La main coupée (Отрезанная рука) - Сувестр Пьер 31 стр.


— Ouf, qu’y a-t-il ?

— Allons, pas de manières. Debout.

— Maïs que me voulez-vous ?

— T’occupe pas, jeune homme, obéis, sans quoi le rigolo va parler.

Brusquement arraché au sommeil, Jérôme Fandor voyait braqués sur lui plusieurs canons de revolver :

Ah çà, par exemple, que lui arrivait-il encore ?

Avec stupéfaction le journaliste regardait l’homme qui le menaçait ainsi et derrière lequel se trouvaient trois ou quatre individus aux mines farouches, qui semblaient fort décidés à ne pas laisser le journaliste s’écarter d’un pouce de la ligne de conduite qu’on voulait lui imposer.

— Bougre, pensa Fandor, voilà qu’il y a encore de « l’eau dans le gaz », que signifie cette nouvelle histoire ?

Jérôme Fandor était exténué par ses marches, contremarches, courses folles pendant toute la nuit.

Fandor, depuis qu’il avait arrêté et ligoté Ivan Ivanovitch, pourchassé la fille de Fantômas, fui avec elle devant Juve, couru retrouver le policier, pour repartir sur les traces de Fantômas, n’avait pas fermé l’œil.

Les incidents du Casino ne devaient pas contribuer à lui rendre le calme.

Le journaliste avait encore couru à perdre haleine.

Enfin, vers deux heures du matin, alors que de guerre lasse il se rapprochait de la tanière de Bouzille, il était tombé sur un talus de verdure, à l’ombre de grands arbres, il s’y était endormi du sommeil du juste.

À présent, il se frottait les yeux et regardait ses agresseurs.

— Hé, s’écria-t-il, soudain, d’une voix qu’il voulait rendre aimable, hé, parbleu, mais c’est l’ami le Bedeau qui braque sur moi son rigolo.

Le Bedeau ne broncha pas.

Il hocha la tête affirmativement, mais sur ses lèvres il y avait un sourire féroce.

Fandor continua son identification par le Barbu qu’il reconnut aussi.

Puis il s’écria :

— Mais décidément nous sommes en plein pays de connaissances, voilà, si je ne me trompe, ce brave Œil-de-Bœuf, l’ancien copain de Bec-de-Gaz.

Tous ces hommes n’avaient plus ces allures d’apaches qui leurs étaient propres lorsqu’ils habitaient Paris.

Pour « opérer » à Monaco, ils s’étaient mis à l’unisson de l’élégante clientèle de la Côte d’Azur. Ils s’étaient habillés, les uns en cochers de bonne maison, les autres en conducteurs d’automobile.

Fandor reconnut aussi le quatrième individu qui se tenait à quelques mètres en arrière :

C’était Mario Isolino.

— Le bonneteur, s’écria-t-il, stupéfait de le voir en liberté.

Mario Isolino, fort ennuyé d’être identifié, se rapprocha d’un pas et par prudence il allait protester qu’il ne tenait qu’un rôle de figurant dans toute cette affaire, mais le Bedeau, d’une poussée brusque, le renvoya en arrière :

— Toi, le macaroni, hurla-t-il, tâche de la boucler, on ne te demande pas ton avis.

Mario Isolino ne se le fit pas répéter.

Il pirouetta sur les talons et se tint prudemment à l’écart, décidé, cette fois, à ne plus souffler mot.

L’Italien avait scrupuleusement exécuté les ordres de Fantômas.

Au lieu indiqué, il avait trouvé la bande, il avait remis le filet au Bedeau, puis suivi celui-ci et ses compagnons, le Bedeau lui en ayant donné l’ordre.

Les paroles cordiales de Fandor ne faisaient aucune impression sur ses agresseurs. Le journaliste s’en rendait compte et considérait avec un ennui croissant les canons de revolver braqués sur sa poitrine. Que lui voulait-on ?

Fandor était intrigué au plus haut point.

Il n’allait pas tarder à le savoir.

— Fandor, interrogea le Bedeau, bas les masques aujourd’hui. Tu sais ce que c’est qu’une mouche ?

— Ma foi, dit Fandor, je m’en doute du moins. Ça a des ailes, ça bourdonne.

Le Bedeau l’interrompit :

— Ça bavarde aussi et bien trop souvent. Et les mouches, sais-tu ce qu’on en fait ?

