dès l’aube, se mirent au travail.

Sur les genoux de Juve, éparpillés sur les tables, sur les lits, sur les chaises, des documents, que Juve, l’un après l’autre, passait à Fandor.

— Regarde, expliquait le policier, étudie-moi tout cela. Pendant que tu dormais, tout à l’heure, j’ai fait prévenir les policiers locaux que je n’avais aucun besoin de les voir.

— Ce n’est pas poli, Juve.

— C’était nécessaire. Je me suis débarrassé d’eux, et j’ai campé mon personnage de « monsieur qui ne veut pas qu’on l’ennuie ». C’est toujours une chose utile. Enfin, j’ai obtenu que l’on me communique les rapports de police relatifs à l’assassinat de Norbert du Rand. Plains-toi donc, Fandor, au lieu d’avoir à nous déranger, à faire une enquête assommante, nous pouvons, rien qu’en lisant ces papiers, sans bouger de notre hôtel, nous faire une idée de la situation. Mais qu’est-ce que tu as, Fandor ?

Brusquement Fandor s’était levé.

Le journaliste s’était même levé avec tant de précipitation qu’il avait renversé la petite table pliante sur laquelle Juve dépouillait le dossier.

Puis, Fandor traversa la pièce en courant, se précipita vers le lit et fébrilement fouilla dans les premiers papiers que Juve lui avait montrés quelques minutes auparavant, qu’il avait déjà posés là.

— Qu’as-tu ? qu’as-tu, sapristi ? répétait Juve.

Fandor éclata :

— J’ai, Juve, que tous les deux nous sommes fous, saouls ou aveugles.

— Parle donc clairement, bon Dieu.

Maintenant, Fandor attirait Juve près de la fenêtre, il le forçait à regarder un document qu’il tenait devant lui :

— Juve, qu’est-ce que vous voyez-là ?

— Eh bien, la photographie du cadavre de Norbert du Rand, faite à la Morgue ?

— C’est entendu, mais là ?

Et Fandor, du bout de son crayon, pointait la photographie.

— Là ? Eh bien je vois la main gauche du cadavre ?

— Parfaitement. Et sur cette photographie-ci ?

Fandor, triomphalement, tendait à Juve un second cliché pris par les soins de la police monégasque.

— Là que voyez-vous ?

— Tu as raison, c’est bien la main droite, il n’y a pas à s’y tromper.

Et c’était en vérité une découverte ahurissante, que Fandor venait de signaler à Juve.

Les photographies qu’il tenait avaient été faites, la veille au soir.

Or, si elles représentaient, l’une la main droite de Norbert et l’autre sa main gauche, c’est qu’il était bien évident que, la veille au soir, le cadavre avait encore ses deux mains, et que, par conséquent, la main trouvée à Arles, portant la bague d’Isabelle de Guerray, n’était pas la main amputée de Norbert du Rand, comme Juve et Fandor l’avaient cru.

Dès lors, tombait déjà tout l’échafaudage d’hypothèses laborieusement construit par le journaliste et le policier.

***

— Voulez-vous me suivre, messieurs ? Monsieur le directeur sera enchanté de vous recevoir.

Il y avait cinq minutes déjà que Juve et Fandor attendaient dans le petit salon – celui-là même où, quelques jours avant, Ivan Ivanovitch avait attendu avant d’aller faire la proposition que l’on sait à la direction du Casino – et les deux amis qui trouvaient le temps long, se levèrent avec empressement.

— Viens, avait dit Juve, une demi-heure plus tôt, entraînant Fandor au Casino. Je te présenterai comme mon secrétaire, et de la sorte, nous serons deux à entendre les déclarations du directeur, et elles ne doivent pas manquer d’intérêt, ces déclarations.

Fandor, naturellement, s’était laissé convaincre, très flatté en somme.

— Monsieur Juve, déclara le directeur de la Compagnie des Bains, saluant profondément le policier et accordant un léger signe de tête à Fandor ; je suis on ne peut plus heureux de votre rapide arrivée, je ne doute pas que, grâce à vous…

Mais Juve n’aimait pas les compliments.

— Vous ne doutez pas, monsieur ? Eh bien, vous avez tort, moi je doute. Voyons : Avez-vous d’autres éléments d’enquête, concernant l’assassinat de ce monsieur Norbert du Rand, depuis que vous avez télégraphié à la Sûreté ?

— Non, monsieur Juve. Rien de nouveau. Mais enfin…

— Vous avez interrogé votre personnel ?

— Hum… Oui. Non.

— Comment ? oui et non ? Vous n’avez pas interrogé tous les croupiers ? Vous n’avez pas fait rechercher les voyageurs qui se trouvaient dans le train pris par la victime ? Vous n’avez pas fait questionner le chef de train, le chef de gare ? Mais qu’est-ce que vous attendez, monsieur ? Tout ça aurait dû être fait depuis longtemps.

