Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 11 стр.


— Eh bien ? interrogea Paulette, qu’est-ce que t’attends, Frise-à-plat, pour finir le saucisson ?

La bonne, une toute jeune gamine, piquait dans le plat deux rondelles de cervelas, puis naïvement, après les avoir fourrées dans sa bouche, elle articula :

— Pourquoi c’est t’y que vous lui avions dit de ne point venir avant cinq heures… puisque vous n’avez rien à faire, sauf votre respect, que de vous regarder dans une glace tout l’après-midi ?

Paulette jeta un regard de mépris sur la bonne.

— T’es gourde, Fleur-de-Vice ! fit-elle ; tu n’as pas pour deux sous de raison… Penses-tu que je vais m’appuyer cet homme-là tout l’après-midi !… Tu crois qu’il est rigolo ?… Perpétuellement il a le trac d’être découvert par sa femme, toujours il me raconte que si sa famille était au courant ça ferait des histoires à n’en plus finir… Ah non ! de cinq à sept ça suffit !… Et puis d’abord c’est l’heure des adultères, et comme il est marié, ça lui va comme un gant !

La jeune bonne, qui avait fini le saucisson, reprit avec entêtement :

— N’empêche que c’est M. Léon Drapier, un bien digne homme autant que je pouvions le savoir par les pourboires qu’il me donne, qui paie tout chez vous !

— Ça c’est vrai, la Normande, le loyer, les meubles et le reste. Sans compter la couturière, ajoutait Paulette de Valmondois, qui éclatait de rire puis ajoutait : Tête-de-Pomme, va-t-en chercher les côtelettes !

La jeune bonne obéissait, revenait quelques instants après dans la salle à manger avec deux côtelettes à demi calcinées.

Les deux femmes en prenaient chacune une, et Paulette, sans rien dire, grattait consciencieusement toute la partie de la viande qui était transformée en charbon.

— Eh ben ? qu’est-ce que t’attends, interrogea-t-elle, Cordon-bleu à la manque, pour bouffer ?

Le cordon-bleu, ou soi-disant tel, déclara :

— C’est tout de même une drôle de place chez vous ; si on m’avait dit comme ça, quand j’ai quitté le pays, que je serais en place chez une patronne qui me fait manger à sa table, et qui m’envoie me promener pendant tout l’après-midi, j’aurions dit que c’était des menteries… et pourtant, c’est ben vrai tout de même !…

Paulette de Valmondois éclata de rire.

Et, imitant l’accent de la Normande, elle reprenait :

— C’est ben vrai tout de même ! Ah ! Fleur-de-Gourde, on voit que tu débarques de ton patelin ; n’empêche que tu vas te dessaler bientôt.

« Vois-tu, moi, quand je suis arrivée de la Bourgogne, c’est pas pour dire, mais j’étais aussi moule que toi. Mais ça n’a pas duré, je sais y faire, et je connais mon métier !…

— Tout de même, fit la Normande d’un air offusqué, c’est pas un métier qui convient à tout le monde d’être une demi-mondaine, il faut en avoir des mauvais instincts.

Subitement, Paulette de Valmondois devint toute rouge.

— Imbécile ! criait-elle, si c’était pas que j’ai pitié de ta bêtise je t’enverrais une carafe en travers de la gueule pour t’apprendre à causer ! Des mauvais instincts !… C’est encore des boniments que t’as entendu dire dans la loge ?…

La Normande, terrifiée, s’excusait :

— Sûr que c’est pas moi qui ai trouvé ça ! C’est la concierge qui dit comme ça qu’à force de recevoir toutes sortes d’hommes chez vous, vous finirez par être damnée !…

