Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса) - Сувестр Пьер 9 стр.


Avec un claquement sec, la trappe se referma, Fantômas s’éloigna.

Du temps passa. Jérôme Fandor était encore écroulé sur le sol de son extraordinaire prison, il avait à peine eu le temps de réfléchir, croyait-il, qu’à nouveau le bandit venait rendre visite à son prisonnier.

— Fandor ! hurlait Fantômas, encadrant sa cagoule noire dans l’étroite ouverture de la boule, vous apprendrez que mes menaces ne sont jamais des menaces vaines.

Il jetait en même temps à Fandor un chiffon sanglant qui se dépliait aux pieds du journaliste et Fandor y voyait, avec un saisissement tel qu’il pensait mourir de peur, une oreille humaine, l’oreille de Juve.

— Allons, parlerez-vous, reprenait Fantômas, me direz-vous où est ma fille ?

Il y avait de la souffrance, il y avait de l’angoisse dans la voix de Fantômas, mais Fandor tremblait lui aussi en lui répondant.

Ah, certes, il eût donné beaucoup alors pour pouvoir renseigner le bandit.

— Je ne sais pas, je ne sais pas ! hurla-t-il, comment voulez-vous que je vous dise où est Hélène ? j’étais prisonnier dans le phare, c’est vous qui m’y avez fait jeter, je n’ai même pas revu Juve. Par pitié…

Mais Fantômas ricanait toujours.

— En vérité vous ne savez pas, Jérôme Fandor ? Eh bien, je ne vous crois pas. Vous étiez prisonnier dans le phare de l’Adour, oui, sans doute, et à ce moment vous pouviez ignorer où était Hélène, mais depuis le naufrage, à coup sûr ma fille, ma fille qui vous aime, hélas, a dû vous donner de ses nouvelles. Vous savez où elle est, j’en jurerais, dites-le-moi ou par Dieu vous aurez demain la seconde oreille de Juve.

Fandor n’avait pas eu le temps de répondre, n’avait fait qu’un signe de dénégation, que déjà Fantômas avait refermé la boule, s’était enfui, jetant comme adieu à Fandor :

— Réfléchissez bien.

Mais le bandit, le tortionnaire, celui qui venait de jeter l’oreille sanglante à Fandor, se trompait s’il s’imaginait pouvoir par la terreur anéantir toute velléité de résistance chez son prisonnier.

Si Fandor avait su vraiment où se trouvait Hélène, il l’aurait dit, mais Fandor l’ignorait et maintenant que, devant lui l’oreille coupée continuait à saigner, il lui prenait une rage nouvelle.

— J’y laisserai ma peau, nom de Dieu ! jura Fandor, je me tuerai s’il le faut, mais je jouerai le tout pour le tout.

Fandor, alors comme un dément, commença de s’agiter dans son étroite prison, il sauta de droite à gauche, il se lança avec violence contre les parois de la boule.

— Parbleu, pensait le journaliste, je ne défoncerai pas ma prison, c’est sûr, mais je ferai bien craquer le piédestal qui la soutient. Si la boule tombe dans la rue, je me tue, si elle roule sur la toiture du music-hall, elle se brise, je me sauve et l’on vient à mon secours.

Ce que tentait Fandor était fou.

Comme il n’avait aucun point de repère qui lui permît de savoir à l’intérieur de sa boule de quel côté se trouvait la rue, c’est-à-dire la mort, et de quel côté se trouvait la toiture, c’est-à-dire la vie, il ne pouvait même pas essayer de diriger sa chute.

Fandor, près d’une heure s’épuisa en vains efforts.

Soudain, un craquement l’avertit que le dénouement était proche.

Jérôme Fandor envoya une dernière pensée à Hélène, puis ferma les yeux.

— Une… deux… trois, compta-t-il, c’est peut-être dans l’éternité que je me lance.

Il donnait de tout son poids contre la paroi de la boule. Le craquement se fit plus intense, se prolongea. Jérôme Fandor sentit que le sol se dérobait sous ses pieds, la boule tombait.

— Hélène, murmura le journaliste.

Sa tête heurta contre les parois de sa prison lumineuse. En une seconde il souffrit mille morts.

8 – DEUX OREILLES COUPÉES

— Eh bien, monsieur Marquet ?

— Eh bien, monsieur Ramiel ?

— Eh bien, monsieur Marquet, que pensez-vous de cela ?

