La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 21 стр.


Il y avait un point à élucider, sur lequel Fandor serait évidemment pour Juve de précieux conseil. Il s’agissait de savoir ce qu’était devenue Hélène depuis le moment où elle avait quitté Fleur-de-Rogue. Car le policier savait désormais, par des renseignements recueillis à la Sûreté, que la fille de Fantômas était venue de Paris à Rion-des-Landes avec la pierreuse.

Évidemment, Hélène n’avait pas cru devoir faire connaître ses faits et gestes à Juve, pour lequel elle n’éprouvait qu’une médiocre sympathie. Mais il était bien certain que Fandor devait être renseigné sur les pérégrinations de la fille de Fantômas.

Juve allait donc savoir. Il avait cru un moment que la victime du spahi n’était autre qu’Hélène. Le portrait que lui en avait fait l’interne de l’hôpital lui faisait changer d’opinion, néanmoins le policier aurait bien voulu retrouver cette femme, et en tout cas, il se promettait d’aller dès le lendemain voir Anselme Roche, pour obtenir l’autorisation de communiquer avec le spahi.

Juve en était là de ses réflexions, lorsqu’on frappa à sa porte.

— Entrez.

C’était M. Hoch. Juve, désormais, était du dernier bien avec le gérant de l’hôtel, dont il avait gagné les bonnes grâces en lui offrant un cigare après le déjeuner et en lui disant sa profession.

M. Hoch nourrissait une admiration respectueuse et sans bornes à l’égard de toutes les autorités. Plus particulièrement, il tenait en haute estime la police en général et spécialement les services de la Sûreté.

— Si je n’étais pas hôtelier, avait-il dit à Juve, je serais inspecteur de police.

M. Hoch venait se renseigner auprès de son client :

— Peut-être pourrez-vous me donner une explication ?

— De quoi s’agit-il ? fit Juve.

— Voici : il y a quarante-huit heures, lorsque ce soldat d’Afrique a tiré sur la jeune femme, deux agents se sont précipités. L’un d’eux était l’agent de l’infant d’Espagne, et l’autre appartenait à la police de Biarritz. Du moins c’est ce que je croyais. Or, il n’y a pas cinq minutes, M. le procureur général Anselme Roche m’a fait l’honneur de me téléphoner pour me demander si cette arrestation avait bien eu lieu dans mon hôtel.

« Oui, Monsieur le procureur général », lui ai-je répondu, et alors, à son tour, M. Anselme Roche m’a déclaré : « C’est très étonnant, parce que ce spahi qui a été arrêté il y a quarante-huit heures n’a pas encore été conduit au poste, et encore moins à la prison ». Monsieur Juve, qu’est-ce que vous pensez de tout cela ?

À la vérité, Juve n’en pensait rien, et se sentait assez perplexe. Que signifiait tout ça ?

M. Hoch attendait une réponse qui d’après lui ne devait pas tarder à venir. Cet Allemand respectueux croyait à l’infaillibilité et se disait que du moment que Juve était inspecteur de la Sûreté, il devait posséder la clef de l’énigme qui le préoccupait. Si Juve ne répondait pas, c’en était fait de sa réputation auprès de M. Hoch. Mais Juve n’eut pas à courir ce risque. On frappait à la porte de la chambre. Quelqu’un entrait. C’était le courrier de l’ Impérial, Narcisse Lapeyrade, l’infortuné mari. Il voulait à toute force voir le patron.

— Ah Monsieur Hoch ! s’écria-t-il, quelle chose épouvantable…

Il s’arrêtait, hésitant à continuer en présence d’un tiers. Mais M. Hoch lui dit :

— Parlez, Narcisse ! Monsieur n’est pas de trop. De quoi s’agit-il ?

— D’un accident, Monsieur, d’un terrible accident. L’express…

— L’express de Paris ?

— L’express de Paris, oui, Monsieur.

— Racontez ! Vite !

— Voilà, Messieurs, ce que j’ai entendu dire à la gare : l’express de Paris, au moment où il traversait les Landes, a été arrêté par un incendie. On a fait descendre les voyageurs qui ont marché à côté du train. On ne les avait pas laissés dans les wagons, pour le cas où la voie, minée par en dessous, se serait effondrée. Seulement, au lieu de remonter, les voyageurs sont restés là, parce que le train est reparti sans les attendre.

