La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса) - Сувестр Пьер 11 стр.


Teddy venait de faire feu, un peu au jugé, sur quelque chose, homme ou bête, qu’il avait aperçu assez loin de lui, dans l’obscurité.

Après le claquement brutal du coup de fusil, le jardin redevint silencieux.

— Sapristi, se dit Teddy, je l’ai manqué.

Instinctivement, le jeune homme bascula encore le canon de son arme pour remplacer la cartouche qu’il venait de tirer.

La main dans sa poche, il prit un nouveau chargement, s’apprêta à l’introduire dans la culasse de son fusil… et tandis qu’il opérait, machinalement, sans regarder ce qu’il faisait, Teddy continuait à surveiller le jardin…

Or, la cartouche qu’il s’efforçait d’introduire dans son fusil devait être mal calibrée, car il ne pouvait réussir à la glisser dans l’âme du canon.

Teddy baissa les yeux et, revenant en courant vers les fenêtres éclairées, vérifia ce qui gênait sa manœuvre.

— Ah ! nom d’un chien ! jura-t-il.

La cartouche qui refusait d’entrer dans son fusil, c’était la cartouche rose, la cartouche qui avait détoné, sans éclater, quelques instants avant…

Or, cette cartouche, Teddy la regardait avec des yeux stupéfaits…

Il la considérait une minute, puis, comme ne se souciant plus de poursuivre dans le jardin l’être sur lequel il venait de tirer, Teddy, rebroussant chemin en courant, se précipita vers le cabinet de travail de Hans Elders et déjà il avait le pied sur les marches qui faisaient communiquer le jardin avec la chambre, lorsque, brusquement, il s’arrêta net, poussant pour la seconde fois un jurement sourd…

Qu’avait-il donc vu ?

***

Depuis trois jours, Jérôme Fandor avait été embauché par Hans Elders.

Le jeune homme qui, de sa vie, n’avait jamais vu une chercherie de diamants, n’avait même jamais lu aucun détail sur la façon dont on exploite pareille industrie, n’avait pu être affecté à des travaux bien compliqués.

Il servait aux usines en qualité de manœuvre, charriant des terres, portant des outils, aidant les uns, aidant les autres, et gagnant péniblement un maigre salaire.

Fandor pourtant était ravi de son sort.

Après la conversation qu’il avait eue avec Teddy, lorsque ce dernier l’avait fait évader de Lunatic Hospital, Fandor était tombé d’accord avec le jeune homme, qu’il importait avant tout de surveiller de très près les agissements compromettants de Hans Elders.

Certes, Fandor s’était fait embaucher à l’usine avec l’intention bien arrêtée de trouver ainsi le moyen de gagner sa vie, mais de plus, il n’était pas fâché de surveiller son patron.

Fandor, toutefois, était trop fin, et pour tout dire, trop habitué aux recherches de police, pour avoir accepté sans défiance et comme absolument certaines les paroles de Teddy.

— Hans Elders, avait affirmé Teddy, m’a volé une première fois le crâne mystérieux, c’est lui qui a dû vous le reprendre à l’asile, c’est lui le coupable…

Vingt-quatre heures après qu’il eut été engagé à la chercherie, Fandor pourtant avait une opinion bien arrêtée : il se passait à l’usine des choses bizarres.

Quoi ? Fandor n’aurait pas su le dire au juste, mais il lui semblait qu’on employait à la chercherie un personnel étrange.

Certains ouvriers avaient de véritables figures de forbans, de bandits, que faisaient-ils, si tant est qu’ils faisaient quelque chose ?

Et puis, autre chose surprenait encore Fandor : l’abondance des diamants, qui, certains jours, étaient découverts dans les terres lavées et le plus souvent par les mêmes ouvriers…

Hans Elders, d’ailleurs, paraissait le plus honnête, le moins inquiétant de tous ceux qui vivaient à Diamond City.