— Là, protesta le Directeur, vous allez trop vite, monsieur Juve. Et le scandale ? Vous n’y songez pas ? Ici, il ne faut pas de scandale.

— Même quand il y a mort d’homme ?

— Surtout quand il y a mort d’homme.

C’était sans réplique.

Tant de fois, dans sa carrière, Juve avait été témoin des tentatives faites par certains intéressés pour entraver la marche des enquêtes judiciaires, pour étouffer les affaires criminelles, qu’à la vérité, il ne s’étonnait plus de rien, ne se donnait plus la peine de protester, se contentant tout bonnement, en de pareilles occasions, de faire son devoir, quelles que fussent les sollicitations qu’on lui adressât. Toute protestation, d’ailleurs, eût été inutile, car le directeur semblait parfaitement résolu à n’en faire qu’à sa tête.

— Monsieur Juve, expliqua-t-il un peu plus tard, nous avons tout intérêt, évidemment, à connaître le nom du meurtrier, mais nous avons beaucoup plus d’intérêt à ce qu’on oublie rapidement cet assassinat. Nous avons donc agi en conséquence.

Juve à qui Fandor souriait d’un sourire imperceptible, approuva.

Le directeur poursuivit :

— Mais vous, monsieur Juve, étant donnés les renseignements qui vous ont été transmis, étant donnés les rapports de police faits ici, n’avez-vous rien deviné ? Ne trouvez-vous pas qu’il y ait un personnage à soupçonner de préférence ?

— Hum, hum…

En présence d’une mauvaise volonté aussi flagrante, Juve ne voulut pas se découvrir. Il se contenta de vérifier, de préciser, de sonder en vue de vérification et de précision, celui qu’il avait devant lui. En vain. M. de Vaugreland se contentait de répéter le procès-verbal.

— De sorte que, conclut Juve, comme après une longue et savante période le directeur s’interrompait lui-même, de sorte qu’en l’état actuel de l’enquête, il n’y a à peu près qu’une seule chose d’à peu près sûre : Norbert du Rand a été assassiné, et volé. On ne sait rien de plus ?

— Rien de plus, non.

— Il avait bien ses deux mains ?

— Comment, ses deux mains ?

Juve allait commencer à expliquer comment Fandor et lui avaient retrouvé dans l’aiguille, près d’Arles, une main de cadavre, lorsque tout d’un coup, Fandor, qui n’avait pas soufflé mot jusque-là, s’était levé et avait ordonné brutalement :

— Silence, Juve, taisez-vous.

Juve, interdit, en eut le souffle coupé, mais Fandor déjà, passait à autre chose :

Debout, marchant sur la pointe des pieds, prenant garde à ne faire aucun bruit, le journaliste traversait le cabinet directorial, et, ne tenant aucun compte de la mine ahurie de Juve et du directeur, il s’approchait de la porte d’entrée.

— Ah çà, qu’est-ce qui te prend, Fandor, deviens-tu fou ?

Fandor devenait-il fou, en effet ?

Voilà que, brusquement, avec une rage furieuse, le journaliste s’élançait vers la porte d’entrée, empoignait le bouton, le tournait, secouait le battant avec rage.

— Fermée, hurla-t-il, j’avais bien entendu, la porte est fermée.

— Mais qu’avez-vous donc ? que se passe-t-il ?

Ils n’avaient, ni l’un ni l’autre, à espérer de réponse.

Il fallut à Fandor qui, lâchant la porte fermée, avait poussé une exclamation de rage sourde, le temps d’un éclair pour se décider.

— Quand la porte est fermée, cria-t-il, on passe par… Et le reste de sa phrase se perdit dans un bruit abominable.

Traversant encore une fois dans toute sa largeur le cabinet directorial, Fandor bousculant au passage une table surchargée de bibelots précieux qui s’écroulait avec fracas, bondit à la fenêtre, l’ouvrant d’un geste brusque, puis se penchant au dehors, jura encore et finalement enjamba la barre d’appui.

Le journaliste, à coup sûr, devait être affolé, car il ne répondit rien aux cris de Juve, qui hurlait à pleins poumons :

— Fandor, où vas-tu ? prends garde. Fandor, Fandor !

Fandor était déjà loin.

8 – AUX FRAIS DE L’ÉTAT RUSSE

« Bon Dieu que c’est haut. Si j’avais le temps, je me paierais un vertige de premier ordre. Deux étages bien servis. On voit qu’on ne ménage pas la place dans ce pays-ci, ce ne sont pas des appartements pour soles frites ou pour culs-de-jatte que construisent les architectes de la Côte d’Azur. C’est haut de plafond. Voyons, me voici déjà à moitié route, pour peu que cela continue j’atteindrai la terre ferme sans m’être rien démoli. Aïe, aïe.

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