L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 23 стр.


— Probable, fit son interlocutrice en haussant les épaules, mais c’est pas de ça dont y s’agit. Faut que je t’explique et ça urge, rapport à ce que nous allons être obligées de nous séparer dans un instant. Voilà donc de quoi il retourne : moi, je m’appelle la Grande Berthe, j’ai été bouclée ici pour rébellion aux agents, des bêtises sans importance, quoi. J’en ai pour vingt-quatre heures de boîte et comme j’ai déjà tiré douze heures de préventive, ce soir, à six heures, après les flagrants délits, on me relâchera. Toi, y paraît que c’est pas le même truc, t’es ici pour vol, et tu vas trinquer. L’instruction d’abord, une affaire de huit jours, quoi, puis, huit jours encore avant de passer au tourniquet [25]. La condamnation ensuite, enfin, ma fille, t’en as pour une paye avant de sortir de tôle. Or, paraît qu’il faut que tu te débines dès ce soir.

Rose Coutureau écoutait sans comprendre ce déluge de paroles. Elle était abasourdie par ce préambule, elle le fut bien plus encore, lorsque la grande Berthe lui eut exposé ses dernières intentions :

— Voilà ce qu’on va faire, poursuivit la pierreuse : quand tout à l’heure les gardiens viendront chercher Rose Coutureau, c’est moi qui partirai à ta place. Naturellement, lorsqu’on demandera la grande Berthe, tu répondras que c’est toi, et tu reconnaîtras devant le juge, que tu as bien traité les agents de vaches. Tu ajouteras que tu étais ivre, que tu regrettes.

« Comme ça, tu comprends, insistait la pierreuse, tu seras libre ce soir, tu peux y compter, je connais le tarif. Pendant ce temps-là, moi, je trinquerai à ta place. Inutile de me raconter comment tu as fait ton coup, ton homme m’a mis au courant. »

Cette fois, Rose Coutureau comprit, et son cœur se gonfla d’une immense gratitude à l’égard de cette excellente femme qui consentait bénévolement à prendre sa place, à se faire condamner, alors qu’elle n’avait rien fait, à subir enfin la peine qu’elle méritait, elle, Rose Coutureau.

Qui donc avait pu avoir l’idée de cette substitution ? La fille de l’habilleur n’osait croire que c’était son amant, si bourru cependant, que c’était Beaumôme qui avait imaginé cette merveilleuse combinaison.

D’autre part, pour quelle raison la pierreuse agissait-elle ainsi ? Rose Coutureau était naïve, mais pas au point de croire qu’une inconnue avait consenti à se substituer à elle pour le simple plaisir de lui rendre service.

Mais la grande Berthe répondit à la question implicite que se posait la jeune fille.

— T’as pas besoin d’avoir de scrupules, dit-elle. Si je fais la combine, c’est parce que le truc me va. Tu as de la veine d’avoir un amant qui est plein aux as, il m’a gavée de pèze, et au fond, moi, tu sais, plutôt que de trimer sur la rade par tous les temps, et de ne rien ramasser que des rebuffades, j’aime encore mieux passer quelques semaines en tôle, à me la couler douce, bien nourrie, bien logée. Qu’est-ce que tu veux, moi j’ai pas de chance. Pour faire le truc, faut être gentille ! Ça allait bien il y a dix ans, mais maintenant que je suis moche, autant changer de métier.

Une voix, soudain, surmonta le murmure confus de la grande salle du Dépôt. Un gardien criait, appelait des femmes :

— Alice Binet ! Jeanne Dubourg ! Rose Coutureau !

— Présente ! répondit la grande Berthe d’une voix forte.

En hâte, elle prenait congé de la jeune fille.

— Ça y est, fit-elle, ça commence, à bientôt. On se reverra. Tu remercieras ton homme, qui a été généreux pour moi.

Elle ajouta :

— Paraît qu’il y a une plainte déposée contre toi. Si tu pouvais obtenir que la gonzesse que t’as volée veuille bien la retirer, ou tout au moins ne vienne pas à l’audience et qu’elle écrive au président, ça vaudrait mieux. Adieu.

La pierreuse partit, puis revint encore sur ses pas :

— N’oublie pas de répondre quand on appellera la grande Berthe. Et quand tu seras dans le tourniquet, fais l’imbécile, reconnais que tu t’es rébellionnée contre les agents, mais ajoute que t’étais soûle et que tu regrettes.

