Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 17 стр.


— Je n’étais encore jamais venu ici. Vraiment, c’est très amusant de voir fabriquer la monnaie… Dites-moi, ces machines…

Il fut interrompu dans sa phrase par M. Davout. Celui-ci, en effet, muet de surprise tout d’abord, commençait désormais à retrouver son sang-froid. Il reprenait l’usage de la parole pour prononcer immédiatement :

— Monsieur, je regrette d’être obligé de vous avertir, mais cet atelier est rigoureusement interdit au public. Si vous attendez M. le directeur, il faut l’attendre dans son salon, mais pas ici. Voulez-vous me permettre de vous reconduire ?

Le personnage s’excusait d’un geste :

— Oh ! monsieur, faisait-il, ne vous donnez pas cette peine, je ne croyais pas que cet atelier était interdit au public, sans quoi…

Et, saluant M. Davout, il s’éloignait, cependant que l’inspecteur général, qui était fort aimé du personnel, se retournait vers les deux frappeurs et échangeait avec eux une remarque amusée :

— Eh bien, faisait-il, elle n’est tout de même pas ordinaire, cette affaire-là ! Voilà maintenant qu’on entre ici comme au moulin, et ce monsieur qui ne s’imaginait pas que l’atelier était interdit au public !… En vérité, c’est inimaginable… Je parierais que, sans s’en douter, il emporte au moins pour trois francs d’or dans la poussière de son pardessus.

Les ouvriers haussaient les épaules, n’attachant pas grande importance à l’incident. M. Davout continuait à tempêter quelque peu, puis regagnait son bureau de verre.

Or, comme l’inspecteur général allait reprendre place à sa table de travail et vérifier un document officiel dont on venait de lui annoncer la promulgation récente, il entendait ou croyait entendre quelques murmures de voix dans un atelier tout voisin, l’atelier des rogneurs.

— Ah ça, qu’est-ce qui se passe là ? dit M. Davout.

Et traversant l’atelier de la frappe, il entra chez les rogneurs.

Il y entra tout juste pour apercevoir le contremaître, un homme sérieux, posé, duquel, dans l’administration on faisait le plus grand cas, qui s’entretenait avec un monsieur en civil que, du premier coup d’œil, M. Davout reconnut être le visiteur qu’il venait d’expulser de l’atelier de la frappe.

M. Davout n’avança pas, se tint coi et prêta l’oreille.

— Mais, monsieur, protestait à ce moment le contremaître, l’atelier n’est pas public, que diable !… Comment se fait-il que vous soyez là ? D’où venez-vous ?

Le contremaître ne paraissait pas content, il interrogeait d’un ton un peu nerveux. M. Davout s’abstint encore plus soigneusement de paraître.

L’étranger s’excusait d’ailleurs avec une parfaite bonne grâce.

— Oh, pardonnez-moi, faisait-il, décidément, je ne commets que des erreurs. Précisément, je viens de l’atelier de la frappe, d’où l’on m’a également prié de me retirer. J’attends M. le directeur, je voulais regagner son antichambre, c’est en me trompant de chemin que je suis entré ici. C’est par ici, n’est-ce pas, qu’il faut passer ?

L’étranger faisait trois pas en avant, poussait une porte, mais s’arrêtait net, poursuivi par les exclamations furieuses du contremaître.

— Mais, ce n’est pas par là, monsieur ! criait en effet l’ouvrier. Vous vous trompez absolument de chemin. Vous entrez maintenant aux réserves d’or…

L’homme tourna sur lui-même et revint sur ses pas en riant.

— Allons ! faisait-il d’un ton bonhomme, il est dit que j’entrerai partout, ici !

Et, apercevant cette fois M. Davout qui le surveillait de loin, il s’excusait encore :

— Je ne peux pas retrouver mon chemin, figurez-vous.

— Je vais vous conduire, répliqua M. Davout.

L’inspecteur général, très froid, très net, ouvrit immédiatement une porte et fit passer devant lui l’extraordinaire visiteur.

— Venez, disait-il. Vous voyez que c’est excessivement simple. Vous êtes ici dans l’antichambre même de M. le directeur. L’huissier va revenir dans un instant, il vous introduira, vous n’avez qu’à vous asseoir ici en l’attendant et à rester bien tranquille.

