L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 19 стр.


L’acteur s’inclina, disparut dans la foule, cependant que le policier demeurait abasourdi.

— Drôle de type, fit-il. Décidément, les gens que l’on trouve à ce bal sont plus extravagants les uns que les autres.

Juve fut arraché à ses réflexions par une légère douleur qui le fit sursauter.

— Aïe ! grommela-t-il. Puis il se retourna :

— Comment, c’est toi qui me martyrise ?

Fandor, en effet, s’était subrepticement rapproché de Juve et lui pinçait le bras.

— Oui c’est moi.

Le journaliste avait perdu tout son entrain, et son visage, à l’expression sévère, signifiait qu’il avait à parler sérieusement avec le policier.

Les deux hommes s’écartèrent de la foule. Fandor interrogea :

— Je suppose bien, Juve, que, malgré vos apparences mondaines, vous êtes venu ici dans un autre but que celui qui consistait simplement à faire tournoyer des jeunes filles dans une épouvantable cohue, à vous faire écraser les orteils par un tas de croquants et à essayer en vain d’approcher un buffet inaccessible ? Si l’homme du monde est présent à cette fête, le policier s’y trouve également plutôt deux fois qu’une ?

— D’accord, où veux-tu en venir ?

— À vous faire dire ceci, Juve : que vous recherchez quelqu’un, une ou plusieurs personnes et que vous espérez, de cette enquête, tirer de précieux renseignements sur les affaires qui nous préoccupent.

— C’est vrai, reconnut Juve, qui ajoutait à voix basse : J’ai retrouvé ici le milieu de la rue Fortuny, de même que rue Fortuny, j’avais découvert des gens devenus suspects à la suite du vol effectué à la Banque de France par Fantômas. De là, je conclus que je finirai bien par prendre, dans un immense coup de filet, tous ceux qui, de près ou de loin, constituent la bande énigmatique et formidable de notre adversaire.

— Je le savais, et d’ailleurs, tandis que vous étiez en train de flirter avec la charmante Américaine qui nous reçoit, j’ai moi-même remarqué ici quelques silhouettes assez intéressantes, quelques personnages inattendus. La comtesse de Blangy est dans nos murs.

— Je le sais, mais ce n’est pas elle qui m’intéresse surtout.

— Parbleu, mieux vaut toujours s’adresser à Dieu lui-même qu’à ses saints.

— Et Dieu, en l’espèce, pourrait bien être le diable, ou tout au moins…

— Tout au moins, lui, n’est-ce pas ?

— Tais-toi, Fandor, je vois que tu penses comme moi. As-tu remarqué quelque chose ? J’ai la persuasion qu’il est ici, et voici deux heures que, sans interruption, j’examine tous les visages, j’épie les gestes de tous les gens qui me paraissent suspects. As-tu un indice ?

— Que feriez-vous, Juve, si tout d’un coup, ailleurs, ou même dans ce salon, vous vous trouviez en présence de notre adversaire ?

— J’ai souvent changé d’avis à ce sujet, mais désormais, ma décision est prise. Irrévocable. Les demi-mesures ne nous ont pas réussi : si Fantômas se dressait en face de moi en ce moment, je l’abattrais comme un chien en lui logeant cinq balles dans la tête.

— Ah, fit Fandor, qui continua : Juve, avez-vous jamais vu Fantômas masqué ?

— Ah çà, Fandor, que signifie cet interrogatoire ? Tu me poses là des questions auxquelles tu pourrais répondre aussi bien que moi.

— Répondez-y, je vous en prie, insista Fandor, et si j’ai l’air de dire des naïvetés, n’en tenez pas compte. Je suis obligé de faire actuellement une déduction compliquée et j’ai besoin de votre appui pour cela. Écoutez-moi bien, Juve, et répondez : définissez-moi Fantômas masqué.

Le policier haussa les épaules :

— Tes questions sont stupides, mais j’y réponds tout de même. Donc, Fandor, Fantômas, indépendamment des nombreux déguisements sous lesquels il se cache, apparaît fréquemment à ses victimes, ou à nous-mêmes, soit le visage dissimulé derrière un loup noir, à la manière des dominos de carnaval, soit la tête enveloppée dans une sorte de cagoule, aussi sombre que la nuit, comme en portent les pénitents des couvents d’Italie.

