Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса) - Сувестр Пьер 8 стр.


C’était Fantômas qui, sans aucun doute, avait subtilisé le bijou, mais pourquoi ?

D’ailleurs, que faisait-il là ? Pourquoi s’était-il introduit dans le dépôt mortuaire ? Au risque de se faire surprendre. Ce qui, d’ailleurs, avait failli arriver, car, à un moment donné, le père Teulard et Barnabé avaient entendu du bruit. Au cas où leur émotion eût été moindre, ils auraient certainement, en cherchant dans le réduit obscur qui avoisinait la salle du dépôt, découvert celui qui s’y dissimulait ainsi.

Fantômas, toutefois, monologuait à mi-voix, tant il semblait satisfait de la scène dont il venait d’être le témoin :

— C’est parfait, murmurait-il. Dire que ces imbéciles de fossoyeurs ont failli tout gâter. Ma parole, je les aurais tués s’ils avaient donné suite à leur projet de tout déclarer au commissaire des morts. Il est vrai, que l’on serait arrivé plus rapidement à la solution. Mais cela m’aurait fort gêné pour agir, car je ne suis pas encore prêt. Non, mieux vaut que les choses se soient passées ainsi.

Un éclair de joie illuminait les yeux du bandit :

— L’essentiel, ajouta-t-il, c’est que je sache ce que je sais. Or, je viens d’apprendre un fait indiscutable : c’est que le cercueil qui devait contenir Mercédès de Gandia ne contient pas de cadavre. On a donc simulé la mort de la nièce de l’infant et, si celle-ci est encore vivante, comme tout permet de le supposer, don Eugenio n’hérite pas de son immense fortune. C’est ce qu’il fallait savoir en premier lieu, c’est ce qu’il importera désormais de démontrer. Oh, oh, ma cause est bonne et je la gagnerai.

Fantômas se rapprocha de la porte du dépôt mortuaire, s’assura d’abord que personne n’en surveillait les abords et, certain désormais d’en sortir inaperçu, il prit la fuite à travers le cimetière.

7 – BONJOUR FANTÔMAS

— C’est tout de même bougrement désagréable de se promener tout nu vers deux heures du matin dans le quartier de Grenelle.

Fandor, la rafle passée et momentanément délivré du souci des apaches, avançait en prenant de grandes précautions le long des rues désertes du sinistre quartier. Il pestait, maugréait, était réellement furieux, car il avait beau chercher, le hasard ne lui faisait rencontrer aucun fiacre, aucun véhicule susceptible de l’aider à regagner son domicile.

Fandor exagérait d’ailleurs. Il n’était pas tout nu comme il venait de le dire, puisqu’à ses pieds de solides bottines demeuraient, puisqu’il possédait son caleçon, sa chemise, et que son chef s’ornait d’un feutre mou qu’il avait crânement rabattu à la tyrolienne.

— Tout de même, reprenait le journaliste quelques instants plus tard, c’est une drôle d’aventure que la mienne, et je me demande comment cela va finir.

Il faisait de moins en moins chaud à mesure que le jour se levait et ce n’était pas sans inquiétude que Fandor considérait les passants qui, d’abord rares, se multipliaient peu à peu ; la plupart étaient des ouvriers qui se hâtaient vers le chantier.

Fandor, jusqu’alors, avait suivi les rues les plus mal famées de Grenelle, mais il comprenait vite que c’était sans doute pourquoi il n’avait point encore rencontré de fiacre.

— Allons, je me risque, murmura-t-il.

Et, froidement, il se dirigea vers le boulevard.

Malheureusement, Fandor arrivait à quelques mètres de deux sergents de ville qui, mélancoliques, résignés, se promenaient autour d’un îlot de maisons.

À peine avaient-ils eu le temps d’entrevoir la silhouette du malheureux journaliste que les deux gardiens de la paix, sans se consulter, instinctivement se précipitèrent sur lui :

— Dites donc, vous, là-bas, commençait l’agent, le plus ancien, qu’est-ce que vous faites en cet accoutrement ?

Or Fandor perdit la tête. Devant les dignes représentants de l’autorité, il se prit à détaler aussi vite que cela lui était possible.

Si Fandor courait bien, il se trouvait par extraordinaire que les deux agents couraient parfaitement aussi.

