Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 16 стр.


« M. Drapier, qui n’est pas mauvais homme à l’ordinaire, voit rouge, sitôt qu’il s’agit d’un danger couru par sa propre tranquillité personnelle. Il apprend que Firmain était, non point l’amant de sa maîtresse, mais le frère de cette femme. Il se rend compte qu’elle va être interrogée si ce n’est déjà fait, qu’elle va parler, révéler qu’elle était la maîtresse de M. Léon Drapier ; une altercation s’ensuit, M. Léon Drapier tire sur Paulette de Valmondois et s’enfuit terrifié, très heureux que la police, décidément bien maladroite, prenne le drame pour un vulgaire suicide… »

Une fois encore Léon Drapier interrompit.

— Ah çà, monsieur, c’est de la pire folie ! Vous imaginez tout cela ! Votre roman ne tient pas debout ! Car c’est un roman…

M. Mix regardait la pendule, il articula à mi-voix :

— Huit heures trente-quatre et demie, encore trente secondes !… C’est effectivement un roman, monsieur, mais un roman parfaitement plausible et je sais qu’à l’heure actuelle c’est la version officielle qui prévaut dans les milieux policiers !

« Il y a en outre des preuves qui paraissent convaincantes à votre égard !

« On a mis sous scellés, aussi bien chez vous que chez Paulette de Valmondois, des objets qui vous appartiennent. Lorsque la justice reconstituera les deux crimes, vous y serez si directement mêlé qu’il faudra bien que vous fournissiez des explications aux magistrats… Encore quatorze secondes ! Si je vous parle, monsieur Drapier, c’est parce que je sais que d’ici demain matin vous serez inculpé d’un double crime. Encore dix secondes !… et que je suis le seul homme capable qui peut vous tirer d’affaire, car seul je possède les preuves de votre innocence. Encore trois secondes pour les derniers mots !… et que seul je suis capable de les faire valoir !

« Les cinq minutes sont écoulées, monsieur Drapier, vous avez jusqu’à huit heures quarante pour réfléchir sur la situation !

« De deux choses l’une : ou vous allez vous débattre entre les magistrats, les inspecteurs de la Sûreté, le Parquet et les fonctionnaires de votre administration, ou vous allez en vous confiant à moi éviter d’être même inquiété un seul instant…

« De deux choses l’une : ou vous allez risquer un scandale et le divorce ensuite, la perte de l’héritage de votre tante enfin, si l’on apprend que vous étiez l’amant de Paulette de Valmondois, ou alors grâce à moi, nul ne pourra jamais déclarer que M. Léon Drapier a été, fût-ce cinq minutes, en relations avec la fille Poucke !

« Vous ne risquez rien à m’employer, décidez-vous, monsieur Drapier !

Quelques instants, le directeur de la Monnaie demeurait profondément perplexe.

Il se méfiait de cet individu qu’il ne connaissait point, et d’autre part l’homme parlait avec une telle assurance, il venait de formuler une chose si juste que, malgré lui, M. Drapier était bien tenté de lui accorder sa confiance.

— Après tout, qu’est-ce que je risque ? se disait-il. Il n’est pas interdit d’avoir un homme d’affaires lorsqu’on a des soucis dans une entreprise commerciale, et je ne crois pas qu’il soit malséant d’avoir son détective privé si, d’aventure, on risque des ennuis avec la justice criminelle !… Cet homme doit avoir raison. Il m’offre ses services, si je le paye, il me sera dévoué.

Léon Drapier n’était pas l’homme des hésitations longues.

Il se tourna vers Mix et lui déclara :

— Monsieur, c’est une affaire entendue. Vous me proposez la défense de mes intérêts. Vous avez, dites-vous, d’excellents arguments, non point pour prouver mon innocence, c’est inutile, je ne suis pas criminel, mais pour que ma mise hors de cause s’effectue sans scandale. Eh bien, soit ! je suis d’accord avec vous, j’accepte votre proposition…

Pas un muscle du visage de M. Mix ne bougea.

— C’est bien ! fit-il, nous sommes d’accord ! Mille francs par mois, trois mois garantis, vous allez me faire un papier.

