La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 13 стр.


— Des inquiétudes ? à quel sujet ?

— Je n’ose pas te le dire.

— Et moi, je veux que tu parles.

— Hier, ton frère est venu aussitôt après ton départ, et il m’a fait une scène terrible, m’accusant d’être un mari aveugle, m’affirmant que j’étais cocu.

— Mon frère est un imbécile.

— Non, fit Timoléon, c’est un brave garçon, seulement il est un peu vif, exagéré, et puis, s’il parlait ainsi, c’était dans notre intérêt, pour sauvegarder l’honneur de la famille.

— L’honneur de la famille… l’honneur de la famille… De quoi se mêle-t-il, maintenant, Martial ? Véritablement, c’est extraordinaire. Insupportable. J’en ai assez, entends-tu, Timoléon ? Si jamais Martial s’avise de te reparler de ces choses-là, tu le prieras de s’adresser à moi. Et je m’en expliquerai avec lui une bonne fois pour toutes.

— Oh, je ne demande pas mieux, moins il y aura d’histoires et plus je serai satisfait. L’essentiel, pour moi, c’est, en somme, d’être assuré que je ne suis pas cocu.

Il attira Delphine tout près de lui, lui serra tendrement la taille :

— Dis-le-moi, fit-il d’une voix émue.

— Quoi ?

— Eh bien, que je ne suis pas cocu.

La jeune femme ne répondit pas. On venait de frapper à la porte du salon. Elle s’arracha des bras de son époux.

— Entrez.

La bonne se présenta.

— C’est l’institutrice.

— Quelle institutrice ?

— Celle que Madame a fait venir de Bayonne.

— Eh, tu t’y prends de bonne heure, ma Delphine. Tu engages des institutrices, et nous n’avons pas encore d’enfants.

M me Fargeaux ne répondit pas à son mari, mais elle demeura tout interloquée, ahurie, ne comprenant rien à ce qu’annonçait la bonne.

— Vous êtes sûre que c’est pour moi ?

— Oui, Madame, précisa la servante, c’est une jeune dame qui est venue comme ça sonner à la porte du château, et elle m’a dit : « Prévenez M me Fargeaux que l’institutrice qu’elle veut engager est arrivée. »

Delphine était bien trop intelligente pour ne pas se douter qu’il y avait là quelque mystère qu’il lui fallait élucider avec adresse.

— Faites entrer cette personne dans le petit salon, dit-elle, je vais aller la rejoindre.

La bonne obéit. Timoléon Fargeaux se disposait à suivre sa femme dans le petit salon, et il n’était pas autrement fâché à l’idée de voir l’institutrice.

M me Fargeaux l’en empêcha :

— Toi, fit-elle, reste ici, ça n’est pas l’affaire des hommes de s’occuper du personnel de la maison, et ça m’agace de t’avoir tout le temps sur mes talons.

— Bien, bien, répondit l’excellent Fargeaux, qui renonça aussitôt à son projet. Ne te fâche pas, je n’irai pas voir la personne, seulement je sors pour aller fumer ma pipe dans le jardin.

— C’est cela, va fumer ta pipe.

Quelques instants après, M me Fargeaux pénétra dans le petit salon. À peine y fut-elle entrée qu’elle poussait un cri :

— Ah mon Dieu, la femme de cette nuit.

M me Fargeaux reconnaissait en effet la mystérieuse personne qu’elle avait trouvée en tête à tête avec l’infant d’Espagne, dans les appartements de ce dernier, à l’ Impérial Hôtel. M me Fargeaux tressaillit de colère :

Par exemple, c’était plus fort que tout :

— Eh bien, Madame, s’écria-t-elle, incapable de rester calme, devant cette personne, vous avez un fameux toupet. Non seulement je vous trouve hier soir là où je devais être, mais je vous revois aujourd’hui, chez moi. Vous avouerez que c’est un peu raide, et que je suis en droit de me fâcher. D’abord, que voulez-vous ?

— Vous auriez pu commencer. Madame, par me demander ce que je voulais, cela vous aurait évité des paroles inutiles, et quelque peu compromettantes, non pas tant pour moi que pour vous.

— Il suffit. Alors Madame, que voulez-vous ?

— C’est, bien simple, fit Hélène, je veux que vous m’accordiez pendant quelques jours, votre hospitalité.