— Une imbécile aussi, la concierge ! gronda Paulette. Elle peut toujours chiner, elle prend bien la galette des hommes qui viennent me voir… quand ils lui donnent un pourboire. Et pour ce qui est d’avoir du vice, ma petite, apprends-le, je m’en fiche pas mal de tout le truc et de la suite !… Seulement, voilà : on ne choisit pas ! Tu verras cela plus tard, quand tu seras dégourdie. Il t’arrivera ce qui m’est arrivé et ce qui est arrivé à bien d’autres ; on vient à Paris pour gagner sa vie proprement, on trouve un amoureux qui vous a eu au boniment, qui vous plaque avec un gosse, on est chassée de partout et il faut pourtant que le petiot vive, qu’on paye ses mois de nourrice… Alors, on cherche du travail dans son métier, et comme on a un métier de crève-la-faim on se met la ceinture, jusqu’à ce qu’on rencontre dans la rue, ou ailleurs, un homme plus ou moins riche qui vous fait des propositions. On les accepte, il n’y a que le premier pas qui coûte. Allez ! c’est pesé, vendu, il n’y a qu’une mondaine de plus sur le pavé de Paris ! Ces choses-là arrivent tous les jours, ça n’a pas plus d’importance que cela… Seulement, lorsqu’on y réfléchit ou qu’une imbécile de bonne comme toi vient vous le rappeler, alors ça vous fait monter l’eau salée sous les châsses et le rouge qu’on se met aux lèvres vous rapplique sur le front !

« Allez, Boule-de-Beurre ! finis ta côtelette… Seulement, vois-tu, ça fait rager quand on se demande qui c’est qu’est le plus coupable de la pauvre fille qui crève de faim ou du salaud de bourgeois qui la débauche !…

La Normande était abasourdie. Elle aussi se sentait une furieuse envie de pleurer, car elle entrevoyait ce que pouvait être la misère morale de sa jolie patronne, qui lui semblait si heureuse, dans son peignoir de dentelle et ses bas de soie fins comme une toile d’araignée.

Au bout d’une seconde Paulette de Valmondois reprenait, après avoir sorti du petit sac à main qu’elle avait posé à côté d’elle sur la table un billet de cent francs :

— Tiens, voilà cinq louis, t’iras prendre un mandat tout à l’heure pour le père Martin, afin qu’il ne laisse pas mourir mon gosse sans lui donner à manger !

« Et je ne les ai pas volés, je te prie de croire, avec le vieux sénateur de cette nuit !…

Un coup de sonnette retentissait…

— Va voir qui peut bien venir à cette heure, conseilla la demi-mondaine.

La Normande s’en fut ouvrir, elle revint quelques instants après :

— C’est encore un homme qui demande à vous voir.

Paulette de Valmondois, malgré l’amertume qu’elle avait révélé au cours du déjeuner, semblait avoir repris toute sa gaieté :

— Eh bien, dit-elle, tu vois que ça ne chôme pas, mon commerce !

« Fais-le rentrer dans le boudoir et surtout lui demande pas son nom pour me l’annoncer ; ma clientèle, le plus souvent, tient à rester anonyme !

Quelques instants après, ayant au préalable été jeter un coup d’œil à sa personne, dans la psyché de son cabinet de toilette, Paulette de Valmondois, esquissant le sourire le plus aimable, pénétra dans le petit boudoir où l’attendait quelqu’un qu’elle salua, par habitude, d’un cordial :

— Bonjour, mon vieux !

Mais elle s’arrêta, interdite, en présence d’un personnage qu’elle ne connaissait pas !

— Oh ! Je vous demande pardon ! fit-elle, je croyais que c’était…

Elle ne nomma personne, n’ayant eu d’ailleurs aucune idée sur le visiteur qu’elle pouvait escompter.

L’inconnu cependant se levait lentement du divan sur lequel il s’était assis, puis articula d’une voix nette :

— Permettez-moi de me présenter, mademoiselle…

— Oh ! interrompit Paulette, faut pas que ça vous gêne, moi j’ai l’habitude qu’on ne me dise pas son nom !

« D’ailleurs, je sais pourquoi vous venez, c’est-y pas vous qui me faisiez de l’œil hier soir, quand je soupais place Pigalle ?

L’inconnu réprima un sourire :

— Je vais rarement place Pigalle, mademoiselle, et ce n’est pas moi qui vous ai remarquée, cette nuit ; au surplus je ne viens pas pour ce que vous croyez… Je suis l’inspecteur de la Sûreté Juve !

— Ah zut alors ! fit Paulette, Juve, le copain de Fantômas ?

— Non, mademoiselle ! mais là n’est pas la question. Permettez que je vous interroge rapidement… Vous vous appelez bien…

La demi-mondaine interrompait le policier :

— Paulette de Valmondois !

— Pardon, fit Juve, vous voulez dire Virginie Poucke, née à Saincaize, dans le Morvan ?

