Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 2 стр.


Même, encore une fois, M me Drapier avait poussé un cri de surprise, car elle ne s’attendait en aucune façon à ce que son domestique fût déjà là, au moment où elle passait du salon dans la salle à manger.

Le dîner était hâtivement expédié, encore qu’il fût servi selon un protocole rigoureux, nécessitant la présence du valet de chambre, dans la salle à manger, tandis que ses maîtres dînaient.

Enfin, vers huit heures et demie, M. et M me Drapier passaient dans le salon et dès lors, en prenant leur café, recommençaient à discuter sur les qualités et défauts du personnage qui, ce soir-là, captait leur attention, de ce nouveau domestique que l’on venait d’engager.

À la cuisine cependant, Caroline, la vieille cuisinière, avait attendu pendant dix minutes que le valet de chambre revînt de la salle à manger pour se mettre à dîner.

Elle ne le vit point venir, elle attendit encore quelques instants, puis, impatiente, ayant faim, désireuse également d’aller se coucher, elle suivit le couloir du service qui conduisait de la cuisine à la galerie et s’en vint à pas de loup dans cette dernière pour voir ce que devenait le domestique.

Elle l’aperçut l’oreille collée au trou de la serrure de la porte qui donnait sur le salon.

— Eh bien, grommela-t-elle, en voilà un qui n’est pas curieux, par exemple !

Et elle lui toucha du doigt l’épaule.

Firmain tressaillit. Voyant la cuisinière, il eut une expression farouche qui épouvanta la vieille femme.

— Il n’a pas l’air aimable, ce garçon ! pensa-t-elle. Puis c’est des drôles de manières que d’écouter aux portes. Enfin ça ne me regarde pas !

Au surplus Caroline connaissait mal Firmain et, bien qu’il y eût entre eux, une grande différence d’âge, elle ne pouvait guère lui faire d’observations.

— Je vous cherchais, disait-elle, c’est l’heure de manger, voulez-vous ?

Caroline repartait pour la cuisine, Firmain la suivit.

Installés l’un en face de l’autre, ils absorbèrent en silence du potage à peu près froid, tandis que la cuisinière s’en allait remettre sur le fourneau le plat de viande à moitié consommé par les maîtres et dont la sauce était figée.

En attendant qu’il fût réchauffé, les deux domestiques engagèrent la conversation.

— Alors, demanda Caroline, comme ça, vous venez de province ?

Le valet de chambre eut un air énigmatique, il considéra la vieille bonne, puis d’une voix légèrement grasse et éraillée, presque faubourienne, il répliqua :

— J’en arrive, en effet !

Caroline Continuait :

— Vous allez vous plaire à Paris… Il y a du mouvement, de l’entrain, quoique dans notre quartier ce soit bien tranquille. On n’est pas gêné par le tapage…

— Oui, reconnut Firmain, les murs sont épais dans les maisons…

Caroline avait toutefois un petit sourire ironique à l’adresse du valet de chambre.

— Les portes aussi ! Mais heureusement qu’il y a le trou des serrures, par lequel, en y collant son oreille, on peut entendre ce qui se passe à côté, hein ?…

Le domestique prit un air vexé.

— C’est pas des choses qu’il est nécessaire d’aller répéter aux patrons ! Quand j’écoute comme cela, de temps en temps, c’est par curiosité, c’est histoire de savoir ce qu’on pense de moi. Un homme averti en vaut deux !

— Vous n’avez pas tort, fit Caroline, après tout, moi, pour mon compte, je sais bien que ça me gênerait d’aller ainsi les espionner, mais chacun fait comme il veut !

Après un silence elle demanda :

— Ont-ils parlé de moi ?

— Non ! déclara Firmain, mais de moi. Ils sont épatés, que j’aie de bons certificats… Ça les embête que je m’appelle Firmain… Ils se demandent s’ils ne vont pas m’obliger à répondre au nom de Charles, et enfin il est question de m’acheter des vêtements neufs… Mais ça finira probablement par le rafistolage de ceux que portait le précédent valet de chambre.

Un coup de sonnette impérieux retentit, qui interrompit le dîner des serviteurs.

