— Qui me parle ? qui est là ?
Fandor était tourné sur le flanc, et voyait en face de lui le second lit de sa chambre, lit demeuré inoccupé…
Or dans ce lit, voici qu’il lui sembla qu’une forme s’agitait lentement…
Et il n’était pas victime d’une illusion…
Et il ne se trompait pas…
Il entendait ces mots, dits à voix basse :
— Ne faites pas de bruit, prenez garde, celui qui vous parle, c’est un ami, c’est moi, c’est Teddy.
— Teddy, vous ici, comment êtes-vous là ?
— Je vous conterai cela plus tard, la complicité d’un gardien m’a permis d’entrer au Lunatic, je m’y suis caché toute cette après-midi, ce soir je me suis glissé dans ce lit…
— Mais que voulez-vous ?
Des draps du lit voisin qui tout à l’heure encore semblait vide, la figure énergique et fine du jeune homme émergeait.
Teddy souriait :
— Ce que je veux ? Parbleu, j’étais venu pour vous aider à fuir.
— Ah… pour Dieu, faites vite, alors.
Teddy, avec précaution s’était levé, il traversa la pièce, il vint s’asseoir près de Fandor, sur le bord du lit du journaliste…
— Oui, n’est-ce pas. C’est horrible ici ?
— Horrible,…pourtant il faut que je vous remercie… si l’autre jour dans les docks, vous n’aviez pas songé à dire que j’étais fou, j’étais fichu…
La main de Teddy s’appuya sur la bouche de Fandor, le jeune homme haussa les épaules :
— Il s’agit bien de cela, si je vous ai sauvé, vous m’aviez sauvé. Nous sommes quittes ; ne perdons pas de temps… Dites-moi, plutôt, avez-vous une idée sur la façon dont nous pourrions sortir d’ici ?
— Oui, si vous pouvez me détacher.
Déjà Teddy s’était jeté à genoux et cherchait sous la couche de Fandor l’endroit où aboutissaient les liens du jeune homme…
— Oh, monsieur Fandor, déclara-t-il : c’est enfantin… tenez, vous voilà libre.
Teddy avait tiré de sa poche un long coutelas à lame effilée et il en tranchait les liens de cuir.
— Voilà, mais cela ne nous avance pas car…
— Si, si, dit Fandor qui se levait, vous allez voir… dans dix minutes, nous serons dehors…
— Et les barreaux ?
— Les barreaux, les barreaux on s’en moque. Voyez plutôt…
Fandor venait d’empoigner l’une des barres qui grillait sa fenêtre et, sans effort, la faisant glisser, la déplaçant, finit par l’arracher à l’encadrement de la fenêtre…
— Comment avez-vous arraché ce barreau de fer ?
— Ce barreau de fer est en bois, regardez.
Le barreau, en effet, était en bois.
Mais comment avait-il fait cette sensationnelle découverte ?
Fandor s’était dit :
— Si Georges est innocent du vol de mon crâne, c’est que le vol a été commis par quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre n’a pu entrer que par la fenêtre, la fenêtre est grillée de barreaux de fer, donc, si quelqu’un a passé malgré ces barreaux, c’est que l’un de ces barreaux, au moins, est coupé…
Non, tous les barreaux étaient intacts…
— Alors, avait songé le journaliste, c’est que l’un de ces barreaux est truqué…
Le journaliste frémissait. Non, il ne pouvait se faire d’illusion, les cinq barreaux étaient bien réellement en fer. Il sentait le froid du métal sur chacun d’eux, il les voyait tous les cinq couverts de rouille…
Alors Fandor d’une chiquenaude avait ausculté les cinq barres, et voilà que l’une de ces barres avait rendu un son bizarre…
— Ah ! parbleu, avait songé le journaliste, la ruse est admirable ! quatre des barreaux sont véritablement en fer et le cinquième, ce cinquième qui sonne creux, c’est un barreau de bois, mais un barreau en bois qu’un esprit infernal a, pour mieux donner le change, songé à recouvrir d’une mince pellicule de métal, probablement appliquée par un procédé de galvanoplastie.
Et c’est pourquoi Jérôme Fandor s’était laissé attacher sur son lit en souriant.
