La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса) - Сувестр Пьер 32 стр.


— Que faites-vous ici ?

Wilson Drag toisa Teddy.

— Ce serait à moi, répondait-il, de vous demander de quel droit vous hébergiez ici un assassin.

— Un assassin ? Ce n’est pas un assassin.

— C’en est un, Teddy.

— Vous en avez menti.

Wilson pâlit sous l’insulte.

— Teddy, faisait-il d’une voix sifflante, vous m’avez fait traiter de voleur. Aujourd’hui, vous m’accusez de mensonge. Mon devoir d’officier, Teddy, serait de mépriser vos insultes, mais mon devoir d’homme ne me le permet pas. J’ai menti, prétendez-vous ? Je vous réponds, moi : Vous êtes un lâche car chaque fois que j’ai essayé de vous imposer silence, vous m’avez échappé par ruse.

— Un lâche ?

À peine le mot déshonorant était-il prononcé que Teddy, devenu blême à son tour, avait levé sa cravache et, en plein visage, en avait marqué Wilson Drag.

— Misérable, hurla l’officier, tremblant de colère… et portant d’un geste instinctif la main à son sabre… Vous me rendrez raison.

— Avec plaisir, quand vous le voudrez.

— Tout de suite ?

— Oui…

Mais à ce moment, derrière Wilson Drag, une voix hurla soudain :

— Place, lieutenant. Si vous avez envie de croiser le fer, c’est avec moi que vous le croiserez.

Et celui qui se précipitait ainsi pour empêcher qu’un combat singulier n’eût lieu entre Wilson et Teddy, c’était Fandor.

Fandor, gardé à vue par les soldats, mais nullement chargé de liens, venait d’assister à la querelle.

Et Fandor qui, d’abord, s’était contenu pour ne pas aggraver la situation de Teddy, pour ne pas risquer que par un abus d’autorité, Wilson Drag ne l’arrêtât comme il l’avait arrêté lui-même, Fandor à la fin n’avait plus été maître de sa colère.

Laisser Teddy se battre avec Wilson ?

Non.

Fandor ne le pouvait pas.

C’était monstrueux, c’était impossible, il devait l’empêcher, il fallait l’empêcher.

Teddy était une jeune fille. Quel que fût son entraînement aux exercices physiques, elle n’était évidemment pas de taille à se mesurer avec Wilson.

Laisser ce duel avoir lieu, c’était se faire le complice d’un assassinat. Aussi Fandor avait-il merveilleusement calculé son affaire…

Il avait, quelques minutes, feint l’indifférence pour mieux duper ses gardiens.

Puis, comme Wilson Drag tirait son sabre, comme Teddy se précipitait sur un des soldats pour lui demander le sien et pouvoir, à armes égales, lutter contre le lieutenant, Fandor avait bondi en avant.

Et si vif avait été son mouvement, si rapide avait été sa fuite qu’il était maintenant bien impossible aux soldats de tirer sur lui car, entre eux et lui se trouvait Wilson.

— Lâche, continuait Fandor, vous êtes le dernier des lâches d’oser provoquer un enfant, un gamin de dix-huit ans. Si vous voulez vous battre, c’est à un homme qu’il faut vous en prendre, c’est à moi.

Mais Fandor avait compté sans son hôte.

— Me battre avec vous, Jérôme Fandor ? demanda Wilson Drag. Allons donc, vous n’y songez pas.

— Vous refusez ?

— Je n’ai même pas à refuser.

— Vous vous déshonorez.

— Vous vous rappelez. Monsieur Fandor, votre partie de baccara ? Comme disait l’ami Teddy : On ne se bat pas avec un homme accusé de vol. Vous êtes arrêté, je viens de vous arrêter. Je vous accuse d’avoir mis à mort le noir Jupiter. Je ne me bats pas avec un assassin, moi.

Fandor, blême, les traits décomposés, grinçant des dents, cria :

— Vous n’êtes qu’un lâche. Vous ne pouvez pas vous battre avec Teddy.

Mais, Teddy lui-même lui coupait la parole :

— Parbleu, lieutenant Wilson Drag, cria Teddy, interrompant Fandor, en voilà assez. Si vous n’avez pas peur, allons-y.

Fandor, une fois encore voulut empêcher le duel. Il se jeta entre les combattants.

