L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 13 стр.


— Voici le pont qu’il me faut.

Et dès lors, avec une assurance extraordinaire, narguant le vertige, souple, rapide, invisible presque dans la nuit profonde, Fantômas se livra à la plus périlleuse des acrobaties.

Il avait empoigné des deux mains le mince cordage et, suspendu dans le vide, balancé par le vent, au risque de lâcher prise, il traversa la rue, atteignit la toiture de la Banque. Fantômas alors trouva moyen de décrocher le câble qui tenait encore à l’immeuble dont il était parti. Il le tirait à lui pour ne pas laisser trace de son passage. Cela fait, il éclata de rire.

— Et voilà, disait Fantômas, voilà ce à quoi Juve n’a point pensé !

Le Génie du Crime, tout le temps de son voyage aérien, avait tenu serré entre les dents un assez volumineux paquet qu’il venait de déplier lentement. Il avait extrait son maillot, remis sa cagoule sinistre, caché à nouveau son visage et c’était de la sorte la silhouette fantastique de l’homme noir, la silhouette légendaire de Fantômas terrorisant le monde, qui se profilait dans la clarté lunaire, sur le toit de la Banque de France.

— De mieux en mieux, murmurait Fantômas qui ne semblait plus désormais se hâter. Vers les dix heures, demain matin…

Mais il s’interrompit pour rire encore, rire infernalement.

Puis Fantômas progressa précautionneusement sur le zinc de la toiture. Il avait un peu bruiné et le métal était glissant. N’importe, il allait toujours. Sa silhouette se découpa quelques instants encore sous le ciel, pâle, puis elle disparut. On n’entendit plus aucun bruit. Fantômas, une fois encore, semblait s’être fondu dans la nuit, s’être évanoui dans le silence et l’ombre.

***

— Messieurs, maintenant, il importe de prendre les plus grandes précautions. Je vous ai bien prévenus que je considérais que nous n’étions point encore hors d’affaire et par conséquent…

Juve était debout au milieu du cabinet directorial et s’entretenait avec M. Châtel-Gérard qui venait de demander d’urgence M. Tissot et aussi le baron de Roquevaire.

Ils allaient tous les quatre descendre aux caves ainsi qu’après réflexion l’avait conseillé le policier et tous, après s’être entretenus avec Juve, éprouvaient, sans pouvoir s’en défendre, une vive émotion à la pensée d’une rencontre possible avec Fantômas.

— Messieurs, continua Juve, je vous répète que toutes les précautions prises par les ingénieurs pour mettre les caves à l’abri d’un attentat, sont nulles dès qu’il s’agit de Fantômas. Donc tenez pour certain qu’il est fort possible que le bandit soit là où nous allons aller. Cela dit, je pense qu’il est superflu de vous recommander de faire très attention. Vous êtes armés, messieurs ?

Les trois hommes auxquels Juve s’adressait firent oui de la tête.

— Très bien. Mais ce n’est pas suffisant. Laissez-moi vous recommander tout spécialement de ne pas avoir de sots scrupules de générosité. À la première alerte, au premier signe de danger, faites feu !

— C’est entendu, répondit le baron de Roquevaire qui maîtrisait avec peine sa nervosité.

— Autre chose, reprit Juve. Comme il convient de ne pas donner l’alarme dans la Banque, j’estime, et je pense, monsieur le gouverneur, que vous partagerez mon avis, que le mieux est d’agir discrètement. Nous allons donc descendre tous les quatre et tous les quatre seulement. Nous posterons quatre agents à l’entrée des salles des coffres, c’est-à-dire à l’entrée de la cave ordinaire, avec mission d’empêcher quiconque d’en sortir. Comme le sous-sol réservé où nous allons, débouche dans la cave ordinaire, nous sommes certains qu’à part nous, personne ne pourra s’échapper par là.

Juve parlait toujours avec son extraordinaire sang-froid. Mais ses interlocuteurs s’énervaient.

— C’est cela, c’est cela, disait M. Tissot.

— Allons, marchons, faisait M. Châtel-Gérard.

— Marchons ! répondit Juve en souriant.

Il plaça son browning, dont il avait décroché le cran de sûreté, dans la poche de son veston.

