La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 23 стр.


Évidemment, Anselme Roche n’écoutait plus ce qui se disait autour de lui, il était perdu dans ses réflexions.

— Madame, poursuivait Juve, je m’en vais vous abandonner à votre douleur, à laquelle je compatis sincèrement, croyez-le bien. M. Anselme Roche, je pense, restera ici pour dresser le procès-verbal officiel.

— Et vous, Monsieur ?

— Moi, Madame, je vais retourner à Bayonne.

Anselme Roche, arraché à ses réflexions, interrompit Juve avec un accent de surprise.

— Vous retournez à Bayonne ? Pourquoi à Bayonne ?

Juve, à ce moment même, eut grande envie d’étrangler l’excellent procureur, qui, de la meilleure foi du monde, commettait maladresse sur maladresse.

— Je vais vous expliquer cela. Venez avec moi, Monsieur le procureur, M me Fargeaux va bien vouloir nous faire conduire dans le parc, à l’endroit où l’on a découvert le cadavre du spahi.

Dehors, marchant dans le jardin, à quelques pas derrière un garde, Juve sermonnait le magistrat :

— Attention, mon cher ami. Parbleu, ce n’est pas à Bayonne que je vais. C’est à Biarritz, rejoindre Timoléon Fargeaux. Mais croyez-vous qu’il était bien utile d’en informer son épouse ? Nous marchons en plein mystère que diable, sachons être mystérieux.

Puis, comme le procureur de la République, gourmandé par Juve, ne disait mot, Juve ajouta :

— Il est absolument inutile que M me Fargeaux puisse téléphoner à son mari : « Attention, Juve vient te surveiller. » En matière de police, autant que possible, il faut éviter de se faire annoncer.

— Et si Timoléon Fargeaux, au cours de l’après-midi, téléphone à sa femme, que dois-je lui faire répondre ? demanda Anselme Roche.

— Ce que vous voudrez, mais tâchez d’éviter qu’on lui annonce la mort de son beau-frère. Prévenez même M me Fargeaux de mon désir.

Le garde-chasse qui précédait les deux hommes, se retournait :

— C’est ici, déclara-t-il, qu’on a relevé ce pauvre M. Martial, il était comme ça, couché de tout son long, la tête du côté du marais, et sauf vot’ respect, les pieds à l’endroit où vous êtes.

L’endroit indiqué par le garde-chasse se trouvait au beau milieu d’une sorte de colline de sable, d’une véritable dune déserte, qu’à coup sûr, Martial Altarès n’avait dû traverser que pour abréger une promenade et regagner au plus vite, par la traverse, le château.

— D’où vient-on par là ? demanda Juve, désignant les lointains du parc.

— On vient de la gare, Monsieur, c’est le chemin direct.

— Et la grand-route, où passe-t-elle ?

— Tout près de la gare, Monsieur.

— Très bien, merci.

Juve n’insista pas autrement.

— Monsieur Anselme Roche, dit le policier, restez ici. Attendez-moi. Je ne sais rien, je ne comprends rien. Je n’invente rien. Mais tout de même il me semble qu’il va se passer des choses, des choses. Enfin, nous verrons bien.

Sur ces paroles énigmatiques, Juve échangea une cordiale poignée de main avec le magistrat, puis il partit à grands pas.

***

— Quoi de nouveau, cher Monsieur ?

— Rien du tout. C’est un désastre, un scandale abominable, un affreux malheur.

La cigarette à la bouche, le chapeau un peu incliné sur l’oreille, une certaine nervosité dans les mouvements, Juve interrogeait maintenant le gérant de l’ Impérial Hôtelqui, depuis le vol, s’arrachait les cheveux, au comble du désespoir :

— Évidemment, concluait Juve, ce qui est arrivé est fâcheux, très fâcheux, et vous allez avoir de grosses responsabilités. Mais enfin, votre administration est riche, et ce n’est pas deux ou trois cent mille francs qui…

Le gérant s’était redressé.

— Vous oubliez l’honneur, déclara-t-il, la réputation de la maison, la renommée de l’ Impérial. Jusqu’ici, Monsieur, nous n’avions jamais eu de rats d’hôtel, jamais de scandale, jamais d’incidents. Et il y a trois ans que l’hôtel est ouvert. Ah, avec ce vol, notre saison prochaine est gravement compromise, et puis enfin…

— Allez donc, vous disiez ?

