Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 12 стр.


— Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Paulette au nouveau venu.

Celui-ci souriait aimablement, il avait l’air élégant, distingué, cossu, des yeux noirs brillaient dans son visage, qu’encadrait une grande barbe poivre et sel.

— Je veux vous voir, vous regarder, jolie Paulette, et vous dire aussi les tendres sentiments que vous m’inspirez !

— Zut alors ! fit la demi-mondaine, maussade, je crois que c’est pas le moment ! La police sort d’ici… j’ai plein d’embêtements !

— Vraiment ? fit le personnage, subitement intéressé, ne pourrais-je pas vous aider ?

— Qui c’est que vous êtes ? demanda Paulette.

— Un homme, ma chère enfant, qui s’intéresse à vous et qui ne manque pas de relations, bien au contraire ! Dites-moi ce qui s’est passé exactement avec le policier qui sort d’ici. Racontez-moi ce que vous lui avez dit.

Et l’homme ajoutait à part :

— Je saurai peut-être de la sorte ce qu’il convient de faire !

Paulette, qui, depuis qu’elle avait appris la mort de ce Firmain, était complètement désorientée, incapable, semblait-il, d’avoir la moindre volonté, d’une voix larmoyante raconta sans omettre un détail la conversation qu’elle venait d’avoir avec Juve.

Elle était si absorbée dans son récit qu’elle ne se rendait point compte de l’impression fâcheuse que celui-ci produisait sur le visiteur.

De temps à autre celui-ci grommelait à part :

— Mais c’est stupide ! idiot ! Mais les aveux de cette femme, déclarant que Léon Drapier a passé la nuit chez elle et qu’il était ici à l’heure du crime, innocentent complètement Léon Drapier ! Ah ! nom d’un chien ! serais-je arrivé trop tard ? Et va-t-il falloir recommencer ?

L’homme semblait animé d’une colère contenue.

— Ce Firmain, quels rapports aviez-vous avec lui ? Pourquoi lui avez-vous donné ces faux certificats ?

Paulette, torturée par toutes ces questions, et s’imaginant avoir affaire encore à un policier, se tordait les bras en sanglotant.

— Est-ce que je sais, moi ! J’ai cru bien faire !

L’homme questionnait comme Juve avait fait précédemment :

— Voyons, c’était votre amant ?

— Mais non ! non ! et non ! hurla, désespérée, Paulette de Valmondois. J’ai pas pu le dire à l’autre qui m’a bourré le crâne avec toutes ses questions, mais la chose est pourtant facile à comprendre, puisque Firmain, c’était mon frangin !… Là ! quoi !… Ça vous entre-t-il dans la caboche, maintenant ?

Mais tout d’un coup Paulette reculait terrifiée.

L’expression de son interlocuteur était devenue farouche. L’homme s’avançait menaçant vers la demi-mondaine…

Il sortit de sa poche un revolver, le braqua sur la jeune femme.

— Paulette, articula-t-il, écoutez bien les ordres que je vais vous donner !… Il faudra les exécuter sans oublier le moindre détail ! Sans quoi à la première défaillance, à la première faute, je t’abattrai comme une chienne ! Entends-tu bien ?

Un cri rauque retentit…

Assurément l’interlocuteur de Paulette ne s’attendait pas à une semblable attitude de la part de la jeune femme !

Celle-ci, à la vue du revolver qu’on braquait sur elle, au lieu de reculer, de s’immobiliser dans un angle de la pièce, avait foncé en avant, elle bousculait l’homme, puis bondissait hors du boudoir !

— Au secours ! au secours ! hurlait-elle éperdument…

Paulette traversait la salle à manger, elle arriva dans l’entrée, la porte s’ouvrait à ce moment, quelqu’un pénétra…

C’était Léon Drapier.

— Ah ! te voilà ! fit Paulette en se jetant dans ses bras, mais à sa grande surprise elle était repoussée par Léon Drapier.