— Un dernier avis… ajouta le policier. Autant que possible, messieurs, tâchons de marcher dans un ordre rigoureux. Moi d’abord, M. de Roquevaire ensuite, puis M. Tissot, et enfin M. Châtel-Gérard.

Cette fois, les ultimes avis étaient donnés. Juve, précédant les trois hommes, sortit du cabinet directorial. Dans les couloirs qu’il longeait pour se rendre au rez-de-chaussée dans la grande salle du public où débouchait l’entrée des caves, le petit groupe passa. Les trois porte-clefs baissaient la tête, soucieux, inquiets. Juve lui, souriait, et, sans en avoir l’air, jetait de tous côtés des yeux inquisiteurs. Juve, en effet, depuis quelque dix ans qu’il poursuivait Fantômas, avait été témoin de tant de ruses employées par le bandit, avait vu Fantômas recourir à de si surprenants expédients, qu’il avait pris l’habitude de douter de tous et de tout. Avec son flair spécial, il imaginait bien en ce moment que Fantômas ne devait pas être loin et devait ourdir un plan d’attaque, mais il ne pouvait arriver à préciser la façon dont le bandit allait s’y prendre.

— Que va-t-il se passer ? se demandait Juve.

Et une sueur froide lui perlait aux tempes.

Les caves de la Banque de France ! Depuis qu’il avait à s’occuper de les protéger, Juve avait appris combien on avait accumulé les dispositifs spéciaux pour les mettre à l’abri de tout accident : le feu ne pouvait rien contre elles. Une révolution avec la tourmente qu’elle déchaîne d’ordinaire, n’aurait peut-être pas réussi à les forcer. Les murs des locaux auraient résisté à la dynamite. On pouvait les noyer, les ensabler, les remplir de gaz asphyxiants, et pourtant, Juve savait que Fantômas pourrait, s’il le voulait, trouver moyen de pénétrer jusqu’à elles, en dépit de tout cela, en dépit des quadruples portes à triples serrures qui fermaient leur entrée.

Juve et les trois porteurs de clefs arrivèrent quelques secondes plus tard à l’entrée des caves.

— Léon ! Michel !

À l’appel du policier, les deux inspecteurs de la Sûreté accouraient.

— Mettez-vous ici, ordonnait Juve, et ne laissez sortir personne.

— Très bien, chef.

C’était le dernier ordre à donner avant la périlleuse descente.

— Messieurs, commença Juve, quand vous voudrez ?

— Allons, répondit M. Châtel-Gérard d’une voix qui tremblait,.

Ayant franchi la porte donnant dans le hall, la porte que le public peut voir, Juve et ses trois compagnons pénétraient dans la caisse ordinaire, au centre de laquelle se dresse, imposant, le gigantesque coffre-fort où se trouvent enfermées les espèces nécessaires aux opérations quotidiennes. À droite et à gauche, sur de lourdes étagères faites de grosses barres de fer, des colis, des boîtes, de petits coffres s’entassaient.

— C’est ce que nous appelons la « Serre », répondit M. Châtel-Gérard, à une muette interrogation du policier. Toutes ces boîtes et ces colis contiennent, soit des valeurs, soit des pierres précieuses, des dépôts, en un mot.

— Parfaitement.

— Et voici l’entrée de la cave secrète.

M. Châtel-Gérard venait de s’arrêter devant une grille accolée à la muraille.

Aidé de ses deux compagnons, le gouverneur de la Banque fit jouer les triples serrures. Les portes s’ouvrirent, tournant sur elles-mêmes. Or, ces portes démasquaient une sorte de puits, fort étroit, dans lequel était taillé un petit escalier en colimaçon si étroit que Juve eut quelque peine à y passer.

— Faites attention, recommanda M. Tissot, l’escalier a en tout quarante-trois marches. À la dixième, vous allez trouver une porte, à la vingtième une autre, puis à la trentième, et enfin au bas.

Juve ne répondit pas. Il descendit, faisant le moins de bruit possible et s’attendant presque à heurter à l’improviste quelque obstacle terrible.

Il n’en fut rien cependant.

À la dixième marche, Juve trouva la porte fermée qu’on lui avait annoncée. Les trois serrures jouaient, la porte s’ouvrit.

— Descendez, monsieur Juve.

C’était M. Tissot qui venait de parler.