— Ce que j’en pense monsieur Ramiel, c’est parfaitement net et clair. Depuis le début de ma carrière, et cela nous reporte à quinze ans, je n’ai jamais vu, dans un seul des commissariats de police où il m’est arrivé de passer, une aventure aussi étrange, un client aussi extravagant.

— Quant à moi, monsieur Marquet, voilà un quart de siècle que je dirige des établissements comme les Folies-Bergère ; certes, dans ma longue carrière il m’est arrivé de voir toute sorte d’individus et de rencontrer les personnages les plus invraisemblables, mais jamais, au grand jamais, aventure de ce genre ne s’est produite dans un de mes music-halls.

Les deux personnages qui s’entretenaient ainsi, n’étaient autres que M. Marquet, l’actif commissaire de police du faubourg Montmartre, et M. Ramiel, le directeur très parisien des Folies-Bergère.

Il était environ trois heures de l’après-midi et les deux hommes se tenaient dans le bureau du commissariat. D’un air indifférent et distrait, ils regardaient par la fenêtre le passage mouvementé des véhicules qui encombraient le faubourg, et cependant que M. Marquet, agité, nerveux, comme à son ordinaire, tambourinait sur les carreaux de la fenêtre, M. Ramiel, mâchonnant son cigare, demeurait immobile, les mains derrière le dos. Enfin, après un silence M. Marquet fit observer :

— Vous savez, mon cher monsieur Ramiel, que ma longue habitude des hommes me permet de me flatter d’avoir une certaine perspicacité et je suis convaincu que notre individu est un gaillard qui avait de mauvaises intentions, un cambrioleur, peut-être pire.

M. Ramiel haussa les épaules :

— Je ne suis pas de votre avis, mon vieux, rien qu’à la façon dont cet homme s’est introduit dans mon établissement, je croirai plutôt que c’est un malheureux, un fou.

— Voulez-vous que nous allions le revoir ?

— Oui, répondit M. Marquet, il faut absolument tirer cette affaire au clair et il est indispensable qu’un interrogatoire sérieux ait lieu avant que je ne fasse mon rapport et que vous ne contresigniez votre déclaration.

Quittant alors le cabinet du commissariat, Marquet et le directeur des Folies-Bergère se firent ouvrir par le brigadier une porte solidement verrouillée qui donnait dans un local sombre dépourvu de meubles et de fenêtre.

Ils s’introduisirent avec précaution et se trouvèrent soudain en présence du prisonnier, qui, assis sur un escabeau semblait réfléchir.

— Voyons, monsieur, commença le commissaire en prenant un air paternel, vous paraissez plus calme que tout à l’heure, fournissez-nous quelques explications sur votre personnalité, sur les événements qui se sont produits et dont l’enchaînement s’achève pour vous au poste de police ? Comment vous appelez-vous ?

Le prisonnier, un homme d’une trentaine d’années environ, à la moustache blonde, au visage ouvert, répliqua simplement :

— Je vous l’ai déjà dit, monsieur le commissaire, je m’appelle Jérôme Fandor.

— Je sais cela, encore que vous ne l’ayez pas complètement démontré.

Puis, se tournant vers le directeur des Folies-Bergère, le magistrat poursuivit à voix basse :

— Beaucoup d’individus, j’ai vu cela souvent dans ma carrière, n’hésitent pas, pour dissimuler leur personnalité à prendre les noms de personnes connues, notoires, Ils s’imaginent qu’en agissant ainsi, sur leur simple déclaration on les remettra en liberté. Mais heureusement nous sommes plus malins qu’eux et leur ruse reste inutile.

M. Marquet se tournant vers l’individu, poursuivit :

— Eh bien, monsieur Jérôme Fandor, puisque vous prétendez être M. Jérôme Fandor, expliquez-nous un peu ce qui s’est passé ?

— C’est bien simple, monsieur le commissaire, j’étais clans la boule, dans la boule en verre, dans cette grande boule lumineuse que tout Paris connaît et qui surmonte le toit des Folies-Bergère, cette sphère n’est pas, fort heureusement d’ailleurs, très solidement assujettie ; il m’est venu l’idée d’en sortir, je me suis agité violemment, j’ai remué dans tous les sens, j’ai fait l’impossible pour la détacher de son piédestal. Je reconnais que je jouais là un jeu dangereux, car si la boule, au lieu de tomber sur le toit, était tombée dans la rue, j’avais mille et une chances de me casser les reins. Heureusement qu’elle est tombée sur le toit, elle l’a même perforé et j’ai dégringolé, assez violemment d’ailleurs pour me faire des contusions et des égratignures, dans la galerie du promenoir des Folies-Bergère. Cette chute m’a quelque peu étourdi, je crois bien que j’ai perdu connaissance et lorsque je suis revenu à moi j’ai trouvé, m’entourant de leurs soins, deux ou trois agents de police qu’assistait d’ailleurs M. Ramiel, qu’on m’a dit être le directeur des Folies-Bergère.