— Merci, monsieur.

Le visiteur avait l’air de comprendre qu’on lui donnait ces conseils un peu à la façon dont on formule un ton impératif. Il répondait d’un ton sec, vexé lui-même sans doute. M. Davout n’insista pas, salua et se retira.

Une seconde plus tard, d’ailleurs, l’huissier réapparaissait dans la pièce. Il levait les bras au ciel en apercevant le visiteur, il remarquait familièrement :

— Ah, bien, qu’est-ce que vous étiez donc devenu ? Justement, je vous cherchais dans la galerie. Monsieur le directeur vous attend.

Le serviteur ouvrait une porte rembourrée, conduisait jusqu’à l’entrée d’un grand cabinet de travail le fâcheux curieux.

— Monsieur Mix ! annonçait-il d’une voix de stentor.

Et c’était en effet Mix, le policier qui avait offert ses services à Léon Drapier, qui venait voir le directeur de la Monnaie.

Celui-ci cependant s’était levé et accourait au-devant de son visiteur.

Léon Drapier était très pâle. Il avait la mine d’un homme qui, depuis quelques jours, se fait effroyablement du mauvais sang et balance entre les partis les plus désespérés.

— Ah ! je suis heureux de vous voir ! disait-il en serrant les mains de Mix. Je commençais à me demander si vous aviez oublié ce rendez-vous et si vous n’alliez pas venir…

Mix devait évidemment trouver la supposition plaisante, car, en écoutant Léon Drapier, un sourire passait sur sa physionomie.

— Allons donc ! faisait-il, je viens toujours aux rendez-vous que je donne et je suis l’exactitude en personne.

En parlant, il se débarrassait de son chapeau, de sa canne, il s’asseyait, prenait ses aises, se carrant dans un fauteuil.

— Par exemple, remarquait-il, j’avoue que je viens d’échouer lamentablement.

— Échouer !… en quoi ? fit Léon Drapier, tressaillant. Vous pensiez avoir une piste ?

— Non, confessa Mix. Mais je pensais pouvoir en chercher une. J’ai essayé de me faufiler dans vos ateliers, j’ai été repoussé partout.

Ce fut au tour de Léon Drapier d’avoir un sourire ironique.

— Cela ne m’étonne pas, protestait le directeur de la Monnaie. La consigne est sévèrement exécutée ici, et les étrangers n’ont aucune chance de pouvoir pénétrer dans les ateliers.

Mais cette déclaration paraissait ennuyer Mix.

— Diable ! faisait-il, c’est qu’il serait du plus haut intérêt que je puisse aller et venir sans éveiller les soupçons.

— Pourquoi donc ?

— Pour savoir, d’abord, ce que vos ouvriers disent, et ensuite pour enquêter !

En écoutant le policier, Léon Drapier pâlissait de plus en plus.

— Ah, l’abominable affaire ! murmurait-il. Combien je suis inquiet désormais…

Puis il se penchait vers M. Mix, et du ton dont on fait les confidences, il avouait avec peine :

— Vous voulez savoir ce que mes ouvriers disent ? Eh ! parbleu, je m’en suis assuré moi-même. Une chose abominable… Naturellement, ils se réjouissent de l’embarras où je me trouve ; ils estiment l’aventure très drôle et jugent cela plaisant !

Et comme si cette supposition lui eût paru particulièrement douloureuse, Léon Drapier assénait un violent coup de poing à sa table de travail.

— Je vous dis que j’en deviendrai fou…

M. Mix, cependant, à ce mouvement de colère se contentait d’éclater de rire.

— Mais non, mais non, protestait-il d’un ton bonhomme… Ne dites point de choses semblables !… Il ne faut pas vous frapper, que diable ! Vous verrez que je vous sortirai de toutes ces aventures.

Et comme Léon Drapier se taisait, M. Mix poursuivait :

— Vous avez confiance en moi, n’est-ce pas ?

— Dites que je n’ai plus confiance qu’en vous… articula le directeur de la Monnaie.

M. Mix reprit :

— Eh bien, votre confiance n’est pas mal placée ! Évidemment, je ne peux pas vous dire tout ce que je pense, mais enfin… enfin…

Et, tout en souriant, M. Mix, qui paraissait nourrir des pensées secrètes, affirmait :

— Tenez, je vous promets, moi, de vous tirer d’affaire. Êtes-vous content, maintenant ?