— Allez voir, fit la cuisinière, c’est pour vous, voyez le tableau : c’est le patron qui sonne !

Et elle concluait :

— Moi, j’ai bien assez de m’occuper du service de la femme de chambre qui est malade en ce moment !

Firmain, cependant, était allé prendre les ordres de ses maîtres. Il revint au bout d’un quart d’heure.

Le domestique avait l’air tout guilleret, il but d’un trait le café bouillant que la cuisinière avait préparé dans un verre, puis lui souhaita le bonsoir.

— Vous avez votre clé ? demanda Caroline. Vous savez où est votre chambre ?

— Mais oui ! s’écria Firmain. Je connais la tôle ! N’ayez pas peur !

— À quelle heure qu’on vous a dit de descendre ?

— Pour sept heures du matin.

— Eh bien, alors, bonsoir !

Le domestique cependant montait rapidement dans sa chambre, au septième.

Mais il ne s’y installait pas, et loin de se disposer à se coucher, s’il enlevait son gilet rayé jaune, c’était pour y substituer un gilet ordinaire, sur lequel il revêtait un veston.

Firmain se coiffa d’une casquette, puis, ayant allumé une cigarette, il descendit par l’escalier de service.

Il était environ dix heures du soir. Comme l’avait dit Caroline la cuisinière, le quartier était tranquille.

Quelques rares voitures passaient… La plupart des lumières aux fenêtres étaient éteintes, et s’il y avait quelques personnes sur le trottoir, c’était surtout des domestiques, des collègues de Firmain qui promenaient des chiens ou alors venaient à des rendez-vous d’amour !

Par les soupiraux des cuisines, placées au sous-sol, des colloques s’engageaient entre des gentilles femmes de chambre et des mécaniciens, ou alors parfois c’était la cuisinière qui, furtivement sortie, venait conférer à voix basse avec le maître d’hôtel d’un immeuble voisin…

Firmain descendit la rue de l’Université, puis, par le boulevard Saint-Germain, gagna les quais.

Il affectait une démarche nonchalante, toutefois il semblait vouloir avancer assez vite. Étant arrivé à l’entrée du pont de la Concorde, il obliqua brusquement sur la droite, longea la berge de la Seine, assez élevée à cet endroit au-dessus du niveau du fleuve, puis, par un petit escalier métallique, descendit au bord de l’eau.

Il faisait très sombre, à cet endroit. Mais Firmain paraissait connaître à merveille cette berge de la Seine cependant encombrée de matériaux, de grosses pierres et de cahutes en planches réservées aux agents de la navigation.

Il alla se dissimuler derrière l’une d’elles et attendit en fumant une cigarette.

Pour un garçon qui arrivait de province, Firmain semblait bien au courant des détails de Paris !

Sur le quai au-dessus de lui passaient à intervalles irréguliers des tramways électriques. On entendait le bruit de leurs timbres aigus retentir dans le silence de la nuit…

Or, à un moment donné, Firmain, qui prêtait l’oreille, laissa échapper une exclamation.

— Ça y est, voilà la roulante de Rosny-sous-Bois !

Il avait reconnu – au coup de timbre – le tramway venant de cette localité.

Dès lors il sortit de derrière sa cachette, revint dans la direction de l’escalier métallique qui accédait à la berge.

Puis il attendit un homme qui précisément à ce moment le descendait et, lorsque ce personnage fut arrivé à quelques pas de lui, Firmain, touchant du doigt sa casquette, articula ces simples mots :

— Salaud ! salut !

Le nouveau venu rétorquait alors :

— Salut ! salaud !

Et après cet échange de propos qui, évidemment, constituait un signal et un moyen de se reconnaître, les deux hommes s’écartèrent de l’escalier et descendirent le long du quai, fort étroit, jusqu’au bord de la Seine.

Le personnage qui était venu rejoindre Firmain était un solide gaillard aux épaules carrées. Son visage paraissait rasé, il était toutefois difficile d’en apercevoir les traits, car le col de son manteau était relevé jusqu’au dessus de ses oreilles et son chapeau mou à large bord abaissé sur ses yeux.