Mais le proverbe : tel maître, tel valet est souvent juste, Fandor n’était pas éloigné d’admettre la réciproque et de dire : tel valet tel maître. Aussi, chaque soir, après la fin du travail, Fandor en homme habitué à toutes les ruses, s’efforçait de rester soit dans les bâtiments de l’usine, soit dans les jardins de Diamond House. Il rôdait là de longs moments, surveillant les allées et venues, guettant les agissements des propriétaires, épiant, enquêtant…

Fandor, d’ailleurs, ne se faisait point d’illusion. Il savait que sa surveillance était dangereuse et que si jamais on venait à le découvrir, demeuré dans les environs de la chercherie sans motif plausible, on ne manquerait pas de l’accuser d’avoir voulu voler les pierres précieuses. Mais un danger n’avait jamais été pour empêcher Fandor de faire ce qu’il jugeait utile, et il se proposait bien de continuer à épier jusqu’à ce qu’il fut certain, ou de l’honnêteté de Hans Elders, ou de son caractère de bandit.

Or, ce soir-là, Fandor devait aller de stupéfaction en stupéfaction…

Il avait vu Teddy arriver à cheval, saluer Winie et monter avec elle au salon.

— Tiens ! tiens ! s’était dit Fandor, toujours prêt à rire un peu, M. Père étant parti, il me semble que Mlle Fille ne refuse pas de recevoir des visites.

Mais n’était-il pas intéressant de savoir exactement quel degré d’intimité existait entre Teddy et Winie, cela alors que Teddy avait assuré qu’il tenait Hans Elders pour un misérable ?

Fandor, très habilement, s’était approché des fenêtres, avait collé le visage aux carreaux pour épier les jeunes gens. Mais les choses s’étaient gâtées, Fandor avait à peine le temps de disparaître, s’étant rendu compte qu’on venait de l’entrevoir, que Teddy s’élançait à la fenêtre.

— Bigre de bigre, songea le journaliste, je ferai bien de ne pas moisir dans le jardin.

Fandor prit sa course, voulut s’enfuir.

L’intrépide jeune homme, malheureusement, connaissait fort inexactement encore les massifs de Diamond House. Dans sa précipitation, Fandor se trompa de chemin. Il pensait marcher vers la grille qu’il était aisé de franchir, lorsque, après trois minutes de course rapide, il se heurta au mur élevé qui ceinturait le parc.

— Boum, s’était dit Fandor, si je continue comme cela, je vais me faire prendre dans une souricière.

Fandor retourna sur ses pas. Aussi bien il n’entendait plus rien… Teddy peut-être avait pensé qu’il se trompait ?

Mais, quelques instants après, comme Fandor arrivait devant la maison et hésitait sur le chemin à suivre, Fandor sursauta d’effroi. Une détonation venait de retentir, une grêle de plomb crépitait, trouant les feuilles, tout près de lui.

— Oh ! oh ! murmura Fandor qui, instinctivement, venait de se jeter à plat ventre, voilà que je me fais canarder maintenant. Et canarder par Teddy encore. Le jeune homme apercevait en effet la silhouette du tireur, et la reconnaissait parfaitement. Que faire ?

— Je ne peux pas, songeait Fandor, révéler mon identité… Que dirait Teddy ?

Fandor resta, immobile, sur le sol…

— Il va s’en aller, pensait-il… Mais il fronçait les sourcils bientôt :

— Diable, il recharge son arme !…

Et puis Fandor ne comprit plus du tout ce qui arrivait…

Alors qu’il glissait une cartouche dans le magasin de son fusil, Teddy sursauta, puis couru au cabinet de travail de Hans Elders :

— Qu’est-ce qu’il fait se demandait Fandor ?

À ce moment, parvenu sur le seuil, Teddy s’arrêta brusquement…

— Pourquoi n’entre-t-il pas ?

Fandor n’était pas au bout de ses stupéfactions !

Il vit Teddy s’éloigner à pas précautionneux du cabinet de Hans Elders.

Le jeune homme gagna l’un des bouts du jardin, puis, épaulant à peine son arme, lâchait au hasard en l’air, sans viser quoi que ce soit, deux coups de fusil.

Les détonations éveillaient encore des échos que Fandor entendit Teddy appeler à pleins poumons :

— Au secours, Hans, à l’aide, par ici.

— Il est fou ! murmura Fandor, qu’est-ce qui lui prend ? Il tire en l’air et il appelle au secours…

Cependant, brusquement, affolé, Hans Elders venait de sortir de son cabinet de travail.