— Ma foi, poursuivit Fandor qui commençait à s’inquiéter sérieusement, j’imagine qu’on ne s’en occupe guère et qu’on les laisse aller et venir…

— Non, interrompit encore le Bedeau qui ajouta d’une voix féroce :

— Une mouche, quand on la tient, on l’écrase. On les détruit les mouches, comme nous allons te détruire, comme des sales bêtes qu’elles sont, comme une sale bête que tu es.

« Ah, parbleu, poursuivait l’apache en s’animant, s’il y a des copains qui se baladent aujourd’hui à la Nouvelle, s’il y en a d’autres qui pourrissent en Centrale, s’il y en a d’autres qui attendent leur passage au tourniquet, s’il y en a même qui ont été envoyés au champ de navets, c’est bien rapport à toi, Fandor, rapport à ta crapule d’ami Juve. Nous autres, on te guigne depuis longtemps, on te tient, ton affaire est claire. Faut payer, Fandor. L’heure est venue. On raque d’avance. C’est ta peau qu’il nous faut.

— Bon, pensa Fandor, ça va mal. Et à haute voix, il leur jeta :

— Vous êtes des salauds et des lâches. Tuez-moi donc puisque vous le pouvez. Je vous jure que si c’était en mon pouvoir, je ne manquerais pas d’en descendre quelques-uns. Eh bien, tire donc, Bedeau de malheur, si tu ne veux pas que je t’abatte comme un chien.

Fandor avait fait un bond en arrière.

Résolu désormais à lutter sauvagement, à défendre son existence avec une indomptable énergie, il avait d’un geste rapide, porté la main à sa poche, y avait saisi son revolver.

Mais son bras aussitôt avait été arrêté, il avait reçu sur le poignet un choc si violent qu’il dut lâcher son arme :

— Ça y est, jura-t-il, je suis foutu.

Instinctivement, Fandor ferma les yeux, pensa à Juve.

Il eut un tendre souvenir pour la fille de Fantômas.

Les secondes lui parurent des heures.

Et le journaliste, encore qu’il fût immobilisé, sans se rendre compte comment ni pourquoi, encore qu’il fût par terre, le visage enfoncé dans la poussière, n’entendait pas claquer le revolver.

Il entendait ses agresseurs parler :

— Ça va bien pour les cordes, déclarait le Bedeau… et maintenant le filet.

Fandor, attaché par les pieds et les poings, vit alors Mario Isolino qui s’approchait, sur un signe du Bedeau, et étendait par terre, à côté de lui, future victime des apaches, un grand filet aux mailles serrées, aux fils solides et résistants, sorte de nasse de pêche ou de hamac.

— Que diable vont-ils faire de moi ? pensa Fandor dont le cœur battait à lui rompre la poitrine.

Comme s’il avait deviné sa pensée, le Bedeau le renseigna avec un sourire sardonique. Il expliqua :

— Les revolvers font du bruit et l’on retrouve ceux qui ont tiré rien qu’à la blessure faite qui détermine la grosseur des balles. Tu connais ça, pas vrai, Fandor, l’apprenti policier ? Nous aussi. Faut pas croire que nous sommes des imbéciles. D’ailleurs on a des ordres pour ne pas trouer la peau, mais il y a mieux à faire et tu vas bien voir.

Le Bedeau se tourna alors du côté de ses compagnons :

— Allez, vous autres, le Barbu, Œil-de-Bœuf, empoignez-moi ce colis et en route pour la falaise. Moi je passe devant pour faire, s’il le faut, la trouée. Macaroni fermera la marche.

En un clin d’œil, Fandor, de plus en plus immobilisé, roulé, cousu pour ainsi dire dans son filet, était hissé sur les épaules des deux lieutenants du Bedeau.

Il comprenait le sort qui l’attendait.

On allait le précipiter du haut d’un rocher dans la mer.

Mais peu lui importait à ce moment.

L’issue terrible de l’aventure qu’il prévoyait ne l’émotionnait pas, car Fandor, des propos tenus par le Bedeau, n’avait retenu qu’une chose :

C’est que l’apache avait reçu des ordres et qu’il s’y conformait.

Les ordres de qui ?

Parbleu, il n’y avait pas moyen d’en douter, ce n’était, ce ne pouvait être que Fantômas.

27 – DANS LE VIDE

— C’est vous, monsieur Juve ?

— Oui, M. de Vaugreland, c’est moi. Vous m’avez fait appeler ?

