Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 14 стр.


Celui-ci tendit les mains cordialement au policier.

— Eh bien ! mon cher Juve, vous voilà enfin !

Et il ajoutait avec une ironie satisfaite :

— Par exemple, vous arrivez comme les carabiniers… En retard de deux heures, Juve !… Deux heures, ce n’est rien dans l’existence d’un homme ! C’est encore moins dans l’histoire des siècles, c’est énorme lorsqu’il s’agit d’une enquête de police !… Enfin, que voulez-vous ! On ne peut pas être partout à la fois !… Heureusement que vous avez un chef de la Sûreté qui se déplace, et c’est pourquoi, mon cher Juve, je m’en vais pouvoir vous donner quelques renseignements sur le drame qui vient de se produire !

Juve acceptait sans broncher les ironies railleuses de M. Havard.

Celui-ci ne dissimulait pas sa satisfaction d’être arrivé le premier sur les lieux du drame ; Juve ne prétendait point lui contester cette vaine gloire.

— Mon cher, articula M. Havard, la chose est des plus simples. Cette petite demi-mondaine était la maîtresse, comme vous savez, de Léon Drapier. Il est probable qu’elle a dû commettre quelque gaffe, ou alors simplement se faire surprendre par son amant en compagnie d’un gigolo, car Léon Drapier a certainement rompu avec elle.

« C’était beaucoup d’argent qui s’en allait avec Léon Drapier ; peut-être, au surplus, la petite l’aimait-elle !

« Toujours est-il, en tout cas, que lorsque son amant lui signifiait la rupture, elle s’est logée une balle dans la poitrine dont elle ne réchappera probablement pas. Voilà les faits tels qu’ils se sont passés, la tentative de suicide est indiscutable, l’affaire fort banale…

« Je vous avoue que si vous aviez été à la Sûreté lorsque j’ai été informé du drame, je me serais bien abstenu de venir !… Si je l’ai fait, c’est uniquement parce qu’il s’agissait de la maîtresse d’un haut fonctionnaire et que j’ai voulu, en prenant moi-même l’enquête en main, prévenir, éviter une gaffe toujours possible de la part d’un subordonné !

« J’ai fait conduire Paulette de Valmondois à l’hôpital de Lariboisière, on la soignera. De deux choses l’une ; ou elle va mourir et alors l’affaire est enterrée, sans jeu de mots, ou elle se rétablira, et alors nous lui ferons comprendre qu’il est de son intérêt de ne point faire de scandale, et qu’il importe qu’elle ne mêle pas le nom de Léon Drapier à son acte de désespoir…

Cependant que M. Havard pérorait ainsi, Juve, qui l’écoutait d’une oreille distraite, visitait attentivement l’appartement de Paulette de Valmondois. Il allait d’une pièce à l’autre, et le chef de la Sûreté le suivait, très heureux de raconter à Juve tout ce qu’il croyait savoir.

L’attitude de Juve, cependant, était si bizarre, le policier fouillait l’appartement avec tant de minutie, que M. Havard s’en aperçut. Il comprit les motifs de l’attitude de Juve.

— Je vous vois venir, mon cher ! Vous cherchez midi à quatorze heures, et si vous observez tous les détails de cet appartement, c’est que vous vous demandez s’il n’y a pas eu crime !… Rassurez-vous, Juve ! Je suis sûr de ce que j’avance. Paulette de Valmondois a voulu se suicider !… Au surplus, lorsque je l’ai relevée, elle me l’a presque avoué.

— Ah ! fit Juve, qu’entendez-vous par presque avoué ?

— Voici ! fit Havard. Je reconnais qu’elle était dans un état bien précaire lorsque je lui ai adressé la parole. Je l’ai soulevée, elle a crié, alors je lui ai demandé si elle souffrait.

— Vraiment ? fit Juve ironique.

— Naturellement ! fit Havard qui ne comprenait point la naïveté des paroles qu’il venait de prononcer.

— Et alors ? poursuivit Juve.

— Alors elle a désigné, d’un geste à peine sensible, sa poitrine à l’endroit où saignait la blessure.

« — Vous avez eu tort ! lui dis-je. Il est défendu de se donner la mort. Vous avez donc eu bien du chagrin, bien du désespoir ?

