La main coupée (Отрезанная рука) - Сувестр Пьер 32 стр.


Et tout en parlant, Juve continuait à sourire, point trop fâché, somme toute, d’avoir eu l’occasion de remettre à sa place, un peu vigoureusement peut-être, le vaniteux directeur de la Société des Bains.

Juve était même très content de la leçon donnée à M. de Vaugreland, lorsque la porte du cabinet directorial s’ouvrit.

C’était un huissier qui pénétrait dans la pièce, il avait vainement frappé, ni Juve, ni M. de Vaugreland n’avaient entendu son appel, tant ils étaient occupés par leur propre discussion :

— Que voulez-vous ? demanda M. de Vaugreland…

— Vous remettre une dépêche urgente, monsieur le directeur. C’est le sémaphore qui vient de la faire porter, avec prière de vous la remettre immédiatement.

— Bien, passez-moi ça.

M. de Vaugreland qui, dans son for intérieur, était très satisfait de n’avoir point de réponse immédiate à faire à Juve, décacheta vivement le télégramme, y jeta les yeux.

Or, tandis qu’il lisait le texte de la dépêche, M. de Vaugreland, qui était un brave homme, ne pouvait s’empêcher de frémir. Juve le voyait pâlir un peu, et, lui aussi, oublia ses ressentiments pour s’informer d’une voix soudain alarmée :

— Pas de fâcheuse nouvelle, j’espère ? Il ne s’agit pas…

Sans précautions oratoires, M. de Vaugreland qui achevait de déchiffrer le télégramme, répondit :

— Il s’agit de votre ami Fandor. Ah, c’est abominable. Lisez, monsieur Juve, lisez vite. Si je comprends bien, on serait en train de l’assassiner.

Il s’agissait de Fandor.

Juve arracha le télégramme, y jeta un coup d’œil. Ce télégramme était presque incompréhensible :

«  Du croiseurSkobeleff où je me trouve, je crois urgent de signaler à la direction du Casino de Monaco pour quelle en avertisse qui de droit et spécialement le policier Juve, des faits suivants : actuellement, à la pointe nord de la falaise, on aperçoit de mon bord un homme qui semble être suspendu dans le vide au bout d’une corde et qui, assurément, court les plus grands dangers. Autant qu’il a été possible d’observer les événements, étant donnée la grande distance où nous nous trouvons, il a semblé à l’officier de quart qui m’en a fait rapport que l’individu qui est ainsi suspendu dans le vide a été attaché là de force par une bande de rôdeurs aux accoutrements inquiétants. Il est impossible duSkobeleff de distinguer exactement les traits de l’homme ainsi en danger de mort, mais toutefois il peut être intéressant de signaler que sa silhouette paraît être celle du journaliste Jérôme Fandor. Je câble ces détails par télégraphie sans fil et signe de mon nom et de mes qualités.

Ivan Ivanovitch, Commandant duSkobeleff .

Était-ce possible ?

Fandor courait-il un danger épouvantable ? C’était Ivan Ivanovitch, précisément, qui faisait avertir Juve ? N’était-ce pas un piège que l’officier russe voulait tendre au policier ?

En courant au secours de Fandor, Juve n’allait-il pas tomber dans un guet-apens ?

Juve, bouleversé, relisait la dépêche, lorsque M. de Vaugreland l’interrompit :

— Eh bien ? À quoi diable pensez-vous, monsieur Juve ? Vous ne courez pas au secours de votre ami ?

Visiblement, Juve hésitait :

— Si, si, dit-il, au contraire, je me précipite.

Et tout en parlant de la sorte, Juve, qui relisait toujours le télégramme et s’étonnait de sa signature, quittait, sans se presser, le bureau de M. de Vaugreland.

Or, à peine Juve avait-il fermé sur lui la porte du cabinet directorial, à peine s’était-il engagé dans la longue galerie qui y menait, que le policier sursauta : Juve venait d’apercevoir Ivan Ivanovitch qui descendait l’escalier devant lui, sifflotant un petit air. Juve s’arrêta, changea d’idée, s’élança, pour s’arrêter aussitôt. Lui sauter au collet ? On risquait d’apprendre que rien n’empêchait le commandant en second du Skobeleffde signer du nom de son chef les radiotélégrammes expédiés du bord.

— Et puis même, se disait Juve, ai-je des preuves formelles contre lui ?

