La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 22 стр.


Mais si Bouzille avait accepté avec sa résignation habituelle la réprobation dont les habitants de Beylonque l’avaient entouré, alors même qu’il avait été remis en liberté sur l’ordre de Juve, Bouzille avait supporté avec moins de facilité les visites bientôt quotidiennes que lui avait rendues un important fonctionnaires du village, et qui n’était autre que l’huissier du pays.

Si Bouzille se souciait assez peu des condamnations civiles qui étaient prononcées contre lui, – que pouvait bien lui faire une condamnation de deux mille francs d’indemnité, alors qu’il ne possédait jamais plus de deux sous à la fois ? – il avait cependant été fort ennuyé par la dernière visite de l’huissier qui lui avait tranquillement signifié l’ordre d’avoir à déguerpir de sa maison.

Bouzille, furieux, avait voulu résister.

On avait immédiatement eu recours, non pas au garde champêtre, mais à un procédé plus simple. Bouzille, en rentrant, avait un beau soir trouvé sa maison sans porte ni fenêtre. Il commençait à faire froid, on rendait le logis inhabitable, il allait bien falloir que Bouzille se résignât à ne plus y demeurer.

Bouzille, heureusement, avait plus d’un tour dans son sac. Il était allé voir les plaignants et obtenus des délais.

— Prenez au moins un métier qui me garantisse que vous me paierez un jour, avait fini par demander le propriétaire du terrain.

Bouzille s’était écrié :

— Que je prenne un métier, mon bon Monsieur ? mais à quoi bon. Je n’en ai pas de métier, j’en ai dix, vingt, trente, j’en change tous les jours, et malheureusement toujours inutilement. Jamais je ne ferai fortune, c’est invraisemblable, mais c’est ainsi.

Là-dessus, Bouzille, avait fini par s’engager solennellement à récolter des champignons et à les vendre tous les jours, pour payer l’acquisition de son terrain. Bien entendu, Bouzille n’avait pas tenu parole. Il récoltait bien des champignons, parce qu’il aimait baguenauder dans les bois, flâner à droite et à gauche, il les vendait bien de temps à autre, quand la cueillette était bonne, mais il buvait l’argent ou s’achetait des cigares. Bouzille se fût déshonoré s’il avait réellement payé un terrain dont il désirait la propriété.

Ce jour-là, il vagabondait dans les bois du château de Garros où il y avait beaucoup de champignons et peu de gendarmes.

Or, tandis qu’il chantonnait, voilà que Bouzille sursauta :

Pour la deuxième fois, il venait d’entendre appeler :

— Hé là-bas, au secours !

Bouzille se retourna.

Le parc était désert. Personne en vue. Qui donc pouvait l’appeler ?

Bouzille, le nez en l’air, son panier de champignons derrière le dos, chercha d’où provenait l’appel :

— Par ici. Approchez-vous du pavillon !

Cette fois, il n’y avait pas à s’y tromper. C’était bien du pavillon abandonné qu’on l’appelait. Bouzille opéra une brusque volte-face, considérait la petite maison délabrée.

— Mais où diable c’est-il donc que vous êtes caché ? demanda Bouzille, et qui c’est-il que vous êtes et quoi que vous me voulez ?

Bouzille, ayant formulé toutes ces demandes, attendit une réponse. Elle vint, ahurissante :

— Je suis prisonnier, enfermé dans la cave, au secours, Bon Dieu, venez !

D’émotion, Bouzille, lâchait son panier. Il y avait un prisonnier dans la cave du pavillon ? Ça n’avait pas de bon sens. Bouzille, en trottinant s’approcha. Guidé par la voix, il trouvait vite le soupirail d’où rappelait Martial Altarès.

— Alors quoi ? demanda-t-il, c’est pour un faisan ou un cerf ?

Car Bouzille n’hésitait pas une seconde, si quelqu’un était enfermé dans la cave, ce ne pouvait être dans son idée, qu’un braconnier, conduit là par quelque garde-chasse.

— Mais non, c’est pour une femme, expliqua le spahi.

— Eh bien, ça ne vaut pas le coup, déclara le chemineau et qu’est-ce que vous lui avez fait à cette femme ?