— J’allais dire que vous parlez à votre aise du montant des responsabilités. Nous ne les connaissons pas encore. Non seulement il y a l’argent de l’hôtel qui a disparu, ce qui est en somme peu de chose, mais il y a les bijoux, tous les bijoux de la clientèle. Il y a les papiers d’affaires qui nous étaient confiés. Actuellement, tenez, Monsieur le policier, je ne pourrais pas même vous dire quel est le montant de nos pertes. J’ai des clients qui vont peut-être être ruinés. Monsieur Timoléon Fargeaux, le propriétaire du château de Garros… Eh bien, Monsieur, il avait dans notre coffre-fort une serviette de maroquin bourrée de documents commerciaux, il était fou quand on lui a appris le vol. Je ne sais pas quelle indemnité nous devrons lui payer.

— Monsieur Fargeaux est venu ? Vous l’avez vu ?

— Il est encore ici, il est dans le hall. Il lit des lettres arrivées pour lui, et savez-vous…

Mais Juve ne savait pas, et ne devait jamais savoir ce que le gérant prétendait lui apprendre. Le policier, en toute hâte, en effet, s’était levé :

— J’ai deux mots à dire à M. Fargeaux, dit-il. Vous permettez ? Je vais le voir et je reviens, dit-il.

Juve sortit du bureau directorial, gagna le salon de lecture :

— Ah çà, pensait le policier, quelle peut bien être la correspondance que Timoléon Fargeaux se fait adresser à Biarritz. J’admets à la rigueur qu’il ait confié à l’hôtel les documents nécessaires à son commerce. Mais il n’a aucune raison de se faire adresser des lettres ici. Un commerçant, que diable, doit lire son courrier chaque matin. Pourquoi ne se fait-il pas écrire à Garros ?

Timoléon Fargeaux était assis tout au fond de la petite pièce, devant une table et lisait avec un soin extrême une lettre qui parut à Juve assez courte.

Le bizarre négociant, d’ailleurs, avait une attitude qui n’était pas sans surprendre le policier. Très pâle, il tremblait, de plus.

— Oh, oh, pensa Juve, voici un homme qui apprend des choses bien intéressantes… Comment vais-je pouvoir les apprendre, moi aussi ?

Mais si Juve méditait de lire la lettre qui retenait l’attention de Timoléon Fargeaux, il devait être déçu dans ses espérances. Le mari de Delphine, en effet, brusquement, et comme s’il se fût douté de la surveillance dont il était l’objet, se leva, enfila son paletot, se coiffa, puis sortit du salon de lecture à grands pas.

Timoléon Fargeaux tenait toujours à la main la lettre qu’il venait de recevoir. Sur le seuil du salon de lecture, il s’arrêta pour la relire. Puis il repartit et vingt mètres plus loin, encore une fois, il s’immobilisa, parcourut des yeux le papier.

— Miséricorde, murmura Juve, cet homme-là apprend la lettre par cœur. Hé, hé, cela devient intéressant.

Comme Timoléon Fargeaux sortait de l’hôtel, Juve, cent mètres derrière lui, entreprit de le pister.

D’abord cette filature ne donna aucun résultat. Le châtelain de Garros traversait les rues élégantes de Biarritz, se dirigeant vers un faubourg.

— Est-ce que par hasard, songeait le policier, cet animal-là me mène tout juste chez un minotier ? Non, j’aime à croire que je vais apprendre quelques détails plus instructifs.

Timoléon Fargeaux, d’ailleurs, devait être en proie à une grave préoccupation. Ainsi qu’il l’avait déjà fait, il s’arrêta à trois ou quatre reprises encore, en pleine rue, pour lire la lettre qu’il tenait toujours et semblait considérer avec une réelle émotion.

— Nous verrons bien, songeait toujours Juve. Où qu’il aille, j’irai. Et le diable m’aidant, il faudra bien que j’arrive à connaître ce qu’il lit avec tant d’attention.

Brusquement Timoléon Fargeaux se livrait à une étrange manœuvre. Il venait d’arriver, suivi de très loin par Juve, dans une rue déserte, la rue Christine, et semblait d’un coup d’œil s’assurer que nul ne l’observait. Bien persuadé que tout était désert, que nul ne l’épiait, Timoléon Fargeaux s’adossa à la muraille d’une sorte de grand magasin et commença à marcher à pas réguliers et longs, à la façon d’un homme qui compte ses enjambées. La manœuvre était si claire que Juve, à cent mètres de là, occupé à lire un journal qu’il tendait devant son visage, mais dans lequel il avait percé des trous, ce qui lui permettait de ne pas perdre un seul des mouvements de Timoléon, compta les enjambées du marchand de grains.