Hans Elders, attiré par les cris de Teddy, s’était précipité dans la direction du jeune homme.

Mais, et cela c’était ce qui surprenait le plus Fandor, tandis que Hans s’élançait en courant, criant de toutes ses forces :

— Hardi, tenez bon, me voilà.

Teddy effectua une étrange manœuvre…

Fandor, toujours dissimulé sur le sol et caché par un massif, s’aperçut que le jeune homme, loin d’attendre Hans Elders – qu’il avait appelé – se baissa, rampa presque et prenant garde à ne pas faire le moindre bruit, évitant de rencontrer Hans, se dirigea vers le cabinet de travail, y entra.

— Ah ça, pensa Fandor, mais c’est clair, je ne peux pas m’y tromper. Que diable veut faire mon ami Teddy ? Il a attiré Hans volontairement hors du cabinet de travail. Il le laisse tout seul se débrouiller au jardin et, lui, revient vers la maison.

Fandor n’hésita pas. À son tour, il se leva, il courut vers la maison…

Hélas, les fenêtres du cabinet de Hans Elders étaient maintenant fermées par d’épais volets en fer, mais sur ces volets des motifs de décoration existaient, des rosaces de fleurs ajourées. Fandor regarda au travers d’une de ses ouvertures et cette fois, il sentit qu’une sueur froide lui perlait aux tempes.

Teddy, à peine dans la pièce, avait bondi au petit meuble à cartouches. D’une main fiévreuse, il s’empara des cartouches roses… Il en déchira une, il tira la bourre, une bourre de papier, il la déplia, la regarda, et tandis que Fandor blêmissait, Teddy, à l’intérieur de la pièce, blêmissait aussi, la cartouche contenait un billet de mille francs.

Alors Teddy se hâta davantage. Il déchira deux nouvelles cartouches roses, deux cartouches qui, elles aussi, étaient bourrées de billets de banque…

— Bon Dieu de bon Dieu, se demandait Fandor. Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Qu’est-ce que Teddy va faire ?

Ce que Teddy faisait était bien simple…

Fandor le vit prendre tout le paquet des cartouches roses et le mettre dans sa poche, après avoir rompu la ficelle toutefois et s’être assuré que nul ne pourrait s’apercevoir de son vol.

Alors Fandor absolument stupéfait hurla :

— Ah le voleur.

Peut-être même le journaliste victime de son impétuosité naturelle allait-il se précipiter et bondir sur Teddy, lorsqu’un nouveau personnage pénétra dans le cabinet de travail. C’était Hans Elders qui revenait du jardin où il n’avait vu personne. Il avait dû frôler Fandor pour gagner la porte-fenêtre et le journaliste frissonna à la pensée du danger qu’il avait ainsi couru.

— Bigre, je l’ai échappé belle !…

La porte était entrebâillée, Fandor entendit Teddy, très calme, assurer au maître de la maison :

— Oui, oui, j’ai tiré sur quelqu’un. C’est pour cela que je vous ai appelé. Et si vous ne m’avez pas trouvé, c’est que j’ai bondi ici parce qu’il me semblait que le voleur avait pénétré dans cette pièce au moment même où vous veniez de sortir.

Hans Elders pâlit :

— Un voleur, ici, fit-il. Mais que voulez-vous…

Hélas Fandor n’en entendit pas davantage.

Teddy, d’un coup de pied, venait de fermer la porte et force était bien au journaliste de se contenter de voir les deux hommes sans pouvoir écouter ce qu’ils disaient… Mais, demeuré à son poste d’observation, apercevant Teddy et Hans Elders s’entretenir, certes, avec vivacité, mais à coup sûr sans animosité. Fandor subitement crut comprendre :

— Ah nom d’un chien de nom d’un chien, de tout cela une seule chose résulte, en somme, c’est que si Hans Elders est une crapule, ce qui est bien possible, Teddy en est une autre et cela de façon certaine.

Puis, après un instant de réflexion, Fandor ajouta :

— Mais alors, si Teddy est un voleur, j’ai bigrement tort de me confier à lui ? Qui me dit qu’il n’a pas l’intention de m’attirer dans un traquenard ? Décidément, je crois que je ferais mieux de ne pas revoir cet intéressant garçon et surtout que j’ai tout intérêt à ne pas rester à cette chercherie. Je devine des pièges.