Léon Drapier ne paraissait, malgré tout, qu’à demi rassuré.

— Les apparences sont contre moi, soupirait-il.

Cela précisément ne semblait pas émotionner outre mesure le policier.

— Bah ! les apparences ! faisait-il, cela se change !…

Et comme Léon Drapier le regardait avec une émotion non dissimulée, M. Mix continuait, faisant évidemment preuve d’un extraordinaire sang-froid :

— C’est entendu, mon pauvre ami, que les apparences sont contre vous, mais c’est précisément parce que toutes les apparences vous chargent que je tiens votre innocence pour certaine. Or, du moment que je suis convaincu de votre innocence, je n’aurai aucun scrupule d’imposer ma conviction, le fût-ce par la force et par la ruse, au monde entier. Donc…

M. Mix s’interrompit, mais Léon Drapier le questionnait déjà :

— Donc ? faisait-il, qu’alliez-vous dire ?

M. Mix se leva.

— Donc, fit-il, en prenant son chapeau, nous changerons les apparences, et voilà tout…

Puis il interrogeait brusquement :

— Êtes-vous libre, ce matin ? Il faut que vous soyez libre.

Le directeur de la Monnaie était si bien affolé par les événements tragiques qui se déroulaient chez lui depuis quelque temps qu’il eut une réponse qui, en réalité, suffisait à prouver son inquiétude :

— Je suis certainement libre, déclarait-il, s’il le faut. Dans un cas pareil, on envoie tout promener.

— Naturellement, conseilla M. Mix. Eh bien, habillez-vous.

— Où allons-nous donc ?

Le policier Mix déclara froidement :

— Chez Paulette, chez votre ancienne maîtresse, chez cette malheureuse Paulette de Valmondois !

Vingt minutes plus tard, sans avoir trop eu le temps de se reconnaître et de réfléchir, Léon Drapier se trouvait dans un fiacre en compagnie de M. Mix, les deux hommes allaient rue Blanche.

Léon Drapier, toutefois, au fur et à mesure que la voiture avançait, manifestait de nouvelles inquiétudes.

— Mon Dieu, demandait-il, qu’allons-nous faire chez Paulette ? N’est-il pas très imprudent d’y aller ? Voyons, M. Mix, si jamais la police faisait une enquête et nous trouvait là ?

Mais à cette supposition, un sourire énigmatique passait sur le visage du détective.

— N’ayez aucune crainte, affirmait-il, cela ne se produira pas, d’ailleurs, je suis renseigné.

Une autre réflexion venait alors à la pensée de Léon Drapier.

— Comment ferons-nous pour entrer dans l’appartement ? interrogeait-il. Je n’ai pas les clefs de Paulette, et je pense qu’après le crime c’est la police qui les a emportées. Nous allons être à la porte.

M. Mix eut encore un sourire ironique.

— Bah ! nous verrons bien, répondit-il. Avec moi, vous savez, on ne reste pas à la porte…

Léon Drapier devait, en effet, s’en convaincre quelques instants plus tard. Le fiacre s’était arrêté rue Blanche, suivant les instructions du policier, deux numéros avant l’immeuble tragique.

Mix payait, affirmait à Léon Drapier avec une belle générosité que cela rentrait dans ses frais généraux, et qu’il le rembourserait à la fin de l’enquête, puis il donnait au directeur de la Monnaie ses dernières instructions.

— Inutile de risquer que l’on nous voie tous les deux. Entrez le premier, je vous rejoindrai dans une minute.

Quelques secondes plus tard, en effet, le policier rejoignait Léon Drapier sur le palier de l’appartement de Paulette.

Mix, en arrivant, posait sa main sur l’épaule du directeur de la Monnaie.

— Au fait, demandait-il, vous avez un revolver ?

— Oui, pourquoi ?

— Passez-le moi donc.

La physionomie de Léon Drapier marquait un tel étonnement, à cette demande, que le détective dut s’expliquer.

— Oh ! faisait-il, n’ayez crainte, ce n’est pas pour m’en servir, au contraire. Seulement, comme ce que nous allons tenter est quelque peu risqué et que nous sommes exposés à rencontrer quelque gêneur, j’aime autant que vous n’ayez pas d’arme sur vous.

