La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 14 стр.


Or, au moment même où la porte se refermait, fébrilement, Fantômas sortit de sa cachette. Le bandit, lui aussi, se releva. Il courut à la porte. Son passe-partout à la main, il l’ouvrit facilement, sans que la serrure eût grincé le moins du monde, puis il sortit, il se glissa dans le couloir, il se coula à la suite du caissier.

— Ah ça, songeait Fantômas, pourquoi diable ce maudit Guillaume est-il sorti d’ici ? Où peut-il aller ? Que médite-t-il ? et que signifie l’extraordinaire façon dont il s’est déchaussé, dont il a pris ses souliers à la mains ?

Fantômas avança sur les traces du caissier.

Guillaume, au sortir de sa chambre, avait tourné à droite, dans un grand corridor qui longeait toutes les chambres affectées aux employés de l’ Impérial Hôtel. Le corridor n’était pas éclairé, à peine y voyait-on, de place en place, aux endroits où des vasistas percés dans la toiture laissaient passer la faible clarté du dehors.

Guillaume, tenant toujours ses bottines à la main, avançait avec précaution en homme qui craint de faire du bruit. Il marchait vite. Il avait lancé autour de lui des regards circulaires, il s’était assuré que nul ne l’observait.

Le couloir était désert quand Guillaume était sorti de sa chambre, mais deux minutes après un personnage suivit le caissier, un personnage qui était Fantômas. Fantômas frôla les murs, traversa vif comme l’éclair les endroits illuminés et, au contraire, s’attarda dans les parties sombres du corridor.

Si Guillaume faisait peu de bruit en marchant, Fantômas, lui, n’en faisait pas. Il incarnait véritablement la Nuit, la Nuit qu’on ne voit pas, la Nuit lugubre. Quand même Guillaume se fût retourné il n’eût pas aperçu le bandit qui s’attachait, lui, à ne pas le perdre de vue.

— Où va-t-il ? se demandait Fantômas, toujours sur les talons du caissier.

Soudain, le Maître de l’Effroi songea :

— Que je suis bête ! Parbleu, Guillaume le caissier s’en va rejoindre Félicie Lapeyrade, sa maîtresse.

Dans l’hôtel, au bout du corridor que suivaient le caissier et Fantômas, habitait un couple marié d’employés de l’administration, les Lapeyrade. Félicie Lapeyrade était une accorte lingère qui avait épousé, il y avait longtemps de cela, un gros bonhomme, Narcisse Lapeyrade, employé lui-même en qualité de pisteur officiel par l’ Impérial Hôtel.

Narcisse Lapeyrade était naturellement, en raison des exigences de sa profession, continuellement en voyage. Sa femme, au contraire, demeurait fidèlement à l’hôtel et les mauvaises langues n’étaient pas sans affirmer que tout était pour le mieux de la sorte, car Félicie Lapeyrade pouvait, avec la plus grande facilité, recevoir le caissier, le beau Guillaume avec qui elle trompait le plus souvent possible et le mieux du monde, son excellent époux.

Le caissier cependant, était arrivé tout au bout du corridor de l’ Impérial Hôtel. Il écoutait, l’oreille collée à une porte, puis il frappait trois petits coups, puis encore un coup, puis encore trois autres coups.

— De mieux en mieux, songeait Fantômas, voici le mot de passe.

— C’est toi Guillaume ? tu viens bien tard ce soir.

— J’ai été retenu au bureau, ma chérie. Et puis je ne savais pas si ton mari…

— Oh, pas de danger pour ce soir, répliquait la jeune femme. Nous n’avons qu’à l’oublier complètement. Narcisse ne revient pas avant demain trois heures.

Des baisers s’échangèrent entre les deux complices, puis Félicie demandait encore :

— Dis, tu n’as rencontré personne en venant ?

— Personne.

— On ne t’a pas surveillé ?

— Mais non, mais non !

— Alors, tout est pour le mieux.

La porte, doucement s’était refermée. Félicie, par prudence, tira le verrou, puis elle alla clore soigneusement les rideaux de sa fenêtre et alors, alors seulement, elle ouvrit l’électricité.

Félicie Lapeyrade était vraiment charmante. Elle avait d’ailleurs toute la séduction qui émane de la femme réellement amoureuse : elle noua ses bras autour du cou de son amant, l’embrassa avec passion.

