La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса) - Сувестр Пьер 33 стр.


Si grande était l’activité que nul ne s’apercevait de la présence d’un inconnu.

C’était un homme en complet noir, coiffé d’un chapeau mou. Il allait et venait, les mains dans les poches, sans rien dire, le regard aux aguets.

Or, cet inconnu n’était autre que le visiteur qui, la veille, était venu s’enquérir, avec tant de sollicitude, de la santé de l’ingénieur en chef de la traction.

Soudain, le personnage, s’étant rapproché d’une superbe locomotive du type « Pacific » qui faisait de l’eau à la pompe, s’approcha des hommes qui la montaient.

— Lequel d’entre vous est le mécanicien ?

— C’est moi, monsieur, qu’y a-t-il pour votre service ?

— Je suis ingénieur de la traction, dit l’inconnu, je remplace M. Mullerstone, actuellement souffrant…

Le mécanicien s’inclina respectueusement. Le chauffeur qui ne perdait pas un seul mot de la conversation, déploya une folle activité à nettoyer le cendrier de sa machine, tout en surveillant l’eau bouillonnante qui remplissait le réservoir.

L’ingénieur, ou du moins l’individu qui s’était donné pour tel se renseignait :

— C’est bien vous, n’est-ce pas, qui prenez à une heure vingt l’express de Pietermaritzburg, lorsqu’il arrive à Durban, venant de Vérulam ?

— En effet, monsieur l’ingénieur.

Le mécanicien, auquel son supérieur venait de demander quelques détails sur l’ordre de service qu’il avait à effectuer, expliqua :

— Notre mouvement d’aujourd’hui, monsieur l’ingénieur, diffère un peu du mouvement habituel, car nous avons une voiture de plus à emmener avec nous, ce qui nécessite une surcharge et, par suite, nous occasionnera une dépense plus grande de charbon. L’horaire doit être respecté.

— Quel est donc ce wagon spécial que vous devez emmener ?

Le mécanicien désigna une voie de garage au loin et expliqua :

— Nous conduisons la voiture cellulaire à Pietermarisburg. Dans le « panier à salade » il y a un prisonnier de marque. Fandor, vous savez bien, celui qui a tué le champion Jupiter, le boxeur noir. La Cour suprême va le juger.

L’ingénieur paraissait s’en soucier comme un poisson d’une pomme. Le matériel, au contraire, le retenait :

— C’est une « Pacific » dernier modèle, à ce que je vois, mais, dites-moi, mécanicien, n’avez-vous pas eu d’ennuis avec les purgeurs ? Quelques-uns de vos collègues s’en sont plaints…

— Non, monsieur l’ingénieur, jamais. Pas la moindre chose. Je dois reconnaître, cependant, que le dispositif de ce purgeur est délicat et qu’on peut avoir des ennuis.

— Bien.

Puis, passant à un autre ordre d’idées, l’ingénieur demanda :

— À quelle heure, le départ ?

— À une heure douze exactement, monsieur l’ingénieur. D’ordinaire, c’est à une heure dix-huit, mais on nous avance de six minutes aujourd’hui à cause du wagon pénitentiaire.

— Expliquez-moi vos mouvements.

— Nous allons par la voie du dépôt jusqu’à l’aiguille, nous reculons ensuite pour prendre le wagon cellulaire qui doit être attaché en tête du train. Nous venons alors nous placer sur la voie principale, après la troisième aiguille, et nous stoppons à cinquante mètres du disque avancé. C’est là que nous attendons l’arrivée de l’express. La machine qui l’aura amené à Durban se retirera, viendra prendre place au dépôt. Nous refoulerons alors jusqu’au convoi demeuré dans la gare.

— C’est bien, interrompit d’un ton sec l’interlocuteur du mécanicien, je serai de retour à une heure dix, je ferai le trajet avec vous sur la machine, car je rentre cet après-midi à Pietermaritzburg, et, en cours de route, je tiens à m’assurer du bon état des purgeurs.

L’homme regarda sa montre.

— Midi moins le quart, fit-il…

Et, saluant de la main le mécanicien, il ajouta en s’éloignant :

— Je vais déjeuner, à tantôt.