M. Ramiel hochait la tête :

— Tout cela est parfaitement exact, dit-il.

— Mais, reprit le commissaire, comment vous trouviez-vous là ?

— Ah ! fit Fandor – car c’était lui en effet –, voilà la question. Comment je me trouvais là, je ne puis vous le dire.

Et il se renferma aussitôt dans un mutisme absolu. M. Marquet haussa les épaules, il se retourna vers M. Ramiel :

— Voilà, fit-il, toujours la même attitude, cet homme-là ne parlera pas, c’est un simulateur ou un fou, nous n’en obtiendrons rien de plus.

Et il se disposait à quitter le petit local dans lequel Fandor était enfermé depuis deux heures déjà. Le journaliste rappela le commissaire :

— Monsieur…

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Monsieur, j’avais sollicité tout à l’heure de votre obligeance qu’on allât prévenir l’un de mes amis de ma présence ici. Un inspecteur de la sûreté, M. Juve. A-t-on fait droit à ma requête ?

Le commissaire répondit :

— J’en envoyé un agent à l’adresse que vous m’avez indiquée, mais je ne sais pas si M. Juve se dérangera.

Cependant le visage de Fandor s’éclairait :

— Si Juve est chez lui, murmura-t-il et s’il apprend que c’est Fandor qui le demande, je suis bien assuré qu’il viendra.

Fandor, toutefois, fronçait le sourcil. Juve était-il chez lui ?

Le journaliste, désormais seul dans sa cellule, allait et venait en proie à une émotion profonde. D’une main nerveuse, il fouillait sa poche, il tressaillit en y sentant quelque chose de froid qu’il y avait dissimulé. Il était seul, et désormais les angoisses qu’il ressentait se trahissaient par des contractions nerveuses sur son visage.

Or, il venait, en effet, d’un geste machinal de palper l’oreille que quelques heures auparavant Fantômas était venu lui apporter : l’oreille de Juve. Oh, cela était évident, indiscutable et dès lors, si Juve s’était laissé couper une oreille, c’est qu’il était séquestré, immobilisé par Fantômas, comme Fandor venait de l’être lui-même pendant vingt-quatre heures.

— Sale affaire, grommela le journaliste dont les poings se crispaient.

Au bout d’une demi-heure, Fandor, qui demeurait prostré dans le local obscur où il ne percevait aucun bruit et se faisait des réflexions amères, poussa un cri de surprise et de joie.

Dans le couloir voisin il venait d’entendre un pas précipité, il reconnaissait la voix de Juve, un instant après la porte s’ouvrait :

— Juve !

— Fandor !

Les deux amis s’étaient retrouvés, ils s’étreignaient les mains et brusquement tous deux, dans le même geste instinctif, lâchaient leurs doigts, puis les portaient à leur visage.

— Ah nom de Dieu, s’écria Fandor, vous avez vos oreilles, Juve ?

Juve, faisait le même geste, la même réflexion :

— Fandor, tu n’es donc pas mutilé ?

Ils se regardèrent tous deux, stupéfaits d’abord, puis éclatèrent de rire, semblant en proie à une joie folle.

M. Marquet qui assistait à cette scène, tout en se tenant légèrement en ‘arrière, murmura à M. Ramiel qui ne l’avait pas quitté :

— Je me demande ce que tout cela signifie. Seraient-ils aussi fous l’un que l’autre ?

Mais Juve se tourna vers le commissaire :

— Monsieur Marquet, déclara-t-il, je réponds tout d’abord à votre première question : votre prisonnier, puisque c’est un prisonnier, est bien M. Jérôme Fandor, mon ami. Maintenant permettez-moi de vous demander de nous laisser seuls quelques instants. Je me porte garant de M. Jérôme Fandor.

Puis se tournant vers M. Ramiel, il ajoutait :

— Les dégâts qui ont été causés à votre établissement vous seront, monsieur, intégralement remboursés.