— Il est reparti tout seul ?

— Oui et non, expliqua Narcisse. C’est-à-dire qu’on a fait un coup : le chauffeur et le mécanicien ont été retrouvés asphyxiés sous des tas de charbon, dans le tender. Ce n’est donc pas eux qui ont pu faire partir le train.

— Mais qui a pu faire tout cela ? et dans quel but ? demanda M. Hoch.

— Le vol, patron, poursuivit Narcisse. Tous les bagages des voyageurs ont été fouillés de fond en comble. Les bijoux, l’argent, les objets de valeur, tout a disparu.

Juve était pâle. C’était en effet par ce train que Fandor devait arriver. Il demanda :

— Pas d’accident de personnes, à part ces deux malheureux ?

— Je ne crois pas. Monsieur, on ne me l’a pas dit.

— Mais enfin, poursuivit Juve, et le train, qu’est-ce qu’il est devenu ?

— Oh, c’est bien simple. Après avoir parcouru cinq ou six kilomètres, il s’est arrêté près de Dax. On l’a trouvé immobile, freins bloqués. Il n’y avait pas d’autre accident à redouter ni de télescopage, car le block-system fonctionnait.

— Mais… fit Juve.

Le policier allait interroger encore, il s’arrêta. Une troisième personne entrait dans sa chambre, cette fois c’était un télégraphiste.

— Monsieur Juve ? demanda-t-il.

— C’est moi, donne, petit, fit le policier prenant la dépêche.

— Évidemment, pensait Juve, c’est Fandor qui me télégraphie. Non, ce n’est pas lui, c’est Anselme Roche.

Juve murmura, comme frappé de stupeur :

— Le spahi est retrouvé. Mais…

— Mais quoi ?

— Mais je n’ai plus un instant à perdre. Monsieur Hoch, faites préparer ma note, je vous prie, pendant ce temps-là, que quelqu’un aille me chercher une voiture automobile.

17 – LA COLLINE DE SABLE

Voici ce qui s’était passé quelques jours auparavant alors que le spahi avait blessé Hélène :

Au moment où Martial Altarès tombait à genoux, l’un des deux hommes qui l’entraînaient en lui passant les menottes lui avait soufflé à l’oreille :

— Inutile, n’est-ce pas, de rouspéter. Tâchez de marcher droit, on vous tient, mon gaillard !

C’était là une recommandation parfaitement inutile. Martial Altarès était bien trop profondément bouleversé pour songer le moins du monde à opposer une résistance quelconque à ceux qui l’emmenaient.

Docilement, il avait suivi les deux hommes qui l’entraînaient en hâte dans les couloirs de l’ Impérial Hôtel, où les domestiques et les voyageurs se bousculaient, attirés par la détonation.

— Allons. Dépêchez-vous.

L’un des deux agents, car ce ne pouvait être évidemment que des agents qui lui avaient passé les menottes, semblait surtout désireux que le prisonnier se dépêchât. L’autre ne soufflait mot, mais Martial Altarès sentait ses doigts s’incruster dans la chair de son bras. L’homme le tenait solidement.

Sorti de l’hôtel, le jeune spahi avait été poussé plutôt que conduit vers une automobile fermée qui stationnait à quelque distance, le long du trottoir :

— Montez.

Martial Altarès avait obéi ;

— Quelle terrible affaire, songeait le malheureux soldat. Ma sœur n’était donc pas coupable ? et cette malheureuse jeune fille que j’ai blessé, l’ai-je atteinte grièvement ?

La voiture, cependant, filait sur les routes poudreuses qui avoisinent Biarritz et qui, très vite, les faubourgs de la ville passés, serpentent entre des forêts de pins.

Et brusquement, dans l’esprit du jeune homme, une inquiétude nouvelle prenait naissance : de quelle aventure fantastique allait-il être encore le héros ? Il avait trouvé tout naturel, à la minute même du drame, qu’on l’arrêtât, qu’on l’entraînât au poste, qu’on le jetât en prison, mais comment se faisait-il que les agents pussent le conduire hors de Biarritz. Et c’était incontestable, la voiture venait bien de quitter la station balnéaire.