Mais Martial Altarès, n’avait aucune envie de causer. Tandis que Bouzille s’asseyait sur son panier et s’apprêtait à tailler une petite bavette, le spahi lui demanda :

— As-tu des allumettes ?

— Oui. Pourquoi ?

— As-tu une scie ?

— Il y a une scie à mon couteau. Pourquoi ?

— Passe-moi ta scie.

— Non, faut pas l’abîmer, qu’est-ce que vous voulez en faire ?

— Il faut que je sorte d’ici.

Bouzille, déjà s’était levé.

— Hé, hé, je ne dis pas, mais ça va-t-il me causer des ennuis si je vous aide ?

— Je te donnerai cent francs, mille francs, ce que tu voudras.

Bouzille, n’était point si exigeant :

— Ça, c’est des paroles. Donnez-moi cent sous tout de suite, j’aime mieux ça.

Pour toute réponse, Martial jeta son porte-monnaie à Bouzille qui l’explora consciencieusement :

— Eh bien, j’ai fait ma journée, moi. Attendez voir un peu, donnant donnant, ça ne vas pas être long que je vous tire de là. Il y a moyen d’en sortir.

Bouzille ne mentait pas. Alors que le barreau de fer était impossible à arracher de l’intérieur du cachot, il était en réalité facile à desceller de l’extérieur. Bouzille qui était beaucoup plus robuste qu’on ne l’eût cru à le voir, l’arracha en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

— Maintenant, déclara-t-il, enlevant le barreau après une dernière secousse, maintenant, tendez-moi la main. Vous n’êtes pas gros, hein ? Vous pourrez vous glisser par là ?

Martial Altarès, pour toute réponse, empoigna la main de Bouzille, se hissa à force de bras. Moins d’une seconde plus tard, il était hors de la cave.

— Dites donc, commença le chemineau, vous deviez joliment vous embêter.

Mais il n’acheva pas. À peine était-il sorti de sa prison que Martial Altarès, après avoir aspiré une large bouffée d’air partit au galop.

Il ne s’occupait plus de Bouzille. Il oubliait tout, pris d’un désir affolé de courir au château, de voir si Timoléon Fargeaux y était, de tirer au clair l’aventure dont il venait d’être le héros.

Bouzille avait couru derrière lui :

— Eh bien, en voilà un particulier, se disait-il, pas possible, il a le feu dans sa culotte.

Martial Altarès, à ce moment, traversait en courant une sorte de petite colline de sable mou qu’il devait franchir pour atteindre la grande allée du parc qui allait le conduire à l’habitation.

Bouzille, comprenant qu’il ne rejoindrait pas le jeune homme, s’arrêta. Il l’aperçut dans la demi clarté du soir, car il était tout près de sept heures, se hâtant autant qu’il le pouvait.

Et puis, soudain, des lèvres du chemineau, un cri de stupéfaction monta :

— Ah, mon Dieu !

Et Bouzille s’élança en courant. Que venait-il de se passer ?

Bouzille avait vu tout d’un coup Martial Altarès tomber violemment sur le sol. Le sable de la colline s’éleva en nuages lourds, opaques. Un bruit sourd retentit.

C’était incompréhensible.

C’était horrible.

Quand Bouzille arriva à la colline de sable, les nuages de poussière venaient de se dissiper.

Et Bouzille, atterré, aperçu, gisant sur le sol, le corps de Martial Altarès, de Martial Altarès qui était mort, qui avait la poitrine défoncée, écrasée comme s’il eût reçu un poids formidable jeté de très haut.

Autour du cadavre, le sable ne portait aucune trace de pas. On n’y voyait que du sang tiède encore et qui se figeait rapidement.

Haletant, livide, trébuchant à chaque pas, Bouzille s’enfuit, terrifié.

18 – LES MORCEAUX DE LA LETTRE

— Mais enfin, mon cher Juve, je vous connais trop pour douter qu’à propos de cette étrange affaire, vous ne formiez déjà une hypothèse. Que devinez-vous ? Que croyez-vous deviner ?

Anselme Roche se pencha vers Juve, qui, au contraire, avec une tranquillité peut-être feinte, se renversa sur la banquette de son wagon, le bras confortablement passé dans l’une des boucles de cuir mises là pour aider au repos des voyageurs.

Juve avait l’air aussi peu ému, aussi tranquille, qu’Anselme Roche semblait énervé, excédé, sous tension.