— Un jour ou l’autre, songeait-il, les infirmiers me boucleront mal, et ce jour-là je n’aurai pour m’évader qu’à arracher ce barreau de bois, qui tient à peine, puisqu’il ne tient que par son élasticité, pour, de ma fenêtre, gagner les toits, des toits sauter dans la campagne, rattraper ma liberté, m’enfuir, comme s’est enfui mon voleur de crâne.
— Maintenant, dit Teddy, c’est un jeu de nous en aller.
— Oh ! un jeu, en effet, répondit Fandor qui, déjà s’apprêtait à se laisser glisser le long d’un tuyau de gouttière, aboutissant à l’un des terrains vagues entourant l’asile.
Teddy pourtant le retenait :
Une hésitation passait sur le visage sympathique du jeune garçon :
— Mais dites-moi, fit-il, vous ne prenez pas le… le crâne ?
— Non, répondit le journaliste en commençant une vertigineuse manœuvre de gymnastique qui lui permettait de sauter sur le chapiteau d’un mur voisin – chemin d’évasion encore préférable au tuyau de gouttière peu solide – non !… non !… je ne prends pas le crâne, Teddy, parce qu’on me l’a volé… On me l’a volé. Quelqu’un que je ne connais pas, quelqu’un que vous devez connaître sans doute… et qui est passé précisément par le chemin que nous suivons en ce moment…
Teddy ne répondit rien.
Il était suspendu dans le vide, se retenant d’une seule main, accomplissant de formidables prouesses de gymnastique, suivant Fandor, l’aidant souvent… Ce n’était plus le moment de causer, il fallait fuir l’asile, le fuir aussi vite que possible.
Le jour pointait…
Une heure plus tard, Fandor et Teddy se laissaient tomber sur un talus herbeux. Il faisait jour.
— Le crâne ? demanda Teddy, vous m’avez dit qu’on vous l’avait volé ?
— Oui, Teddy… oui.
— Pourquoi l’aviez-vous pris ? pourquoi avez-vous été le chercher dans l’incendie ?
Fandor hésita un instant à répondre. Puis il avoua :
— Ma foi, par le plus grand des hasards et sans me douter qu’il pouvait vous intéresser… Je croyais Fantômas à mes trousses, cette trouvaille étrange m’incitait à croire à quelque nouvelle manifestation du bandit.
Fandor, presque sans réticence, parla : Et tandis qu’il faisait à son jeune compagnon un récit succinct, mais clair des aventures qui l’avaient conduit au Natal, Teddy, la mine grave, l’air soucieux, l’écoutait hochant la tête :
— Fantômas, dit-il enfin, comme Fandor se taisait, quelle figure tragique et sinistre. Ah, monsieur Jérôme Fandor, comme cela fait peur de vous en entendre parler.
Puis, après un petit silence, Teddy ajouta :
— Mais vous devez vous demander pourquoi moi aussi je tenais tant à ces ossements ? Je ne saurais trop vous le dire. Je ne sais même pas qui je suis… oh ! ne soyez pas surpris, il paraît que je suis un enfant de la région sauvé au moment de la guerre. J’ai été élevé par une vieille femme que j’aime comme une mère. Si vous m’avez vu tenter de dérober ce coffret à l’incendie, c’est que ce coffret était gardé par ma nourrice qui semblait y attacher un grand prix. Or, il y a quelques jours j’ai appris qu’il avait été volé, j’en ai retrouvé la trace, j’allais le dénicher dans les ballots des Docks, mais sur mon honneur, je vous jure que j’ignorais alors son contenu.
La déclaration du jeune homme était invraisemblable, extraordinaire, mais Teddy reprenait déjà :
— Tout cela est mystérieux. Vous cherchez vous, monsieur Fandor, à rattraper le bandit Fantômas, je cherche, moi, d’abord à connaître le secret de ma vie, ensuite à me venger des terribles ennemis qui, je le devine, gravitent dans l’ombre autour de moi. Mes ennemis, Fantômas. Tenez, après ce que vous venez de me dire, je me demande si les uns et les autres ne sont pas complices ? Ils sont peut-être ligués contre nous ? Monsieur Fandor, voulez-vous qu’en revanche, nous, nous allions contre eux ?
Ah, cette fois la physionomie de Fandor s’éclaira largement.
Fandor lui tendit la main :
— J’accepte de grand cœur.