— Où me menez-vous ? demanda le prisonnier à ceux qui l’emmenaient.

Pour toute réponse, les deux agents qui le surveillaient, l’un assis à côté de lui et tenant la chaîne de ses menottes, l’autre, installé sur un strapontin et semblant prêt à lui sauter à la gorge, éclatèrent de rire :

— Où me menez-vous ?

— Tais-toi.

— Je me tairai si je veux, et vous allez me répondre. Où me menez-vous ?

Un cri de douleur termina la phrase du spahi. Traîtreusement, à l’improviste, l’homme avait tordu la chaîne.

En même temps, l’argousin se penchait sur le soldat, et le regardant avec des yeux effroyablement fixes et volontaires, il répétait :

— Tais-toi. Je n’ai pas l’habitude de parler quand je ne le veux pas, et il me déplaît de te renseigner.

— Et moi… commença Altarès, mais il dut s’arrêter, vaincu par la souffrance.

— Je crois qu’on ne fera plus le méchant. Tu as compris qu’il fallait être sage ?

Un flot de sang empourpra le front du soldat. Ses yeux jetaient des éclairs, il était frémissant :

— J’ai compris, criait-il, que vous êtes des lâches et des bandits, vous n’êtes pas des agents de la Sûreté, vous êtes…

Mais il devait se taire. Sans même s’être consultés du regard, les deux hommes qui l’avaient enlevé à l’ Impérial Hôtels’étaient jetés sur lui. L’individu qui lui faisait face, ayant pris place sur le strapontin, tira de sa poche un long foulard qui lui servit à le bâillonner. Celui qui paraissait être le chef pendant ce temps passait autour des bras du spahi une mince cordelette qui le liait par des nœuds savants. Martial Altarès ne pouvait plus ni bouger, ni parler.

Cependant, il reconnaissait un calvaire que l’on dépassait à toute allure.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? songeait Altarès, voilà que l’on m’emmène sur la route de Beylonque ? Ah çà, mais qui sont donc les gens qui se sont emparés de moi ?

Quelques kilomètres plus loin, nouveau changement d’itinéraire. La voiture abandonnait la grand-route qui unit Biarritz au petit village de Beylonque, elle s’engageait dans un étroit chemin de traverse que le frère de Delphine reconnut aussitôt.

— Mais on me mène à Garros, songeait-il, chez Delphine, au château, chez mon beau-frère. On me mène chez mon beau-frère.

Avançant toujours et fort habilement conduite, l’automobile, cependant, après avoir suivi le petit chemin de traverse, venait de franchir à une allure rapide les premières allées des terrains enclos de murs qui entouraient le château de Garros. Elle avait traversé le petit bois. Brusquement elle obliquait sur la droite, elle s’approchait d’un pavillon isolé laissé à l’abandon et devant lequel elle stoppait définitivement.

Les deux hommes qui avaient entraîné Martial s’étaient levés. Celui qui paraissait être le chef jetait sur les yeux du spahi un voile qui l’aveuglait. Hors d’état de se défendre, le soldat sentait qu’on le soulevait par les épaules, par les pieds, qu’on l’emportait.

— Que vont-ils faire de moi ? Timoléon veut donc qu’on m’assassine ?

Et, connaissant merveilleusement l’endroit où on le transportait, le spahi ne se trompait pas à l’itinéraire que suivaient ses ravisseurs :

— Ils montent les marches du perron. Nous sommes dans le vestibule. Où vont-ils ? Ah, cette porte, cet air frais, miséricorde, on me descend dans la cave.

On le jeta sur le sol. Il sentait que l’on ouvrait le cadenas qui fermait ses menottes. Puis un pas s’éloignait. Il allait donc rester seul avec un unique gardien ? C’était Timoléon Fargeaux que l’on avait été chercher probablement.

— Monsieur Altarès, vous m’entendez ?

D’en dessous son bâillon, le spahi poussait un grognement affirmatif.