Le policier se contenta de mettre la main à la poche et d’y tâter son inséparable revolver :

— Ma foi, grommelait-il, il est à peu près certain que l’on veut m’attirer dans un guet-apens. Mais il est à peu près certain aussi que l’on s’attend à m’y voir accourir, éperdu d’effroi, volant au secours d’un de mes amis, nullement prêt à me méfier ou à me défendre. Tout cela indique assez ce que je dois faire. Si je laissais s’éloigner cet extraordinaire officier russe et si tout tranquillement je me rendais à l’endroit de la falaise que l’on me désigne ? Un homme averti en vaut deux. Qui sait ? voilà un guet-apens qui pourrait coûter cher à Ivan Ivanovitch et, n’en doutons pas, à Fantômas. Marchons.

28 – AMIS PLUS QUE JAMAIS

Même s’il s’agissait d’un complot et qu’on voulait donner exprès dans le panneau afin de mieux faire face et, comble de ruse, feindre d’être dupe, des précautions s’imposaient.

Et, réfléchissant de la sorte, Juve décida qu’il valait mieux se rendre à l’endroit désigné en passant par la grève, c’est-à-dire par le bas des rochers.

Sitôt dit, sitôt fait. Juve, sans souci des obstacles qui paralysaient sa marche, s’avança, redoublant de précautions à mesure qu’il approchait.

Le point désigné à Juve dans le radio-télégramme était le théâtre rêvé pour une embuscade, lieu désert, à l’écart des routes, négligé des curieux puisque le paysage qu’on découvrait n’était pas très différent de la vue que l’on trouvait un peu plus loin sur la route facilement accessible de la Corniche.

La falaise à cet endroit avait près de soixante mètres de haut, tombait à pic, battue par des flots du large, par gros temps, et à peine séparée des eaux par un étroit sentier taillé à même le rocher, lorsque la mer était calme. C’était sur ce sentier que Juve, hâtant sa marche de minute en minute, avançait.

Soudain, comme le policier débouchait d’une sorte de crique creusée à même les roches, il sursauta, s’arrêta, joignait les mains, puis, en une course folle, se précipitait en avant…

Juve venait, en vérité, d’apercevoir le plus affolant des spectacles.

Devant lui, à moins de cent mètres de distance, il avait vu au milieu de la falaise, à mi-hauteur, lourd fardeau perdu entre les immensités du ciel et de la mer, le corps d’un homme attaché à l’extrémité d’un long filin, que le vent paraissait ballotter en tous sens : Fandor.

Juve ne pouvait avoir aucune idée de la tentative criminelle dont Fandor avait été victime.

En ce moment, le journaliste ne courait aucun danger immédiat. À vrai dire sa situation ne présentait rien de confortable. Il devait, au bout de sa corde, souffrir les affres d’un vertige abominable, plus même, il devait être à moitié étourdi par les coups violents qu’il recevait lorsqu’il se heurtait comme un fétu de paille aux pierres de la falaise, mais il ne courait aucun risque.

« Et pourtant, songeait Juve, ce n’est pas pour rien qu’on l’a conduit ici et suspendu de la sorte.

Mais que faire pour la victime ? Comment aider Fandor à sortir de cette fâcheuse situation ? Le jeune homme était suspendu à quelque cinquante mètres au-dessus de la tête de Juve.

Ce dernier avait levé les yeux, l’angoisse au cœur, de grosses gouttes de sueur qui lui roulaient sur le front, quand il lui fallut retenir un cri d’effroi :

Sur l’extrême bord de la falaise, à vingt mètres d’où partait la corde qui maintenait le pauvre Fandor, une silhouette de femme. Juve ne distinguait pas ses traits, mais parfaitement ses mouvements : elle épaulait une carabine dont le canon bronzé étincelait au soleil. Elle épaulait, elle se disposait certainement à faire feu.

Juve comprenait : Fandor allait servir de cible. C’était une vengeance d’apaches, ça. L’un après l’autre, ils allaient faire feu sur le jeune homme. Fandor était perdu. Juve ne pouvait rien pour Fandor.

Brusquement, Juve se redressa…

— Ah, s’écria-t-il avec un accent de rage terrible, il ne sera pas dit que je n’aurai rien tenté pour sauver Fandor.