— Quelle a été sa réponse ? demanda Juve.

— Eh bien, fit Havard, je crois qu’elle a hoché la tête affirmativement.

— Et, insista Juve, c’est de cela que vous concluez qu’elle vous a fait l’aveu de son suicide ?

— Évidemment ! fit Havard. Au surplus, je ne vois pas qui aurait pu la tuer. À moins que ce ne soit son amant Léon Drapier ? Au fait, pourquoi pas ?… Juve, vous commencez à m’ébranler !

Mais, dès lors, Juve rassurait son chef.

— Non, non ! fit-il précipitamment, je vous en prie, ne vous embarquez point sur la piste de Léon Drapier. Cet homme-là n’est évidemment pour rien dans l’assassinat, je veux dire dans le suicide de sa maîtresse !

— Ah ! vous voyez, fit Havard satisfait, vous y venez, au suicide !

— C’est entendu, fit Juve d’un air évasif, j’y viens, au suicide !

Juve, toutefois, ne pouvait s’empêcher à ce moment de regarder avec insistance du côté de la fenêtre.

Il demanda à M. Havard :

— Cette fenêtre était-elle fermée comme elle l’est actuellement, quand vous êtes arrivé ?

— Ma foi non ! fit Havard. Elle était entrebâillée, mais je l’ai poussée, parce qu’il faisait assez froid dans cette pièce.

— Ah ! dit simplement Juve.

Le policier n’insistait pas, mais son regard perçant avait découvert sur le petit balcon de la fenêtre, qui venait précisément d’être repeint, des écorchures très fraîches et très nettes comme pouvait en faire la chaussure d’un homme posant le pied sur la barre d’appui du balcon.

Juve jeta un coup d’œil à travers les carreaux.

— Si l’on saute par cette fenêtre, où va-t-on ? demanda-t-il.

Et il constata que, sans danger, on pouvait sauter sur un petit toit voisin.

— Parfait ! se dit le policier, qui rentra dans la pièce.

Havard se disposait à le quitter.

— Nous allons, pour le principe, faire mettre les scellés, dit-il, mais je crois bien que l’affaire n’aura pas de suite.

— Espérons-le ! fit Juve.

Le policier, toutefois, songeait à part lui :

— Cette affaire est beaucoup plus mystérieuse qu’elle n’en a l’air et il s’agit d’opérer avec prudence et subtilité. Jusqu’à présent, dans les enquêtes, c’est Juve, Juve lui-même qui s’est montré. Dorénavant, Juve va disparaître, et celui qu’on verra seulement agir, c’est…

Le policier n’achevait pas.

VIII

Un sauveteur

— Caroline !

— Monsieur ?

— Où est madame ?

— Elle est au salon, monsieur.

— Seule ?

— Non pas, monsieur. Monsieur sait bien que madame est encore avec les journalistes !…

Léon Drapier leva les bras au ciel.

— C’est véritablement insupportable ! On n’en finira donc jamais de toutes ces interviews qui ressemblent à des interrogatoires !

La vieille cuisinière insinua :

— Je serais à la place de monsieur que je n’hésiterais pas à prendre le balai et à fourrer tous ces gens-là à la porte. C’est pas Dieu possible d’embêter le monde comme ils le font les uns et les autres !

Léon Drapier haussa les épaules. Il se mit à se promener de long en large dans le petit salon, où depuis quelques jours il s’était installé au lieu de continuer à vivre dans son cabinet de travail.

— Un de parti, dix de revenus ! grommelait-il en songeant aux journalistes. Et nous serions encore plus harcelés si je n’avais pris la décision de disparaître chaque fois qu’il s’en présente un et d’envoyer ma femme leur répondre à ma place !

Depuis le mystérieux assassinat de son valet de chambre, M. Léon Drapier était, en effet, assailli par tous les reporters de Paris.

À la Monnaie, on ne venait pas l’y chercher, car il était impossible de parvenir jusqu’à son bureau sans être muni d’une autorisation spéciale ; mais il n’en était pas de même à son domicile, et Léon Drapier ne pouvait rentrer sans trouver devant sa porte, à l’intérieur de l’ascenseur, dans l’escalier, voire même dans la galerie de son propre appartement, des jeunes gens aux allures obséquieuses et affairées qui, après l’avoir hâtivement salué, sortaient un carnet de leur poche et se préparaient à prendre des notes.