— Ah ! vous savez ? fit la jeune femme interloquée, eh bien oui, c’est vrai… Seulement, vous comprenez, pour la clientèle, un nom noble ça fait mieux… C’est pour ça que je leur dis à tous…

— Inutile d’insister ! fit Juve, j’ai compris !

Brusquement le policier sortait de son portefeuille deux documents, des lettres, qu’il mettait sous les yeux de la demi-mondaine.

— Voulez-vous me dire si vous connaissez cette écriture ?

Paulette considéra les papiers, puis elle rougit jusqu’à la racine des cheveux.

— Ma foi, non ! fit-elle en hésitant.

Mais le regard fixe de Juve l’impressionnait.

— Eh bien si ! déclarait-elle toute tremblante, c’est moi qui ai écrit ces certificats.

— Vous le reconnaissez ?

— Je le reconnais.

— Vous êtes au courant de ce qui s’est passé il y a quarante-huit heures ?

— À quel propos, monsieur ?

— Au sujet de l’assassinat du valet de chambre Firmain, trouvé mort dans l’appartement de M. Léon Drapier.

Paulette devenait livide.

— C’est-à-dire, fit-elle, que j’ai lu dans un journal quelque chose comme ça.

« Un domestique du nom de Firmain a été trouvé mort chez un M. D…, c’est ça ?

Elle s’interrompit un instant.

— Ah mon Dieu ! je comprends maintenant. D…, ça voulait dire Drapier ?… Et le domestique que l’on appelait Firmain, c’est…

— C’est celui, continua Juve, que vous désignez dans ces faux certificats.

Paulette se laissa choir dans un fauteuil.

— Que me dites-vous là, monsieur, ce n’est pas possible. Firmain, Firmain est mort assassiné ! Mais c’est épouvantable, c’est affreux ! Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

La demi-mondaine semblait sur le point de défaillir. Juve alla ouvrir la fenêtre ; un peu d’air frais pénétra, le policier lui frappa dans les mains ; Paulette au surplus réagissait.

Elle sanglotait, désormais, doucement.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! balbutiait-elle, dire que j’ai lu tout cela sans comprendre ! et que Léon ne m’a rien dit ! Mais, là… pas un mot de cette affaire ! Oh ! c’est affreux ! affreux !…

Juve sévèrement reprit :

— Mademoiselle, il faut me dire la vérité ! C’est très grave ! Quel est ce Firmain ?

— Mais, fit Paulette à travers ses larmes, c’est quelqu’un que je connais, qui cherchait du travail ; il m’a dit qu’il pourrait se placer s’il avait de bons certificats, que sans ça c’était inutile de chercher une condition. Alors j’ai écrit, moi, tout ce qu’il voulait.

Juve, fixement, considérait la jeune femme.

— Ce garçon, n’est-ce pas, c’était votre amant ?

— Non ! non ! monsieur ! C’était pas mon amant ! Ça, je vous le jure sur la tête de ma mère ! Ah ! par exemple ! mon Dieu ! mon Dieu ! le pauvre garçon !…

— Comment le connaissiez-vous ?

— Je ne sais pas ! je ne sais pas !… Vous savez, nous autres, on connaît un tas de gens qu’on voit, qu’on ne voit plus ou qu’on retrouve !…

Juve, malgré lui, se sentait gagné à là pitié par la douleur très sincère que semblait éprouver la demi-mondaine. Douleur toute faite d’émotion et de sensibilité, d’ailleurs ; il n’insista plus.

Au demeurant, la conviction de Juve était à peu près faite.

Et cependant que son interlocutrice se recueillait, cherchait à calmer sa douleur, le policier imaginait ce qui avait dû se passer.

Garçon d’hôtel ou de restaurant, sans doute, ce Firmain… qui, certainement avait eu l’occasion de rencontrer à maintes reprises Paulette de Valmondois, vraisemblablement était ou avait été son amant. Il tenait d’elle deux certificats faux qui lui permettaient de se placer et le hasard ou la mauvaise chance le conduisait chez Léon Drapier.

Par suite d’une fâcheuse coïncidence, il advenait que Léon Drapier reconnaissait cet homme, ou alors apprenait, devinait peut-être ses relations avec Paulette de Valmondois, leur commune maîtresse. Une scène éclatait entre les deux hommes et, furieux d’être trompé par son valet de chambre, Léon Drapier, au cours d’une altercation, assassinait ce dernier !

