La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 11 стр.


« Parbleu, parbleu, se déclarait Juve, descendant précipitamment vers le jardin, tout s’explique, et je puis hardiment conclure que si Fantômas est le coupable, M me Borel n’est vraisemblablement pas la victime. Ce n’est pas Fantômas qui aurait tué lady Beltham. C’est une femme, une autre femme qui est morte ici, mais qui ? Je vais le savoir.

Parvenu au jardin de la Maison Borel, le policier gagna l’endroit où débouchait la tuyauterie de vidange de la baignoire.

— À coup sûr, se disait Juve, le corps a pu être entièrement dissous par le terrible acide, mais certainement aussi, puisque la victime a été précipitée dans la baignoire tout habillée, je vais retrouver, à l’endroit où les eaux s’épandent dans le sol, des vestiges qui n’auront pas été entièrement atteints par l’acide, qui n’auront pas été complètement dissous et qui seront, par exemple, des boutons de nacre, des pièces de monnaie, une épingle à cheveux.

Juve raisonnait bien. Il n’était pas à l’ouvrage, en effet, depuis une demi-heure, dans la fosse sablonneuse où débouchait le tuyau servant à vider la baignoire, qu’il poussait un cri de triomphe : il avait déjà découvert deux petits boutons dont les armatures métalliques rouillées, rongées, attestaient qu’ils avaient appartenu à la morte, et qu’ils avaient été corrodés par l’acide. Il trouva mieux encore : une médaille à demi rongée, en forme de cœur, qui portait une inscription :

À Fleur-de-Rogue ma maîtresse.

***

Dix minutes plus tard, Juve retournait à Beylonque.

— Occupons-nous d’abord de faire relâcher ce pauvre Bouzille, qui évidemment, est innocent de toutes ces aventures. L’idiot Saturnin a dû être assassiné par Fantômas. Bouzille libre, je téléphone au procureur pour l’avertir de mes découvertes et comme cet excellent magistrat tendait à croire ce malheureux spahi coupable, il sera bien surpris de savoir la vérité.

Juve eût été lui-même fort étonné s’il avait appris que le jour même, M. Anselme Roche avait rendu visite à M me Borel.

À peine l’excellent policier arrivait-il à l’ Auberge des Écarteursque le patron lui tendait un télégramme. Et ce télégramme comportait un texte si surprenant que Juve le lut, les yeux écarquillés.

9 – DU VAUDEVILLE AU DRAME

Qu’était-il advenu de la fille de Fantômas ?

Hélène, quelques jours auparavant, à la suite de la mystérieuse agression dont elle avait été l’objet, s’était vue conduire à l’ Impérial Hôtelà Biarritz par deux hommes étranges qui, s’ils l’avaient enlevée de force et conduite là malgré elle, du moins ne s’étaient pas départis vis-à-vis d’elle de l’attitude la plus correcte et la plus respectueuse.

La jeune fille avait été installée dans un luxueux appartement du deuxième étage de l’ Impérial Hôtelet entourée de soins si minutieux, traitée avec une telle sollicitude qu’au lieu de se plaindre et de faire un tapage excessif pour attirer sur elle l’attention et obtenir coûte que coûte non seulement sa libération, mais l’explication du mystère, elle avait brusquement décidé de ne pas bouger en attendant la suite.

Hélène, en effet, avait acquis au cours de ses nombreuses aventurés assez de flegme et de perspicacité pour se rendre compte qu’elle ne pouvait être l’objet d’un enlèvement banal, d’une séquestration ordinaire.

— Sûrement, se disait la jeune fille, si je suis ici, je le dois à des amis sincères qui, pour des raisons que j’ignore, n’ont pas pu encore me révéler le secret de leur attitude à mon égard.

Hélène, avec une sage prudence, s’abstenait du moindre commentaire, même de la plus petite question. Elle avait pour son service particulier une petite Basque à l’air décidé et fin qui, connaissance faite, n’aurait pas mieux demandé que de lier conversation avec son énigmatique patronne. À deux ou trois reprises la curieuse camériste s’était efforcée de faire parler Hélène, mais celle-ci se renfermait dans le mutisme le plus absolu et ne répondait que par monosyllabes.