— S’ils me pincent, pensait le journaliste, je n’y coupe pas à l’attentat aux mœurs.

Et, sans souci du ridicule de sa situation, Fandor courait, courait, grotesque avec sa chemise qui ballonnait au vent, et l’une de ses jarretières qui, défaite, lui claquait le mollet.

Fandor eût peut-être bien fait dévier la poursuite des deux agents, mais la chance était décidément contre lui : au moment précis où il pensait tourner vers les berges de la Seine et se perdre là dans l’amoncellement des matériaux accumulés vers les péniches, il donnait en plein dans la poitrine de deux autres sergents de ville, qui certes ne songeaient pas à mal.

Fandor, lancé à toute allure, heurtant les deux gardiens de l’ordre, ne put se retenir, il pivota sur lui-même, roula sur la chaussée. Des poignes solides l’immobilisaient. Les autres agents arrivaient, on le passa un peu « à tabac », tout en l’interrogeant :

— Ah çà, mon gaillard, d’où revenez-vous ?

— M’est avis que ce n’est pas une tenue pour se promener dans les rues.

— Sûr et certain que c’est un malfaiteur.

Haletant, épuisé par sa course, pris cependant d’une formidable envie de rire, Fandor voulut expliquer son cas.

— Hé, sapristi, commença-t-il, je suis bien de votre avis, et vous vous imaginez bien que ce n’est pas pour mon plaisir que je me promène ainsi en chemise. Voilà ce qui m’est arrivé.

La jeunesse reprenait le dessus en lui, il éclata de rire, et continua, secoué par des hoquets de gaieté :

— Figurez-vous que j’étais dans un bouge.

Mais au fur et à mesure que Fandor parlait, la face des agents se rembrunissait ; ils le laissaient à loisir se perdre dans des explications détaillées, puis, brusquement :

— Faut l’emmener au poste, dit d’un air paterne le plus vieux sergent de ville, il n’y a pas d’erreur à se faire, c’est un fou.

— Un pauvre, toqué, c’est bien ce que je me suis dit.

Or, Fandor avait à peine ouvert la bouche pour tâcher de se faire reconnaître, d’obtenir au moins qu’on le reconduisît en voiture jusqu’à son domicile, qu’un événement imprévu survenait.

Le long du boulevard, des hommes en tablier blanc accouraient avec de grands gestes. Ils rejoignaient le petit groupe des agents qui entraînaient Fandor, et expliquaient à leur tour :

— Ah, messieurs, quel service vous nous rendez… alors vous l’avez arrêté ? C’est un pauvre fou, nous sommes ses infirmiers.

En même temps, – et Fandor n’était point revenu de son ahurissement –, l’un des soi-disant infirmiers passait derrière le journaliste, lui mettait un bâillon sur la bouche, cependant que des courroies adroitement jetées lui ligotaient les bras, lui serraient les chevilles.

— Je parie que ce sont les apaches qui me rattrapent, se disait Fandor.

Et, immédiatement, songeant que Beaumôme, Bébé, Œil-de-Bœuf, Bec-de-Gaz étaient d’anciens lieutenants de Fantômas, c’était la silhouette de Fantômas que Jérôme Fandor croyait entrevoir devant lui.

N’était-ce pas Fantômas en train de dire aux agents :

— Oui, c’est un pauvre dément, un fils de bonne famille, parfaitement, il s’est échappé par la fenêtre. Ah ! nous avions bien peur. Enfin nous allons nous hâter de le ramener chez lui, ses parents n’ont peut-être rien vu. Comme cela nous garderons notre place.

Un roulement de voiture se fit entendre. Fandor se sentit jeté sur les coussins avec une certaine précaution. Une adresse fut donnée. Il comprit qu’il partait pour un voyage dont il ne reviendrait jamais.

— De deux choses l’une, songeait Fandor, ou je suis réellement aux mains de Fantômas et dans ce cas, je ne donnerai pas cher de ma peau, ou je suis aux mains des apaches et ma foi ma situation n’est guère meilleure.

Mais comme il réfléchissait, soudain, Fandor poussait un hurlement de rage.

À son bras, sous sa chemise que l’on avait relevée, il venait de sentir une piqûre.

— Bon Dieu, pensait-il, je me suis coupé à quelque chose.