Mais Teddy était devenu soucieux.
— Dites, demandait-il, il y a quelque chose à quoi je ne songeais pas, avez-vous de l’argent ? Voulez-vous…
— Non, non, dit-il, mon cher Teddy, je ne veux rien de vous. Si, pourtant, pouvez-vous me faire trouver un emploi ?
Le visage de Teddy s’éclaira à son tour :
— Écoutez, vous refusez de l’argent, je le comprends, mais faites-moi un plaisir. Ici, au Natal, être armé est une nécessité, prenez ce revolver en souvenir de moi. Je vous le donne bien volontiers et de grand cœur, et quand à ce qui est d’un emploi, j’ai une idée. Il y a près d’ici une usine, une chercherie de diamants. Elle appartient à un certain Hans Elders, individu des plus suspects. Voulez-vous que je vous fasse entrer chez lui comme manœuvre ?… Ce sera dur pour vous, mais ce sera sans doute utile… Voulez-vous ?
— Parbleu !
7 – SORTIE DU TOMBEAU
Dans la nuit du 18 au 19 juin, le silence du grand cimetière situé au nord-est de la capitale britannique fut troublé par des bruits de pas, d’étranges allées et venues.
Une ombre avançait sous les cyprès du chemin entre les pierres tombales.
Ayant traversé la moitié à peu près de la nécropole sous son voile nocturne, l’ombre, celle d’une femme, apparemment, se trouva soudain en présence de plusieurs caveaux surmontés les uns et les autres d’une construction en forme de temple. Son visage qui, à ce moment se trouvait éclairé par la lune, était affreusement pâle.
Puis l’ombre essaya d’entrebâiller de ses mains délicates la grille d’un caveau qu’elle devait croire ouvert. Mais la grille était fermée par une lourde serrure. Sans s’épuiser en efforts inutiles, ayant émoussé les menus outils sur lesquels, sans doute, elle comptait, la jeune femme au comble de l’émoi se laissa choir sur le gazon, en proie au désespoir.
Convaincue de l’inanité de ses efforts, elle se tordit les bras. Des sanglots lui montèrent à la gorge.
Mais à quoi bon crier ? pourquoi aurait-elle appelé ?
Les morts dans les cimetières n’entendent pas, et la grande dame était seule certainement.
Aucun bruit ne venait troubler le silence.
Réagissant contre sa prostration première, la femme mystérieuse, dans un suprême effort de volonté, tenta encore d’ébranler la grille qui la séparait de l’intérieur du caveau d’où montait un courant d’air glacial.
— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit-elle, que devenir ? que faire ?
Ses doigts s’ensanglantaient, la grille ne s’ouvrait toujours pas.
Soudain, elle s’arrêta. On avait marché.
Qui donc, pouvait errer comme elle, dans ce cimetière à cette heure de la nuit ?
Une silhouette se profila le long des tombes, celle d’un homme armé d’une pioche.
La dame blonde l’aperçut avant d’être découverte par lui.
Mais l’homme, cependant, devait se douter de quelque chose d’anormal. Tout en marchant, il regardait autour de lui, semblait scruter l’ombre, jeter des coups d’œil inquisiteurs dans les massifs de fusains, sous l’ombrage des cyprès autour des sépultures.
La dame anéantie, et soupçonnant peut-être que ce nouveau venu allait lui apporter un secours inespéré, n’essaya pas de se dissimuler.
L’homme, lorsqu’il l’aperçut enfin, eut un soubresaut et s’arrêta sans rien dire en face d’elle, stupéfait.
Il portait un vêtement à boutons de métal et galons d’argent.
Lorsqu’il eut suffisamment regardé l’inconnue, l’homme l’interrogea :
— Pardieu, madame, je suis fort étonné de vous trouver ici, et, comme je n’ai pas l’honneur de vous connaître, je serais très heureux de savoir qui vous êtes ? Vous n’ignorez pas que les règlements de la municipalité interdisent à toute personne étrangère à l’Administration du cimetière, de pénétrer dans ce lieu en dehors des heures régulières de visite. Mon devoir est de vous conduire au poste de police où vous vous expliquerez…
La dame s’était relevée.