— Un, deux, trois.

Juve compta jusqu’à sept.

À ce moment, Timoléon Fargeaux décrivant un angle droit, comptait encore quatre enjambées. Il parvenait ainsi au milieu de la chaussée.

— Que diable veut-il faire ? pensait Juve. Il est complètement fou, ce bonhomme-là. Il n’y a rien de remarquable sur la chaussée.

S’il n’y avait rien de curieux sur la route aux yeux de Juve, il devait y apparaître quelque chose de stupéfiant pour Timoléon. Le gros homme en effet, parvenu au centre du chemin, tournait sur lui-même et, avec une minutieuse attention, considéra le sol devant lui, puis à droite, puis à gauche, puis de tous côtés.

— Morbleu, se dit Juve, aurait-il perdu quelque chose à cet endroit ? Mais non. Il a compté des enjambées. Ah, sapristi de sapristi, qu’est-ce que l’on peut bien chercher en pleine rue de cette façon ?

Or, Timoléon Fargeaux après avoir tourné de tous côtés, haussa les épaules, à la façon d’un homme extraordinairement surpris.

— Il ne comprend rien à ce qui se passe, moi non plus je ne comprends rien à ce que je vois.

Timoléon Fargeaux, pourtant, ne bougeant pas d’une semelle, demeurait rivé au sol et tirait de sa poche la fameuse lettre qu’il avait si souvent lue et encore une fois la déchiffra.

Juve grinça des dents.

— Miséricorde, se jura le policier, il existe évidemment une relation entre cette lettre et la façon dont se conduit mon bonhomme. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?

Cinq minutes encore, Timoléon Fargeaux demeura à la même place, puis, remettant la lettre dans sa poche, il s’éloigna en marchant vite.

— Va toujours, soliloqua Juve, je te suivrai, mon gaillard, et ma foi…

Juve s’interrompit. Parvenu au coin de la rue, Timoléon Fargeaux, d’un mouvement rageur, venait encore de tirer la lettre mystérieuse. Juve le vit la plier puis la déchirer en tous petits morceaux.

— Oh, oh, se dit le policier, il paraît que nous avons nos nerfs.

Et en même temps, Juve pensa :

— Si seulement il lui venait à l’idée de jeter les morceaux de cette lettre.

Juve eut la joie même de voir Timoléon jeter au vent les confetti qu’il venait de faire.

Juve, cette fois, pressait le pas. Le policier ne s’occupa plus de pister Timoléon. Il laissa le gros homme disparaître au coin d’une rue et demeura à l’endroit où la lettre avait été jetée. Alors patiemment, sans s’occuper des regards surpris que les passants lui jetaient, Juve recueilli les morceaux de papier qui voltigeaient un peu partout.

***

À huit heures du soir, Juve, dans sa chambre, à l’ Impérial Hôtel, sans s’être montré le moins du monde encore à Timoléon Fargeaux, ayant même prié au bureau de l’hôtel que l’on dissimulât son arrivée, se livrait à un travail étrange.

Juve avait posé devant lui une vitre achetée chez un quincaillier. Il avait huilé cette vitre et, sur le carreau, s’occupait à coller les petits morceaux de papier récoltés dans la rue.

— Dire, songeait Juve, de temps à autre, que je me suis toujours moqué des snobs qui jouent au puzzle, c’est mon tour maintenant, je dois reconstituer, tel un jeu de patience, cette lettre entière.

Le travail était difficile, Juve crut un instant qu’il lui faudrait renoncer à le mener à bonne fin. Il manquait des morceaux à la lettre qu’il s’efforçait de reconstituer, et cela n’était pas pour lui faciliter la tâche. Après deux heures d’effort, Juve, pourtant, se frotta les mains.

— Oh, oh, j’ai trouvé dix phrases complètement idiotes et n’ayant guère de sens. Mais en voici une qui pourrait bien signifier quelque chose.