Il regardait la pendule.

— Nous avons déjà gagné deux minutes sur l’horaire. Il n’est que huit heures trente-huit au lieu de huit heures quarante !

M. Mix, plus imperturbable, ajoutait encore :

— Nous avons donc sept minutes pour rédiger le contrat, c’est plus qu’il n’en faut !

— Drôle d’homme ! pensa M. Drapier.

M. Mix, cependant, s’était levé. Les bras croisés, il allait et venait dans la pièce, semblant réfléchir profondément. Enfin il articula :

— Mettons-nous en règle d’abord ! Voulez-vous écrire sous ma dictée, monsieur Drapier ?

Et, comme le directeur de la Monnaie prenait une plume en hésitant, Mix le rassura :

— Il s’agit simplement du petit engagement de me payer mes appointements, et non d’autre chose. Vous ne risquez rien à mettre sur ce papier blanc : Je soussigné, m’engage à payer à M. Mix, pour ses bons services, la somme de mille francs par mois, et ce, pendant trois mois consécutifs.Veuillez dater et signer, monsieur Léon Drapier.

Quel pouvait bien être cet étrange personnage qui, en l’espace de quelques instants, avait, par son indiscutable ascendant, capté la confiance du haut fonctionnaire qui dirigeait l’administration de la Monnaie ?

S’agissait-il d’un véritable policier ?

Était-ce au contraire un adversaire de Léon Drapier ?

Nul assurément n’aurait pu le dire, Léon Drapier moins que tout autre. Le directeur de la Monnaie avait réfléchi et il s’était rendu compte qu’en somme il ne risquait rien à faire la promesse demandée. Et puis Léon Drapier avait tellement peur du scandale susceptible de l’amener au divorce qu’il aurait fait n’importe quoi pour l’éviter ; même la plus terrible des maladresses.

IX

Innocentement

La matinée s’annonçait fort belle. Bien qu’il trainât un peu de brouillard à ras de terre, on devinait le ciel bleu, très pur, et tout éblouissant de soleil matinal.

Les berges avaient un air de fête et, dans l’atmosphère de la matinée, tout apparaissait avec un air de neuf, de pimpant, de guilleret, qui eût suffi à disposer à la gaieté les esprits les plus moroses.

Comme un fleuve d’argent, la Seine, qui cependant ne peut prétendre à rouler des flots purs, coulait paisiblement dans l’admirable décor de la Cité, ce décor naturel qui semble cependant, tant il est merveilleux, avoir été composé par quelque artiste de talent.

À droite, on apercevait la masse sombre du Louvre, sa façade merveilleuse, ses colonnades à la fois puissantes et légères ; à gauche, trapu, ramassé en force, l’institut paraissait quelque géant accroupi prêt à happer les passants assez téméraires pour s’engager sur le pont des Arts.

Puis c’était, à la file, dans le pittoresque désordre de leurs casiers ouverts, la théorie des bouquinistes que les passants, les uns après les autres, interrogeaient, marchandaient, et qui, finalement, avaient toujours gain de cause.

Il était à peine huit heures du matin. C’était encore dans les rues un va-et-vient affairé, des écoliers se rendant aux classes, des apprentis se hâtant vers l’atelier, des ouvriers, beaucoup moins pressés, semblait-il, se dirigeant vers leur travail, en fumant tranquillement quelques cigarettes dont la bleuâtre fumée montait en spirale dans l’air pur.

De temps à autre, le cri d’un remorqueur, strident, prolongé, retentissait, on voyait une file de péniches aux ventres rebondis, aux flancs combles de matériaux, s’avancer majestueusement et, dans un tourbillon d’écume, franchir les arches des ponts où la Seine se resserrait avec peine.

À ce moment, une sirène poussa un lugubre hurlement.

Et c’était immédiatement, sur les quais, la galopade rapide d’une foule d’ouvriers qui, les uns après les autres, se hâtaient vers un bâtiment sombre que les passants regardaient avec un air d’intérêt. On entendait des exclamations joyeuses :

— Vite, mon vieux, cavale !…

— Encore une journée où l’on ne va pas s’amuser. Le singe est d’une humeur de chien !