— Je descends, riposta le policier. Mais ne fermez-vous pas la porte derrière vous.

— Fichtre non, on ne peut pas ouvrir de l’intérieur, nous serions enfermés.

— Très bien, monsieur.

Juve descendit encore. La seconde porte fut ouverte sans mésaventure. La descente continuait toujours. À la trentième marche, pourtant, Juve s’arrêta.

— Monsieur le gouverneur, appela-t-il.

— Monsieur Juve ?

— Qu’avez-vous au juste à faire dans les caves ?

— Je dois y prendre un portefeuille bourré de coupures de mille francs, une liasse de un million et demi.

— Fort bien. Et où est ce portefeuille ?

— Tout au fond de la cave, monsieur Juve, dans la seconde salle même.

— Il y a donc deux caves ?

— Oui et non. Le souterrain, à vrai dire, mesure cent quarante-deux mètres de long, il est d’un seul tenant, mais en son milieu, il y a une cloison.

— Et nous allons dans le second compartiment ?

— Oui, monsieur Juve.

— Allons !

Juve descendit les trois derniers degrés et se heurta à la dernière porte :

— Ouvrez, messieurs.

Les trois serrures grincèrent : la porte s’ouvrit.

Mais, tandis que Juve et ses compagnons avaient jusqu’alors descendu l’escalier dans une complète obscurité car, par mesure de précautions, pour éviter tout risque d’incendie il n’y a point d’éclairage dans les sous-sols de la Banque, Juve vit le souterrain s’illuminer splendidement devant lui au moment où la dernière porte s’entrebâillait. Un mécanisme ingénieux en effet a été prévu dans les caves même, qui fait que la dernière porte en s’ouvrant éclaire les réserves en faisant jouer un commutateur électrique.

Juve alors recula ébloui.

Il pénétrait dans la grande cave secrète de la Banque et demeurait stupéfait des richesses inouïes qu’elle contenait. Sur des chevalets de bois, d’abord, de grands cartons gonflés, bourrés de billets de banque, s’entassaient les uns sur les autres, classés avec ordre et contenant des fortunes à affoler Crésus. Plus loin, à demi enfoncés dans le sol, on apercevait d’énormes barils faits d’acier, doublés de plomb, bourrés de pièces d’or.

Sur chaque baril étaient apposées des étiquettes impressionnantes :

Pièces de vingt francs à l’effigie de 1889, un milliard et demi. Ou encore : Louis de vingt francs à l’effigie de 1907, deux milliards [10] .

C’était tout au long du souterrain un ruissellement d’or inouï, fantastique.

— Mazette ! s’exclama Juve.

Mais ce n’était pas l’heure de plaisanter. La première surprise passée, Juve ne songeait plus qu’au danger encore menaçant.

— Faisons vite, murmura-t-il.

Et il entraîna ses compagnons vers la porte séparant, ainsi que l’avait expliqué le gouverneur de la Banque, les deux sections de la cave secrète.

Au demeurant, les souterrains apparaissaient déserts, calmes, paisibles, et Juve peut-être s’était-il forgé de vaines craintes en redoutant des périls qui devaient être imaginaires pour les trésors cachés là.

Cependant, ayant pénétré dans la seconde cave, ou plutôt dans la seconde partie de la cave, Juve contemplait, ébloui encore, les lingots d’or représentant la garantie des billets de banque en circulation.

— Quelle fortune, dit le policier, et le revolver à la main, il s’immobilisa cependant que M. Châtel-Gérard, blasé sur ce spectacle, se hâtait vers le fond de la pièce pour y prendre la liasse de billets dont il avait besoin.

— Monsieur Juve… commença le gouverneur…

Mais il n’acheva pas. À ce moment précis, et, sans que rien eût pu faire prévoir la chose, un incident se produisit.

D’abord, un vacarme épouvantable et soudain frappait les oreilles du policier. Cela venait du plafond.

Juve, Tissot, le baron de Roquevaire et M. Châtel-Gérard avaient levé les yeux au même moment.

— Alerte ! criait Juve.

— Attention ! hurlait M. Tissot.

M. Châtel-Gérard, affolé, criait de toutes ses forces :

— Au secours ! Au secours !