— Non, Teddy, non, pas cela.

Teddy l’écarta et, rudement :

— Allons, lieutenant, qu’attendez-vous donc pour faire emmener cet homme à l’écart ?

— Soldats, emmenez le prisonnier. Emmenez-le jusqu’à Durban. Je vais vous rejoindre. Le temps de coucher sur l’herbe ce gamin qui m’a insulté.

Les soldats se précipitèrent sur Fandor. Que pouvait le journaliste ? Ils étaient vingt contre lui. Fandor se sentait arraché, bousculé. Des coups l’étourdirent à moitié, les hommes de Wilson Drag l’entraînaient.

Teddy, demeuré seul en face de Wilson Drag, le sabre haut, le visage impassible, attendait l’attaque du lieutenant.

***

— Garde à vous, cria le lieutenant.

— Vive Dieu, répondit Teddy.

Les sabres étincelèrent, se heurtèrent avec fracas, mais tandis que le lieutenant Wilson Drag supportait sans fléchir le choc de Teddy, la jeune fille, elle, était à demi ébranlée par la violence du coup de son adversaire…

Wilson Drag en profita :

Dédaignant le coup de revers, il pointa.

Comme le lieutenant Wilson Drag pointait en se fendant large, Teddy eut le temps de parer…

La lame du lieutenant rencontrant la lame de Teddy glissa et si large s’était fendu l’officier, que la coquille de son sabre vint heurter la coquille du sabre de Teddy.

Les adversaires étaient épaule contre épaule maintenant, au corps à corps. Déjà le lieutenant se dégageait, relevait son arme, s’apprêtait à tailler d’estoc. Teddy allait expier la folle témérité qui l’avait poussée à accepter un combat au sabre…

Mais soudain, Teddy lâcha son arme d’un mouvement instinctif, joignit les mains, cependant que de sa poitrine un cri désespéré s’échappait :

 Au moment où Wilson Drag levait sa latte, prêt à en assener un coup mortel à Teddy, un homme derrière lui avait bondi.

Dans la main de ce nouvel arrivant quelque chose avait scintillé une seconde. Le bras de l’homme s’était levé puis abaissé avec une folle rapidité.

Wilson Drag s’écroula sans un cri, tué raide d’un coup de poignard entre les deux épaules.

Teddy qui n’avait pas eu le temps d’intervenir, qui n’avait pu prévenir cet assassinat, Teddy qui eût cent fois préféré la mort à la fin déshonorante qu’on imposait à son duel, cria :

— Assassin.

Et la jeune fille, dans un geste de fière révolte, déjà portait la main à sa ceinture, saisissait son revolver, prête à abattre le meurtrier de Wilson Drag.

Mais Teddy n’achevait pas son geste.

Son revolver, elle le laissa à sa ceinture.

Un sanglot gonflait sa gorge, un vertige la prit qui la fit s’écrouler sur le sol :

— Vous, disait-elle, vous, Fantômas.

Et l’homme qui venait de lui sauver la vie répondit :

— Oui, moi, moi, ton père…

***

Quand Fantômas, quelques heures avant, s’était échappé de l’ossuaire en criant à Juve : « Vous avez sauvé ma fille, merci. » Teddy avait compris l’horrible secret de son existence. Elle, qui tant de fois s’était demandé pourquoi Laetitia l’obligeait à passer pour un garçon, pourquoi Laetitia craignait par-dessus tout qu’elle sût le nom de son père, pourquoi Laetitia à maintes reprises avait tremblé au seul nom de Fantômas, elle apprenait qu’elle était la fille de l’Empereur du Crime.

Et elle l’apprenait au moment où elle venait d’assister au meurtre de Hans Elders, lâchement abattu par le bandit.

Et elle l’apprenait au moment où elle-même avait été sur le point de faire feu sur lui, ne se doutant pas qu’il était son père, et alors que lui, ce père, l’accusait d’un crime sans se douter qu’elle était sa fille.

Et maintenant, voici qu’à nouveau ce père était devant elle.

Voici qu’elle était en présence de Fantômas, voici qu’elle venait de lui voir commettre un nouvel assassinat.

Elle pouvait abattre le forban, elle hésitait, elle se rendait compte qu’un tel acte de sa part eût été le plus abominable forfait.

