L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 20 стр.


Pérouzin n’avait rien vu, mais lorsque Nalorgne lui eut dit : « Eh bien, vous avez compris ? », il se contenta de répondre :

— J’ai compris, en effet. Cette petite personne a ramassé un objet par terre, mais il n’y a pas délit. C’est son mouchoir qui lui appartenait.

— Et dire, grommela-t-il, que c’est à des gens comme ça que l’on confie la surveillance de Paris ! Mon cher Pérouzin, nous allons faire une capture sensationnelle, entendez-vous ? Et pour réussir complètement, nous ne sommes pas trop de deux. Écoutez, obéissez-moi : vous allez aborder cette grande dame élégante qui s’en va. Vous allez lui dire ceci : « Madame, votre porte-monnaie vient de vous êtes dérobé, mais la police tient la voleuse, veuillez m’accompagner au poste de la rue d’Anjou, et votre argent vous sera rendu. » Moi, de mon côté, je vais arrêter la petite femme qui s’est emparée de ce porte-monnaie et je serai au bureau de police lorsque vous y arriverez avec la victime. Allez, dépêchez-vous !

— Et l’automobile ?

— Elle ne s’en ira pas, soyez tranquille, nous avons assez de peine à la faire marcher et vous vous y connaissez, du moins on le prétend. Songez donc, jamais personne d’autre ne pourra la faire démarrer. Et si, par hasard, d’ailleurs, cela arrivait, ce serait une bénédiction, car nous en serions débarrassés.

Ce dernier souhait que formulait Nalorgne était perdu pour Pérouzin qui s’élançait sur les traces de la grande dame élégante, fort inquiet à l’idée qu’il allait falloir l’aborder et que peut-être celle-ci aurait un médiocre plaisir à entrer en conversation avec un homme aussi sale que l’était Pérouzin qui venait de passer une demi-heure sous la voiture. Nalorgne, cependant, emboîtait le pas à la petite femme aux cheveux ébouriffés. Et, tout en la suivant, cependant qu’elle se dirigeait d’un pas assuré vers la Madeleine, il se répéta les instructions que lui avait données jadis son chef suprême, M. Havard :

— Le bon agent de la Sûreté ne doit pas faire de scandale lorsqu’il procède à une arrestation. Les choses doivent passer inaperçues.

Et Nalorgne, estimant qu’il fallait suivre à la lettre ces instructions, n’aborda point la petite femme avant qu’elle ne se fût éloignée de Paris-Galeries.

Le cœur battait un peu à Nalorgne, car c’était la première fois, depuis qu’il était inspecteur de la Sûreté, qu’il allait enfin réussir une arrestation. Oh, il était bien trop malin, pensait-il, pour révéler tout de suite sa qualité. Dès lors, pressant le pas, retroussant sa moustache et s’efforçant d’avoir l’air d’un séducteur, il dépassa la petite femme et, l’ayant heurtée à l’épaule pour qu’elle le regardât, il lui décocha un coup d’œil si peu équivoque, si caractéristique, que les plus éhontées professionnelles du trottoir ne l’auraient pas renié.

La petite femme le regarda, et, bien qu’elle fût fort troublée, faillit éclater de rire. Nalorgne, cependant, engageait la conversation :

— Dites donc, mademoiselle…

— Ah, non, très peu ! Quelle caricature !

Nalorgne avait entendu. Ça, par exemple, c’était raide. Et instantanément, il lui revint à l’esprit qu’il était inspecteur de la Sûreté, qu’il incarnait la Puissance, et que laisser quelqu’un se moquer de lui, c’était permettre que l’on bafouât l’autorité. Dès lors, changeant brusquement d’attitude, il laissa lourdement sa main s’abattre sur l’épaule de la gamine, et d’une voix de stentor lui déclara :

— Au nom de la loi je vous arrête !

L’effet ne manqua pas de se produire. La gamine poussa un cri terrible, essaya de s’arracher à Narlogne, mais celui-ci la maintenait de ses doigts crispés sur son épaule. La petite femme se jeta par terre, roulant sur le trottoir, entraînant dans sa chute le grand inspecteur de la Sûreté. Un attroupement considérable se produisit et aussitôt, les commentaires de la foule se manifestèrent, peu flatteurs à l’égard de cet homme qui brutalisait cette malheureuse :

— Il en a du culot le frère ! Quelle brute ! Si c’est permis de maltraiter ainsi une gosse !