— Je vais vous poser encore une question, Juve : Avez-vous une idée quelconque sur la façon dont Fantômas se fixe cette fameuse cagoule autour de la tête ?

De plus en plus surpris, le policier regardait son ami, pour tâcher de comprendre où il voulait en venir. Mais Fandor gardait un visage impassible.

— Je n’en sais rien. Peut-être fixe-t-il cette cagoule autour de sa tête avec un lacet, avec un élastique ?

— Avec un élastique avez-vous dit ? Ah tant mieux. Encore une question, Juve : Avez-vous été enfant, autrefois ?

— Fandor, tu as certainement bu trop de champagne.

— Je vous jure, Juve, que mon gosier est aussi sec que l’amadou de votre briquet. Je me répète : avez-vous été enfant ?

— J’ai été enfant. Il y a longtemps…

— Vous avez, comme tous les gosses, porté de grands chapeaux dont on assurait la stabilité sur votre tête au moyen d’un élastique qui vous passait sous le menton.

— C’est vrai.

— Et, lorsqu’on vous ôtait votre chapeau, si l’élastique s’en allait avec, il restait néanmoins sur votre peau les traces de ce lien, c’est-à-dire une sorte de petit filet rouge, imperceptible, durant peu de temps, mais visible tout de même.

— Oui. Alors ?

— Alors, j’aime à croire qu’un homme qui a l’habitude de porter une cagoule serrée autour de son cou par un élastique, peut avoir à l’occasion, comme les enfants, ce petit filet rouge esquissé sur la peau. Dès lors, Juve, cherchez autour de vous, et regardez.

Le journaliste n’en dit pas plus. Une apparition blonde venait rompre son entretien avec le policier. C’était Sarah Gordon qui, s’adressant à Fandor que Juve lui présentait, demandait au journaliste :

— Monsieur, ayez donc l’obligeance de m’offrir votre bras, pour traverser ce salon. C’est très amusant, je suis chez moi, c’est-à-dire que tous ces gens sont mes invités et cependant je connais très peu de monde. Je ne puis cependant m’approcher du premier venu et lui dire de me servir de cavalier. Vous êtes un des rares qui m’aient été présentés.

Juve perplexe, se demandait cependant :

— Que signifie l’attitude de cette femme ? Véritablement, elle arrive toujours au moment où il ne le faut pas. À moins que ce ne soit précisément, au contraire, le moment où il le faut. À son point de vue.

Mais, soudain, Juve tourna les talons et parcourut la galerie. Il sentait son cœur battre : un homme à la grande silhouette, aux yeux sombres qui s’ouvraient dans un visage de vieillard tout encadré de barbe blanche, venait de passer auprès de lui et Juve avait été frappé de stupeur. N’avait-il pas remarqué sur la nuque de cet homme une sorte de petite ligne rouge, semblable à la trace de l’élastique dont Fandor venait de l’entretenir quelques instants auparavant ?

Cependant, le journaliste avait, avec Sarah, une conversation vive et animée. L’Américaine, réellement naïve, ou feignant de l’être, allait d’étonnement en étonnement :

— C’est drôle, fit-elle, en regardant complaisamment Fandor des pieds à la tête. Vous êtes habillé comme tout le monde et pourtant vous êtes journaliste ?

— On ne nous a pas encore imposé d’uniforme, mademoiselle, comme les capitaines de dragons, ou les garçons de banque.

— Oh, fit Sarah, ce n’est pas cela que je voulais dire ! Mais j’imaginais que les gens qui exercent votre profession avaient toujours une allure un peu spéciale.

— Je vois ce que c’est, fit Fandor, vous les supposiez sales et loqueteux, fumeurs de grandes pipes, et porteurs de chapeaux mous, enfoncés sur des têtes hirsutes ?

— À vous parler franchement, telle était, en effet, mon opinion.

— Nous avons changé tout cela, mademoiselle, depuis longtemps.

Mais il s’arrêta net. Une détonation venait de retentir, Fandor pâlit et lâcha Sarah Gordon interdite au milieu du salon. Le journaliste se précipita. La foule se massait vers le fond de la galerie dans laquelle Fandor avait quitté Juve quelques instants auparavant :

— Je savais bien, grommela le journaliste, que cette soirée ne finirait pas sans quelque mauvaise histoire.