— Guillaume, mon chéri, sais-tu que j’avais peur que tu ne viennes pas ?

Tandis qu’à mots entrecoupés elle interrogeait son amant, Fantômas profitant de l’ombre, merveilleux d’audace, fou de témérité, s’était introduit dans la chambre des amants.

Au moment où Félicie Lapeyrade ouvrait le commutateur de l’électricité, le sinistre Maître de l’Effroi était déjà tapi sous le grand lit garnissant le fond de la pièce. Comme il avait épié quelques minutes avant dans la chambre du caissier, il était tapi maintenant dans la chambre où s’envolaient les paroles d’amour.

***

— Non, ne parle plus, il faut être sage Guillaume, demain tu dois prendre ton service de bonne heure, je ; ne veux pas que tu sois fatigué. Allons, dors mon chéri.

Elle tourna le commutateur, l’électricité s’éteignit, la chambre s’emplit d’ombre.

C’était évidemment ce qu’attendait Fantômas. Pourtant, avec son sang-froid habituel, il ne se hâta pas d’accomplir ce qu’il avait sans doute résolu. Toujours tapi sous le lit, il patienta une grande heure pour être certain que Félicie Lapeyrade et Guillaume étaient plongés dans un profond sommeil. C’est seulement lorsqu’il entendit les deux respirations régulières des dormeurs, lorsqu’il fut assuré qu’ils étaient réellement inconscients de ce qui pouvait se passer autour d’eux que Fantômas passa à l’action.

Lentement, très lentement, Fantômas rampa sous le lit, en sortit à moitié, avançant vers la chaise sur laquelle, en se déshabillant, le caissier Guillaume avait jeté ses vêtements.

Le bandit se redressa, fouilla dans les poches du veston du caissier. C’est en toute tranquillité qu’il explora la doublure du veston, nulle exclamation de triomphe ne trahit sa voix au moment où il sentait, dissimulée près de la poche à portefeuille, une petite pochette, fermée d’un bouton et dans laquelle il découvrit une clé, une mince petite clé de forme spéciale, une clé de sûreté, la clé des coffres de l’hôtel.

Fantômas d’ailleurs ne prit rien d’autre. Il respecta les papiers du caissier, sa montre, son porte-monnaie cependant lourd et devant contenir une certaine somme.

Fantômas n’était pas et ne voulait pas s’abaisser à être un voleur vulgaire. Il avait suivi le caissier pour s’emparer de la clef des coffres de l’ Impérial Hôtel. Cette clef, il la possédait maintenant. Qu’avait-il besoin d’autre ? Fantômas, son vol accompli, s’était recouché à plat ventre sur le sol et réfléchissait. Que faire ? À coup sûr, il avait réussi dans son entreprise puisque la clef des coffres était maintenant en sa possession, mais cependant le succès n’était pas définitif, la chambre était fermée, n’avait-il pas à craindre, en faisant jouer la serrure, en tirant le verrou, de donner l’alarme ?

Du lit où reposaient Félicie Lapeyrade et son amant, la respiration régulière des dormeurs montait de façon rassurante. Mais sans doute, le moindre craquement réveillerait l’un des deux amants ?

Fantômas allait se décider à tenter l’aventure, à s’approcher de la porte, à l’ouvrir en appelant à son aide toute sa science, toute son adresse, lorsqu’un événement imprévu vint ruiner son projet.

Un poing robuste heurtait précisément la porte, en même temps qu’une voix, une grosse voix, une voix bon enfant, criait avec un fort accent marseillais :

— Té, c’est moi Félicie, ouvre donc, ma jolie, allons, réveille-toi pas moins. J’ai oublié ma clef, décidément.

Fantômas entendant cela, plus vif que l’éclair, se rejeta sous le lit.

Hélas, au même moment, Félicie Lapeyrade et Guillaume se réveillèrent en sursaut :

Qui frappait ?

Ils n’hésitèrent ni l’un ni l’autre à le deviner. C’était Narcisse Lapeyrade, c’était le mari.

Guillaume, le caissier, assis dans le lit, les yeux encore fermés par le sommeil, eut un sourd juron :

— Ah bon sang de bon sang !

Félicie Lapeyrade gémissait :

— Mon Dieu, mon Dieu.