— Très bien, je vais vous enfermer où vous êtes. À droite contre le mur vous verrez, car en somme on voit dans cette cave, le soupirail y laisse pénétrer une clarté suffisante, vous verrez que j’ai fait déposer une cruche pleine d’eau et trois pains. Vous êtes fort, vous êtes robuste, vous n’êtes plus lié que par des cordes, vous n’aurez donc aucune difficulté à recouvrer votre liberté de mouvements. Cela je ne vous l’interdis pas. En revanche, et je vous prie de bien faire attention à mes paroles, je vous préviens que vous êtes ici prisonnier, prisonnier jusqu’à ce que j’ai décidé ce qu’il faut que je fasse de vous. Inutile, quand je vais être parti, de tenter de vous échapper. La porte est solide, les murs sont épais, vous vous fatigueriez inutilement. Donc, restez tranquille, méditez, réfléchissez et préparez-vous à la mort, si le cœur vous en dit.

La voix qui avait parlé se tut. Martial Altarès entendait qu’on refermait son cachot improvisé à l’aide de serrures très compliquées, et qui certainement n’étaient pas posées depuis longtemps sur la porte de la cave : il était seul.

Martial Altarès, plus de deux heures dut se débattre, bander ses muscles, meurtrir sa chair, s’écorcher effroyablement avant d’arriver à libérer un seul de ses bras.

De la main qu’il venait de dégager des cordes qui l’emprisonnaient encore, le spahi arracha le bandeau qui gênait ses yeux, le bâillon qui l’étouffait. Il voyait.

Martial Altarès ne s’était pas trompé. Il était bien dans la cave du pavillon isolé. Aucun meuble ne garnissait ce cachot. Un jour rare pénétrait à peine par le soupirail percé très haut. Il y avait bien trois pains et une cruche pleine d’eau.

— Timoléon veut donc me détenir ici jusqu’à ce que je sois devenu fou ? se dit le soldat.

Abattu, immobile, le malheureux spahi tout d’abord ne songeait même plus à se servir de sa main libre pour achever de défaire ses cordages. Mais cette défaillance, aussi bien morale que physique, ne dura que quelques secondes. Martial Altarès se ressaisissait déjà. Une colère nouvelle montait en lui, lui infusant une nouvelle énergie :

— Je saurai, hurlait-il, je saurai ce que Timoléon veut au juste.

Il défit en hâte ses derniers liens. Les membres libres, il patienta quelques secondes pour laisser à la circulation le temps de se rétablir. Bientôt pourtant ses membres retrouvèrent leur souplesse. Il pouvait agir.

Alors, Martial Altarès se releva comme un furieux. Il courut à l’intérieur de la cave, tapant du poing les murs, ébranlant la porte, vociférant. Nul écho ne lui répondit. Le pavillon abandonné était tout au fond du parc, le prisonnier pouvait bien appeler, crier, il était vraisemblable que personne, jamais, ne l’entendrait, ne viendrait lui porter secours.

Tout autre eût désespéré. Martial Altarès, soudain, prit son élan. D’un bond il sauta jusqu’au soupirail. Souple et leste, il l’atteignit, sa main saisit l’un des barreaux qui grillageaient l’étroite ouverture, et là, se tenant tant bien que mal en équilibre, il regarda dans le parc, vers les lointains, vers la liberté.

***

… Quand les petits oiseaux

Ont besoin de mouron…

Ils s’en vont dans les champs

Se percher sur les bran… anches…

D’une voix déplorablement fausse, qui tenait un juste milieu entre la voix d’un homme complètement ivre et la voix d’un enfant furieusement en colère, d’une voix qui était par moments perçante et criarde et qui, en d’autres, avait des intonations graves et enrouées, Bouzille tentait de se distraire du travail auquel il se livrait.

Bouzille avait connu bien des ennuis.

Le philosophe qu’il était s’était évidemment fort bien accommodé des soupçons injustes qui avaient plané sur lui, à Beylonque, lorsque le malheureux idiot Saturnin Labourès avait été trouvé noyé dans la mare aux sangsues.

— Les hommes, avait alors sentencieusement déclaré Bouzille chez un marchand de vins de l’endroit, sont ingrats et malfaisants. Si j’ai été voler des sangsues, c’est uniquement pour rendre service à l’humanité souffrante. Quel remerciement en ai-je ? Tout simplement on m’accuse d’avoir noyé un enfant. C’est à dégoûter de braver les lois pour faire le bien.

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