Juve, en disant ces mots, considérait deux lignes d’écriture, et ces deux lignes disaient :

Une fois adossé à la muraille, vous compterez sept enjambées dans le sens de la rue, puis quatre dans la direction…

Le reste manquait, mais Juve ne pouvait s’y tromper… Il acheva pour lui-même la recommandation donnée…

— Dans la direction de la chaussée, faisait le policier. Cette lettre indiquait bien à Timoléon Fargeaux la manœuvre que je lui ai vu effectuer. Mais pourquoi ? pourquoi ?

Une grande heure de travail amenait Juve à découvrir encore un autre lambeau de phrase :

Cela vous coûtera vingt-cinq mille francs, mais vous aurez

À une heure du matin, Juve, s’éclairant d’une lanterne, était revenu à la petite rue Christine où il avait vu Timoléon Fargeaux compter sept pas, puis quatre. Et, tout comme l’avait fait le marchand de grains, Juve s’adossait à la muraille et compta sept pas, puis quatre encore.

19 – COUPABLE OU VICTIME ?

Le lendemain de sa mystérieuse promenade nocturne le long de la rue Christine, Juve ne quitta pas l’ Impérial Hôtel. Il poussa même la précaution jusqu’à se faire monter ses repas dans sa chambre. Juve s’était borné, d’ailleurs, en fait d’enquêtes policières, à prier le gérant de venir lui parler. Juve n’avait posé qu’une seule question :

— M. Fargeaux, s’il vous plaît, est-il toujours ici et ne manifeste-t-il aucune intention de s’en aller ?

— Aucune, répondit le gérant interloqué. M. Fargeaux est furieux du rapt dont il a été victime, il s’occupe de prévenir ses correspondants que ses papiers ont disparu et que ses affaires vont souffrir quelque retard. Est-ce que, par hasard ?

— Rien, rien, dit le policier, il n’y a rien, je ne sais rien, je ne pense à rien. J’ai tout bonnement besoin de connaître exactement ce que fait M. Fargeaux. Si, par hasard, vous surpreniez des préparatifs de départ, prévenez-moi. À part cela, il est parfaitement libre, cet excellent monsieur, de s’occuper de ses affaires.

Le gérant parti, Juve avait repris son mystérieux travail. La lettre restait incompréhensible, mais le policier s’empara d’un plan de Biarritz et, minutieusement, l’étudia.

Juve probablement dut trouver ce qu’il cherchait, car, vers deux heures de l’après-midi, le policier paraissait tout guilleret, d’excellente humeur, il chantonnait presque, rectifiait le nœud de sa cravate, s’apprêtait à sortir. Juve, hors de l’hôtel, gagna les faubourgs de Biarritz. Il allait muser à la gare, flânait en bon badaud le long des rues élégantes bordées de chaque côté de petits hôtels, de villas somptueuses. À six heures du soir seulement, comme le soir tombait, comme les passants se faisaient rares, Juve parut brusquement changer d’attitude et se préparer à l’action. D’un geste machinal, le policier avait porté la main à la poche de son veston et sourit en constatant que son fidèle revolver était prêt, armé et le cran de sûreté levé. Juve, dès cet instant – il se trouvait alors en haut de la promenade qui domine le rocher de la Vierge – prit une démarche vive, traversa les quartiers de Biarritz sans plus s’arrêter, sans plus regarder les boutiques dont les devantures s’illuminaient.

Juve suivait en somme, à peu de chose près, l’itinéraire qu’il avait suivi la veille lorsqu’il pistait Timoléon Fargeaux. Allait-il donc rue Christine ? Après un quart d’heure de marche, Juve, qui approchait de la voie où Timoléon Fargeaux s’était livré à une étrange manœuvre, obliqua par une ruelle infecte qu’il avait soigneusement cherchée sur le plan. Juve paraissait s’orienter, devait retrouver son chemin, car, bientôt, il se frottait les mains avec satisfaction.

— Allons, allons, se dit-il, je crois que je touche au but.

À l’extrémité de la ruelle, le policier, qui paraissait de plus en plus décidé, déboucha sur une sorte de petite place entourée de terrains vagues et déserte, sombre aussi, car un seul bec de gaz, placé en son centre, ne répandait qu’une lueur insignifiante.

— Le paysage n’est pas engageant, songeait Juve, mais, après tout, pour ce que je veux en faire.

Juve, qui, jusqu’alors, avait marché au centre de la chaussée, se dirigeait vers le trottoir. Il fit le tour de la petite place, les yeux obstinément fixés à terre et paraissant chercher quelque chose :

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