Pendant près de vingt minutes, ce fut un désordre inexprimable dans les somptueux salons du Gigantic Hôtel.Les danseurs s’étaient arrêtés, des groupes se formaient dans lesquels on discutait avec animation, sans savoir exactement ce qui s’était passé toutefois. Des maîtres d’hôtel, des inspecteurs du Gigantics’efforçaient toutefois de calmer les gens. Et à ceux qui suggéraient qu’il venait d’y avoir un drame, un crime peut-être, que l’on avait tiré un coup de revolver, ils répondaient avec aplomb :

— C’est une erreur, messieurs, il ne s’est rien passé ! Un meuble est tombé, il a fait du bruit, voilà tout.

On déclarait aussi qu’il s’agissait là d’un court-circuit dans les cuisines, de l’explosion d’un tuyau de gaz sur le trottoir, hors de l’immeuble.

***

Fandor enfin retrouva Juve.

Le policier sortait des bureaux de l’administration. Il était très pâle :

— Eh bien ? interrogea Fandor.

— Eh bien, fit Juve, tu avais raison, la petite ligne rouge. À peine tu m’avais quitté qu’un homme aux allures de vieillard a passé à côté de moi, et il était marqué comme tu l’avais dit, marqué à la nuque.

— Qu’avez-vous fait ?

— Je l’ai suivi dans la galerie. Je me suis rapproché de lui. J’allais lui mettre la main au collet. Il s’est retourné à ce moment-là.

— Et puis ?

— C’est là, continua Juve, où je ne comprends plus. Une détonation a retenti. Instinctivement, j’ai baissé la tête. L’homme à la ligne rouge, Fantômas, car ce ne peut être que Fantômas, a baissé la tête lui aussi. Et si une balle a sifflé à mon oreille, une balle également a sifflé à la sienne.

— Vous voulez dire que vous avez tiré tous les deux ?

— Non. Nous n’avons tiré ni l’un ni l’autre.

Le policier lui expliqua alors comment, dans la bagarre survenue immédiatement après le coup de feu, il avait été séparé du mystérieux vieillard. Il ne l’avait pas revu. Sa fuite était-elle due au hasard ou à la protection de complices ?

Fandor n’écoutait plus.

— Vous n’avez en somme tiré ni l’un ni l’autre et un coup de feu a retenti ?

— Oui. Qui visait-on ?

— Qui ?

13 – VOLEUSE À LA TIRE

Boulevard Malesherbes, la foule des passant  s’était arrêtée quelques instants, en face du magasin de nouveautés Paris-Galeries, pour regarder avec cette curiosité béate qui est la caractéristique de la badauderie parisienne, une voiture automobile en panne sur le bord du trottoir.

Puis, comme l’accident paraissait devoir s’éterniser et que le spectacle ne se modifiait pas, les passants, peu à peu, s’en étaient allés indifférents, peu soucieux de savoir ce qu’il allait advenir des malheureux immobilisés ainsi sur la voie publique par les mystères de la carburation ou les défaillances de l’allumage.

Au bout de quelques instants, un homme surgit de dessous la voiture automobile. Il avait trempé la moitié de son corps dans le ruisseau, de telle sorte que ses vêtements lui moulaient le bras et la jambe d’un côté seulement. De l’autre, ses habits étaient maculés de cambouis. Il avait de la graisse et du noir sur le visage, sur le col, dans les cheveux. D’une voix caverneuse, il appela désespéré, cependant qu’il se dressait à demi de dessous la voiture :

— Nalorgne, passez-moi la clef anglaise !

C’était Pérouzin, dont la voiture, une fois encore, se trouvait en panne et qui s’efforçait de la réparer. Il répéta d’une voix chargée d’angoisse :

— La clef anglaise ! Nalorgne, voulez-vous me la passer ? Elle doit être dans le coffre arrière, ou sur le coussin de devant.

S’exprimant ainsi, Pérouzin jetait des regards désespérés en direction de Paris-Galeriesà son inséparable ami qui demeurait planté sur le trottoir, à quelques pas de lui, debout le long d’un arbre, et immobile comme s’il avait été frappé de paralysie soudaine.