— Misérable femme ! hurla celui-ci dont les yeux lançaient des éclairs, hein ! Tu ne m’attendais pas aussi tôt ? Tu croyais que je n’allais venir qu’à cinq heures, et que tu aurais le temps d’ici là de recevoir tes autres amants ? Ah ! quel être stupide j’ai été de croire à ton amour ! de croire à ta fidélité !… Parbleu ? je sais maintenant ce qu’il en est ! On a beau être bête et aveugle, on finit toujours par s’apercevoir de ces choses-là ! Je la connais, l’histoire de ton père ! Et je sais ce que cela signifie ! Ce père avait ton âge, et ils étaient plusieurs ! Et ils te donnaient de l’argent pour tes baisers ! C’étaient des amants que tu recevais, avec qui tu te moquais de moi. Tiens, je ne sais pas ce qui me retient…

Il levait la main sur Paulette, à demi folle d’épouvante, terrifiée par ce qui venait de se passer, abasourdie par ce qu’elle entendait, ne pouvant proférer une parole.

Elle était semblable à la bête traquée que les chasseurs cernent de tous les côtés, et ce n’était certes pas sur l’appui de la petite Normande qu’elle pouvait compter !

La jeune bonne, en entendant des altercations, s’était enfermée dans la cuisine et traînait le buffet et les chaises devant la porte, terrifiée, ne songeant qu’à une chose, c’était à ne point sortir de cette pièce qui, seule, croyait-elle, lui assurait la sécurité !

— Léon ! balbutia enfin Paulette de Valmondois, je te jure que Firmain n’était pas mon amant et que si j’ai donné des certificats… c’était pour faire plaisir à mon frère, mais je ne savais pas qu’il allait aller se placer chez toi !

« Ah mon Dieu ! dire qu’il est mort assassiné !…

C’était au tour de Drapier de rester abasourdi en entendant les propos que tenait sa maîtresse. Il commençait à comprendre et recueillant, bribe par bribe, les renseignements sur ces étranges aventures qui se produisaient depuis quelques jours, il parvenait à les ordonner ensemble, à en faire un tout.

Léon Drapier, en effet, se rendait compte que, par un extraordinaire hasard de circonstances, c’était précisément chez lui qu’était venu se placer un certain valet de chambre pour lequel sa maîtresse avait rédigé des certificats. Or, voici qu’il apprenait maintenant que ce valet de chambre n’était autre que le frère de Paulette !

Quelle épouvantable histoire !

Quelle extraordinaire aventure !

Mais l’inquiétude, toutefois, troublait Léon Drapier plus que tout le reste.

— Pourvu, se disait-il, que ma femme ne sache jamais ce qui s’est passé et que tante Denise ne soit jamais au courant !…

Car le directeur de la Monnaie entrevoyait que, non seulement sa femme demanderait le divorce, mais qu’en outre sa tante, la prude et chaste Denise, ne manquerait point de le déshériter si elle était au courant du moindre incident !

La colère égoïste de Léon Drapier allait se manifester par des exclamations violentes contre Paulette mais celle-ci les prévenait par une supplication.

— Léon Drapier ! Léon ! Léon ! fit-elle, protège-moi ! Sauve-moi ! il y a un homme dans mon boudoir, un homme avec un revolver qui a voulu m’assassiner ! C’est un policier, j’en suis sûre ! Il est encore là, empêche-le de me faire du mal !…

Léon Drapier haussait les épaules.

— Allons donc ! fit-il des histoires, pour détourner la conversation ! Depuis quand les gens de la police se font-ils meurtriers ? C’est une farce inventée à plaisir ! Encore quelque amant que tu me caches ! J’ai été dupe de tes mensonges, j’ai été assez bête pour croire à ces histoires de père qui venait te voir… Certes ! tout est bien fini entre nous, Paulette, tout est fini, et je ne me laisserai pas moquer de moi ! Ah ! je vais lui parler, à ce soi-disant policier ! Et puisqu’il se cache dans ton boudoir, il n’ira pas ailleurs ! À nous deux, monsieur !

Léon Drapier, fou de colère, traversa la salle à manger et pénétra dans le boudoir, la canne levée, le regard menaçant.

Mais il s’arrêtait au milieu de la pièce… Celle-ci était vide.

— Lâche ! cria-t-il, montrez-vous !