Et Fandor quitta la fenêtre, sortit du jardin, se perdit dans la nuit.

9 – PAROLE D’HONNÊTE HOMME DE FANTÔMAS

Le British Queen, grand steamer aux flancs blancs, à la croupe arrondie, voguait à travers l’Atlantique, laissant derrière lui un long remous saupoudré d’écume.

Le navire était parti avec la marée de l’après-midi du port de Southampton, et désormais, forçant ses feux, il prenait toute sa vitesse au confluent de la Manche et de l’Océan, puis il pointait vers le Sud.

Il devait s’arrêter quelques heures aux îles du Cap Vert, déposer ensuite un certain nombre de passagers sur la côte occidentale de l’Afrique, puis il piquerait vers le sud, traverserait l’Équateur pour s’arrêter encore au Cap de Bonne-Espérance.

Enfin, il remonterait dans l’Océan Indien jusqu’à Durban, port du Natal, où s’achèverait sa grande randonnée.

***

Le British Queenétait un des superbes bateaux qui font le service des voyageurs et relient régulièrement la métropole anglaise avec ses colonies du sud de l’Afrique. Sa vitesse était remarquable et son aménagement intérieur comportait les derniers perfectionnements.

Trois ponts superposés permettaient de recevoir des passagers de trois classes différentes.

 L’ingénieux agencement évitait de les faire communiquer entre eux.

Pendant ce voyage, les passagers des « premières » allaient pouvoir apprécier le répertoire varié d’un excellent orchestre de dames autrichiennes qui se rendaient au Transvaal où elles avaient de brillants engagements, et qui avaient bénéficié d’une réduction sur le prix du voyage, en promettant de prêter leur concours quotidiennement et d’assurer la distraction des voyageurs en les inondant de flots d’harmonie.

La clientèle des premières classes était élégante et nombreuse.

Elle se composait en grande partie de fonctionnaires et d’officiers partant avec leur famille pour les colonies et l’on trouvait à bord un appoint très important de jeunes gens et de jeunes filles qui ne tarderaient pas à faire connaissance et à imaginer toutes sortes de distractions pour charmer les longues heures de loisir que laissent les traversées.

On sait d’ailleurs combien sont profitables aux jeunes générations ces grands voyages quelque peu monotones au cours desquels il est loisible de se connaître, de s’apprécier. C’est à bord des longs courriers que se nouent souvent des intrigues, que se créent des sympathies, que s’ébauchent des amours et dans bien des occasions, avant l’arrivée, des mariages sont décidés.

La France a l’Opéra-Comique pour les entrevues de fiancés, les sujets du Royaume-Uni d’Angleterre enchaînent volontiers leur liberté après des traversées pendant lesquelles ils ont su distraire leur neurasthénie et découvrir l’âme sœur.

***

Le British Queenavait quitté Southampton depuis quelques heures. Le crépuscule projetait des lueurs flamboyantes sur l’immensité paisible de l’océan, lorsque dans le couloir bâbord des passagers de première classe, côté impair, un homme élégant, distingué, s’approcha du domestique qui avait charge des cabines de cette section :

— M. Duval, demanda-t-il, est-il chez lui… au 91 ?

Le steward avait déjà fait connaissance avec la plupart de ses patrons temporaires. Il avait la grande habitude de son métier et, fort perspicace, expert à reconnaître les gens qu’il n’avait vus qu’une fois, il identifiait déjà tout son monde.

— M. Duval n’est pas encore revenu dans sa cabine. Toutefois, il doit être à bord, ses bagages sont placés. Qui devrai-je annoncer lorsque M. Duval reviendra ?

L’interlocuteur donnait son nom, en esquissant un sourire de satisfaction :

— Vous direz que c’est M. Smith.

Le domestique s’inclina.

Puis, pour répondre à un coup de sonnette, il se préparait à quitter M. Smith, lorsque celui-ci le retint par le bras :

— Dites-moi mon ami, fit-il, réflexion faite, c’est inutile d’informer M. Duval de ma visite. Vous ne lui direz rien.

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