— En effet, je désirais vous entretenir. Prenez un siège.

M. de Vaugreland semblait avoir retrouvé une assurance qu’il était loin d’avoir possédée depuis un mois. Ce n’était plus l’homme accablé, anéanti, que Juve avait longtemps connu, ce n’était plus le directeur qui n’osait donner un ordre, exprimer seulement un désir, c’était tout au contraire un chef, qui recevait le policier.

Que voulait dire ce changement ?

Juve était à cent lieues de s’en douter, mais sa tranquille philosophie n’était pas prête à s’émouvoir d’un changement d’attitude de la part d’un quidam dont, en somme, l’opinion lui importait peu. Juve, qui se rendait parfaitement compte de la nature de l’accueil qui lui était fait, s’assit donc fort tranquille dans l’un des fauteuils qui se trouvaient devant le bureau directorial et attendit que M. de Vaugreland voulût bien lui faire part de la communication qu’il avait à lui faire.

— M. Juve, vous rendez-vous bien compte de la marche des événements ?

— Dame, il me semble, répondit Juve.

— Alors, que comptez-vous faire ?

— Comment ce que je compte faire ?

— Je veux dire, cher monsieur – et M. de Vaugreland haussait la voix pour donner plus de poids à ses paroles – que je serais fort heureux d’apprendre si vous avez un nouveau plan d’enquête ?

— Un nouveau plan d’enquête ?

— Oui. Si vous avez décidé, en d’autres termes, d’agir un peu plus habilement que vous ne l’avez fait jusqu’ici ?

— Cher monsieur, vous me demandez si j’ai l’intention d’agir plus habilement que par le passé ? Hé, je ne crois pas avoir été si maladroit.

Mais Juve n’eut pas le temps d’achever.

Ce n’était plus un mouton que Juve avait devant lui, mais un mouton enragé.

M. de Vaugreland tapa un coup de poing formidable sur le bord de son bureau :

— Vraiment ? hurla-t-il, vous trouvez que vous n’avez pas été maladroit ? Ma parole, monsieur Juve, je me demande si vous avez bien réfléchi à tout ce qui s’est passé ici depuis un mois ?

— Ne jurez pas, monsieur de Vaugreland. Je vous certifie que j’y ai parfaitement réfléchi.

— Et ce sont ces réflexions qui vous ont amené à trouver que vous n’étiez pas maladroit ?

— Absolument, M. de Vaugreland.

— Eh bien, vous en avez de bonnes.

Juve, à son tour, donna quelques signes d’impatience :

— Il est possible que j’en aie de bonnes, en effet, mais tout de même, monsieur de Vaugreland, je voudrais savoir ce qui vous fait parler ainsi ?

M. de Vaugreland se leva. Il joignit les mains… puis, après cette mimique muette, il reprit :

— Mais tout, monsieur Juve, tout, sans exception.

Et comme, sur la figure de Juve, une expression de stupéfaction se peignait, M. de Vaugreland poursuivit :

— Réfléchissez donc, que diable. Comment, il se passe ici un crime mystérieux, l’assassinat de Norbert du Rand. Pour éclaircir cet assassinat, j’écris à la Sûreté de Paris et je la prie de m’envoyer un inspecteur habile…

— Sur quoi la Sûreté de Paris m’a envoyé.

— Justement ! et l’on vous expédie ici. Or, je vous le demande, depuis votre arrivée, que s’est-il passé ? Un sénateur a été tué. Mon caissier a été tué. La maîtresse de mon caissier a été tuée. Enfin, les scandales se sont multipliés à tel point que la Principauté devient un repaire de criminels. Voilà ce que m’a valu votre arrivée, monsieur Juve. Ai-je le droit d’être satisfait ? suis-je fondé à penser que vous n’êtes pas de taille à éclaircir ce que l’on appelle déjà « les Mystères du Casino » ?

Juve gardait un sourire au bord des lèvres.

« Pourquoi, diable, se demandait le policier, M. de Vaugreland me fait-il cette scène stupide et déplacée ? Il y a deux jours, il ne jurait encore que par moi. Qui a pu me démolir dans son esprit ?

Mais à cette question qu’il se posait, Juve ne trouvait pas de réponse…

Et, en effet, Juve, quelle que fût la puissance de ses qualités policières, ne pouvait imaginer que l’attitude à son endroit du directeur de la Société des Bains, provenait tout bonnement de la visite récente que Fantômas avait osé faire à M. de Vaugreland. Allez inventer ça.

