Le Voleur d'Or (Золотой вор) - Сувестр Пьер 3 стр.


M me Drapier avait l’impression qu’on avait marché dans la galerie de l’appartement.

Sous les tapis épais, le plancher avait craqué, puis ç’avait été le bruit d’une porte qui s’ouvre et se referme lentement.

— Mon Dieu ! balbutia M me Drapier qui se signa, est-ce possible ? Il y a quelqu’un dans l’appartement !

Chose extraordinaire, à ce moment précis elle avait moins peur qu’elle se l’imaginait…

Il lui semblait qu’une chose nécessaire, indispensable, attendue quoique redoutée, se produisait enfin.

Il y avait si longtemps qu’elle avait cette émotion d’avoir peur, qu’elle en éprouvait presque une satisfaction !

Mais cette tranquillité d’esprit ne durait point.

Tout d’abord, après avoir entendu ces bruits, M me Drapier douta qu’ils se fussent produits.

— J’ai rêvé ! dit-elle.

Elle alluma sa lampe électrique, qui projeta une lumière étincelante dans la chambre à coucher.

M me Drapier vit l’heure à la petite pendule qui se trouvait sur une console voisine : il était cinq heures du matin.

Elle écouta encore, aucun bruit ne se faisait entendre.

— Certainement, j’ai rêvé ! se dit-elle.

Et après avoir songé à sonner, à crier au secours, elle décidait de n’en rien faire.

Le sommeil la gagnait, elle éprouvait une immense lassitude d’être réveillée si tôt, elle s’étendit dans son lit, appréciant la volupté des couvertures tièdes, lorsqu’elle sursauta encore.

Cette fois, il n’y avait pas de doute, elle avait entendu quelque chose de net, de précis et d’horrible.

Un bruit sourd, soudain, un bruit inimitable qui ne ressemblait aucunement au bruit singulier de l’appartement pendant la nuit, le bruit de quelque chose qui tombe sur le sol, le bruit d’un corps peut-être qui s’écroule…

Sérieusement alarmée, cette fois, pendant dix minutes M me Drapier demeura immobile, aux aguets.

Elle n’entendait plus rien ; c’était le silence absolu, mais elle était certaine qu’il s’était passé quelque chose, et instinctivement son doigt chercha le bouton de la sonnette.

Tout d’un coup M me Drapier esquissa une moue de dépit.

— Mon Dieu, fit-elle, j’oublie que je n’ai pas de femme de chambre dans l’appartement !

Berthe, sa domestique, était en effet malade, absente depuis quelques jours ; la cuisinière était au septième ainsi que le valet de chambre…

— Il faut que j’aille voir ! que je réveille mon mari ! que je sache ! songea M me Drapier.

Faisant effort sur elle-même, elle s’arracha de son lit, passa une robe de chambre, chaussa des mules et, retenant sa respiration, réprimant les battements de son cœur, elle entrebâilla doucement la porte de sa chambre.

Cette porte donnait sur le salon, un trou noir, le commutateur l’éclairant était éloigné… M me Drapier n’osa s’avancer dans l’obscurité.

Elle revint sur ses pas et sortit par l’autre porte, celle qui donnait sur la galerie.

Elle pouvait illuminer cette dernière avant de s’y engager, elle le fit.

Les plafonniers lumineux étincelèrent, M me Drapier jeta un coup d’œil inquiet dans le vaste couloir où rien ne semblait anormal.

Elle s’avança lentement, glissant sur les tapis épais, regardant autour d’elle, avec des yeux écarquillés.

Par moments, elle s’arrêtait, écoutait, elle n’entendait rien… puis reprenait sa marche.

Arrivée devant la porte de la chambre de son mari, elle appuya son oreille tout d’abord contre le panneau, dans l’espoir d’entendre quelques bruits à l’intérieur de la pièce.

Quelquefois son mari ronflait, mais cette fois-là le silence le plus absolu régnait.

D’une voix timide, étranglée par l’émotion, M me Drapier appela :

— Léon !…

Elle répéta deux fois, trois fois, haussant la voix :

— Léon, c’est moi ! Eugénie !

Mais son mari devait dormir bien profondément, car aucune réponse ne lui parvenait.