Et en même temps Juve tirait de sa poche son revolver, ajustait à son tour le personnage qui ajustait Fandor. Juve prit à peine le temps de viser. Juve lâcha les six coups de son revolver. Hélas, il avait mal calculé sa distance. La femme qui visait Fandor se trouvait hors de portée de revolver.

À peine si, aux détonations du revolver, l’inconnue qui visait Fandor avait tressailli. Juve alors se voila les yeux de ses mains. Désarmé, ne pouvant plus rien, il songea que Fandor était condamné sans retour. Allait-il donc le laisser périr sans rien faire pour adoucir son trépas ? Juve, dans l’angoisse qui l’étreignait à cette minute, trouvait les seuls mots capables de réconforter celui qui allait mourir.

— Fandor, hurla-t-il, et l’écho répéta ses paroles en les amplifiant, Fandor, je te pardonne.

Mais les paroles de Juve résonnaient encore dans le grand silence tranquille de la mer infinie et des champs solitaires qu’avec un claquement sec, une détonation avait retenti.

La femme, du haut de la falaise, ayant minutieusement assuré son coup, venait de faire feu. Fandor était mort.

Juve, qui surveillait les gestes de l’inconnue, ne comprenait point qu’elle poussât un « vivat » joyeux, qu’elle agitât les mains en signe d’allégresse. Il n’osait à peine détourner la tête pour regarder ce qui était advenu du journaliste… Tiens, la voix de Fandor ?

— Hé, Juve, criait-elle, vous êtes bien gentil de me pardonner, c’est très généreux à vous. D’autant que je n’ai rien à me reprocher. Mais fichtre de nom d’un chien, je vous serais bien plus obligé encore si vous preniez seulement la peine de venir me décrocher. J’en ai assez, moi, vous savez, de jouer les suspensions.

***

Une demi-heure plus tard, Juve et Fandor étaient réunis au sommet de la falaise, sains et saufs.

Juve, sitôt le mystérieux coup de feu parti, sitôt l’appel de Fandor entendu, s’était précipité vers une échelle disposée quelque cent mètre plus loin pour les besoins du service des douanes et, courant au flanc des rocs, il l’avait gravie, il avait atteint le sommet de la falaise. Sans difficulté alors, il avait trouvé l’arbre auquel on avait attaché la corde au bout de laquelle se balançait Fandor, il l’avait halée, cette corde, il avait remonté le journaliste attaché, pieds et poings liés. Sauvé !

De la femme qui avait fait feu sur Fandor, nulle trace.

Et Juve, maintenant, anxieusement, interrogeait le journaliste :

— Mais que t’est-il donc arrivé ? quelle était cette femme qui tirait sur toi ?

Fandor, que Juve venait de déligoter, s’étirait consciencieusement, rétablissait dans ses bras endoloris la circulation, d’abord, n’avait rien dit.

Puis, il avait tendu sa main, large ouverte, à Juve et comme le policier, en dépit de son ressentiment, y plaçait la sienne, franchement, cordialement, les deux hommes avaient échangé une étreinte.

— Mon bon Juve.

— Mon pauvre Fandor.

Mais décidément Juve ne voulait pas se laisser attendrir :

— Cette femme qui a tiré sur toi, c’était Denise ?

Or, à la question du policier, Fandor qui, en vérité, n’était jamais long à reprendre son sang-froid, se contenta de sourire :

Taquin, le journaliste s’amusait à exciter l’anxiété de Juve.

Ce n’est qu’à la troisième interrogation du policier qu’il se décida à répondre.

— Eh bien, oui, avoua Fandor, c’était Denise qui visait, la fille de Fantômas. Seulement, Juve, où vous êtes complètement loufoque, c’est quand vous accusez cette enfant d’avoir fait feu sur moi.

— Quoi ? ce n’était pas toi qu’elle ajustait ?

— Jamais de la vie, et même c’est elle qui m’a sauvé encore plus que vous.

— Ah çà.

— Mon cher Juve, tâchez de vous taire deux minutes et écoutez-moi.