Et, du bout de sa canne, il écartait un rideau près de la fenêtre, s’imaginant que là était caché le soi-disant policier qui, en réalité, ne devait être autre qu’un amant de Paulette !

La porte de la chambre à coucher toute voisine était entrebâillée.

— Il est là ! pensa-t-il.

D’un coup de pied, Léon Drapier ouvrit cette porte, entra dans la chambre, elle aussi était vide…

Mais alors qu’il allait revenir dans la salle à manger, il s’arrêta net et blêmit.

Un coup de feu venait de retentir, suivi d’un cri déchirant.

— Ah ! par exemple ! commença Drapier.

Il s’arrêta, prêta l’oreille, une voix tonitruante articulait à l’autre bout de l’appartement :

— Tel est le sort de ceux qui résistent à Fantômas !…

Puis ce fut le silence absolu, plus impressionnant encore que les terribles bruits qui venaient de retentir !

Léon Drapier demeurait immobile pendant près de cinq minutes dans la chambre à coucher, n’osant même pas respirer tant il avait peur.

Que s’était-il passé ?

Il voulait savoir, et cependant n’osait pas !

Il redoutait quelque nouveau drame, quelque effroyable complication.

Enfin, n’entendant rien, il s’avança et, lentement, après avoir traversé le boudoir vide, il pénétra dans la salle à manger. Un spectacle horrible s’offrait à sa vue.

Tombée à la renverse sur le plancher, Paulette de Valmondois gisait, toute couverte de sang !

Un revolver était à côté d’elle, et c’était tout. Il n’y avait personne d’autre ; mais la porte donnant sur l’antichambre était entrouverte, celle du palier n’était pas fermée. En l’espace d’une seconde, Léon Drapier comprit qu’un malfaiteur venait de s’enfuir ou alors que, peut-être, c’était Paulette de Valmondois qui s’était elle-même tiré ce coup de revolver, désespérée par les propos que venait de lui tenir son amant.

Léon Drapier ne s’arrêtait point à la première hypothèse.

Il ne songeait plus au cri qu’il avait entendu, à la menace proférée par cette voix mystérieuse qui avait articulé le nom de Fantômas !

Il ne considérait qu’une chose…

C’est que sa maîtresse agonisait sur le plancher, à côté d’un revolver, et qu’assurément un nouveau scandale allait éclater.

— Ma tante !… ma femme !… mon héritage !… pensa Léon Drapier.

En l’espace d’une seconde, il vit son existence mise à jour dans les journaux, son adultère connu de tous, sa femme rompant avec lui, et sa tante le rayant, à tout jamais, de son testament. Non, non ! il fallait qu’à aucun prix on ne sût ce qui s’était passé, et qu’il se trouvait chez Paulette de Valmondois au moment où celle-ci se donnait la mort…

Égoïstement, lâchement, Léon Drapier se disait :

— Elle va mourir ! c’est certain ! Peut-être est-elle déjà morte ; elle ne dira rien ! rien !

Alors, enjambant le corps inerte de la malheureuse, relevant le col de son pardessus pour dissimuler son visage en enfonçant son chapeau sur ses yeux, Léon Drapier, à pas de loup, quitta le tragique appartement dans lequel venait de se jouer un drame aussi inattendu qu’extraordinaire !

VII

Suicide ou assassinat

Le long de la Seine, un homme marchait. Il fumait une cigarette, puis, l’ayant consumée à moitié, il la jetait, mais en allumait une autre aussitôt après, avec des gestes nerveux qui trahissaient incontestablement de sa part une émotion singulière.

Ce homme-là, cependant, était, de par sa profession, obligé à conserver sans cesse son sang-froid et accoutumé aux complications les plus extraordinaires. Certainement, au premier abord, on pouvait être étonné de le voir agité.

Cet homme, en effet, n’était autre que Juve.

Le célèbre inspecteur de la Sûreté avait, trois heures auparavant, quitté le domicile de Paulette de Valmondois. Après sa rapide visite à la demi-mondaine, il s’était confirmé dans cette hypothèse qu’assurément l’amant de la jeune femme n’était pas et ne pouvait pas être coupable de l’assassinat du valet de chambre Firmain.