Et Juve, à la question du procureur, répondit avec flegme :

— Moi, inventer une explication ? Ah bien, je vous assure que vous vous trompez, et de belle manière. Tout cela s’embrouille au contraire, et s’embrouille si bien que j’ai beau réfléchir, je n’arrive pas à me former la moindre opinion sur ce qui se passe. Au surplus, Monsieur le procureur, croyez-moi il ne faut jamais réfléchir aux choses avant d’avoir en sa possession tous les éléments d’enquête nécessaires. Le télégramme que nous avons reçu est incompréhensible. La nouvelle qu’il nous apportait l’est encore plus. Attendons, nous nous rendons sur les lieux, nous verrons bien.

Anselme Roche soupira, mais ne répliqua pas. Juve, d’ordinaire, était moins tranquille qu’il ne le prétendait. Habituellement, c’était le policier qui tenait à échafauder le premier des suppositions. Aujourd’hui, il lui plaisait de garder un calme résigné, il ne faisait évidemment pas bon l’interrompre dans ses réflexions ou tenter de le forcer à s’expliquer alors qu’il décidait d’observer une très prudente réserve.

M. Anselme Roche venait de quitter Bayonne, le matin même en compagnie du détective. Juve était venu le prendre à son cabinet au Palais de Justice et l’avait tiré de ses occupations professionnelles en lui apportant la plus surprenante des nouvelles :

— Cher Monsieur, avait dit Juve, les choses, jusqu’ici, n’étaient pas simples, maintenant… Lisez plutôt cela.

Juve avait mis sous les yeux du procureur, un télégramme bref et peu explicite :

Martial Altarès, frère Delphine Fargeaux retrouvé assassiné dans parc château de Garros.

Anselme Roche, ainsi qu’il était naturel, avait lu et relu, puis, il avait dévisagé Juve et demandé d’une voix tremblante :

— Que faire, mon Dieu ? que faire ?

— Que faire ? morbleu ! il n’y a pas vingt-cinq partis à prendre. Je pars pour Garros, Monsieur le procureur, et je viens vous chercher.

Depuis une heure, ils roulaient tous les deux, installés dans un wagon de première classe.

À la halte du chemin de fer, le procureur de la République et le policier trouvèrent une voiture que Juve avait commandée par dépêche. Un jeune paysan était sur le siège, la figure avenante, l’air vif. Juve l’interrogea :

— Y a-t-il du monde au château en ce moment ?

— Il y a toujours du monde.

— Naturellement. Je veux dire : M me Fargeaux et son mari sont-ils là ?

— M me Fargeaux, Monsieur ? M me Delphine, oui, elle est au château. Je ne sais pas où est le maître.

— Cela va bien, conduisez-nous, mon ami.

Le trajet de la gare au château se fit en silence, les deux hommes descendirent sur le perron de l’habitation, sonnèrent à la porte d’entrée. C’était une petite bonne accorte et prévenante qui les introduisit dans le vestibule, mais derrière elle, la silhouette fine et élégante de Delphine Fargeaux apparut.

La jeune femme semblait bouleversée. Yeux rouges, cheveux défaits, mine blafarde, elle courut à Juve, elle lui cria :

— Vous savez ce qui s’est passé ? Mon pauvre Martial est mort. C’est Timoléon qui l’a tué.

Juve eût vu se dresser devant lui un fantôme épouvantable qu’il n’eût pas été plus surpris qu’il ne l’était en entendant les paroles de la jeune femme :

— Allons donc, c’est votre mari qui a tué votre frère ?

— Oui, qui voulez-vous que ce soit ?

— Oh, Madame, j’ignore en effet, comment et par qui a été tué M. Altarès, mais enfin je ne trouve pas cette raison suffisante pour accuser M. Fargeaux. D’ailleurs, comment le crime a-t-il été commis ?

— Venez, vous allez voir, il a la poitrine fracassée.

Juve, accompagné du procureur, suivit la jeune femme le long des corridors du grand château, atteignit bientôt la chambre où l’on avait transporté le corps du malheureux soldat.