Celle-ci voyant qu’on ne voulait rien lui dire, avait été assez fine pour ne pas insister et hormis les paroles indispensables concernant son service, Hélène n’échangeait pas avec la domestique plus de dix mots par jour. Par le fenêtre de l’ Impérial Hôtel, Hélène avait remarqué un mouvement inaccoutumé, déterminé dans le grand palace par l’arrivée d’une luxueuse troupe de gens très bruns et très distingués. Puis, le soir venu, la jeune fille n’avait plus pensé à ces nouveaux voyageurs et elle s’était plongée dans la lecture d’un roman qui semblait vivement l’intéresser. Elle expédia en hâte un frugal repas, renvoya la domestique qui s’offrait à la déshabiller, assurant qu’elle n’avait besoin de personne et qu’elle ne se coucherait pas de si tôt ce soir-là. La petite Basque, suivant son habitude, n’avait pas insisté. Elle s’était mise à ricaner en faisant une physionomie si drôle, si bizarre, qu’Hélène qui cependant ne prêtait guère attention à cette servante, n’avait pu s’empêcher de remarquer son attitude :

— Qu’a-t-elle donc aujourd’hui ? pensa-t-elle.

Et la jeune fille faillit interroger la domestique, mais elle y renonça.

Hélène était donc restée seule et, s’étendant voluptueusement sur une confortable bergère, avait repris sa lecture.

Mais soudain la jeune fille bondit hors de son siège. Par une porte dissimulée dans la moulure de la cloison et qui jusqu’alors n’avait jamais été ouverte, quelqu’un venait de s’introduire qui souriait béatement en regardant la jeune fille. C’était un homme tout jeune, de vingt-cinq à trente ans au plus, vêtu à la dernière mode et avec une extrême recherche, brun, le visage énergique, la moustache conquérante, le menton bleu. L’inconnu cependant s’approchait avec une aisance parfaite.

— Madame, dit-il.

— Monsieur…

L’Espagnol, enfin, s’enhardit :

— Je vous suis reconnaissant, Madame, fit-il, bien reconnaissant d’avoir accepté de venir, d’avoir risqué tant de choses et d’avoir si longtemps attendu que nous puissions nous rencontrer. Je m’excuse vivement de n’être pas arrivé depuis deux jours, comme je le désirais, mais des affaires de la plus haute importance m’ont retenu à Madrid, auprès de qui vous savez.

— Veuillez continuer, je vous prie.

— Je ne vous ai vue qu’une fois mais, à dater de ce jour, mon cœur a été conquis. Il m’a suffi de vous rencontrer, de vous apercevoir, ce fameux soir où vous vous promeniez sur la grand-route, tout près du château de Garros pour m’éprendre de vous. Ah, que vous êtes belle, Madame. Dix fois, cent fois plus que je ne l’avais cru. Je m’attendais, ce soir, à trouver ici une jolie femme, c’est une beauté divine qui se révèle.

— Ah çà, Monsieur, mais que prétendez-vous faire ? que voulez-vous de moi ?

— Ce que je veux faire de vous, mon cœur est tout prêt à vous le dire et ce que j’attends de votre délicieuse personne, oh, c’est facile à comprendre et je crois d’ailleurs que vous l’avez déjà compris, puisque vous avez été assez bonne, assez charmante, assez exquise, assez délicieuse, pour consentir à ce rendez-vous que je souhaitais si ardemment, pour bien vouloir vous laisser enlever.

Hélène, d’un geste brusque, interrompit son interlocuteur :

— Pardon, je ne sais pas ce que vous voulez dire, jamais je n’ai consenti à rien et si je suis ici c’est bien contre mon gré.

— Je sais, je sais, fit l’Espagnol, mes amis m’ont mis au courant de la spirituelle comédie que vous étiez convenue de jouer. Oh, je vous avoue que j’ai trouvé la chose délicieuse, exquise. Il n’y a décidément que les Françaises pour avoir tant d’esprit.

— Monsieur, répéta encore Hélène, je vous supplie de vous expliquer, je ne comprends rien à vos sous-entendus. Soyez plus clair, plus catégorique.

— Hélas, comment voulez-vous que s’exprime un pauvre étranger qui ne possède point à fond les finesses de votre gracieuse langue française ? J’ai peur d’être ridicule et de perdre à vos yeux le petit prestige que j’espère avoir acquis par le seul fait que je vous aime.