— La clef anglaise, répéta Pérouzin, d’un ton larmoyant.

— Non, dit Nalorgne.

Puis, il reprit sa position immobile, semblant étudier fixement quelque chose. Pérouzin, d’abord interdit par, cette brève réplique, insista de nouveau :

— Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi ne voulez-vous pas me passer la clef anglaise ? J’en ai pourtant besoin, c’est le tuyau du carburateur qui s’est desserré, ça fuit comme un panier, nous perdons toute notre essence. Je vous en prie, la clef anglaise !

Encore une fois, Nalorgne répondit :

— Non.

Pérouzin allait protester, puis il réfléchit qu’une altercation ne servirait à rien, sinon à le ridiculiser, lui et son collègue. L’ancien notaire était de bonne composition et peu partisan des discussions.

— Si Nalorgne me refuse la clef anglaise, pensa-t-il, c’est qu’il doit avoir ses raisons pour cela. Peut-être a-t-il peur de se salir les mains ?

Et, brave homme, Pérouzin se tira, non sans peine, de dessous l’automobile. Il allait monter sur le marchepied de la voiture pour fouiller sous les coussins et en retirer l’outil qui lui était nécessaire, lorsque Nalorgne lui fit un signe, cependant qu’il murmurait imperceptiblement :

— Laissez donc cela tranquille, venez et regardez…

Pérouzin obtempéra : il suivit des yeux le doigt de Nalorgne qui lui désignait quelque chose, quelqu’un plutôt, dans la foule amassée devant les étalages de Paris-Galeries.

— Voyez-vous, poursuivit mystérieusement Nalorgne, cette toute petite personne brune, aux cheveux ébouriffés, qui a l’air de s’intéresser vivement à l’étalage des corsets soldés à quatre francs soixante-quinze ?

Pérouzin ouvrit des yeux arrondis de surprise :

— Je la vois, en effet. C’est bien la toute petite femme, celle qui a plutôt l’air d’une gamine, d’une fillette ?

— C’est cela même.

— Ce n’était pas la peine de me déranger. J’ai énormément à faire sous la voiture, si c’est tout ce que vous aviez à me dire… Je suis étonné qu’un inspecteur de la Sûreté comme vous, qui, en outre, est un ancien prêtre, tombe ainsi en arrêt devant la première petite bonne femme venue et croit nécessaire de déranger ses collègues de leur travail.

— Vous serez toujours plus bête que nature, Pérouzin, fit-il, et je me demande comment j’ai pu autrefois m’associer avec vous pour monter un bureau d’affaires.

— Qui n’a pas réussi, d’ailleurs…

— Regardez-la ! Sacrée gamine, va ! Voyez-vous ce qu’elle va faire ?

— Je devine, elle va faire un coup, un mauvais coup. Sans doute chiper quelque chose à l’étalage ?

L’ex-notaire suivit curieusement des yeux la gamine qui, après avoir examiné sans grande attention les corsets, passait au rayon de fleurs et plumes, semblant s’intéresser vivement aux déclarations enthousiastes que faisait le vendeur préposé à l’écoulement de cet article. Mais, cependant qu’elle regardait ainsi, ses mains, qu’elle dissimulait sous une sorte de pèlerine, allaient et venaient autour d’elle, ses doigts écartés frôlaient sans cesse les gens qui se trouvaient à proximité. La gamine aux cheveux ébouriffés semblait se préoccuper particulièrement de suivre de très près une dame fort élégante qui s’intéressait, elle, aux objets exposés.

— Attention, ça va y être dans un instant. Voyez plutôt !

La gamine s’était rapprochée de plus près encore de la grande dame. Celle-ci portait suspendu à la saignée du coude, un réticule qui battait le long de sa jupe. Il était à peu près à quarante centimètres au-dessus du sol.

La petite femme, soudain, profitant d’une légère bousculade, laissa tomber son mouchoir sur le trottoir, et avec un geste fort naturel, se pencha pour le ramasser, mais en même temps, plus rapide que l’éclair, elle avait ouvert le réticule de sa voisine, elle y plongeait une main, petite main adroite, qu’elle retirait aussitôt ; puis, de l’air de la plus parfaite innocence, elle s’écarta, fit quelques pas dans la direction opposée.

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