C’était assurément une excellente comédienne, car, dissimulant son émotion, refoulant ses larmes, elle avait pris l’air à la fois suppliant et aimable pour répondre au fossoyeur :
— Pardonnez-moi, monsieur, murmurait-elle, et ne m’accablez pas… Hélas, je sais que je suis coupable… mais il y a à toute faute des excuses et je suis sûre que, lorsque je me serai expliquée, vous reviendrez sur votre décision de me conduire au poste de police… Je suis une femme du monde bien malheureuse, et j’aimerais mieux mourir.
— Il ne s’agit pas, madame, de mourir, mais bien de me fournir les explications qui, certainement, justifieront votre présence.
— Cette grille, dit la dame, est fermée à clef. Pourquoi ne peut-on pas l’ouvrir ?
— Elle est fermée à clef, en effet, madame, des cercueils y ont été déposés hier et cet après-midi encore.
— Je sais bien, répondit-elle, c’est pour cela justement que je suis venue, c’est pour cela que je me désespère.
— Pourquoi donc, madame ?
À mots précipités, hachant ses phrases, se rapprochant de plus en plus du fossoyeur, comme si elle voulait le convaincre en l’hypnotisant de son regard étincelant, la grande dame parla tout d’un trait :
— Le dernier cercueil que l’on a descendu dans ce caveau est celui d’un parent, d’un ami… d’un être que j’aime… que j’aimais plus que tout au monde. Une erreur effroyable a été commise… on a enfermé dans cette bière un document de la plus haute importance, et… tenez… j’aime mieux tout vous avouer, car je veux croire que vous allez m’aider, j’étais venue dans l’intention d’ouvrir cette bière et d’y prendre le document.
L’homme haussa les épaules.
— C’est impossible.
— Oh ! ne me dites pas ça, s’écria-t-elle, ce serait vouloir ma mort, ce serait provoquer le drame le plus affreux qu’il soit possible d’imaginer. Je vous en prie, monsieur, puisque la chose est en votre pouvoir, ouvrez cette grille, ouvrons ce cercueil.
— C’est absolument interdit, fit observer l’homme, interdit par l’Administration. Quiconque enfreindrait cet ordre serait puni.
À ces paroles peu encourageantes, la grande dame eut cependant un léger sourire de triomphe.
Discrètement, elle tira de son réticule, un petit portefeuille qu’elle glissa presque de force dans la main du fossoyeur.
— Je vous jure, dit-elle, que nul n’en saura rien… nous aurons vite fait… au nom du Ciel aidez-moi.
Une lutte poignante devait s’être engagée dans la conscience du fonctionnaire.
Certes, ce que lui demandait cette femme était étrange, anormal, non pas impossible comme il l’avait dit. Rien ne lui était plus simple, en effet, que d’ouvrir la grille du caveau, que de descendre les quelques marches qui conduisaient à la crypte pour aller ouvrir le cercueil.
Mieux que personne, le fossoyeur savait que le cimetière était désert, que nul ne viendrait les surprendre.
Il était honnête homme et respectueux de la consigne, mais il n’était pas riche certes, et chargé de famille.
Cette personne appartenait sûrement au grand monde et ce qu’elle disait devait être vrai, et le fossoyeur savait par expérience que ce n’est pas par pure curiosité ou simple gaieté de cœur que l’on désire faire ouvrir un cercueil.
Après de longues hésitations, cédant enfin aux objurgations de plus en plus vives de son interlocutrice, le fossoyeur acquiesça.
La grille s’ouvrit, l’homme et la femme descendirent doucement dans le caveau glacial éclairé par la lune.
Il y avait là plusieurs cercueils rangés les uns à côté des autres, attendant leur inhumation définitive.
Une grande bière, sur le couvercle de laquelle était fixée une plaque de métal portant cette simple inscription :
Tom Bob
retint l’attention de la dame blonde.
Elle désigna du doigt le cercueil au fossoyeur.
Celui-ci, résolu à tenir sa promesse jusqu’au bout, avec une dextérité de professionnel, enleva de la pointe de son couteau les vis à peine enfoncées du couvercle de chêne. Le couvercle se rabattit bientôt. Le mort apparut.
C’était un homme d’une quarantaine d’années, au visage calme et reposé, au cheveu rare, argenté sur les tempes. Il paraissait dormir et ses membres n’avaient même pas la rigidité habituelle des cadavres.