Or, de l’autre côté de la porte, l’excellent Narcisse s’étonnait que sa femme ne se réveillât point :

— Té, tu ne m’entends donc pas, Félicie. Ouvre ma petite. C’est moi, c’est ton Narcisse, ouvre donc, ma bonne.

Félicie Lapeyrade garda tout son sang-froid.

— Nous sommes pris dit le caissier.

— Non, tais-toi, tu vas voir.

Rusée, pour gagner du temps, Félicie se hâta d’ajouter à voix haute :

— C’est toi, Narcisse ? c’est toi qui rentres ?

— Hé oui c’est moi, tu rêvais donc, ma mignonne. Alorsse, tu m’ouvres ?

— Oui, oui, je t’ouvre.

Elle sauta en bas du lit.

La jeune femme courut, pieds nus, jusqu’à un grand placard garnissant un angle de la chambre.

Fébrilement, elle en tira une pile de cartons à chapeaux qu’elle posa sur le tapis :

— Guillaume. Vite. Entre là-dedans.

Le caissier ne se fit pas répéter l’invitation. Il disparut dans le placard. Sa maîtresse referma la porte sur lui.

— Mes vêtements, murmura le caissier, tu oublies mes vêtements.

— Chut.

En deux pas, Félicie était revenue vers le lit. Il lui fallut une seconde pour rétablir le désordre des oreillers, une seconde à peine pour saisir les vêtements de son amant qu’elle jeta sous le lit.

Cela fait, Félicie courut à la porte, ouvrit à son mari :

— Si tu savais comme je dormais bien.

Narcisse Lapeyrade n’en doutait pas.

— C’est vrai, ma chérie, eh bien, recouche-toi vite, prends garde de ne point prendre froid.

Tandis que Félicie regagnait son lit, Narcisse Lapeyrade se déshabillait tranquillement :

— Et alors ? demanda-t-il, en s’étendant à nouveau sous les couvertures, et alorsse, ma petite femme, rien de nouveau ? Té, c’est une bonne surprise, hein ? Je croyais ne revenir que demain à trois heures et me voilà de retour.

— Je tombe de sommeil, dit la jeune femme, nous causerons demain, si tu veux.

— Mais oui, mais oui, répondit le bon Narcisse, fais dodo, ma petite.

— Bonsoir Narcisse.

Dix minutes plus tard, Narcisse dormait à poings fermés, cependant que sa femme, sa petite femme, songeait avec angoisse :

— Ce pauvre Guillaume, comme il doit avoir froid. Comme il doit être mal, et comment tout cela finira-t-il ?

Félicie Lapeyrade réfléchit encore longuement à la terrible situation où elle se trouvait, mais petit à petit ses idées s’embrouillèrent, le sommeil qui l’avait fui d’abord finit par alourdir ses paupières. À son tour, elle s’était endormie.

Brusquement, la jeune femme s’éveilla.

Une main s’était posée sur son épaule. Une voix lui souffla à l’oreille :

— Ouvre-moi.

Félicie Lapeyrade avait déjà compris. Avec d’extrêmes précautions, la jeune femme se leva. Dans la pièce obscure, elle glissa jusqu’à la porte et, se servant de sa clef, elle fit jouer la serrure :

— Je te rendrai tes vêtements demain, souffla-t-elle, mon Dieu, qu’il est assommant.

— Oui, oui, prends garde.

Les deux amants chuchotaient.

Félicie Lapeyrade tendit les lèvres. Un baiser rapide. Une ombre s’éloigna le long du couloir, la jeune femme referma sa porte.

— Té mais qu’est-ce que tu fais, Félicie ?

La porte en se refermant venait d’éveiller Narcisse.

— Dors, répondit la lingère, je regardais si tu avais bien mis le verrou de sûreté.

Tranquillisée, Félicie Lapeyrade se recoucha près de son tendre mari.

***

Maintenant il faisait grand jour et Félicie Lapeyrade achevait de s’habiller en hâte tandis que son mari, éveillé, lui aussi, paressait tranquillement.

— Tu ne te lèves pas, Narcisse ?

— Hé non, ma petite. Je n’ai rien à faire ce matin, je reste là, bien douillettement. Au moinsse tu n’as pas besoin de faire le lit, je suppose ?

— Non, non, reste.

Prête, la jeune femme mit un peu d’ordre dans la pièce, jetant de furtifs coups d’œil dans la direction du lit pour s’assurer que les vêtements qu’y avait laissés son amant ne se voyaient pas.