***

Les choses se passèrent comme l’avait dit la mystérieuse pierreuse, et Rose Coutureau, sans comprendre exactement pourquoi cette substitution avait lieu, sans deviner surtout quel pouvait bien être l’homme assez généreux, assez intelligent pour s’occuper d’elle ainsi, avait néanmoins accepté la situation.

Après le départ de la grande Berthe, qu’on emmenait à l’instruction sous le nom de Rose Coutureau, la fille de l’habilleur était restée encore quelque temps au Dépôt, puis on avait appelé vers midi « la grande Berthe ». Et elle s’était présentée.

La jeune fille alors, toujours sous le nom de Berthe, avait été conduite à l’audience des flagrants délits. Heureusement pour elle, les agents qui, la veille au soir, avaient arrêté la pierreuse n’étaient pas cités comme témoins, l’inculpée ayant déclaré dans son interrogatoire au commissariat de police, reconnaître les faits qui lui étaient reprochés. Comme dans un rêve, Rose Coutureau s’entendit gourmander, traiter de fille perdue, qualifier de femme apache, puis, un vieux monsieur assisté de deux autres plus jeunes, vêtus de noir, de derrière un grand bureau, l’admonesta paternellement :

— Il ne faut plus vous enivrer, ma petite, ni être ainsi en rébellion. Voyons, vous êtes jeune et gentille, tâchez d’être raisonnable !

Les deux gardes municipaux qui avaient amené Rose la reconduisirent au Dépôt.

La jeune fille, qui n’avait rien compris à ce qui s’était passé, se retrouva dans la grande salle obscure et froide, dont le personnel se renouvelait sans cesse.

Et peu à peu, au fur et à mesure que les heures passaient, Rose Coutureau s’inquiétait. Qu’allait-il advenir d’elle ? Elle avait peur que la supercherie ne fût découverte et que la substitution ne créât d’ennuyeuses complications. Une voix forte, vers six heures du soir, appela pourtant :

— La grande Berthe !

Ce fut le seul nom prononcé. Rose Coutureau sentit que son cœur s’arrêtait de battre. On appelait seulement la grande Berthe. Qu’est-ce que cela signifiait ?

D une voix défaillante, elle répondit :

— Présente.

Le gardien la regarda sous le nez.

— C’est toi, la grande Berthe ? fit-il.

— Oui, balbutia Rose Coutureau.

— Eh bien, poursuivait l’homme, ton heure est arrivée.

Il consulta une feuille de papier :

— Oui, c’est bien cela, grogna-t-il, vingt-quatre heures de prison, ça y est, elles sont tirées, t’es libre, ma fille, passe au greffe donner une signature et débine-toi ensuite.

— Silence, vous autres ! grogna le gardien, car le murmure des bavardages dans la salle du Dépôt commençait à s’accroître de façon intempestive.

15 – « LE 7 DE CE MOIS »

— Qu’est-ce que je vais prendre, non mais qu’est-ce que je vais prendre ?

Rose Coutureau qui venait de passer trois jours de cauchemar dans les locaux de la Conciergerie, qui avait été condamnée à un jour de prison aux lieu et place de la grande Berthe, et qui s’était fait reprocher son ivrognerie par un vieux magistrat, ignorant son identité, était, au sortir du Dépôt, instinctivement rentrée chez elle.

Au préalable, toutefois, Rose Coutureau, avant de revenir rue Ramey chez son père, était allée au domicile de son amant, l’apache Beaumôme. Elle voulait le remercier de ce qu’il avait fait pour elle, car la jeune fille naturellement croyait que c’était à lui qu’elle devait sa miraculeuse évasion.

Beaumôme, toutefois, n’était pas chez lui. Rose Coutureau se dit :

— Évidemment, je suis bête. Il est déjà neuf heures du soir, Beaumôme doit être à son travail.

En effet, le travail actuel de Beaumôme consistait dans la manœuvre du rideau au Théâtre Ornano, et la fille de l’habilleur eut un instant l’idée de retourner au théâtre, dont elle faisait d’ailleurs partie, mais elle eut peur de s’y rendre, craignant les représailles et les reproches de ses camarades. N’était-elle pas une voleuse, et n’allait-elle pas être indignement chassée du nombre des artistes appartenant à la troupe ?