Au lendemain du crime, Léon Drapier avait éconduit tous les reporters ; mais il s’était rendu compte de l’inconvénient qu’il y avait à ne pas compter avec la presse.

Les journaux, en effet, avaient été unanimes pour le traiter durement, pour l’incriminer, avec des sous-entendus redoutables, d’une complicité quelconque dans le mystérieux drame qui avait eu lieu chez lui.

Léon Drapier avait alors décidé de changer d’attitude et il le faisait avec d’autant plus d’empressement que certains journalistes avaient été jusqu’à suggérer qu’après ce scandale il ferait bien de donner sa démission de directeur de la Monnaie !

Drapier, toutefois, s’était heurté à une difficulté. La justice, désormais, était saisie de l’affaire, et il devenait incorrect de sa part de parler aux journalistes sans froisser le Parquet.

Comment fallait-il faire pour éviter de se mettre à dos les uns comme les autres ?

Drapier avait alors trouvé ce moyen qui consistait à faire recevoir les journalistes par sa femme qui répondait le plus aimablement possible à toutes les questions qui n’avaient pas trait directement à l’affaire !

Tandis que Léon Drapier s’impatientait de ce que M me Drapier n’ait point fini avec les journalistes, et qu’il ne tenait point compte du conseil de Caroline qui aurait voulu mettre à la porte tous ces gens-là, Eugénie Drapier était en conférence dans la salle à manger avec un reporter du nom de Mirat, attaché au journal La Capitale.

— Mon Dieu ! monsieur, proférait M me Drapier, vous avez des idées véritablement bien extraordinaires ! Et si vous n’étiez recommandé par un collègue de mon mari au ministère des Finances, je crois que je vous demanderais si vous ne vous moquez pas de moi !

Le journaliste protestait :

— Qu’a-t-elle donc de si extraordinaire ma question, madame ? articulait-il. Je vous demande quels sont les cigares préférés de M. Drapier. Il me semble que c’est là une information excessivement intéressante pour nos lecteurs et qui, au surplus, loin de nuire à la réputation de votre mari, ne peut que lui être favorable !

— Je ne vois pas en quoi, monsieur ! répondit naïvement M me Drapier.

— C’est bien simple ! reprit le journaliste. De même qu’un chapelier a dit : « Le chapeau, c’est l’homme », et qu’un tailleur a prétendu qu’un homme bien habillé en vaut deux, moi, j’estime qu’un fumeur qui fume de bons cigares révèle, par la marque qu’il a choisie, sa plus ou moins grande distinction. Il ne s’agit pas de les payer cher, il s’agit de les prendre bons. Les cigares, à mon avis, madame, se divisent en trois grandes catégories… Mais, pardon !… – le journaliste s’interrompait. – Je m’aperçois, fit-il, que c’est moi qui parle et que vous ne me dites rien, madame, c’est mal ! Les lecteurs de La Capitalevous en voudront d’être aussi discrète et, j’aurai beau faire, ils jugeront mal M. Drapier !

— Réellement ? interrogea Eugénie Drapier.

— Réellement, madame ! fit le journaliste.

— C’est que… murmura la pauvre femme, j’aime autant vous le dire tout de suite, mon mari n’a jamais fumé, que je sache, le cigare…

— Eh bien ! s’écria Mirat, voilà quelque chose de net et de précis !… Le fumeur qui se limite à la cigarette, et qui, dans l’intimité, s’adonne à la pipe, est encore une autre catégorie de fumeur… Mais, pardon…

Le journaliste s’interrompait encore. Il s’approcha de la cheminée et considéra longuement un petit vase de Sèvres dans lequel on avait placé quelques fleurs, des œillets.

Il interrogea M me Drapier :

— Ce sont là vos fleurs de prédilection ?

Eugénie Drapier leva les bras au ciel.

— Mon Dieu ! monsieur, vous m’ahurissez, vous me parlez de cigares, de fleurs… Tout à l’heure, vous faisiez un interrogatoire sur les couleurs que je préfère !… Et vous me demandiez si mon mari était partisan des bouts carrés ou des bouts pointus pour les chaussures !… Vraiment, où voulez-vous en venir ?