Et, en une seconde, cependant que le sol tremblait, il s’abattit une trombe véritable, une trombe de sable, de fer, de pierres, qui débouchait dans la cave, semblant provenir du plafond.

Quelque chose de noir s’agitait au milieu de cette avalanche. M. Tissot, M. Châtel-Gérard, M. Roquevaire étaient renversés sur le sol ; Juve poussait un grand cri de rage et de désespoir.

— Feu, feu ! c’est Fantômas !

Déjà la chose noire ou l’être animé, Fantômas, si c’était Fantômas, s’était relevé.

Le claquement des armes à feu résonna, lugubre, sous les voûtes. Juve, étourdi d’un formidable coup de poing, avait roulé sur le sol, ensanglanté, puis la fantastique apparition noire, bondissant vers la porte de la cloison, la franchissait, la fermait derrière elle, et c’était soudain l’obscurité complète dans la cave où se trouvaient le policier et ses compagnons, l’obscurité remplie du grondement sinistre de l’avalanche qui continuait.

Quelques minutes passèrent, puis le silence se refit.

Juve, le premier, se débattant comme un fou, réussit à s’arracher du lit de sable qui l’avait à demi enseveli.

— Allons, hurla-t-il, du courage, monsieur Châtel-Gérard !

— Oui, voilà. J’étouffe…

— Monsieur Tissot ?

— J’ai le bras cassé, je crois.

Le Baron de Roquevaire, lui, avait devancé l’appel du policier.

— Je n’ai rien, dit-il, mais nous sommes perdus.

À quoi Juve répondit en serrant les poings et d’une voix étrangement tremblante :

— Perdus, non, nous ne sommes pas perdus, mais nous sommes volés ! Ah pardieu, je comprends tout !

Et Juve, en effet, comprenait l’extraordinaire procédé auquel Fantômas venait d’avoir recours :

Le bandit avait découvert le moyen de pénétrer dans les caves de la Banque. Par le toit, il avait dû se glisser dans les énormes réserves de sable, dans les réservoirs remplis de terre qui, par l’ouverture d’une vanne, peuvent servir à combler les réserves. Il avait trouvé moyen de creuser ce sable, de se couler jusqu’à la vanne. Cette vanne, il l’avait ouverte, il s’était laissé tomber du haut du toit par cet étroit orifice jusqu’aux caves secrètes. La terre qui tombait avec lui avait suffi à amortir sa chute. À peine arrivé dans le souterrain, il s’était relevé. Il avait traversé la cave, franchi la cloison, enfermé le policier et les porte-clefs au fond du souterrain. Il était libre maintenant, libre de piller, de piller une fabuleuse fortune dans les réserves de la Banque.

— Fantômas ! rugit Juve, Fantômas nous a-t-il vaincus ? Non. Non. Pas encore !

Il fallait aviser, aviser promptement.

Aidé de M. de Roquevaire qui semblait moins affolé que les deux autres, et faisait preuve d’un bon courage, Juve dégageait M. Tissot et M. Châtel-Gérard.

Juve avait déjà retrouvé son parfait sang-froid, sa maîtrise coutumière de lui-même.

— Avisons, disait-il, avisons.

Et, éclatant de rire, il ajoutait :

— Mordieu, Fantômas est venu avec une facilité relative, mais je ne vois pas comment il sortira des caves. Léon et Michel font bonne garde.

Cette constatation rendit un peu d’énergie au malheureux M. Châtel-Gérard.

— Vous avez raison, monsieur, fit-il d’une voix qui haletait, mais je me demande si réellement on peut triompher de Fantômas.

— Il faudrait pouvoir prévenir mes agents, murmura Juve.

Et ce fut, soudain, comme un trait de lumière pour M. Tissot.

— Mais il y a le téléphone ici, cria-t-il. On peut téléphoner des caves au bureau du sous-directeur !

Juve tira de sa poche son inséparable petite lampe électrique à la faible lueur de laquelle les quatre hommes se regardaient l’un l’autre.

M. Châtel-Gérard était blême. M. Tissot tremblait violemment et d’ailleurs saignait du nez, ayant probablement été heurté par un lourd moellon. Le baron de Roquevaire apparaissait à peu près calme. Quant à Juve, s’il semblait fort en colère, il ne paraissait pas ému.

Назад Дальше