Évitant de regagner la ville ou la gare des voyageurs, le personnage qui s’était donné comme le remplaçant de M. Mullerstone, après avoir été rôder quelques instants autour de la voiture cellulaire, rebroussa chemin, passa derrière le dépôt des machines, puis, enjambant une balustrade, se perdit dans les terrains vagues qui entouraient les bâtiments de service de la grande gare.

***

Pourquoi Juve jouait-il toute cette comédie ?

Quel était le but secret qu’il poursuivait ?

Le policier ne devait avoir qu’une seule pensée, qu’un seul désir : sauver Fandor, le sauver à tout prix.

Depuis quarante-huit heures qu’il avait vu arrêter et conduire en prison son infortuné ami, Juve se désespérait à l’idée qu’aucun d’eux ne pourrait réussir, et que, vraisemblablement, malgré Juve, le malheureux Fandor, traîné devant la cour de Pietermaritzburg, y serait condamné, puis exécuté, sans qu’on ait rien pu faire pour lui.

Il arrive que l’approche du danger inspire. Juve, tout à coup, avait formé un plan audacieux :

On allait transférer le prévenu de la prison de Durban à celle de la capitale, où siégeait la Cour suprême. Eh bien, c’était pendant ce trajet qu’il fallait faire évader Fandor.

Juve s’était donc rendu au siège social de la Compagnie de chemin de fer, confiant dans sa bonne étoile et se jurant qu’il obtiendrait, coûte que coûte, l’autorisation de faire le parcours sur la locomotive, prétextant il n’en savait trop quelle histoire, mais convaincu de la réussite.

Or, l’ingénieur était malade et devait renoncer à une inspection annoncée depuis plusieurs jours.

D’après ce qu’il venait d’apprendre du mécanicien, Juve estimait que la tâche était singulièrement facilitée.

Il avait retenu ceci : la locomotive irait d’abord accrocher à son tender la voiture cellulaire, puis, avec ce seul wagon, elle s’en irait fort avant sur la voie attendre le moment venu de reculer pour prendre le train alors en gare de Durban.

Donc, pendant une dizaine de minutes, peut-être, un convoi uniquement constitué par la locomotive et le wagon cellulaire se tiendrait en pleine campagne, à deux kilomètres au moins de toute habitation.

Juve devrait alors faire un coup de force, obliger les mécaniciens, sous la menace du revolver, peut-être, à conduire leur machine un peu plus loin encore. Ensuite, il n’aurait plus qu’à libérer Fandor et à s’enfuir avec lui dans la campagne.

Fandor serait gardé, lui avait-on expliqué, par de braves gens qu’il pourrait peut-être gagner par un bon pourboire. En tout cas, quoi qu’il pût arriver, Juve tirerait Fandor d’affaire, ou alors il y laisserait sa peau.

Si extraordinaire et irréalisable que parût ce plan au premier abord, Juve, au fur et à mesure que s’approchait le moment de le mettre à exécution, se sentait devenir de plus en plus calme, il acquérait de plus en plus la certitude, la conviction qu’il allait réussir.

Certes, le plus délicat c’était d’obtenir du mécanicien qu’une fois celui-ci sur la voie principale avec sa machine et la voiture cellulaire, il consentît à avancer de quelques kilomètres, alors qu’en réalité son devoir était d’attendre et de reculer pour prendre le train express qu’il devait conduire à Pietermaritzburg.

Mais Juve se disait que les mécaniciens de la locomotive, malgré la surprise qu’ils éprouveraient, n’hésiteraient pas à obéir à l’ordre de leur supérieur : Juve.

Lorsqu’on serait en rase campagne, on s’expliquerait.

Juve, sur le bord d’une route, entra dans une modeste auberge, se fit servir un repas rapide.

À une heure moins deux, Juve enjambait la balustrade, se retrouvait dans la gare. Désormais, les événements allaient s’enchaîner avec une irréductible régularité.

— Mon plan, se répétait Juve, est sans doute audacieux, mais pas irréalisable… Sauverai-je Fandor ?

Et, serrant les poings, menaçant du regard un ennemi invisible, Juve concluait :

— Oui, malgré tout le monde, malgré Fantômas, je sauverai Fandor.