— Alors, interrogea-t-il à brûle-pourpoint, m’as-tu fait le plan de la tôle ?

Pour toute réponse Firmain sortait de sa poche un papier sur lequel figurait, dessinée à la hâte, mais avec exactitude, la répartition exacte d’un appartement, avec de gros traits bleus figurant les portes et les fenêtres.

À la lueur d’un bec de gaz, placé au-dessus d’eux sur le quai, les deux hommes examinèrent ce plan.

L’homme au visage dissimulé demanda à Firmain :

— Où c’est que pieute la patronne ?

— Dans la carrée au fond du couloir…

— Et le singe ?

— Dans la tôle à côté du bureau !

— T’as les clés ?

— Probable ! Ne suis-je pas le domestique ? Alors, par conséquent, j’ai la confiance !

L’homme au visage dissimulé hocha la tête. Pendant quelques instants il demeura silencieux, puis il proféra :

— Eh bien, mon vieux, dès lors, on n’a plus rien à se dire. Ah ! si ! tout de même… Donne-moi une de tes clés… celle de l’escalier principal… et tu garderas celle de l’escalier de service, c’est plus naturel !

— Mais, interrogea Firmain, en hésitant, pour quand c’est-y ? Pour ce soir ou plus tard ?

L’homme rétorqua :

— T’occupe pas, tiens-toi prêt… Le plus tôt sera le mieux !

Les deux hommes alors se séparaient et, tandis que Firmain revenait rue de l’Université, son interlocuteur, pour n’avoir point l’air de le suivre, regagnait le pont de la Concorde et regardait attentivement couler l’eau noire dans la nuit…

À peu près à la même heure, Léon Drapier téléphonait.

Sans doute avait-il obtenu la communication qu’il avait demandée avant le dîner et qui paraissait tant lui tenir à cœur, car il souriait désormais, faisait des grâces devant l’appareil.

Lorsqu’il eut raccroché le récepteur, son visage était rayonnant.

Puis, soudain, ses traits s’assombrirent :

— Ah ! sapristi ! fit-il, j’ai oublié de donner des instructions à ce nouveau domestique au sujet de… précisément…

M. Léon Drapier se promena de long en large dans son cabinet.

— C’est embêtant, songeait-il, je n’aime pas quand c’est ma femme qui engage un valet de chambre… Il est évident que celui-ci me paraît fort bien… beaucoup trop bien, peut-être… Qu’est-ce qui lui a pris, à Eugénie, d’engager ce garçon-là ?… J’ai essayé de lui faire peur en lui disant que cet homme avait un mauvais regard, elle qui est si peureuse à l’ordinaire n’a pas eu l’air de s’en émotionner.

Léon Drapier, qui venait d’ouvrir un tiroir, paraissait de plus en plus soucieux.

— Il n’y a pas à dire… quelqu’un a fouillé dans mon bureau. Ce désordre n’existait pas hier. Est-ce que, par hasard, Eugénie se douterait de quelque chose ? Non ! pourtant, c’est impossible ! Et cependant…

Léon Drapier se promenait encore, il avait l’air de plus en plus agacé.

— Ça c’est vu… ça c’est vu, ces choses-là… J’ai une femme qui est capable de faire un coup pareil… et puis pour se renseigner, savoir ce qu’elle veut savoir, elle n’hésiterait pas à aller jusqu’à introduire un espion chez moi… Oh ! si jamais cela était, par exemple !… Je me montrerais tel que je suis ! Et c’est extraordinaire… J’en ai le pressentiment. Ce Firmain n’a pas une tête de domestique… Mais là, pas le moins du monde… Si c’était un espion ? un agent de police ? un mouchard ?…

II

Un mensonge grave…

Eugénie Drapier s’était couchée, ce soir-là, un peu plus tard qu’à l’ordinaire.

Minuit avait sonné depuis vingt minutes environ lorsqu’elle se mettait au lit. Non seulement en bonne maîtres se de maison elle avait été surveiller les rangements effectués par son nouveau domestique, s’assurer que l’argenterie était au complet, mais encore Eugénie Drapier avait cru bon, une fois le personnel parti, de veiller plus minutieusement encore qu’à l’ordinaire à toutes les fermetures de la maison.