D’ailleurs, après l’angoisse qu’elle avait éprouvée lors du retour de son époux, Félicie, maintenant, était toute disposée à rire de l’aventure qu’elle trouvait drôle. Son mari ridicule dormant avec béatitude, bien douillettement, comme il le disait, dans un lit qui recouvrait la preuve de son infortune : les vêtements de Guillaume. Était-ce assez farce.

Il n’y avait guère de risque à courir désormais. Elle allait descendre à la lingerie et quant à Narcisse, comme chaque jour, il resterait très tard au lit, s’habillerait vite vers les onze heures et irait, alors seulement, reprendre son service.

— Il ne saura jamais, pensa Félicie, jamais il ne se doutera de rien. Il est trop bête.

Avisant pourtant les cartons à chapeau qu’elle avait sortis du placard au moment où elle avait caché son amant, Félicie Lapeyrade, avant de descendre, songea à les remettre en place. La jeune femme, causant toujours avec son mari, marcha donc vers le placard, s’apprêta à l’ouvrir. Elle ne fit que l’entrebâiller. C’est avec une hâte folle, avec une précipitation extrême qu’elle le referma, soudain livide et tremblante. Dans le placard, Félicie Lapeyrade avait aperçu Guillaume. Le caissier, son amant, était toujours là.

— Comment Guillaume est-il encore là ? réfléchissait la jeune femme, comment est-il là, puisque cette nuit je l’ai moi-même fait sortir ?

L’heure avançait, force était bien à Félicie de descendre prendre son service et Guillaume, lui aussi, aurait dû rejoindre sa caisse. Qu’allait-on dire si jamais il était absent, si on ne le trouvait pas dans sa chambre ? Que se passerait-il surtout si Narcisse avait la malencontreuse idée de chercher quelque objet dans le placard ?

Félicie Lapeyrade, d’une voix qu’elle s’efforçait vainement de faire tranquille et assurée, interrogea :

— Alors, tu ne te lèves pas, Narcisse ? Tu n’es pas honteux de paresser ainsi.

Le gros homme éclata de rire :

— Mais non, mais non, je ne suis pas honteux, té, autrement, sais-tu que c’est dans le lit que l’on est encore le mieux.

Il ajouta :

— Tu devrais descendre, Félicie, sais-tu, décidément, c’est l’heure pour toi.

La jeune femme ne répliqua pas. Sans un mot, elle quitta la pièce, elle s’éloigna.

Félicie Lapeyrade était à bout d’énergie. Elle expiait durement la faute qu’elle commettait en trompant son brave homme d’époux. Elle se demandait :

— Qui donc ai-je fait sortir cette nuit de ma chambre ? et que va-t-il arriver ?

12 – TRIBULATIONS DE JUVE

Alors que tous ces événements se déroulaient avec une extrême rapidité et une variété inconcevable, passant des scènes de drames aux incidents burlesques, Juve qui n’en n’avait pas connaissance, restait abasourdi, stupéfait, après avoir achevé son enquête et découvert d’une façon certaine que la mystérieuse victime du non moins mystérieux assassin n’était autre que Fleur-de-Rogue, la pierreuse bien connue, la farouche maîtresse du Bedeau.

Certes, Juve avait immédiatement songé que seul l’insaisissable Fantômas pouvait être l’auteur de ce crime, car, seul, il pouvait avoir eu intérêt à attirer dans ce lieu désert et lointain la malheureuse fille dont la vie ou la mort pouvait avoir à ses yeux une importance que, d’ailleurs, le policier voyait mal.

Juve sentait qu’en étayant son raisonnement sur des bases solides, il n’allait pas tarder à conclure que Fantômas était très certainement l’auteur de l’assassinat qu’il venait de découvrir. Mais à ce moment le policier avait eu l’attention détournée par un fait nouveau :

On lui avait apporté cette dépêche et il avait lu :

Le spahi arrêté pour tentative assassinat sur jeune femme actuellement hôpital Biarritz.

— Quelle est encore cette nouvelle affaire ? s’était demandé Juve qui commençait à être intrigué par la tournure que prenaient les événements. Le policier lut et relut le télégramme, remarqua qu’il ne portait pas de signature. Il ne lui vint pas un instant à l’idée que ce télégramme pût avoir été envoyé par quelqu’un d’autre que par Anselme Roche.

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