Certes, M me Drapier savait que son mari, qui n’était guère tendre pour elle, allait la recevoir fort mal et lui faire de sévères observations si elle le réveillait inutilement, néanmoins elle avait tellement d’émotion, elle était si certaine d’avoir entendu quelque chose, qu’elle résolut de passer outre et d’affronter la colère maritale.

Elle tourna le bouton de la porte, entra dans la chambre, alluma l’électricité, et demeura stupéfaite.

La pièce était vide, la couverture prête, mais le lit pas défait.

M me Drapier était si étonnée qu’elle ne trouva rien à penser au premier abord.

Comment ! son mari n’était pas là ?…

Il lui semblait pourtant qu’il ne devait pas sortir !

— J’ai mal compris sans doute, pensa la malheureuse femme ; il a dû me dire hier soir qu’il allait au cercle comme cela lui arrive quelquefois, mais il prétend qu’il est toujours rentré à minuit… Peut-être a-t-il été retenu, je crois qu’il y avait une soirée de gala…

Brusquement M me Drapier devint livide.

— Mais alors, pensa-t-elle, je suis seule dans l’appartement !

Elle n’osait plus faire un pas, avancer, ni reculer.

Elle écoutait encore, et désormais c’était le silence absolu. Même du dehors on ne percevait aucun bruit.

À un moment donné, cependant, le tintamarre d’une charrette de laitier qui passait dans la rue la rassura.

Elle eut l’impression que Paris s’éveillait, elle se sentit moins seule, moins isolée, elle reprenait un peu courage.

Certes, pour rien au monde elle ne serait allée dans les pièces obscures et encombrées de meubles voir s’il s’était passé quelque chose, à aucun prix elle ne se serait aventurée derrière les rideaux du salon ou sur le balcon…

Son mari était sorti… Elle voyait désormais que son manteau, que son chapeau n’étaient point là ; il n’était pas encore rentré… Qu’est-ce que cela signifiait ?

La fraîcheur de la nuit la fit frissonner, elle pensa :

— Je vais m’enrhumer.

Elle mit frileusement son peignoir sur sa gorge, puis rebroussa chemin.

En bonne ménagère qu’elle était, elle éteignit la lumière allumée dans la chambre de son mari, puis avec une raideur d’automate, sans tourner la tête, elle suivit la galerie jusqu’à sa chambre.

Instinctivement, elle s’enfermait alors à double tour dans celle-ci, constatait avec joie que vingt minutes s’étaient écoulées, lorsque, tout d’un coup, son cœur s’arrêta de battre, son sang se figea dans ses veines.

Cette fois, elle était bien sûre de ne pas se tromper ! Elle était parfaitement éveillée, car elle venait d’entendre, de la façon la plus nette, quelqu’un marcher dans la galerie !

Ce quelqu’un ne dissimulait point le bruit de ses pas, il avait presque couru, sans souci du bruit qu’il faisait.

M me Drapier écarta les bras, battit l’air de ses mains tremblantes, puis elle tomba à la renverse, au pied de son lit, perdant connaissance…

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, il faisait grand jour.

M me Drapier éprouvait un violent mal de tête, et, presque sans se rendre compte de ce qu’elle faisait, à demi assoupie, elle alla se jeter sur son lit, éprouvant de violentes courbatures aux jambes et aux reins.

Elle eut l’impression qu’elle s’endormait comme une masse, puis elle ouvrit les yeux, s’imaginant s’être reposée une nuit entière, alors qu’elle avait dormi cinq minutes seulement.

Au fur et à mesure qu’elle s’éveillait pour de bon, M me Drapier sentit revenir à son esprit le souvenir de ce qui s’était passé à cinq heures du matin.

Elle ne savait plus très bien ce qu’il y avait de faux et de vrai dans la promenade qu’elle était allée faire à travers l’appartement.

Était-ce exact qu’elle s’était levée, qu’elle était allée chercher son mari qui ne se trouvait pas dans sa chambre ?

Ou alors avait-elle simplement rêvé les pénibles moments d’un atroce cauchemar ?

Cette fois, M me Drapier sonna.

Au bout de quelques instants, on frappa à sa porte.

— Entrez, dit-elle sans bouger de son lit.