Quelques instants après, Fandor et Juve s’entretenant en tête à tête, discutaient avec animation :

— Enfin, Fandor, je te revois, s’écriait le policier tout heureux qui ne se lassait pas de regarder le visage de son ami et de constater qu’il avait toujours ses deux oreilles.

Après s’être rapidement expliqué sur la façon mystérieuse et extraordinaire dont ils s’étaient sauvés l’un et l’autre de Fantômas, lorsque la témérité du bandit les avait attirés en pleine mer sur le rocher du phare de l’Adour, ils en venaient aux mystérieux événements dont ils venaient d’être victimes l’un et l’autre.

Juve apprenait à Fandor l’ultimatum posé par Fantômas et la menace que celui-ci lui avait faite de lui apporter les oreilles du journaliste si Juve ne lui fournissait pas l’adresse de sa fille, Hélène.

La menace avait d’ailleurs eu un commencement d’exécution puisque Juve avait reçu une oreille.

Le journaliste pâlit ; pour toute réponse il tira de sa poche le vestige humain que Fantômas lui avait remis quelques heures auparavant :

— Une oreille droite, dit Fandor.

Abasourdi le policier considérait ce que Fandor lui montrait :

— J’ai reçu l’oreille gauche, déclara-t-il enfin.

Les deux hommes se considérèrent, interdits :

— Mais alors, firent-ils ensemble, puisque nous ne sommes mutilés, ni l’un ni l’autre, c’est qu’il y a une troisième victime.

— Parbleu ! s’écria Juve, c’est évident et le plus important c’est de la retrouver, car nous ne doutons pas, n’est-il pas vrai, de l’identité du coupable ?

— Hélas, murmura Fandor, le plus important à mon avis serait en somme de suivre les indications de Fantômas, car s’il s’acharne de la sorte à savoir ce qu’est devenue Hélène, c’est qu’elle se trouve dans une position terriblement inquiétante et il faut lui porter secours.

— Juve, interrogea encore Fandor, nous sommes entourés de mystères, de drames incompréhensibles. Que signifie cette histoire du pont Caulaincourt ? ce spectre dont tout le monde parle ?

Juve ne répondait pas, mais interrogeait Fandor :

— Et toi, Fandor, raconte-moi ce qui t’est arrivé, que signifie l’histoire de cette boule ?

Pendant plus d’une heure les deux hommes discutèrent âprement, se communiquèrent leurs impressions, ils conclurent enfin :

— L’essentiel, déclara Juve est de sortir d’ici, je vais faire le nécessaire, dans quelques instants tu seras libre, dès lors tu iras te reposer chez toi quelques heures, puis rendez-vous ce soir, nous arrêterons un plan de campagne, nous agirons.

Les choses se passèrent comme l’inspecteur de la Sûreté l’avait annoncé, il obtint de M. Marquet la libération du détenu ; une heure après, Juve et Fandor se quittaient faubourg Montmartre, avec la promesse de se retrouver le soir même.

***

Minuit venait de sonner depuis quelques instants et la représentation du Moulin-Rouge terminée, les noctambules qui ne tenaient pas à rentrer chez eux se répandaient dans les restaurants de nuit avoisinant la place Blanche. Une foule élégante et nombreuse s’empressait également de gagner le grand restaurant qui s’étend sous la salle même du Moulin-Rouge.

L’arrivée de la foule avait déchaîné l’orchestre de tziganes qui attaquait une marche aux rythmes saccadés, cependant que les garçons du restaurant et du bar allaient et venaient affairés, que les femmes du vestiaire se précipitaient sur les clientes ; en l’espace de quelques secondes la plus grande animation régna dans la salle.

Une petite femme assise à l’entrée du bar adressait soudain son plus aimable sourire à un homme d’une cinquantaine d’années qui, raide dans son habit noir, passait à côté d’elle sans paraître la remarquer.

— Bonsoir, m’sieu, fit-elle.

Le personnage s’arrêta, la considéra un instant :

— Mademoiselle Delphine Fargeaux ? fit-il.

Et il regarda la femme avec un air à la fois ennuyé et surpris. La jolie fille, ce jour-là, était vêtue d’une robe claire toute garnie de dentelle qui lui allait à ravir. Elle avait posé sur ses cheveux noirs un grand chapeau de feutre gris qui seyait admirablement à sa beauté brune ; elle était vraiment charmante.

Elle répondit, plus aimable encore, à son interlocuteur :

— Asseyez-vous donc, monsieur Dupont. Offrez-moi quelque chose.

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