Et Mix expliquait encore, goguenard :

— Vous êtes nerveux, impressionnable, vous pourriez vous émotionner, tirer sans le vouloir, et cela compliquerait singulièrement les choses…

Le revolver de Léon Drapier disparut dans la poche du détective qui était évidemment un homme prudent et devait conduire l’extraordinaire enquête qu’il menait suivant un plan bien arrêté.

Mix, d’ailleurs, ne perdait pas son temps.

À l’ébahissement de Léon Drapier, il sortait tranquillement de sa poche un petit outil dont l’acier miroitait.

— C’est une pince monseigneur, expliquait tranquillement le policier.

Il glissait l’instrument sous le vantail de la porte, effectuait une pesée, soulevait les targettes ; un instant plus tard, Mix ayant opéré avec une adresse de cambrioleur professionnel, les deux hommes étaient dans l’appartement de Paulette de Valmondois.

À ce moment, Léon Drapier questionna :

— Et que sommes-nous venus faire ici ?

— Rien, riposta Mix. Un tour… Nous sommes là, tout simplement, cher monsieur, pour changer les apparences, je vous l’ai dit.

Et Mix s’employait en conscience, en effet, à bouleverser ce qu’il appelait les apparences.

Il guidait Léon Drapier et lui faisait effectuer toute une série de besognes dont celui-ci était loin de soupçonner l’importance.

— Voyons, demandait le policier, vous écriviez à votre maîtresse de temps à autre ? Savez-vous si elle gardait vos lettres ? Savez-vous surtout où elle les mettait ?

— Ici, riposta le directeur de la Monnaie, dans ce petit secrétaire. Tenez, les voilà.

— Déchirez-moi tout cela, ordonna le policier. Jetez-moi tout cela dans la corbeille à papier.

Mix, quelques instants plus tard, demandait :

— Vous n’aviez pas, par hasard, des objets personnels, dans cet appartement ? des vêtements ? du linge ?

— Si, protesta Léon Drapier. J’ai un habit dans une armoire et quelques faux-cols.

— Brûlez ! Brûlez ! ordonna le policier.

Un feu flamba dans la cheminée ; quelques instants plus tard, Léon Drapier sacrifiait son habit.

Mix, alors, s’occupait à une autre besogne.

— Il serait fort intéressant, disait-il à son compagnon, que l’on pût imaginer un motif plausible au crime dont Paulette de Valmondois a été victime. Vous êtes au-dessus d’un vol, mon cher ami ; par conséquent, si l’on trouvait des traces de vol, cela certainement tendrait à vous innocenter. Savez-vous où Paulette mettait ses bijoux, son argent ?

— Dans l’armoire à glace, bégaya Léon Drapier.

— Fracturez-la ! Volez le tout ! Parbleu, vous rendrez au centuple ces choses à votre maîtresse lorsqu’elle sera rétablie !…

— Naturellement, concéda Léon Drapier.

Le directeur de la Monnaie, cependant, apparaissait quelques instants plus tard fort embarrassé lorsqu’il s’agissait d’écouter les conseils de Mix et, comme le lui avait enjoint le policier, de fracturer l’armoire à glace.

— Comment procéder ? demandait-il.

— Comme bon vous semblera ! ripostait le policier. Si je vous donnais des conseils, cela ne serait plus intéressant. La police devinerait un tour de main.

L’observation parut juste à Léon Drapier, qui s’escrima immédiatement contre l’armoire à glace et s’étant armé d’un fer à repasser, parvint à défoncer la porte.

— Mon Dieu ! murmurait de temps à autre le pauvre directeur de la Monnaie, quelle invraisemblable histoire !… Ah ! monsieur Mix, monsieur Mix, je me demande si vous me tirerez de là !

Une seule chose rendait d’ailleurs un peu confiance au directeur de la Monnaie. C’était précisément le calme profond de son compagnon, le sang-froid merveilleux dont semblait faire preuve le policier qui s’était chargé de l’innocenter.

Mix, les deux mains dans ses poches, allait et venait dans l’appartement. Il ne touchait à rien, mais il avait l’œil à tout. Et c’était perpétuellement des conseils qui ahurissaient Léon Drapier.

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