Mais la voix de Caroline la cuisinière retentit.

— Mais je ne peux pas entrer ! Madame s’est enfermée !

À ces mots, la mémoire lui revint…

Elle n’avait pas l’habitude de s’enfermer à clé, elle se souvenait désormais parfaitement avoir donné deux tours de clé lorsqu’elle était revenue du fond de la galerie.

Elle n’avait donc pas rêvé, mais vécu cette heure tragique…

Mais alors, s’il était exact qu’elle s’était levée, les bruits qu’elle avait entendus étaient véritables ?

M me Drapier quitta son lit en hâte, alla ouvrir à la cuisinière.

Celle-ci entrait, tirait les rideaux. Lorsque la lumière du jour pénétra dans la pièce, Caroline poussa un cri d’épouvante.

— Mon Dieu, fit-elle, qu’est-il donc arrivé à madame ?

Et avant qu’Eugénie Drapier ait eu le temps de répondre, la cuisinière poursuivit, exprimant naïvement sa pensée :

— Madame a l’air d’avoir vieilli de dix ans dans la nuit !

Peu importait à Eugénie Drapier ce commentaire.

Elle interrogea :

— Ne s’est-il rien passé ? N’avez-vous rien remarqué d’anormal dans l’appartement ?

— Non, fit la cuisinière interloquée, d’ailleurs j’arrivais à l’instant dans la cuisine, lorsque madame m’a sonnée.

Eugénie Drapier se leva.

— Venez avec moi ! venez voir !…

Désormais les deux femmes, se suivant l’une l’autre, visitaient le salon, le fumoir, la salle à manger, M me Drapier évitait exprès de pénétrer dans la chambre de son mari avec la cuisinière, elle ne voulait pas que celle-ci s’aperçût que M. Drapier avait découché.

M me Drapier renvoya Caroline à la cuisine.

— Où est Firmain ? demanda-t-elle.

— Pas encore descendu, madame !

— Quelle heure est-il donc ?

— Sept heures, sept heures dix, peut-être.

— Allez le chercher !

Caroline s’exécutait.

M me Drapier pénétra alors chez son mari. L’ordre régnait toujours dans la pièce, le lit était intact, par dignité M me Drapier donna quelques coups de poing dans l’oreiller, ramena les couvertures, jeta la chemise de nuit de son mari sur le dos d’un fauteuil puis, entendant revenir Caroline, elle regagna la galerie.

— Eh bien ? demanda-t-elle.

— Eh bien, fit la cuisinière, je reviens du septième, j’ai appelé Firmain dans le couloir, il n’a pas répondu ! Il est vrai que je ne sais pas très bien où est sa chambre, madame sait que je ne fréquente pas beaucoup les autres domestiques et que je connais juste le chemin pour gagner ma mansarde, ce que je fais toujours sans m’occuper des autres !

— C’est curieux ! pensa M me Drapier, que ce domestique ne soit pas en bas, à sept heures et quart… Je lui avais pourtant bien dit hier, de commencer ses appartements à sept heures précises !

Tout d’un coup elle poussa un cri rauque, elle manqua défaillir, la cuisinière la retint.

— Qu’avez-vous, madame ?

Mais Eugénie Drapier ne répondit point. Une affreuse pensée venait de traverser son esprit, elle éprouvait un effroyable remords de ne l’avoir point eue au préalable !

Comment, par suite de sa peur stupide, elle n’était pas allée au fond des choses, elle avait évité de se rendre compte… de savoir ce qui s’était passé… or, voici que tout d’un coup, lumineusement, elle entrevoyait un drame épouvantable !

Son mari n’était pas là, pas rentré ! Hélas, peut-être n’était-il même pas sorti !

Quant à ce Firmain qui avait disparu, cet homme qu’elle ne connaissait pas, malgré ses bons certificats, qui pouvait être un malfaiteur, c’était lui certainement qu’elle avait entendu sortir dans la nuit, courir dans la galerie !

Mais qu’avait-il fait ?

Eugénie Drapier se souvenait alors que, la veille, elle avait quitté son mari dans le cabinet de travail.