Elle avait vérifié les persiennes, les verrous de la cuisine, comme ceux de la porte d’entrée.

Sachant son mari dans son cabinet de travail et certaine qu’il ne viendrait pas se moquer d’elle, l’épouse du haut fonctionnaire n’avait pas dédaigné de s’agenouiller dans la salle à manger et dans le salon pour regarder sous les meubles afin de s’assurer qu’ils ne dissimulaient personne de caché !

Le balcon et les grands rideaux, que l’on tirait sur les fenêtres du salon, avaient été l’objet également d’une visite minutieuse et spéciale.

C’était là, en effet, dans l’esprit de M me Drapier, que se cacheraient assurément les cambrioleurs… si d’aventure ceux-ci s’avisaient de venir dévaliser l’appartement !

Cette visite derrière les rideaux, Eugénie Drapier la faisait régulièrement chaque soir, et ce n’était jamais sans une certaine appréhension qu’elle s’approchait de ces redoutables tentures qui, la nuit venue, lui faisaient l’effet de repaires de bandits, car elle les attendait en somme chaque soir, ces fameux cambrioleurs ; elle n’aurait pas été étonnée de découvrir un homme dissimulé dans l’embrasure de ses fenêtres ou caché sous un meuble ; elle pressentait dans son for intérieur qu’infailliblement cela se produirait un jour… de même qu’il y a des gens qui se considèrent comme certains de mourir écrasés, ou de périr en mer !

Ce soir-là, l’émotion de M me Drapier était plus grande qu’à l’ordinaire, car il y avait un nouveau venu dans la maison…

En réalité, bien qu’elle s’accusât souvent de pusillanimité, M me Drapier se convainquit que rien n’était dangereux comme d’introduire du jour au lendemain, sous prétexte qu’il était « domestique », un inconnu dans sa maison.

Et puis enfin, son mari n’avait-il pas remarqué, comme elle d’ailleurs, les yeux de cet homme, son regard intelligent, mystérieux, inquisiteur, regard qui n’était pas celui d’un valet de chambre ordinaire ?

L’appartement était grand, il paraissait immense ce soir-là à M me Drapier.

D’autant plus que sa chambre et son cabinet de toilette se trouvaient tout à l’opposé de la chambre de son mari, laquelle était voisine du cabinet de travail.

Il fallait, pour aller de chez M me Drapier à la chambre de M. Drapier, traverser le grand salon, le petit salon, le fumoir et la salle à manger, ou alors suivre cette interminable galerie sur laquelle s’ouvraient toutes ces pièces.

Revenue enfin dans son cabinet de toilette, après avoir depuis longtemps souhaité le bonsoir à son époux, M me Drapier, qui se sentait un peu fatiguée, se mit en devoir de se dévêtir.

Elle alluma toutes les ampoules électriques, fit beaucoup de lumière pour avoir moins peur ; puis, machinalement, par habitude, et parce qu’elle faisait cela depuis vingt ans, elle se mit, non sans ennui, à couvrir son visage, sa poitrine, ses mains et ses bras de pâtes et d’onguents destinés, lui assurait la marchande, à donner à sa peau l’éclat et le velouté d’une peau de vingt ans !

Hélas ! malgré tous les artifices, la peau de M me Drapier avait bien près de cinquante ans et tous les onguents étaient inutiles…

Ayant orné sa chevelure d’une quantité incommensurable de bigoudis, M me Drapier finit par aller se coucher.

Elle voulut lire un journal, elle n’y trouva que des histoires de crimes ; elle le rejeta dans la ruelle de son lit et, ayant mis sa lampe en veilleuse, chercha à s’endormir.

Elle y parvint aisément.

M me Drapier dormait d’un sommeil lourd et profond, lorsque brusquement elle sursauta dans son lit.

Sa gorge se serra, ses paupières battirent, elle sentit sur son front et ses mains courir les frissons précurseurs d’une transpiration déterminée par l’inquiétude.

Puis elle prêta l’oreille, doutant de ce qu’elle avait cru entendre alors que peut-être elle dormait encore.

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