Sans s’en douter, au cours de son interrogatoire, Paulette de Valmondois avait fourni à Juve un argument très probant en faveur de l’innocence de son amant.

Pour que Léon Drapier ne fût point suspect, il s’agissait en effet de démontrer qu’il avait passé la nuit entière, la nuit du crime, hors de son domicile.

Sa déclaration cependant pouvait ne pas être prise en considération, la justice pouvait également suspecter sa maîtresse d’une certaine complicité et ne croire qu’en partie les déclarations de Paulette de Valmondois affirmant que Léon Drapier avait passé la nuit du crime avec elle, si rien n’était venu corroborer cette assertion.

Mais au cours de son interrogatoire, Paulette avait dit à Juve :

— Léon Drapier est descendu confier à la concierge une lettre qu’il s’agissait de mettre à la poste, vu l’urgence.

Et cela avait éclairé d’un jour tout nouveau l’affaire aux yeux du célèbre policier.

— Le voilà bien, l’alibi qui innocente Léon Drapier, s’était dit Juve, à la condition toutefois que la déclaration de Paulette de Valmondois soit bien exacte.

Et Juve avait quitté la demi-mondaine pour s’en aller interroger la concierge qui lui avait confirmé la déposition de sa locataire.

Juve, toutefois, ne s’était pas considéré comme suffisamment édifié encore.

— Ces deux femmes peuvent s’entendre, songeait-il.

Et, pour contrôler leurs déclarations, Juve s’était alors rendu au commissariat de police de la rue de l’Université, il avait consulté le dossier de l’affaire, et il avait fini par y découvrir, au nombre des pièces considérées comme sans importance, la lettre expédiée par Drapier à sa tante Denise.

Or, cette lettre était encore dans son enveloppe, et l’enveloppe portait bien le timbre de la première levée du matin, date coïncidant avec celle du crime.

Juve alors s’était estimé satisfait et renseigné. Mais s’il acquérait la certitude de l’innocence de plus en plus évidente de Léon Drapier, le mystère se compliquait à ses yeux. Le motif du crime, comme la personnalité de l’assassin, cessait de plus en plus de lui apparaître.

— Qui donc, se demandait Juve, peut avoir intérêt à la mort de cet homme ? Comment se fait-il qu’on l’ait assassiné dans le cabinet de travail de son maître ?… Qu’y faisait-il, au surplus, à cette heure avancée de la nuit ? C’est cela que je ne puis comprendre.

Un instant, Juve avait pensé à quelque douloureuse histoire d’amour qui s’achevait en menaces de chantage.

Il s’était demandé si la bourgeoise, M me Drapier, n’avait pas commis une faute… n’était pas la maîtresse de ce domestique, et si, au cours d’une scène pénible, elle ne s’était pas vue dans l’obligation de frapper cet amant, devenu pour elle un adversaire, un épouvantail.

Et Juve avait haussé les épaules, en se disant :

— Non ! M me Drapier n’est pas femme à prendre un amant, surtout un tel amant ! Au surplus, il apparaît bien que le crime a été commis, non point par une femme, mais par un homme et même par un homme qui a l’habitude, un homme dont la sûreté, la précision de main dénotent de la façon la plus précise la rigoureuse énergie et la froide cruauté.

Comme on l’avait constaté dans le milieu des inspecteurs de la Sûreté, le meurtre de Firmain était un crime crapuleux, un crime fait par un professionnel…

Juve réfléchissait à toutes ces choses en marchant le long de la Seine, et s’il était ému, troublé, s’il mâchonnait nerveusement sa cigarette, l’allumant, la laissant éteindre, la jetant, la remplaçant par une autre, c’est qu’une idée lancinante obsédait son esprit.

Juve, malgré lui, songeait que chaque fois qu’un crime mystérieux, incompréhensible se produisait, il lui fallait évoquer la sinistre silhouette du Génie du crime, du Maître de l’effroi…

Juve, malgré lui, songeait à Fantômas et se disait que peut-être la vraie piste à suivre était celle qui consisterait à chercher si le bandit n’avait point joué dans toute cette affaire un rôle aussi mystérieux que sanguinaire et féroce.

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