Tout le monde avait le droit, le devoir même de tuer Fantômas, mais Fantômas, pour elle, était sacré parce qu’il était son père.

Teddy, écroulée sur le sol, à genoux près du cadavre de Wilson Drag, répéta, comme hallucinée :

— Vous, vous, Fantômas.

— Écoute, c’est pour toi ce que j’ai fait. Je te dois des explications, je te les promets, tu sauras tout et tu me pardonneras.

Des lèvres blanches de Teddy, un seul mot siffla :

— Jamais.

— Tu m’aimeras, répéta-t-il… tu m’aimeras, Hélène… quand tu sauras… quand tu sauras… et tu sauras bientôt… demain… dans deux jours, peut-être… Maintenant, il faut que je me cache, il faut que je disparaisse, on me suit, on me poursuit… adieu… au revoir.

Teddy, ou plutôt Hélène, demeura immobile, écroulée sur le sol, tandis que Fantômas s’enfuyait à grands pas.

***

Il faisait un temps clair.

Dans le ciel pur, le soleil allumait la féerie de ses rayons scintillants, des oiseaux chantaient. La brise avait des douceurs de caresse, des griseries de parfums. Teddy bientôt se releva.

Mais ce n’était plus à Fantômas, à ce père qui l’aimait et qu’elle ne pouvait aimer que Teddy songeait.

— Fandor, où est Fandor ? murmurait la jeune fille, ah, sur mon âme, je le retrouverai, je le sauverai.

29 – MONSIEUR JUVE, INGÉNIEUR

Exténué, Juve ne s’en rendait pas moins à Durban.

Le policier avait assisté à l’assassinat de Hans Elders par Fantômas.

Qui était Elders ? Quels étaient les liens qui l’unissaient au Maître du Crime ? Juve se réservait de faire toute la lumière à ce sujet dans la suite de son enquête.

Mais le policier se préoccupait surtout de retrouver son cher Fandor.

Comme Juve pénétrait dans l’intérieur de la ville, son attention fut attirée par le grand concours de population qui s’empressait autour des soldats.

Juve, instinctivement, se mêla aux rangs de la foule hurlante, et habile comme personne à se glisser dans les encombrements, à triompher des barrages les plus sévères, il réussit à rejoindre l’escouade de militaires qui, au pas cadencé, traversait la ville baïonnette au canon.

Que signifiait ce déploiement de force armée ?

À chaque instants les soldats devaient, à coups de crosse appliqués sur les tibias et les épaules, faire reculer les curieux.

— En prison ! À mort ! criait-on.

Les militaires encadraient un prisonnier chargé de chaînes et les menottes aux mains.

— Cela vous en donne du mal, pas vrai, interrogea-t-il, tout ce monde qui grouille autour de vous ?

— Oui, dit le sergent, ils sont bien embêtants, mais malgré tout, on les comprend, on les approuve.

— Ah ?

— Oui, fit le sergent, il n’y a pas comme ces étrangers pour savoir faire les mauvais coups.

Soudain, par suite d’un léger désordre dans les rangs des soldats, provoqué par les remous de la foule, Juve aperçut le visage du prisonnier.

L’homme que la force armée défendait contre la foule n’était autre que Jérôme Fandor.

Réprimant son émotion, Juve revint auprès du sergent et le questionna avec un air de parfaite indifférence :

— Mais qu’a-t-il fait, cet homme ? pourquoi l’emmène-t-on en prison ?

— Ah, c’est bien simple, expliqua le sous-officier, c’est lui, qui, voici quinze jours à peine, après avoir volé l’argent du noir Jupiter – vous savez bien, le grand champion de boxe –, l’a fait prendre pour l’assassin d’une vieille femme et a ameuté la foule contre lui. À la tête d’une bande d’énergumènes arrêtés depuis longtemps d’ailleurs, cet étranger a tué le noir, en plein théâtre, avec un raffinement de férocité inouïe.

— Et que va-t-on faire maintenant ?

Le sergent sourit :

— Oh, son affaire est claire, nous le conduisons à la prison… Dans deux ou trois jours il sera transféré à la Prison centrale de Pietermaritzburg, puis il sera jugé par la Cour suprême.

— Et condamné sans doute ?