— Je vous en prie. Monsieur, insista la jeune fille, cessons cette plaisanterie, soyez net et franc. Dites-moi, voici près de quatre jours que je vis seule, prisonnière dans cette maison, après avoir été victime d’un enlèvement odieux. Si vous en êtes l’auteur, dites-le, je saurai ce qui me reste à faire.

— Mais calmez-vous, Madame, s’écria-t-il, nous sommes seuls ici, tous les deux, absolument seuls, il est inutile de jouer cette comédie de l’indignation, personne ne peut nous entendre. Votre excellent mari est loin de se douter…

— Mon mari ? interrompait Hélène interloquée, ah çà, Monsieur, mais que signifie toute cette histoire ? Je ne suis pas mariée, je ne…

— Nierez-vous donc que vous soyez Madame Delphine Fargeaux ?

Hélène ne répondit pas, elle était de plus en plus abasourdie, et au surplus un nouvel incident venait de se produire. À sa grande surprise, à la surprise également de son interlocuteur, la porte du salon dans lequel ils se trouvaient tous deux, porte qui communiquait avec le couloir, venait de s’ouvrir, livrant passage à une femme qui, croisant les bras sur sa poitrine, déclara sur un ton de colère à peine déguisée :

— M me Fargeaux, c’est moi et personne d’autre.

***

Quelques jours auparavant, si quelqu’un avait éprouvé à la fois de la surprise et de l’étonnement, et aussi du dépit, c’était sans contredit la petite M me Fargeaux, lorsqu’elle avait attendu pendant près d’une nuit entière les gens auxquels elle avait donné rendez-vous et qui n’étaient pas venus.

Quatre jours auparavant, M me Fargeaux, profitant de ce que son mari et son frère, qui dînaient avec elle, étaient lancés dans une discussion fort importante sur la manière de soigner les boeufs, était sortie subrepticement de son château pour rejoindre près du pavillon de chasse deux Espagnols avec lesquels elle avait hâtivement réglé les dernières conditions de son prochain enlèvement.

M me Fargeaux, en effet, avait été remarquée quelques jours auparavant par un superbe Espagnol qui passait en automobile non loin de sa propriété et qui s’était arrêté sur le bord de la route sous un prétexte quelconque. La jeune femme avait senti qu’elle plaisait à l’élégant touriste et celui-ci produisait sur elle la meilleure impression. Elle en rêvait longtemps, aussi était-ce avec une joie extrême qu’elle apprit un jour, par deux messieurs qu’elle rencontrait, comme par hasard, que le bel automobiliste aperçu par elle n’était autre que don Eugenio, infant d’Espagne, frère cadet du roi et que don Eugenio était prêt à mourir de plaisir si la belle M me Fargeaux consentait à lui accorder une nuit, voire même une heure de tête à tête. Affolée, grisée par cette conquête inattendue, la naïve petite bourgeoise promit tout ce que l’on voulait. Et c’est pour cela que, le soir où son frère le spahi dînait chez elle, Delphine s’était éclipsée pour aller causer des détails de l’enlèvement romanesque avec les envoyés de l’infant d’Espagne.

Ceux-ci devaient la retrouver une dizaine de minutes après le départ du spahi. Or, le spahi était parti et Delphine Fargeaux, bien que toute prête à se laisser enlever, n’avait pu y parvenir, car les Espagnols ne venaient point la chercher.

Que s’était-il passé ?

Les Espagnols étaient bien revenus, en effet, ils avaient bien enlevé une femme, seulement ils s’étaient trompés et au lieu d’entraîner dans leur automobile M me Fargeaux, toute prête à se laisser faire, c’était Hélène qu’ils avaient conduite à Biarritz.

M me Fargeaux avait téléphoné à l’ Impérial Hôtelet appris que l’arrivée de son Altesse Royale avait été retardée de quarante-huit heures.

— C’est pour cela, avait-elle conclu, que ses envoyés ne sont pas venus me chercher.

Et elle avait attendu de nouvelles indications, mais rien n’était venu. C’est pourquoi M me Fargeaux, inquiète et parfaitement décidée à tromper son mari avec l’infant d’Espagne, redoutant d’avoir été oubliée par ce grand personnage, avait décidé de venir le trouver.