— Vous êtes folle ?

— J’ai mon entière raison. Toutefois, pour dissimuler ce que la chose pourrait avoir d’étrange, vous me ferez passer pour l’institutrice de vos enfants.

— Mais je n’ai pas d’enfants.

Hélène réprima un sourire :

— Peu importe, Madame, je serai alors gouvernante de votre personnel, la sœur de la femme de chambre, la lingère chargée de quelques réparations. Je n’ai pas de vanité. Je passerai pour ce que vous voudrez. L’essentiel pour moi, c’est d’habiter ici, chez vous.

— Vous vous moquez du monde, Madame ?

— Je vous assure que non.

— Madame, je ne veux plus entendre vos propositions, allez-vous-en.

— Je ne sortirai pas.

— Pourtant, il le faudra bien.

Les deux femmes se mesurèrent du regard. Hélène reprit d’un ton très posé :

— Vous allez accepter de me garder chez vous. Si vous vous y refusez encore, j’irai de ce pas, révéler à votre mari, votre conduite de cette nuit.

Delphine Fargeaux baissa les yeux, se tordit les mains :

— C’est du chantage, fit-elle.

Hélène rougit. Elle répliqua embarrassée, mais sur un ton d’absolue sincérité :

— Vous avez dit le mot, Madame, c’est du chantage, mais soyez assurée qu’il n’est inspiré par aucun mauvais sentiment, bien au contraire. Je ne tiens pas à vous trahir, et cependant, il est indispensable que j’obtienne de vous ce que je veux. Il est nécessaire que j’habite votre maison pendant quelques jours, il y a, à cela, des motifs graves que je ne puis vous révéler pour le moment. Je m’en excuserai plus tard auprès de vous, je me justifierai, et vous reconnaîtrez que si j’ai agi de la sorte c’est parce que j’y étais contrainte et forcée, il y va d’ailleurs de votre intérêt et de votre honneur.

— Qu’est-ce qu’ils ont tous, à s’occuper ainsi de mon honneur ?

Néanmoins, se rendant compte que cette jeune femme avait décidément des motifs graves, pour lui faire son étrange requête avec autant d’insistance, Delphine Fargeaux répondit :

— Soit, en principe, je ne dis pas non. Supposons donc que j’accepte de satisfaire à votre désir et que vous allez passer désormais pour la gouvernante de la maison. Est-ce tout ce que vous voulez ?

Hélène hocha la tête :

— Non, Madame, il y a autre chose.

— Quoi, grands dieux ?

— Il s’agit de votre frère. M. Martial Altarès, spahi, est bien votre frère, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Savez-vous qu’il est arrêté ?

Cette question était si brusque que Delphine Fargeaux vacilla sur ses jambes et dut s’asseoir sur un fauteuil.

— Que racontez-vous là, Madame ?

— Mademoiselle.

M me Fargeaux reprit :

— Que racontez-vous là. Mademoiselle ? Mon frère est arrêté ? Pourquoi ? qu’a-t-il fait ?

— Il a tiré sur moi un coup de revolver et m’a blessée à l’épaule.

Delphine, en effet, ne savait rien de ce qui s’était passé sitôt après son départ des appartements de Son Altesse Royale, qu’elle avait quittés précipitamment. Elle avait connu le début du vaudeville qui s’était déroulé entre elle, Hélène et l’infant d’Espagne, elle avait ignoré le drame dont son frère, jaloux de l’honneur de la famille avait été le héros principal et Hélène, la victime qui n’en pouvait mais.

Cette dernière mit rapidement M me Fargeaux au courant de l’aventure. Hélène avait compris ce qui s’était passé en apprenant par l’interne que Martial Altarès était le frère de Delphine Fargeaux et elle s’était rendu compte qu’elle avait été victime d’une erreur. Le spahi avait voulu tirer soit sur sa sœur fautive, soit sur l’infant coupable. Il avait atteint un tiers, par le plus grand des hasards.

Delphine Fargeaux écoutait ce récit, qu’elle n’interrompait que d’interjections étouffées, d’exclamations plaintives, et soudain, une pensée lui vint à l’esprit :

— D’abord, interrogea-t-elle, en fixant Hélène dans les yeux, comment étiez-vous là, à l’ Impérial Hôtel, en tête-à-tête avec l’infant ?