— Attends un peu, propre à rien ! On va t’apprendre à tomber sur les gens ! Canaille, va !

Peu s’en fallut que Nalorgne ne s’en tirât avec force blessures et horions. Mais, heureusement, deux agents en uniforme étaient survenus. Nalorgne se fit connaître, et les sergents de ville, écartant la populace, finirent par rétablir l’ordre, par restituer la petite femme au policier. Puis, l’un traînant l’autre, suivis des gardiens de la paix et d’une foule considérable, ils s’acheminèrent vers le bureau de police de la rue d’Anjou.

Si Nalorgne, à ce moment, avait réfléchi aux instructions de M. Havard, il aurait dû s’avouer, en bonne conscience, qu’il ne les avait pas strictement observées. Cette arrestation d’une toute petite femme par un policier robuste avait ameuté tout le quartier.

La prisonnière, au commissariat, fut transférée dans le local réservé aux personnes arrêtées sur la voie publique. Quelques instants après, Nalorgne qui ne la quittait pas, fut invité à passer avec elle dans le cabinet du commissaire. Il y trouva Pérouzin et la grande dame élégante qui, toute pâle, achevait de déclarer au commissaire qu’en effet, son porte-monnaie venait bien de lui être dérobé. Pérouzin se rapprocha de Nalorgne :

— Vous savez, fit-il d’un air important que cela a été très difficile de la décider à venir jusqu’ici. Elle m’a pris pour un gigolo, elle croyait que je voulais lui offrir quelque chose et tout d’abord, elle m’a saqué [19].

— C’est comme moi avec la petite, fit Nalorgne, mais j’ai eu du flair et j’ai réussi à l’arrêter tout de même.

Pérouzin considéra Nalorgne avec admiration, puis il se regarda lui-même avec complaisance et, constatant que les deux personnes qu’il avait fallu amener au commissariat y étaient, il déclara d’un air convaincu :

— Nous sommes décidément des types épatants !

Le commissaire, brièvement, notait les déclarations de la grande dame. Lorsqu’il eut terminé, il lui tendit la plume :

— Veuillez, madame, fit-il, inscrire au-dessous de ces lignes, votre nom et votre adresse.

— Est-ce bien nécessaire ?

— Indispensable, madame, étant donné la plainte que vous formulez.

La personne volée parut hésiter un instant, mais elle se décida cependant à faire connaître son identité et, cependant qu’elle signait au-dessous du texte rédigé par le commissaire, elle murmura :

— Je suis la comtesse de Blangy, 214, avenue Niel… Vous n’avez plus besoin de moi, monsieur ?

— Un instant, fit le commissaire qui, se tournant vers Nalorgne, demanda : c’est la voleuse ?

— Oui, monsieur le commissaire, déclara l’ancien prêtre en poussant devant lui la gamine qui chancelait d’émotion.

— L’a-t-on fouillée ? demanda le magistrat.

La gamine protesta en pleurant :

— Il m’a bousculée m’sieu… Y m’a frappée comme une brute, mais il n’a rien trouvé sur moi. Cependant, je regrette ce que j’ai fait.

D’un geste brusque la gamine fouilla son corsage et en tira le porte-monnaie qu’elle avait audacieusement dérobé quelques instants auparavant.

— Voilà votre galette, fit-elle en s’adressant à sa victime. Comptez voir. Il n’y manque rien.

La comtesse de Blangy eut un regard apitoyé pour la voleuse :

— Pauvre petite, murmura-t-elle. Les mauvais exemples sans doute…

Mais elle avait hâte de s’en aller. Le magistrat toutefois ne lui rendait pas son argent :

— Il est indispensable, fit-il, que je garde provisoirement votre bourse à titre de pièce à conviction. Toutefois, madame, vous pouvez vous retirer. Vous serez certainement convoquée par le juge d’instruction.