Elle avait raconté à son mari qu’elle était obligée d’aller voir à Dax une tante malade et elle était partie dans l’après-midi. Seulement, au lieu de se rendre à Dax, elle était partie pour Biarritz où elle arrivait à huit heures du soir. Pendant ce temps là, son frère le spahi, inquiet de ne point la trouver à Dax, songeant à la disparition d’une femme que signalaient les journaux, venait demander aux magistrats, à la Bicoque, s’il ne s’agissait pas de sa sœur.

Donner un pourboire généreux à la femme de chambre afin de pouvoir s’introduire dans l’appartement où se tenait l’infant d’Espagne fut pour Delphine Fargeaux un simple jeu. L’adroite petite personne entrait à l’instant dans le couloir, écoutait à la porte et, avec la plus grande surprise, entendait prononcer son nom, cependant que l’accent guttural de l’un des interlocuteurs lui prouvait que l’homme qui parlait n’était autre que son Altesse Royale don Eugenio.

Mais, en entendant aussi une voix féminine, le sang de Delphine Fargeaux ne fit qu’un tour.

Ah, par exemple, voilà qui était inattendu et inadmissible, l’infant était là, avec une autre femme et il prononçait son nom à elle, c’est donc qu’une intrigante avait pris sa place et qu’une fille quelconque, éprise sans doute de l’infant d’Espagne, s’était donnée pour M me Fargeaux. Eh bien, elle allait le payer cher :

— On ne se moquera pas de moi comme ça longtemps, grogna M me Fargeaux qui, en l’espace d’une seconde, comprit, ou du moins interpréta à sa façon ce qui avait dû se passer. Si les Espagnols organisateurs de l’enlèvement n’étaient pas revenus la chercher, c’est qu’évidemment ils la croyaient arrivée à l’ Impérial Hôtelet pourquoi croyaient-ils cela ? parce qu’on avait pris sa place. Delphine Fargeaux n’hésita plus, elle poussa la porte, et brutalement s’introduisit dans la pièce.

C’est alors qu’Hélène et l’infant, abasourdis, l’un et l’autre, voyaient entrer cette troisième personne qui déclarait d’un ton tragique et convaincu :

— Madame Fargeaux, c’est moi.

***

Quelqu’un cependant avait suivi M me Fargeaux, et à peine celle-ci avait-elle quitté le domicile conjugal, sous prétexte d’aller voir une tante malade, qu’il intervenait et parlait à son mari.

Ce quelqu’un n’était autre que le spahi, le frère de Delphine, Martial Altarès.

Le militaire, volage pour son propre compte, était excessivement strict et sévère dès lors qu’il s’agissait de sa sœur. Or, depuis quelques jours, les attitudes de Delphine déplaisaient au spahi et son indignation ne connut plus de bornes lorsqu’il s’aperçut, après l’avoir cru morte, qu’au lieu de partir pour Dax voir sa tante, nullement malade, Delphine avait pris le train pour Biarritz, où, assurément, elle allait rejoindre son amoureux.

Le spahi, alors, était revenu trouver son beau-frère, il arrachait Timoléon Fargeaux à la sieste béate que faisait le brave homme, lui avait déclaré à brûle-pourpoint :

— Vous êtes cocu,

— Non, ça n’est pas possible, avait répondu le mari réveillé.

— Imbécile, quand je vous le dis, qu’elle nous trompe !

— Elle me trompe, voulez-vous dire ?

— Il s’agit bien de plaisanter, quand je dis qu’elle « nous » trompe, c’est parce qu’elle nous trompe tous les deux, vous comme mari et moi comme frère. Nous sommes dupés l’un et l’autre, d’une façon différente, sans doute, mais enfin nous le sommes.

— Vous vous emballez tout le temps, mon cher ami ! Avant de porter de semblables accusations, il faut être sûr de son fait et lorsqu’on en est sûr, il est préférable de se taire. Étant donné que la chose est irrémédiable, tout ce que l’on pourrait faire ne la changerait pas. D’ailleurs, avez-vous des preuves ?

— On voit bien, fit-il, que vous êtes un homme du Nord, pas de sang dans les veines, pas de tempérament, tandis que nous autres, gens du Midi, nous sentons les choses, nous vibrons.

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