Mais bien vite il ne pensa plus. Un engourdissement le prenait, une invincible envie de dormir. Quelque temps il lutta, voulut lutter contre ce sommeil subit, une dernière pensée lui traversa l’esprit :

— Morbleu, on vient de m’injecter un soporifique.

Et puis le sommeil fut victorieux, il ferma les yeux, il perdit connaissance, il ne fut plus conscient de quoi que ce fût.

***

Fandor, quelques heures plus tard, se réveillait avec un fort mal de tête, une terrible courbature. Où était-il ?

Il jeta les yeux autour de lui, regarda l’étrange endroit où il se trouvait, puis soudain se demanda s’il n’était pas fou.

— Bon Dieu de bon Dieu ! jurait Fandor, mais on dirait que je suis dans une boule, et une boule lumineuse. Que diable cela veut-il dire ?

Indistincte et vague, il entendait en même temps une sorte de mélodie lointaine, douce, berceuse. Il eut peur. Ne devenait-il pas fou ?

***

À quatre heures de l’après-midi, Jean, le vieux domestique de Juve, pénétrait dans le cabinet de travail de son maître.

— Si monsieur veut voir, dit-il, en déposant une petite boîte sur le bureau de Juve, on a mis cela tout à l’heure chez la concierge en prévenant que c’était précieux et qu’il fallait y prendre garde.

Le policier, aux paroles de son domestique, semblait faire un violent effort pour s’arracher à sa songerie.

— Donne cette boîte, demandait-il, quelque chose de précieux ? est-ce que j’attends quelque chose de précieux ?

C’était une petite boîte en bois, comme celles dont se servent habituellement les joailliers. Juve fit sauter les cachets de cire, timbrés d’un indéchiffrable cachet, rompit les ficelles et puis, enfin, arriva au couvercle de bois, fermé par un petit crochet.

Or, Juve n’avait pas ouvert cette boîte, n’avait pas soulevé ce couvercle qu’une rauque exclamation d’horreur s’échappait de ses lèvres, cependant que la boîte glissait de ses mains prises d’un effroyable tremblement.

Sur le tapis du cabinet de travail, aux pieds de Juve, la boîte s’était renversée. Il en tomba une carte de visite sur laquelle était gravé le nom de Fantômas, il en tomba un peu de sciure, il en tomba une oreille humaine, une oreille encore toute sanglante, une oreille qui avait été tranchée, semblait-il, d’un coup de rasoir.

— Fandor, gémit Juve. Ah, le malheureux. Ah, ma vie, mon sang, pour l’arracher des mains de Fantômas !

***

— Les « ceusses » qui aiment aller au théâtre avec des billets de faveur, l’innombrable clique des Russes qui ne payent pas devraient bien venir me remplacer ici. Ah, j’en ai marre de mon logement. À force d’être dans la boule, c’est la boule que je perds, bougre de nom d’un chien, c’est une torture chinoise. Sans compter que j’ai tout ce qu’il y a de plus la persuasion que je m’en vais crever de faim là-dedans et tomber rapidement à l’état de squelette. Voilà bien sept heures que j’y suis dans cette maudite boule.

Fandor n’était pas fou.

Fandor qui, dans toutes ses phrases, tempêtant, rageant, parlait de boule, allant même jusqu’à croire, en un langage rude mais explicite, qu’il avait « perdu la boule », Fandor était parfaitement raisonnable.

Lorsque le malheureux journaliste, après son extraordinaire enlèvement, s’était réveillé, il avait pu se croire insensé, en s’apercevant ou en croyant s’apercevoir à l’intérieur d’une boule. C’était là une chose si surprenante, surtout en raison de la luminosité qui semblait environner la boule dans laquelle il croyait être, qu’il pouvait, à bon droit, douter du témoignage de ses sens.

Mais, petit à petit, Fandor avait retrouvé son sang-froid ; petit à petit il s’était persuadé qu’il voyait bien réellement ce qu’il pensait voir et que ce n’était pas une illusion, qu’il était bien à l’intérieur d’une boule.

Le plancher sur lequel il s’appuyait s’incurvait en un cercle parfait, les murs étaient courbes aussi. Courbe était le plafond et si son cachot était étroit, petit au point qu’il ne pouvait s’y lever, sa forme était indiscutablement celle d’une boule.