30 – LE VOL DE LA « PACIFIC »

Seul sur sa locomotive, l’ingénieur, ou tout au moins le personnage qui s’était donné pour tel aux employés de la Compagnie, attendait les signaux pour démarrer.

La puissante « Pacific », d’une force de 24.000 CV, haletait doucement, cependant qu’à l’intérieur de ses flancs grondait une demi-tonne de charbon de terre enflammé.

Par un hasard incroyable, l’ingénieur, qui n’était autre que Juve, se trouvait seul sur la machine que successivement ses deux pilotes avaient abandonnée et voici pourquoi : contrairement aux usages, le chauffeur de la locomotive, qui depuis deux heures déjà s’occupait de sa machine, lui prodiguant tous ses soins, alimentant son foyer et ses réservoirs, prenant la précaution de graisser et d’huiler ses moindres rouages, avait quitté son poste à quelques minutes même du moment où la manœuvre allait se faire.

La machine, en effet, était sortie du dépôt. On l’avait amenée sur la voie de garage et refoulée jusqu’au wagon pénitentiaire auquel les hommes d’équipe n’allaient pas tarder à l’accrocher.

Il était environ une heure quatorze, l’express venant de Vérulam et que devait prendre cette machine en gare de Durban avait été signalé.

***

Juve, voulant jouer avec un imperturbable sang-froid son rôle d’ingénieur de la Compagnie, était arrivé quelques instants auparavant. Il était monté sur la locomotive et n’y avait trouvé que le mécanicien qu’il avait interrogé avec une certaine curiosité sur la disparition du chauffeur.

Quelques instants auparavant, il avait dit qu’il retournait chercher un marteau oublié près du tas de charbon, mais son absence était trop longue pour être justifiée.

— Écoutez, dit Juve au mécanicien, après avoir regardé sa montre, vous allez me faire le plaisir d’aller me chercher tout de suite votre camarade.

— Vous n’y pensez pas, monsieur l’ingénieur. Vous savez que les règlements m’interdisent d’abandonner ma machine, sous pression.

— C’est exact, mais n’oubliez pas que vous avez un supérieur à bord. D’ailleurs, je prends l’entière responsabilité de cet ordre.

Le mécanicien partit donc à la recherche de son compagnon.

Juve, resté seul, poussa un soupir de soulagement.

L’absence inopinée du chauffeur lui avait permis d’éloigner le mécanicien.

Si, entre-temps, le chauffeur revenait, Juve l’enverrait aussitôt courir après le mécanicien en lui donnant une indication telle qu’il ne pourrait le rencontrer avant longtemps.

Juve, en effet, tenait à demeurer seul à bord le plus longtemps possible. En policier complet qu’il était, le maniement d’une locomotive n’était pas fait pour l’épouvanter.

Pour l’instant, il était sur des charbons ardents.

Un quart d’heure auparavant, en effet, il avait vu amener au wagon cellulaire le malheureux Jérôme Fandor, entre quatre geôliers. Mais les hommes, après avoir installé leur prisonnier dans la voiture pénitentiaire, s’étaient retirés, laissant l’infortuné pieds et poings liés, sous la simple surveillance d’un jeune soldat qui avait pour mission de le convoyer jusqu’à Pietermaritzburg.

Si le wagon avait été attelé à ce moment-là au tender de la locomotive, Juve n’aurait pas hésité à mettre cette dernière en marche, à s’enfuir dans la campagne, mettant entre lui et la civilisation dix bons kilomètres de régions inhabitées, après quoi rien ne serait plus facile que de faire évader Fandor.

Mais, les hommes d’équipe ne se pressaient pas de venir atteler, et Juve, au fur et à mesure que s’écoulaient les secondes, se sentait perler au front une sueur d’angoisse.

Jamais aussi belle occasion ne se représenterait pour fuir ainsi sans témoin, et sans adversaire.

Juve trépignait littéralement sur la locomotive dont s’échappait l’épaisse fumée blanche qui l’enveloppait comme un nuage.

Juve, pour nourrir son inaction avait chargé le foyer et le charbon ronflait sous la chaudière. Celle-ci, par ses soupapes de trop plein, lâchait une vapeur brûlante au sifflement rauque.

— Bon Dieu, jurait Juve, ces manœuvres arriveront-ils avant le retour du chauffeur et du mécanicien ? Si seulement ce maudit wagon était attelé, nous serions déjà loin.