— Sûrement condamné, et condamné à mort. Les populations sont très montées et les magistrats se montreront sévères, car il faut un exemple. De tous côtés on n’entend parler que de crimes, d’assassinats, de vols. Depuis qu’une bande d’étrangers rôde dans notre voisinage, le pays est complètement bouleversé.

***

— Monsieur…

— Monsieur ?

— Je voudrais parler, monsieur, à l’ingénieur en chef ?

— À quel ingénieur en chef, monsieur ? Il y en a plusieurs.

— Alors, monsieur, au chef des ingénieurs en chef.

— Il n’y en a pas, monsieur, chaque ingénieur en chef est chef suprême de son service.

— Celui que je désire voir est l’ingénieur en chef de la traction.

— Alors, monsieur, il faut vous adresser au deuxième étage, couloir B, 27e bureau.

— Je vous remercie, monsieur…

— Il n’y a pas de quoi, monsieur…

Cette conversation avait lieu entre un visiteur et un employé du Great Central Railway, la plus importante des compagnies de chemins de fer desservant le Natal, au siège de cette Société, à Pietermaritzburg, dans un grand bâtiment où étaient aménagés les bureaux.

Le visiteur, suivant ponctuellement les instructions qui lui étaient données, arriva au bureau 27, au fond du couloir B, au deuxième étage.

Il frappa à un guichet :

— M. l’ingénieur en chef de la traction ?

— M. Mullerstone, déclara l’employé, c’est ici, en effet.

— Bien, monsieur, puis-je le voir ?

— Non, monsieur, il est absent.

— Pour longtemps ?

— On ne sait jamais, monsieur, mais il est probable que M. l’Ingénieur en chef ne reprendra pas son service avant quelques jours, car on le dit souffrant.

— Je croyais, dit le visiteur, que M. Mullerstone devait se rendre demain à Durban, pour faire une inspection du dépôt des locomotives ?

L’employé, intrigué de voir son interlocuteur si au courant des services intérieurs de la Compagnie, prit un air aimable pour répondre.

Sans doute ce personnage était un inspecteur ou quelque fonctionnaire du Great Central, que ne connaissait pas l’employé du bureau.

— Vous savez bien, monsieur, que les instructions ne seront pas changées pour cela, les visites des ingénieurs ne sont jamais décommandées, même lorsque ces messieurs ne les font pas. Cela tient le personnel en éveil, car il redoute sans cesse d’être surpris à l’improviste. D’ailleurs, il se peut que M. Mullerstone soit assez bien portant pour se rendre à Durban dès demain.

— Je voudrais en acquérir la certitude, savoir exactement ce que fera M. l’inspecteur en chef ?

— Cela, monsieur, fit-il, je ne puis vous le dire, et je ne vois guère qu’un moyen pour vous renseigner. Si vous avez un titre ou une qualité qui vous autorise à vous présenter au domicile de M. l’ingénieur, faites-le donc, on pourra vous y renseigner mieux que personne ne peut le faire ici.

Quelques instants après, le visiteur qui s’était procuré l’adresse du haut fonctionnaire dans un annuaire que lui prêta un garçon de bureau obligeant, sauta dans une voiture et gagna le domicile de l’ingénieur en chef.

M. Mullerstone habitait dans la partie la plus élégante de la ville, une jolie propriété entourée d’un jardin.

Le visiteur sonna à la grille et entra après une longue conversation avec le valet de chambre, dont il délia la langue au moyen d’un généreux pourboire.

Le médecin sortait de la maison, et M. Mullerstone, selon le domestique, en avait encore pour une bonne semaine à garder la chambre.

Le visiteur se retira aussitôt, se fit conduire à la gare et prit le premier train en partance pour Durban.

***

Le lendemain matin, une animation exceptionnelle régnait au dépôt des locomotives de la gare de Durban où l’on attendait la visite de l’ingénieur en chef annoncée depuis une huitaine de jours.

Sa visite allait avoir, en effet, des conséquences intéressantes pour les employés de la Compagnie, car M. l’ingénieur en chef devait attribuer, à l’issue de sa visite, les notes trimestrielles du personnel de la traction, à la suite desquelles on déciderait les augmentations de traitement, les avancements au choix, les mises à la retraite.

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