On s’appelait encore de groupe en groupe, on se souhaitait le bonjour.

— C’est toi, Émile ? comment ça va, ma vieille ?

Et tout ce flot d’ouvriers s’engouffrait sous la porte basse avec de véritables tourbillons qui rappelaient la lutte du fleuve sous les ponts, cependant qu’un concierge, un « pointeau », disaient les ouvriers, se promenait sur le trottoir, agitant un trousseau de clefs et prêt à refermer inexorablement la porte au nez des derniers retardataires lorsque le second coup de sirène aurait retenti.

Quels étaient ces ouvriers, quelle était l’usine où ils s’empressaient ainsi ?

L’usine était vraiment spéciale et les travaux qu’on y effectuait pouvaient à bon droit mériter la visite des quelques rares privilégiés qui, chaque année, obtenaient d’y pénétrer.

Il s’agissait de la Monnaie, et les ouvriers étaient tout simplement les monnayeurs, ceux-là qui s’occupent à fondre, à frapper, à polir les pièces d’or et d’argent qui servent de façon si terrible à causer le bonheur ou le malheur des humains.

La petite porte de la rue une fois franchie, les ouvriers arrivaient dans un long couloir séparé dans le sens de la largeur par trois longues barrières dans lesquelles ils prenaient la file. À droite, allaient les fondeurs ; au milieu, se plaçaient les frappeurs ; la dernière série comprenait les compteurs, les pareurs et les expéditeurs.

Ceux-là entraient directement dans leur atelier, et pouvaient se mettre immédiatement au travail. Ils n’avaient à manier que des pièces faites, finies en quelque sorte, et les précautions de sûreté prises à leur endroit n’étaient pas énormes. Au surplus, pour assurer une honnêteté d’ailleurs proverbiale dans le personnel, il suffisait évidemment de compter les pièces d’or fabriquées et par conséquent les erreurs, les vols pour tout dire, n’étaient pas à craindre.

Il en était en revanche tout autrement pour les ouvriers appelés à travailler dans les ateliers de fabrication.

Ceux-là, en raison même de la nature de leur besogne, étaient astreints à des précautions véritablement minutieuses et qu’un profane peut croire exagérées.

Un contremaître de service, en effet, les conduisait immédiatement à de vastes vestiaires, où ils devaient abandonner leurs vêtements pour revêtir un uniforme sévèrement combiné par l’administration.

Il s’agissait d’une sorte de grande blouse faite d’alpaga, une étoffe sèche qui ne retenait pas la poussière. La blouse était serrée aux manches, aux chevilles, au cou, par de puissants élastiques qui garantissaient qu’elle fermait hermétiquement.

Les hommes, enfin, enfonçaient sur leurs cheveux une sorte de calotte noire qui, elle aussi, les serrait au visage étroitement.

Pourquoi prenait-on toutes ces précautions et dans quel but imposait-on cet uniforme ?

Qui eût suivi ces ouvriers s’en fût facilement rendu compte.

En sortant des vestiaires, ils se rendaient, en effet, dans les ateliers de travail, et là c’était un éblouissement, un extraordinaire spectacle, une féerie qui ne pouvait manquer de surprendre et d’halluciner en même temps.

Dans les ateliers de la Monnaie, tout semblait en réalité être en or, et le précieux, le terrible métal se devinait partout.

On s’occupait, en effet, d’une importante frappe de pièces de vingt francs qui devaient être, un peu plus tard, mises en circulation. La Monnaie était donc en pleine période de travail, et l’on y manipulait chaque jour de l’or pour des sommes véritablement fabuleuses.

Or, au cours des différentes manœuvres de fabrication, au cours de l’estampage, du rognage, l’or semblait se pulvériser en une chaude poussière, d’une invraisemblable finesse.

Tout se trouvait dès lors poudré d’or. Tout disparaissait sous une couche jaune et, fort peu de temps après la mise en marche des machines, les ouvriers eux-mêmes, vêtus de leurs grandes blouses, étaient rutilants, comme dorés, ou comme saupoudrés de la précieuse poudre.