Fandor s’étant convaincu de la chose n’avait naturellement qu’un désir : identifier au plus vite quelle pouvait être la sphère à l’intérieur de laquelle Fantômas l’avait précipité.

Fandor, heureusement, avait si bien l’habitude de considérer sa vie comme une chose perpétuellement en jeu et jamais assurée qu’il ne désespéra pas. C’est posément, avec le plus parfait sang-froid qu’il cherchait à comprendre où il se trouvait et cela en usant d’une méthode rigoureusement logique.

— Étant donné que je suis à l’intérieur d’une boule, et d’une boule lumineuse, se déclara-t-il, où suis-je ? Il est évident que je ne peux pas sortir, et non moins évident que…

Mais, à cet endroit de son raisonnement, il s’interrompit :

— Ventre du diable. Crédibisèque, vertu de concierge. Je reconnais le couplet !

Et, de sa voix déplorablement fausse, Fandor acheva l’air alors à la mode. Que s’était-il passé ?

En prêtant l’oreille, Fandor venait tout simplement d’entendre dans le lointain un bruit d’orchestre, des chants, des chœurs.

Et il n’en avait pas fallu plus au subtil journaliste pour deviner quelle était sa prison.

— Miséricorde, jura Fandor, partagé entre le rire et les larmes, je suis foutu, mais je suis foutu d’une façon originale. Je parierai mille francs contre un demi-centime que je suis enfermé dans la grande boule qui surplombe la façade d’un music-hall, des Folies-Bergère. La musique que j’entends, c’est la musique qui vient de la scène et les lueurs qui illuminent ma prison, sont le reflet de l’éclairage violent sur la façade.

Oui, c’était bien dans la boule qui couronne la façade des Folies-Bergère qu’il était prisonnier, c’était bien en cette introuvable cachette que Fantômas avait dû le jeter.

— Çà, c’est pas ordinaire, finit-il par se dire à lui-même.

Et il rageait d’autant plus qu’en y réfléchissant le malheureux songeait qu’il se trouvait à quelques mètres de son propre domicile.

Or, il y avait bien vingt-quatre heures que Fandor était à l’intérieur de la boule et il se demandait sérieusement si Fantômas ne l’avait point condamné à y mourir de faim, lorsque le sommet de la sphère brusquement s’ouvrit.

Fandor, aussitôt fut debout. Une main armée d’un revolver se tendit vers lui en même temps qu’une cagoule s’encadrait dans l’étroite ouverture.

— Bonjour, Jérôme Fandor.

Fandor fut sur le point de se répandre en invectives. Mais fallait-il donner à Fantômas, car assurément c’était Fantômas, le spectacle de sa détresse ? Impassible, donc Fandor répondit :

— Bonjour, Fantômas.

Fantômas, car c’était bien Fantômas, qui, renseigné par Bébé et Beaumôme (tous deux, avaient parfaitement reconnu Fandor dans le bouge du père Coup-de-Bâton), avait fait enlever le journaliste ; Fantômas ne s’attardait point à prononcer des mots inutiles.

— Jérôme Fandor, faisait-il, réfléchissez bien à ce que je vais vous apprendre et vous demander. Juve est entre mes mains. C’est un premier avertissement, vous m’entendez, Fandor ?

— Je vous entends, ripostait Fandor qui n’avait point tressailli.

— Eh bien, dites-moi où est ma fille, dites-moi où est Hélène, ou sans cela, sur mon honneur, je vous le jure, je fais subir à Juve les plus affolantes tortures, je le mutile, je lui coupe l’oreille droite, puis la gauche, un doigt, puis un autre. Allons, parlez.

Oh, Fantômas n’avait pas besoin d’entrer dans de plus amples explications. Jérôme Fandor avait parfaitement compris les sinistres menaces que lui adressait le bandit.

— Fantômas ! hurla Fandor d’une voix torturée, Fantômas, je vous jure que je vais vous dire la vérité : je ne sais pas où est Hélène.

Un éclat de rire lui répondit. Fantômas ne le croyait pas.

— Voici de quoi vivre, hurlait le bandit en jetant à Fandor un sac de provisions, réfléchissez bien à ce que je vous demande, je reviendrai vous revoir dans quatre heures et dans quatre heures je vous apporterai, pour vous convaincre et pour vous décider, l’oreille droite de Juve. Vous pouvez, en parlant, le sauver d’une nouvelle mutilation.

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