Martial Altarès était étendu sur son lit, vêtu de son uniforme, les yeux clos, le visage tranquille, mais le drap que l’on avait jeté sur lui était taché de rouge à la hauteur de la poitrine, et quand Juve le soulevait, le cadavre apparaissait avec ses horribles plaies, son torse défoncé, écrasé.

— Bigre, murmura le policier, comme se parlant à lui-même, voilà qui est plus incompréhensible que tout.

Le procureur de la République, découvert, immobile, très pâle, se tourna vers Delphine Fargeaux qui sanglotait éperdument :

— C’est un bien grand malheur, commençait le magistrat qui cherchait ses mots et ne savait trop que dire. C’est bien cruel, croyez, Madame…

Mais Juve, plus familiarisé avec la mort, se hâtait de couper court aux formules de condoléance :

— Voyons, Madame, demanda-t-il, tourné à nouveau vers la jeune femme, comment cela est-il arrivé ? Que savez-vous ?

— Mais je ne sais rien, hélas. Rien du tout. J’étais au château lorsqu’on est venu me prévenir qu’un garde avait trouvé mon pauvre Martial mort assassiné dans le parc. On me le rapportait, personne n’a pu me fournir la moindre explication.

— Il n’est pas possible, dit Juve, que l’on ne puisse se former la moindre idée relativement à la façon dont est mort votre frère. Ce corps défoncé, ces os rompus, que diable, cela signifie quelque chose ? Il n’est pas mort par accident, il est mort tué, et bien tué. Voyons, Madame, à quel endroit du parc l’a-t-on retrouvé ?

— C’était sur une colline de sable. Monsieur.

— Il n’y a aucun instrument capable d’avoir causé une semblable blessure ?

— Non, Monsieur.

— Vous n’avez rien appris qui puisse vous faire supposer que votre frère se soit livré à une imprudence quelconque ?

— Non, Monsieur. Martial, d’ailleurs, avait été arrêté à Biarritz et…

— Votre frère n’a pas été arrêté, Madame, il a été enlevé, enlevé je ne sais par qui… Vous n’avez à ce sujet aucune idée ?

— Je ne sais rien, Monsieur.

— Enfin votre frère n’était pas aux mains de la police. Il se trouvait à Biarritz, dites-vous ? Non évidemment. Vous voyez bien que la preuve contraire est faite, puisque son cadavre est retrouvé dans votre parc.

Delphine Fargeaux regarda avec des yeux si stupéfaits le policier, que Juve, vraiment, ne pouvait garder à l’endroit de la jeune femme aucun soupçon, aucune idée préconçue.

Delphine Fargeaux ne mentait certainement pas lorsqu’elle affirmait tout ignorer de la mort du spahi.

Juve, pour être plus à l’aise et mieux questionner Delphine Fargeaux, demanda à passer au salon.

À peine le procureur et lui se trouvaient-ils dans la grande pièce d’aspect un peu froid, d’ordonnance cérémonieuse, que Juve, à brûle-pourpoint, attaqua :

— Dites-moi, Madame, interrogea-t-il, quand nous sommes arrivés, vous avez dit : « C’est Timoléon qui a tué mon frère ». Pourquoi avez-vous dit cela ?

Le policier espérait à coup sûr troubler quelque peu son interlocutrice. Il n’en était rien toutefois : Delphine répondait avec une vivacité qui prouvait qu’elle ne préparait nullement sa phrase :

— J’ai dit cela. Monsieur, parce que je crois mon mari capable de tout et parce qu’il haïssait mon frère. Mais c’est fou, je le reconnais. D’ailleurs Timoléon n’est pas ici. Par conséquent…

— Où est M. Fargeaux ?

— À Biarritz.

— Que fait-il donc ?

— Il est parti précipitamment pour se rendre à l’ Impérial Hôteloù depuis des temps indéfinis, il a une chambre au mois pour les besoins de son négoce, et où, je crois, il avait, dans le coffre-fort de l’administration, des valeurs importantes. Le vol a bouleversé mon mari, il est parti d’urgence.

— Vous ne l’avez pas vu lors de ce départ ?

— Non Monsieur. Il partait à Biarritz au moment même où je revenais ici.

Juve toussait, s’efforçait de saisir le regard du procureur de la République, mais Anselme Roche, de plus en plus ému, de plus en plus bouleversé, considérait avec une attention soutenue un tableau pendu à la muraille.

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