Il y avait naturellement des fortunes véritables qui flottaient ainsi dans l’air. L’État ne pouvait admettre que ces fortunes fussent perdues, et c’est pourquoi des précautions spéciales étaient prises. Les ouvriers étaient astreints à changer de vêtements ; de plus, ils devaient, en quittant l’atelier, se débarbouiller dans des eaux que l’on épurait ensuite et, de la sorte, aucune parcelle, si petite fût-elle, de la précieuse matière ne se trouvait égarée.

Dans les ateliers, cependant, nul parmi les travailleurs de l’or ne prêtait plus attention à la féerie merveilleuse de cette richesse à la disposition de tous. Les ouvriers étaient blasés. Ils avaient si bien l’habitude de manipuler ainsi dédaigneusement cet or, qui servait cependant à leur payer chaque mois de chiches appointements, qu’ils trouvaient la chose naturelle. L’or n’était plus, en effet, pour eux qu’une sorte de matière première comparable à n’importe quel autre métal et qu’ils façonnaient avec indifférence, sans en éprouver le moindre vertige, sans en ressentir la moindre convoitise.

Ils se prêtaient, toutefois, volontiers aux précautions nécessaires pour éviter la perte de la poussière d’or, ils étaient eux-mêmes soigneux, et cela faisait que les ateliers de la Monnaie, somptueusement installés, pourvus de machines merveilleuses, semblaient en réalité, dès l’ouverture du travail, une grande ruche laborieuse où des abeilles poudrées d’or s’affairaient en silence.

La fabrication de la monnaie est un véritable travail d’art. Pour assurer l’exactitude des pièces, leur triage rigoureux, leur poids toujours égal, les plus grandes précautions sont prises. Des ingénieurs vont et viennent, jetant partout le coup d’œil du maître. Les machines spéciales sont l’objet de soins attentifs, et il n’est pas un détail, si petit soit-il, de la manutention qui ne fasse, chaque mois, l’objet d’une étude, d’un rapport particulier.

Dans ces ateliers d’un caractère tout spécial, cependant, une certaine émotion se manifestait ce matin-là, une heure après le commencement du travail. Deux ouvriers, deux frappeurs, qui surveillaient la marche d’un grand flanc chargé d’estamper les pièces de vingt francs, échangeaient des coups d’œil surpris.

— Qu’est-ce que c’est que ce monsieur qui s’balade ?

— Sais pas ! L’inspecteur principal l’a vu ?

— Non, il ne lui a pas encore parlé !

L’inspecteur principal de la Monnaie, M. Davout, était en réalité spécialement attaché à veiller au bon ordre, à la parfaite tenue de l’atelier. Comme les deux ouvriers échangeaient ces propos, il apparut précisément, brusquement sorti d’un petit bureau aux cloisons de verre installé au centre de l’atelier de la frappe.

M. Davout, à grands pas, se précipitait vers un personnage vêtu de noir, coiffé d’un melon, qui, les mains dans les poches, tranquillement, allait et venait, s’arrêtant devant les machines, et les regardant avec intérêt.

M. Davout eut un petit sourire, un salut courtois et s’informa :

— Pardon, monsieur, mais à qui ai-je l’honneur de parler ? Que faites-vous ici ?

Le monsieur vêtu de noir répondait au salut de M. Davout par une révérence non moins polie et ripostait d’un ton tranquille :

— Mon Dieu, monsieur, mon nom ne vous apprendrait rien, j’attends tout simplement monsieur le directeur et, en l’attendant, je me promène…

Cette réponse eut le don de stupéfier littéralement l’honnête inspecteur général.

Il y avait vingt ans, en effet, qu’il était à la Monnaie, qu’il y occupait ses fonctions, et jamais encore il ne lui avait été donné d’entendre une phrase si parfaitement ahurissante à ses yeux.

— Vous vous promenez ?… reprit-il.

Et il disait cela d’un ton qui marquait sa stupéfaction.

L’autre, cependant, continuait, toujours fort calme, et ne paraissait pas s’apercevoir de l’énormité de ses paroles.

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