Suivait le récit des aventures de Fandor, enlevé par les apaches sur l’ordre de Fantômas, et condamné à mort :

— Seulement, mon cher Juve, ces bougres-là ont des idées d’outre-monde. Au lieu de me tuer tout simplement, et c’était facile puisque je ne pouvais remuer pieds ou pattes, ils avaient inventé un supplice affolant. Oh, je ne m’en plains pas. Sans leur invention biscornue, je serais certainement de l’autre côté du Styx. Mais écoutez-moi cela : voilà ce qu’ils ont fait. Mon bon Juve, à peine étais-je pris qu’ils m’ont attaché, roulé dans un filet, au bout de la corde que vous venez si gentiment de haler. Bon. Je me voyais suspendu au bout de ce fil et ça n’avait rien d’agréable, mais après tout il y avait encore de l’espoir. Ah, ouiche, je me trompais de la belle manière. Savez-vous ce qu’ils avaient combiné ?

— Dis.

— Eh bien, Juve, ils avaient flanqué, accroché à la falaise, une énorme loupe. Cette loupe était arrangée de telle sorte – oh, je n’ai pas tardé à m’en rendre compte – qu’à un moment donné, à midi, je pense, elle devait concentrer ses rayons sur un point de la corde, et crac, j’étais précipité dans le vide. C’est d’ailleurs pour cela, entre nous, que j’imaginai de me balancer comme un possédé au bout de ma corde. Ma situation n’avait rien de gai. Ah, vous avez cru que c’était le vent qui m’agitait ainsi ? Erreur, Juve, c’était bel et bien moi qui provoquais ces bonds désordonnés, histoire de soustraire la corde à l’action de la loupe et d’éviter la culbute.

— Mais le coup de fusil, Fandor ? cette femme qui a tiré ? Cette Denise ?

— Ah, Denise ? elle vous inquiète. Eh bien, je vous le répète, c’est elle qui m’a sauvé. Tandis que j’étais en train de m’agiter comme un diable dans un bénitier, j’ai vu arriver Denise, la carabine à la main. D’où venait-elle ? comment avait-elle su le danger que je courais ? ma foi je n’en sais rien. Toujours est-il que Denise a vu ce qu’il fallait faire pour me sauver. Mon bon Juve, si vous voulez savoir la vérité, Denise ne tenait assurément pas à haler cette corde. Vous m’accusez de m’entendre avec elle ? c’est archifaux. La vérité est que Denise me fuit. Donc, comment allait-elle me sauver ? Elle n’a pas hésité. La fille de Fantômas a épaulé sa carabine juste comme vous arriviez et pan, elle a visé la loupe, elle l’a fracassée en mille morceaux, flush royale d’emblée ! Comme vous arriviez, elle me savait sauvé. Ouf.

***

Malheureusement, ce sujet de discussion épuisé, les deux hommes se retrouvèrent face à face, ayant à aborder d’autres questions, plus graves.

Certes, Juve avait volé au secours de Fandor. Certes, il avait fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour sauver le journaliste d’une mort affreuse. Mais Juve ne pouvait oublier cependant que Fandor avait trahi, que Fandor l’avait trompé à plusieurs reprises. Et maintenant que Juve avait cédé à l’impulsion naturelle de sa vieille amitié, il se sentait réenvahi, petit à petit, par la colère qu’il nourrissait contre Fandor pour les trahisons dont il l’accusait.

Or, c’était précisément Fandor qui devait ramener ce sujet sur le tapis.

— Juve, déclara le journaliste qui, lui, tout à la joie de causer à son excellent ami, ne paraissait plus se souvenir des graves motifs de division qui existaient entre eux, Juve, il faut que je vous raconte quelque chose d’invraisemblable.

Et Fandor, le plus naïvement du monde, fit à Juve le récit stupéfiant de l’attitude qu’avait eue Ivan Ivanovitch devant lui : l’officier russe refusant une enveloppe bourrée de billets de banque que lui apportait un huissier du Casino.

— Je pense, concluait Fandor, je pense, Juve, que vous vous rendrez compte maintenant que ce n’est pas l’attitude d’un coupable ?

Mais tandis que Fandor parlait, Juve était demeuré muet d’étonnement.

Sans une exclamation, il avait écouté le récit de son ancien ami, à peine s’il retrouva la parole pour manifester sa surprise.

— Ah ça, Fandor, déclarait Juve, que me chantes-tu ? Tu as vu Ivan Ivanovitch refuser une enveloppe bourrée de billets de banque ? Mais, crédieu, moi, moi, Juve, tu m’entends bien, je l’ai précisément vu accepter une enveloppe, une enveloppe en tous points analogue à celle que tu me décris et précisément bourrée de billets de banque. Lequel de nous deux à la berlue ?

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