C’était là une hypothèse vraisemblable, il ne s’agissait plus que de savoir dans quelles conditions le drame s’était produit et ce qui avait pu le déterminer.

Juve laissait Paulette de Valmondois se reprendre, se réconforter, puis doucement il l’interrogea :

— Mademoiselle, fit-il, voulez-vous me dire la vérité très exacte ? Cela a beaucoup d’importance pour vous, comme d’ailleurs pour M. Léon Drapier…

« Dites-moi, le vendredi 27, qu’est-il arrivé, lorsque vous avez passé la soirée au théâtre, toute seule ?

« Êtes-vous rentrée chez vous ? Étiez-vous accompagnée ?

Juve s’attendait à une réponse négative, il fut très surpris lorsque Paulette lui déclara sur un ton de naïve sincérité :

— Mais oui, monsieur ! Mon amant est venu me chercher à la sortie. Il a passé la nuit entière chez moi, ce qui ne lui arrivait presque jamais…

— Votre amant ? fit Juve, duquel voulez-vous parler ?

— Mais, déclara Paulette, de Léon, de Léon Drapier !

— Ah ! murmura le policier, voilà qui change mon hypothèse !

Et, en effet, il se disait :

— J’étais convaincu que Léon Drapier n’avait pas passé la nuit dans son lit au moment du crime, mais je ne croyais pas qu’il était venu coucher chez Paulette !

« J’imaginais qu’au contraire il était resté tout le temps dans son cabinet de travail. L’affaire se complique singulièrement.

Juve, soudain, se demandait :

— Cette petite femme me dit-elle la vérité ? Drapier a-t-il réellement passé la nuit avec elle ?

Le policier interrogea encore :

— Quelqu’un a-t-il vu votre amant pendant cette nuit, soit entrer, soit sortir de chez vous ? C’est très important ce que je vous demande là… Réfléchissez bien…

Paulette obéissait, elle ferma les yeux, serra son front dans ses mains, puis au bout d’un instant déclara :

— Ma foi, oui, monsieur ; lorsque nous sommes rentrés vers deux heures du matin Léon Drapier s’est souvenu qu’il avait dans sa poche une lettre qu’il fallait mettre à la poste pour sa tante, une dame qui habite Poitiers, je me rappelle cela parce que je connais Poitiers, et alors il m’a dit : « Descendons jusque chez la concierge et donne-lui cette lettre qu’elle la mette à la boîte le plus tôt possible, demain matin… »

— Alors ? fit Juve.

— Alors, poursuivit la demi-mondaine, je suis allée jusque chez la concierge, et j’y ai dit : « C’est une babillarde à coller dare dare dans la fissure du bureau de poste ! » J’ai glissé une pièce de vingt sous avec et la concierge est allée faire la commission sur le coup de six heures du matin…

— C’est parfait, cela ! pensa Juve tout haut. Bien !… L’affaire, tout en se compliquant, s’éclaircit et l’innocence de Drapier m’apparaît désormais ! Certes, il a menti en déclarant qu’il avait passé la nuit chez lui ; mais je comprends qu’il l’a fait pour éviter une scène avec sa femme légitime. Seulement, ce mensonge aurait pu lui coûter cher !

Juve se leva.

— Mademoiselle, dit-il sévèrement avant de quitter Paulette, je dois vous prévenir que vous vous êtes mise dans une situation fort grave en fabriquant de faux certificats.

« Je reconnais que c’est dans une bonne intention, mais je vous conseille vivement de ne pas recommencer, et je vous signale qu’à l’heure actuelle vous encourez deux ans de prison !

Paulette devint livide.

— Ah, monsieur ! monsieur ! de grâce, ne m’arrêtez pas !

— Je ne vous arrête pas ! fit Juve, mais prenez garde !

Et sur cette recommandation le policier quittait la demi-mondaine.

Celle-ci demeurait écroulée, abasourdie, à demi effondrée sur le divan où elle venait de sangloter.

Soudain la Normande réapparut.

Elle avait son air niais et stupide de ses plus grands jours de bêtise.

Elle articula à voix haute :

— C’étions encore un autre homme pour madame, tout de même, ça en fait-t’y des billets !

Paulette sursautait de colère.

— Qu’on me foute la paix ! cria-t-elle, je ne veux voir personne !

Mais il était trop tard, la bonne avait introduit le visiteur dans le petit boudoir et s’éclipsait immédiatement.

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