Lorsqu’elle réfléchissait à l’acte odieux qu’elle avait commis, Rose Coutureau demeurait atterrée. Elle ne comprenait pas comment elle avait eu l’audace et l’astuce de faire un semblable vol. Rien dans son éducation n’avait pu l’orienter du côté de cet affreux vice et c’était spontanément, malgré elle, pour ainsi dire, qu’avec l’habileté d’une professionnelle consommée elle avait fouillé dans le réticule de cette fameuse grande dame, qu’on appelait la comtesse de Blangy, et qu’elle lui avait dérobé son porte-monnaie.

Qu’avait-elle compté faire de cet argent ? Si elle n’avait pas été prise, comment l’aurait-elle dépensé ? Évidemment, Rose Coutureau avait eu un but en volant. Son idée était d’acheter à Beaumôme une bague que le jeune apache avait déclaré désirer.

— Beaumôme, s’était naïvement figuré la jeune fille, est mon amant, mais a aussi pour maîtresse une autre femme. Si je pouvais lui faire cadeau de cette bague, il serait gentil, et peut-être arriverait-il à m’aimer beaucoup…

C’était ainsi qu’elle s’était déshonorée, sans y réfléchir. Elle avait volé.

En sortant de prison, elle alla donc chez son amant et ne le trouvant pas, prit la direction de la rue Ramey, où était le domicile de son père. Elle passa en tremblant devant la concierge, toute rougissante à l’idée que cette femme savait sans doute qu’elle était une voleuse, mais la concierge n’avait pas eu l’air de s’apercevoir que la fille de l’habilleur revenait ce soir-là après une longue et équivoque absence.

Rose Coutureau, parvenue au sixième étage, cependant que le cœur lui battait, avait introduit la clef dans la serrure, puis s’était installée dans le logement, et comme elle avait faim, elle avait profité des restes du dîner de son père.

Puis la jeune fille s’était assoupie dans un fauteuil, car elle n’osait pas aller se coucher sans avoir au préalable revu le père Coutureau et eu une explication avec lui.

Cette explication fut rapide mais énergique et brutale. À une heure du matin le père Coutureau rentrait légèrement ivre, suivant son habitude. Il aperçut sa fille qui sommeillait dans son fauteuil et ne parut pas étonné de ce retour, ce qui stupéfia Rose.

— Ah bon Dieu, grogna le père Coutureau, te voilà, petite poison, approche un peu !

En tremblant, courbant le dos, baissant la tête, Rose obéit, puis se mit à pousser des cris perçants. Le père Coutureau lui administrait une formidable raclée.

— Tiens, salope ! Tiens, gamine ! disait-il à chaque coup. Voilà qui t’apprendra à barboter dans les profondes des autres. Canaille ! Tu as déshonoré ta famille. Ah sacré bon Dieu ! Je te garantis que tu vas marcher droit maintenant, et que ça ne t’arrivera plus de faire des coups semblables. Jour de Dieu ! Si jamais on m’avait dit que la fille du père Coutureau deviendrait une voleuse…

Le père Coutureau s’interrompit de crier et sa fille soudain s’arrêta de gémir. Un mot les avait arrêtés court. En effet, une voix railleuse et ironique avait proféré :

— Imbécile !

Le père Coutureau, furieux, se retourna. Il allait protester, tancer d’importance celui qui se permettait de commenter ainsi son attitude. Le vieil habilleur, en effet, n’aimait point que quiconque se permît de lui faire des observations sur la façon dont il traitait sa fille. Mais lorsqu’il aperçut son interlocuteur, il ne prononça pas une parole, il demeura immobile, silencieux, interdit.

En face de lui, se dressait la silhouette tragique du personnage qui, l’avant-veille, était déjà venu lui annoncer qu’il allait mettre en liberté la prisonnière retenue au Dépôt. C’était le même individu, entièrement vêtu de noir des pieds à la tête, drapé dans un grand manteau sombre, et dont le visage était dissimulé sous une épaisse cagoule simplement percée de trois trous, deux pour les yeux, le troisième au niveau des lèvres.

— Fantômas ! balbutia le père Coutureau.

Rose, terrifiée par cette apparition, s’était jetée au fond de la pièce. Elle voyait sous les plis du manteau noir briller le canon d’un revolver. Elle joignit les mains, souffla terrifiée :

— Ah mon Dieu, au secours !