— Cela, avoua la jeune fille, je dois dire que je n’en sais absolument rien. C’est un mystère que j’éclaircirai sans doute un jour. Pour le moment, je ne puis vous renseigner. Mais, revenons à notre sujet. Il faut, Madame, que vous sauviez votre frère. Il est actuellement sous le coup d’une grave accusation, il risque un châtiment terrible, celui des assassins vulgaires, il est indispensable que vous le sachiez.

— Que dois-je faire ?

— Il faut, déclara celle-ci, que vous alliez dire la vérité tout entière à la Justice.

— Mon Dieu, mais c’est épouvantable, c’est affreux, la situation dans laquelle je me trouve est unique au monde, il n’en est pas de plus atroce.

— Pourquoi ?

— Parce que si je dis la vérité, je suis perdue.

— Votre frère sera sauvé. Si on le juge sous l’inculpation d’avoir tiré un coup de revolver sur une inconnue, il passera pour une simple brute et il sera durement condamné, tandis que si on connaît les motifs qui ont armé son bras, si l’on sait que c’est pour protéger sa sœur, pour la défendre contre un amoureux entreprenant, si l’on apprend que ce militaire a fait feu pour sauvegarder l’honneur de sa famille, on lui pardonnera, il sera remis en liberté.

— Mais alors, si je parle, je me déshonore à tout jamais, car il me faudra dire les motifs pour lesquels je me trouvais auprès de l’infant.

— Il vous faudra dire la vérité, Madame, le devoir de tout être humain c’est de dire la vérité et vous le ferez quoi qu’il arrive, n’est-il pas vrai ?

Un instant, Delphine Fargeaux réfléchit. Tout son être se crispa.

— Je serai courageuse, murmura-t-elle enfin, vous avez en effet raison. J’irai dès cet après-midi à Bayonne, je verrai les gens de justice et je leur parlerai. Toutefois, poursuivit-elle, en essuyant une larme, plus jamais, au grand jamais je n’oserai reparaître ici, me montrer à mon mari. Pauvre Timoléon, que va-t-il penser de moi lorsqu’il saura… Je vous remercie. Mademoiselle, des bons conseils que vous m’avez donnés. Il me reste à vous demander une faveur.

— Laquelle, Madame ?

— Eh bien, voici : en sortant du Tribunal, cet après-midi, je partirai pour l’étranger, j’irai loin, très loin. On ne saura jamais ce que je suis devenue. Alors, je compte sur vous pour dire à mon mari… Mon Dieu, tout ce qui vous plaira. À la condition simplement, qu’il ne sache point ce qui s’est passé, qu’il conserve toujours un souvenir tendre et pur de sa petite Delphine.

M me Fargeaux ne pouvait plus continuer. À demi écroulée sur le plancher, elle sanglotait éperdument ; Hélène eut pitié de cette grande douleur. Elle s’approcha, lui prit les mains :

— Madame… commença-t-elle.

Mais la jeune fille s’interrompit. La porte du petit salon s’était entrebâillée et par cette ouverture, apparaissait une silhouette masculine, la grosse tête ronde de Timoléon Fargeaux qui roulait des yeux étonnés.

— Vous en faite un tapage, commença-t-il, on vous entend toutes les deux depuis…

Timoléon Fargeaux s’arrêta net. Delphine avait bondi et, redevenant acariâtre, les poings crispés, elle s’était écriée :

— Toi, d’abord, fiche-nous la paix.

Prudent et rapide, Timoléon Fargeaux avait battu en retraite.

— Bon, bon, murmura-t-il, en balbutiant encore quelques vagues excuses qui se perdaient dans le couloir.

— Croyez-vous qu’il est assommant, s’écria machinalement M me Fargeaux.

Hélène ne put s’empêcher de rire. Elle était un peu étonnée par ce caractère de femme méridionale au tempérament excessif, et qui passait en l’espace d’une seconde de l’extrême douceur à la plus vive colère ou à la plus franche gaieté.

— Si tel est votre mari, Madame, dit Hélène, je crois qu’il sera inutile d’en venir aux extrémités fâcheuses que vous méditiez tout à l’heure. Je maintiens qu’il est indispensable que vous alliez au plus tôt dire la vérité à la justice et faire libérer votre frère, mais que votre départ est inutile, et qu’il vous suffira pour assurer définitivement la paix de votre ménage, de quelques bonnes paroles dites au bon moment à l’excellent homme que doit être votre mari.