Une demi-heure plus tard le magistrat avait terminé l’interrogatoire de la gamine. Elle avait dit s’appeler Rose Coutureau, exercer la profession d’artiste au Théâtre Ornanoet vivre avec son père qui remplissait les fonctions d’habilleur et de gardien d’accessoires à ce même établissement. Cette révélation avait déterminé d’ailleurs une explosion de larmes :

— Quand il va me retrouver, avait hurlé la petite, sûr qu’il me tuera !

Mais le magistrat sévèrement, bien qu’avec ironie, avait répondu :

— N’ayez aucune crainte, nous sommes là pour vous protéger contre lui, et d’ailleurs, vous n’allez pas le revoir tout de suite monsieur votre père, car je vous envoie coucher au Dépôt.

En dépit des lamentations de la malheureuse, le commissaire la confiait aux agents de police qui la ramenaient dans le petit local dont elle avait été extraite pour venir répondre au magistrat et où elle allait rester désormais jusqu’au prochain passage du « panier à salade ».

Toutefois, un brigadier, brave homme, ému par cette douleur intense, avait chuchoté à l’oreille de la prisonnière :

— Ne vous faites donc pas tant de bile. Si c’est la première fois que ça vous arrive, vous aurez la loi Bérenger [20].

***

Dans les coulisses du Théâtre Ornano, le père Coutureau faisait un tapage du diable, encore que sur les murs fussent apposées d’énormes affiches recommandant le silence :

— Quelle taule, nom de Dieu, jurait-il, c’est pas un métier que je fais ici ! Les forçats de la Nouvelle [21] ont moins de turbin que moi.

Il brandissait à la main une poignée de sabre.

— Que voulez-vous que j’en foute ? grommelait-il. Un sabre sans fourreau et sans lame ! Allez donc équiper avec ça, une troupe de militaires ?

Le père Coutureau s’introduisit dans une sorte de réduit obscur qu’on intitulait pompeusement : « Magasin d’accessoires ». Il bouscula l’amas d’objets qui s’y trouvaient entassés dans le plus grand désordre et finit par découvrir une latte de bois. Il parut consolé :

— Voilà qui fera l’affaire, dit-il.

Et, avec un bout de ficelle, il attacha la poignée de sabre à cette lame improvisée. Puis il prit un chapeau, un ancien bicorne de garçon de banque, et s’efforça d’y fixer quelques plumes, provenant sans doute d’une volaille à bas prix.

— Avec ça, dit-il, j’aurai encore l’air de quelque chose.

Le père Coutureau se regarda dans une glace et parut satisfait : habilleur, accessoiriste, il était encore second régisseur et même figurant au Théâtre Ornano. Il portait à ce moment-là, une sorte d’uniforme qui pouvait passer pour une tenue de général. Il sortit de la régie, appela autour de lui :

— Venez vous autres. On va lever dans quelques instants ! Attention au défilé !

Quatre individus, vêtus en soldats coloniaux, dont l’uniforme consistait simplement en casques de métal que l’on avait recouverts de toile blanche, s’approchèrent, écoutant les instructions du chef :

— Vous entrez côté cour, vous sortez côté jardin, déclarait-il, l’un derrière l’autre, en marchant au pas, puis sitôt fait, vous passez derrière la toile de fond pour revenir côté cour et recommencer. Vous pensez bien qu’il faut défiler plusieurs fois, les affiches annoncent une armée de cent cinquante hommes. Or, moi compris, nous sommes sept. Bien entendu, faudra changer vos attitudes, et au besoin vos costumes.

— Mais, fit remarquer un figurant, nous n’en avons pas de rechange.

— Qu’est-ce que cela fait ? Changez tout au moins de casque entre vous. Cela vous fera des physionomies différentes, les uns auront un casque trop petit, les autres un casque trop grand, ça sera très bien. Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’on me veut ?

Le concierge du théâtre, qui venait d’arriver, tirait le père Coutureau par le bras.

— Dis donc, fit-il, il y a comme ça deux types qui demandent à te parler.

— Penses-tu que j’ai le temps en ce moment ? Dis qu’ils repassent !

— Paraît que c’est urgent poursuivit le concierge, c’est rapport à ta môme.

— Qu’est-ce qu’ils peuvent bien me vouloir ? Si c’est rapport à Rose, ils n’ont qu’à s’adresser à elle, directement, elle doit être en train de se fringuer, puisqu’elle est du premier tableau. Dis-leur la quatrième loge dans l’escalier de droite.