Le journaliste, qui s’était animé, vint se placer en face de M me Drapier et sagement il articula :

— Je veux en venir, madame, à l’information parfaite, au reportage documenté complet. Je suis de l’école du journalisme compris à l’américaine, et j’ai l’honneur d’avoir fait mes débuts dans la carrière sous l’égide de notre célèbre confrère, Jérôme Fandor. Ah ! madame ! quel dommage qu’il ne soit point resté dans la presse ou qu’il ne nous envoie point de reportage sur les terribles et tragiques aventures qu’il vit perpétuellement lorsqu’il est à la poursuite de Fantômas ! Madame ! s’écria Mirat dans l’élan de sa péroraison, si Jérôme Fandor était ici, peut-être découvrirait-il la clef du mystère ! Peut-être le mystère du crime qui s’est produit dans votre demeure l’éclairerait-il d’un jour nouveau en y découvrant la trace de Fantômas !…

M me Drapier était absolument abasourdie par l’éloquence extraordinaire de ce journaliste.

Au surplus, celui-ci ne tenait pas en place.

Il allait et venait dans la salle à manger. Tout en bavardant, il furetait partout, regardait de tous côtés.

À un moment donné, ayant soulevé une portière, il constata qu’elle dissimulait une porte et demanda :

— De l’autre côté, madame, c’est bien le cabinet de travail de M. Léon Drapier ?

— Oui, monsieur, fit Eugénie Drapier en étouffant un soupir.

Le journaliste se rapprocha d’elle.

— Vous seriez bien aimable de me le montrer. Je ne l’ai point revu depuis le jour du crime, et je serais heureux d’en revoir l’aménagement !

Cette fois, M me Drapier se levait à son tour.

— Ah ! c’est impossible ! déclara-t-elle. Cette fois, je vous arrête, monsieur !… Je vous en prie, n’essayez pas d’ouvrir cette porte !…

— Pourquoi donc ? fit le journaliste surpris.

— Parce que, monsieur, expliqua M me Drapier, voilà plusieurs jours déjà que l’accès de cette pièce nous est interdit ainsi qu’à tout le monde. Voyez plutôt : on a mis sur les battants de la porte des scellés.

Mirat poussa un cri de joie.

— Des scellés !… Que ne le disiez-vous plus tôt, madame ! Ah ! par exemple ! J’allais faire une belle gaffe ! Aucun de mes confrères n’en a parlé, et je vais être le premier à l’annoncer ! Les scellés sur le cabinet de travail de M. Drapier ! Mais c’est un tuyau de premier ordre, cela !…

Brusquement, le journaliste bondissait hors de la salle à manger. Il traversa la galerie en trombe et, en personnage familier de la maison, il ouvrit la porte qui donnait sur l’escalier.

— Sigissimons ! appela-t-il.

Un cri rauque, ressemblant à la fois au hululement de la chouette et à la plainte criarde de la pintade, lui répondit, et Mirat aperçut, assis sur les marches de l’escalier, un être à l’allure extravagante, vêtu en globe-trotter, chaussé d’énormes souliers à clous, coiffé d’une casquette à carreaux, et qui portait en bandoulière une énorme boîte recouverte de cuir noir.

Ce personnage n’était autre que Sigissimons, le célèbre reporter photographe de La Capitale, Sigissimons, l’homme qui avait fourni les documents photographiques les plus extraordinaires, les reportages les plus audacieux, les plus difficiles, l’homme qui, comme pas un, prenait à cinquante centimètres de distance le portrait du président de la République ou de la reine d’Espagne lorsque, incognito, elle traverse Paris.

C’était Sigissimons, Sigi, comme l’appelaient ses familiers, qui attendait dans l’escalier et venait de pousser ce cri saugrenu pour répondre à l’appel de Mirat.

Le journaliste toutefois précisait :

— Grouille-toi, mon vieux ! Un cliché superbe à faire ! Les scellés sur la porte du cabinet de travail !…

Quelques instants après, M me Drapier voyait sa salle à manger, non seulement encombrée par tous les accessoires du photographe, mais encore empestée par un dégagement de fumée de magnésium.

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