11 – UN RAT D’HÔTEL

Il était à peu près neuf heures du soir, et par la fenêtre à tabatière, il ne tombait plus dans la chambre mansardée du caissier principal de l’ Impérial Hôtel, qu’un jour rare et misérable, un jour qui n’éclairait que d’une très indécise lumière la petite pièce, simplement meublée où l’employé modèle venait se reposer, son travail terminé.

Guillaume n’était pas encore remonté de la caisse, attardé sans doute par des comptes difficultueux ou encore par un bilan exigé, à l’improviste, du gérant qui, de temps à autre, adressait ainsi des demandes de vérification, prétendant que c’était pour le bon ordre et n’ayant en réalité qu’une envie : trouver Guillaume en faute, obtenir un motif pour le congédier car, sans raison, il ne l’aimait pas.

Si Guillaume n’était pas dans la chambre, un autre personnage y était installé dont la seule vue eût révélé la qualité.

L’homme était vêtu des pieds à la tête d’un costume extraordinaire. Son corps était moulé dans un maillot de laine noire dont le col remontait jusqu’au visage qui disparaissait entièrement sous une cagoule, une cagoule noire.

Le personnage était légendaire. La silhouette était célèbre. Silhouette de nuit, silhouette de crime, silhouette de meurtre. Si le maillot noir eût put faire croire à un ordinaire rat d’hôtel, la cagoule, de forme bien particulière, ne pouvait permettre l’hésitation, l’individu qui se trouvait dans la chambre de Guillaume, c’était Fantômas, c’était le bandit terrifiant, c’était le Maître de l’Épouvante.

Comment Fantômas s’était-il introduit dans la chambre ? Le passe-partout qu’il tenait encore à la main et qu’il enfouissait dans sa poche suffisait à l’expliquer.

Le Roi du Crime avait tranquillement ouvert la serrure, tiré la porte sur lui. Maintenant, il était seul et de dessous sa cagoule, on entendait son rire résonner lugubrement.

— Me voici dans la place, disait Fantômas, jetant un rapide coup d’œil autour de lui, je crois que mon entreprise ne présentera aucune difficulté et j’imagine que demain les gens de l’hôtel en se réveillant…

Mais un bruit de pas résonna dans le couloir. Fantômas, rapidement prit son parti :

— Ce doit être Guillaume qui remonte, songea-t-il. Méfiance…

Dans le demi-jour de la pièce, sa silhouette noire avait quelque chose de fantastique, de diabolique même. Par moments, elle se découpait en lignes précises sur la fenêtre, en d’autres, elle disparaissait complètement, semblait s’évanouir, se mêler à l’ombre, se fondre en elle.

Le bruit de pas se rapprochait :

— C’est bien Guillaume, répéta Fantômas, c’est bien le caissier.

Le bandit se baissa, se jeta à plat ventre sur le sol, sans un bruit, en rampant avec une souplesse extraordinaire, il se glissa sous le lit de fer du caissier.

Fantômas ne s’était pas dissimulé dans cette cachette que la porte de la chambre s’ouvrait. C’était bien Guillaume, le caissier, fatigué d’une longue journée de travail, regagnant sa chambrette. L’employé, d’ailleurs, ne paraissait aucunement se douter du sinistre visiteur qui, quelques secondes auparavant, s’était glissé chez lui. Son attitude était celle d’un homme pressé mais non préoccupé.

La porte ouverte, à tâtons, Guillaume avait atteint le commutateur de l’électricité. L’ampoule, pendue au plafond s’illumina. Guillaume bâilla, puis alla à sa table de toilette.

Il se donna un coup de brosse sur les cheveux, rectifia le nœud de sa cravate, puis, revenant vers la cheminée, choisit dans une petite boîte une cigarette qu’il alluma, dont il tira avec béatitude quelques bouffées.

Dans la pièce, on n’entendait aucun bruit. Fantômas épiait.

Le caissier cependant, ayant fumé, parut hésiter quelque peu. Il eut le haussement d’épaules d’un homme qui se décide à une démarche peu agréable, il se déchaussa, il prit ses souliers à la main, revint vers la porte de sa chambre, il sortit. La porte se referma sur lui dans un claquement sec.

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