Le tapage que faisait la locomotive sous pression était tel, d’une part, et Juve était si absorbé dans sa réflexion, de l’autre, que c’est à peine s’il prit connaissance d’une scène étrange qui se déroulait tout à côté.

Mais, un coup de feu tiré à quelques mètres de la locomotive le fit tressaillir soudain.

Le policier se pencha sur la barre d’appui pour regarder ce qui avait pu se produire. Mais, en même temps il sentait la machine démarrer lentement en poussant de gros soupirs, lâchant par sa cheminée une fumée noire chargée d’escarbilles.

Juve se retourna :

Un homme qu’il n’avait pas vu monter avait dû tirer la barre d’acier qui commandait les tiroirs d’admission et cet homme, écroulé devant le foyer regorgeant de charbon, demeurait inerte.

La puissante « Pacific » s’éloignait du wagon cellulaire auquel on aurait dû l’attacher.

Chaque tour de roue qu’elle effectuait la séparait de la prison dans laquelle on avait enfermé Fandor, et que Juve avait si bien combiné depuis quarante-huit heures, d’entraîner dans la campagne derrière la locomotive.

Le policier poussa un juron.

— Nom de Dieu, malédiction, hurla-t-il.

Et, dans un geste impulsif, il empoigna par les épaules le satané chauffeur qui, croyait-il avait eu la malencontreuse idée de faire démarrer la machine.

Juve renversa l’homme, mais à cet instant même il recula stupéfait car il venait d’apercevoir son visage et il l’avait reconnu.

Déjà ils s’étaient jetés dans les bras l’un de l’autre.

— Juve !

— Fandor !

C’étaient en effet Juve et Fandor qui, par le fait des circonstances les plus ahurissantes, se trouvaient réunis sur cette locomotive lancée à toute allure à travers la campagne.

Ainsi les deux amis se retrouvaient. Après s’être pendant des semaines couru l’un après l’autre, ils étaient enfin en présence.

Que s’était-il donc passé ?

***

Tandis que Juve trépignant d’impatience, et seul sur sa locomotive, attendait que les hommes d’équipe vinssent accrocher le wagon cellulaire, où se trouvait Fandor, à la locomotive, voici la série d’épisodes qui s’était déroulée.

Le chauffeur dont l’absence avait paru inexplicable était en effet allé rechercher un marteau oublié dans la réserve à charbon.

Or, comme il venait de retrouver l’outil qui lui était indispensable et, au moment où il se disposait à rejoindre son poste, il avait été lâchement frappé par derrière d’un coup de poignard qui lui avait perforé le poumon.

Le malheureux, vomissant des flots de sang par la bouche et les narines, s’affaissa sur le sol, saupoudré de charbon, sans un mot, sans un geste, foudroyé. Le crime avait été commis avec une adresse, une dextérité inimaginables. Il avait, en outre, été exécuté sans témoin, et le meurtrier, une fois ce forfait accompli, s’était rapidement enfui, laissant son arme plantée entre les deux épaules de sa victime. Cet homme aussitôt avait couru en direction du wagon cellulaire, il avait passé au ras de la locomotive, et après avoir jeté un coup d’œil narquois à Juve qui, toujours sur sa plate-forme ne l’apercevait pas, il s’était introduit dans la voiture où Fandor était seul avec son jeune gardien. Ce dernier, surpris par la brusque irruption de l’inconnu, avait mis l’arme au poing :

— Que voulez-vous ?

Le nouvel arrivant, avec une surprenante rapidité s’était jeté à la gorge du factionnaire, lui avait enserré le cou entre deux mains noueuses et robustes. Le malheureux geôlier était tombé étourdi. Quelques instants plus tard, il mourait étouffé.

L’assassin, alors, s’était redressé, ses yeux brillant d’un éclat étrange, et quiconque l’aurait vu à ce moment, le visage contracté, la bouche mauvaise animée d’un rictus féroce, n’aurait pas manqué de reconnaître le bandit légendaire dont le nom seul fait tressaillir les hommes : Fantômas.

C’était Fantômas, en effet, qui venait de commettre en l’espace de quelques instants ces deux assassinats.

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