— Je n’ai pas encore visité cette pièce ! mon Dieu ! mon Dieu ! balbutia la malheureuse femme, mon Dieu, si Léon avait été assassiné par cet homme ?…

Elle ne pouvait en dire plus.

Titubante, s’appuyant au mur et sur l’épaule de la cuisinière qui ne comprenait rien à ses angoisses, elle se traîna jusqu’à la porte du cabinet de travail.

Elle voulut l’ouvrir : ce fut en vain.

La porte était fermée à clé.

— Léon ! hurla M me Drapier, es-tu là ? Réponds-moi !…

— Monsieur n’est donc pas avec madame ? interrogea la cuisinière.

— Non, Caroline ! non !…

Avec une rage désespérée elle secouait le bouton de la porte qui résistait. Caroline eut une idée.

— Par la chambre de monsieur, on peut entrer dans le cabinet de monsieur…

Caroline mettait son projet à exécution, mais lorsqu’une fois dans la chambre de M. Drapier elle essaya d’entrer dans le cabinet de travail, la cuisinière se heurta également à une porte fermée à clé.

Quant aux clés, elles avaient disparu.

Caroline commençait à s’inquiéter.

Lorsqu’elle revint dans la galerie, la vue de sa maîtresse ne lui parut point faite pour la rassurer.

M me Drapier était tombée à genoux sur le tapis, elle sanglotait, balbutiait ses craintes.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! Peut-être est-il là ! assassiné ! mort !… Oh ! oui ! C’est sûr ! C’est certain ! J’ai entendu du bruit ! Cette nuit, Caroline, les parquets ont craqué ! Puis il m’a semblé que quelque chose de lourd tombait, un corps qui s’écroule, puis ce fut ensuite un bruit de pas précipités dans la galerie. Au secours !… au secours !… Et cette porte que je ne peux pas ouvrir, ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

Cependant Caroline avait ouvert la fenêtre de la galerie donnant sur la cour, aux fenêtres des appartements voisins apparaissaient de nombreux domestiques qui secouaient leurs tapis ou simplement conversaient agréablement d’une fenêtre à l’autre.

La cuisinière fit des gestes désespérés qui en l’espace de quelques instants déterminèrent l’alarme dans l’immeuble. Cinq minutes après on sonnait à la porte de l’escalier de service, Caroline fut ouvrir, c’était le concierge accompagné de quelques domestiques de la maison.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je ne sais pas ! fit Caroline, un accident ! un crime peut-être ?

— Ah ! mon Dieu, balbutia le concierge qui reculait instinctivement.

La cuisinière autoritairement le prit par le bras.

— S’agit pas de vous en aller ! fit-elle, venez causer à madame !

Pendant le trajet, Caroline racontait tant bien que mal au concierge ce qu’elle avait cru comprendre ; des domestiques suivaient, intéressés, curieux ; ils arrivèrent jusqu’à M me Drapier qui demeurait anéantie devant la porte du cabinet de travail.

— Enfoncez cette porte ! cria-t-elle.

Le concierge hésitait.

— Vaudrait mieux, suggéra quelqu’un, prévenir la police… s’il y avait un crime ?

M me Drapier sursauta.

— Un crime ? qui vous a dit qu’il y a eu un crime ?

— Je ne sais pas, madame, fit le concierge, mais tout de même si cette porte est fermée et qu’elle ne devrait pas l’être ?

En l’espace de quelques secondes, la nouvelle d’un mystère se répandait dans la maison.

On ouvrit la porte qui donnait sur le grand escalier et était toute voisine. Un locataire, M. Marquiset, employé dans une compagnie de chemin de fer, descendait à ce moment ; il se renseigna, parut atterré.

— Cette pauvre M me Drapier ! fit-il.

Puis, apercevant son propre valet de chambre, dans la galerie où se trouvaient d’autres domestiques, il l’appela.

— Jules, au lieu de rester à faire le curieux, courez donc jusqu’au commissariat de police. Il est presque en face… et ramenez deux agents, on ne sait pas ce qui est arrivé !

M me Drapier s’épouvantait de voir la foule peu à peu envahir son appartement.

— S’il ne s’est rien passé, songeait-elle, qu’est-ce que va dire mon mari lorsqu’il saura que j’ai ameuté toute la maison ?

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