Cependant, le père Coutureau, qui n’était pas plus rassuré que sa fille, attendit quelques instants, n’osant rompre le silence. Il articula enfin :

— Qu’y a-t-il ? Que voulez-vous ?

Fantômas ricana, puis il gronda :

— Idiot, crétin, triple brute, as-tu fini de crier, de faire scandale dans ta maison, et d’annoncer à tous les voisins que ta fille, la voleuse, s’est évadée de prison ? Ne comprends-tu pas que ton attitude va avoir pour résultat de faire découvrir ce qui s’est passé, et la faire arrêter prochainement !

Rose Coutureau, entendant ces paroles, sentait des gouttes de sueur froide lui perler au front.

Ainsi donc elle était en présence de Fantômas ! C’était là le sinistre bandit, dont la réputation de cruauté faisait trembler les plus courageux.

Et il se trouvait que Fantômas connaissait son père ; mieux encore qu’il était au courant de sa propre évasion à elle, de la substitution de la grande Berthe et de la machination que Rose Coutureau supposait avoir été organisée par Beaumôme, son ami.

Elle pensa défaillir et devint toute pâle lorsque Fantômas, s’étant avancé d’un pas, vint vers elle et lui parla :

— Et toi, petite sotte, disait le bandit dont elle voyait les yeux se fixer dans les siens, que vas-tu faire ? Tu restes là stupide, sans songer à l’avenir. Dis-toi bien cependant que la première personne venue va pouvoir te reconnaître et te dénoncer. On sait partout que tu as été arrêtée. On va comprendre que tu t’es échappée et si jamais on te repince, ce sera très grave !

Peu à peu, cependant, Rose Coutureau, au fur et à mesure que lui parlait Fantômas, se sentait rassurée. Le terrible bandit ne la menaçait pas de son revolver, et depuis cinq minutes qu’il était là, en face d’elle, elle n’était ni morte de peur ni assassinée. D’ailleurs, l’intonation de la voix de Fantômas n’était ni mauvaise ni méchante. Et même, il semblait à Rose Coutureau que, par moments, elle avait des accents aimables et doux, cette voix. La jeune fille croyait l’avoir déjà entendue quelque part, mais où et quand ?

Elle tressaillit encore. Fantômas s’était rapproché d’elle et, d’un geste familier, lui caressait la joue de sa main gantée de noir. Il proféra lentement :

— C’est jeune, c’est naïf, ça ne sait pas.

Puis il la regarda longuement, avec sympathie. Rose Coutureau, sans lever les yeux sur le bandit et maintenant son regard obstinément baissé à terre, interrogea d’une voix larmoyante :

— Que faut-il faire ? Que voulez-vous de moi ?

— Je veux te protéger, te sauver, déclara le Maître de l’Effroi, qui, avisant un fauteuil, l’unique siège confortable de la pièce, s’y carra confortablement, croisant les jambes l’une sur l’autre.

— Voyons, fit-il, approche ici, petite… Il faut, déclara Fantômas, qu’on ne te reconnaisse point de quelque temps, et pour cela tu vas changer de tournure, d’âge et d’aspect.

— Mon Dieu, qu’allez-vous me faire ?

Fantômas éclata de rire :

— Je ne vais ni te couper la tête, ni t’arracher les yeux, mais tu vas me faire le plaisir de te déguiser. Vas chercher tes frusques, tout ce que tu possèdes, apporte-les et mets-les sur la table.

Machinalement, Rose obéit. Elle alla à une armoire, en tira des vêtements. De dessous son manteau, cependant, Fantômas avait extrait une perruque grise qu’il jetait à la jeune fille.

— Colle-toi cela sur la tête, dit-il.

Rose obéit. Fantômas alors ajouta :

— Tu possèdes bien, je suppose, puisque tu es artiste au Théâtre Ornano, des accessoires de maquillage ?

— Oui.

— Bien.

Et comme la jeune fille les apportait, il poursuivit :

— Fais-toi une tête de vieille. La patte d’oie, les rides, quelques traits sur les joues, un peu de rouge à la commissure des lèvres en tirant sur le bas pour agrandir ta bouche. Éclaircis-moi ces sourcils avec du blanc, marque-toi un peu le front.

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