— Rose n’est pas là, fit le concierge, et les types veulent te voir personnellement.

— Alors, qu’ils montent !

Décidément, le père Coutureau était un personnage auquel il fallait obéir. Le concierge descendait, rendit sa réponse aux deux individus qui attendaient.

Le Théâtre Ornanoétait un établissement peu ordinaire. Construit à la fourche de la rue Clignancourt, tout au sommet de la Butte Montmartre, il avait pour clientèle habituelle, non seulement la petite bourgeoisie du quartier, mais encore les apaches et les rôdeurs du boulevard Barbès et de la Chapelle. C’était un théâtre où l’on était en famille. Dans la salle, tous les soirs, se faisait une grande consommation d’oranges. On s’interpellait aussi du parterre à la scène, et réciproquement. Il arrivait souvent que des spectateurs ou des spectatrices qui avaient trop dépensé d’argent pour venir voir le drame ou la comédie, se faisaient sans difficulté embaucher comme figurants ou petits rôles. De telle sorte que c’était un perpétuel va-et-vient de l’extérieur à l’intérieur des coulisses. La clientèle, comme la troupe était toujours la même. On se connaissait de part et d’autre de la rampe. Cela créait une atmosphère cordiale, une véritable intimité.

Les deux hommes qui étaient venus demander le père Coutureau n’étaient autres que Narlogne et Pérouzin. Depuis leur sensationnelle capture, les inénarrables inspecteurs de la Sûreté étaient gonflés d’importance et pleins de joie. Ils ne manquaient pas de courage, et tous deux avaient juré de justifier la réputation de « types épatants » qu’ils s’étaient octroyée. Oui, ils ne ménageraient pas leurs peines, et feraient, au sujet de ce vol abominable qu’ils avaient découvert, une enquête minutieuse et serrée.

Pérouzin avait suggéré à Nalorgne :

— Va falloir être très malins pour faire causer le père de la petite, et lui annoncer la chose en douce. Tirons-lui d’abord les vers du nez, on ne sait jamais. Quoi qu’en ait dit la gamine qui paraît redouter plus que tout la colère de son papa, cet homme est peut-être un malfaiteur, le complice de sa fille.

— Bien parlé, approuva Nalorgne. Dans toute affaire de ce genre, il faut avoir énormément de circonspection.

Le concierge les faisait monter par un étroit escalier dans lequel ils trébuchaient, puis les deux inspecteurs débouchèrent dans ce que l’on appelait au Théâtre Ornano« les coulisses », c’est-à-dire dans le local le plus exigu et le plus innommable qu’il fût possible d’imaginer. Du premier coup, Pérouzin, en surgissant sur le plateau, remarquait qu’il y avait tout autour de lui un tas de petites femmes fortement maquillées et qui jacassaient avec animation, tout en regardant les nouveaux venus, en se poussant du coude, et en étouffant des rires narquois. On entendit même quelques appréciations peu flatteuses :

— Oh ben, il en a une binette ! Non, mais regarde-moi ça !

Pérouzin essaya de plastronner, mais il était gêné par ces paires de grands yeux moqueurs qui se fixaient sur lui. Quant à Nalorgne, il soufflait bruyamment, surpris par cette odeur caractéristique des coulisses de théâtres populaires, qui sentent à la fois l’humidité, la parfumerie à bon marché, la transpiration et l’évier sale.

Soudain, un individu vêtu en général nègre se rapprocha des deux inspecteurs de police :

— C’est moi, le père Coutureau, dit-il. Qu’est-ce que vous me voulez ? Grouillez-vous de causer, je n’ai pas le temps.

— C’est au sujet de votre fille, Rose Coutureau.

Nalorgne s’interrompit pour graduer ses effets, agir avec délicatesse. Il reprit enfin :

— Elle ne viendra pas au théâtre ce soir.

— Ah, s’écria le père Coutureau, et pourquoi nom de Dieu ?

— Parce que, déclara Pérouzin, elle vient d’être arrêtée en flagrant délit de vol.

Le père Coutureau devint écarlate. Il agita fébrilement son sabre de bois, regarda les deux inspecteurs avec stupéfaction :

— Ah nom de nom !

Il se retourna :

Назад Дальше