Toutefois, il fallait répondre quelque chose au directeur.

— Ma foi, monsieur, déclara toujours très tranquillement Juve, il est de fait que depuis que je suis à Monaco, depuis que nous sommes à Monaco, plutôt, mon ami Fandor et moi, les scandales se sont multipliés. Mais il me semble que vous oubliez que mon intervention n’a pas toujours été inutile ?

— Rappelez-moi donc les services rendus ?

— Très volontiers. Avez-vous perdu souvenir de certain truc que j’expliquais relativement à votre table de roulette, où le 7 sortait avec une régularité ruineuse pour la banque ? Je crois que ce jour-là, monsieur de Vaugreland…

— Ce jour-là, répondit M. de Vaugreland, vous vous êtes conduit comme le dernier des maladroits. Vous avez fait preuve d’une incapacité absolue. Il y avait truquage, c’est entendu. Était-il bien nécessaire de le crier sur les toits comme vous l’avez fait ? Tenez, vous auriez voulu nuire au Casino que vous n’auriez pas agi autrement.

Juve, cette fois, ne répondait pas.

Il savait bien, l’excellent Juve, que ces reproches de M. de Vaugreland n’étaient pas fondés.

Les crimes s’étaient multipliés, c’est vrai, mais le policier était sûr d’avoir, par sa seule présence, empêché d’autres crimes.

Et puis, enfin, ces meurtres mystérieux, c’était lui qui les avait expliqués.

C’était lui qui avait découvert la façon dont Louis Meynan avait été tué, lui encore qui avait reconstitué l’assassinat d’Isabelle de Guerray.

Et tout cela allait conduire, sans doute très prochainement à l’arrestation des coupables.

Dès lors, pourquoi M. de Vaugreland fulminait-il ?

« Il est furieux, se disait Juve, mais ce n’est pas naturel, qui diable a pu l’exciter ? Il faut que je l’asticote à mon tour.

Et Juve, tout bonnement, comme M. de Vaugreland finissait de parler, se décidait à interroger à son tour :

— Ah çà, où diable voulez-vous en venir ? j’imagine bien que vous ne m’avez pas convoqué uniquement pour me laver la tête ? Alors ? parlez franchement, que voulez-vous ?

— Où je veux en venir ? à ceci : que si dans quarante-huit heures l’assassin n’est pas sous les verrous, parbleu, j’en aurai beaucoup de regret, mais je ne pourrai pas hésiter. J’écrirai de nouveau à la Sûreté de Paris et je demanderai que l’on m’envoie un de vos collègues. Vous serez libre, vous, monsieur Juve, vous et votre ami, votre extraordinaire secrétaire, de vous désintéresser de l’affaire.

— En somme, déclarait Juve, c’est un ultimatum que vous me posez, monsieur de Vaugreland ? À votre avis, il faut, ou que j’arrête le coupable dans les quarante-huit heures, ou que je m’en aille ?

— Oui, c’est ça.

— Eh bien, malheureusement, monsieur le directeur, je crois que votre ultimatum restera sans effet. D’abord, et ceci dit sans vous offenser, permettez-moi de vous rappeler que ne suis nullement à vos ordres et que par conséquent, quand même vous me diriez de m’en aller, je serais parfaitement libre de rester. Ensuite, songez bien qu’il n’y a pas de policier au monde qui puisse s’engager à arrêter un assassin, quel qu’il soit, dans un délai de quarante-huit heures. Ce coupable, je puis l’appréhender dans dix minutes, dans dix jours ou dans dix ans, nul ne le sait, et moi, moins encore que personne. Enfin, monsieur de Vaugreland, songez bien encore que si à l’arrivée de votre dépêche, on m’a envoyé, moi, Juve, à Monaco vous joindre et vous aider, c’est qu’à la Préfecture on a estimé que j’étais seul capable d’arrêter l’assassin de Norbert du Rand. Supposez-vous véritablement, maintenant, qu’un seul télégramme de vous puisse faire changer d’avis mes chefs ? Non, monsieur le directeur, votre ultimatum n’offre aucun intérêt. Je ne sais pas pourquoi vous essayez de vous débarrasser de moi, mais je dois vous prévenir que vous n’y arriverez pas aussi facilement que vous semblez le croire.

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