La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 8 стр.


Pourquoi le Bedeau s’accusait-il d’un crime imaginaire ? quels motifs avait-il pour demander ainsi son arrestation ? Comment se faisait-il qu’il se vendait lui-même aux agents de la Sûreté ? C’était simple à comprendre, pour qui connaissait l’intelligence restreinte du sinistre apache. Le Bedeau, inquiet du sort de Fleur-de-Rogue et surtout de celui d’Hélène, redoutait par-dessus tout la colère de Fantômas, si par malheur et comme c’était possible, il était arrivé malheur à la fille. Le Bedeau par expérience connaissait la cruauté froide et l’indomptable rigueur du génie du Crime, du Maître devant lequel on ne trouvait point grâce lorsqu’on l’avait trahi. Le Bedeau se disait que l’endroit le plus sûr pour éviter la vengeance du bandit, c’était assurément la prison, la bonne et douce prison où on se laisse vivre, nourrir, blanchir, coucher, sans avoir à penser à rien.

Fleur-de-Rogue vivait-elle ou non ? La police la rechercherait, ce qui rendrait service au Bedeau et ce serait bien de la guigne si l’on ne finissait pas par démontrer qu’il avait, pour se faire arrêter porté, lui le Bedeau, une fausse accusation contre lui-même. Alors on le condamnerait à une peine plus ou moins grande pour le châtier d’avoir dupé la police et pendant ce temps-là, Fantômas, aurait tout le temps de se calmer, de penser à autre chose.

Cependant, Nalorgne et Pérouzin, qui, après quelques nouvelles interrogations, avaient désormais acquis la certitude que le Bedeau était bien un assassin, lui passaient solennellement les menottes et entraînaient leur paisible prisonnier hors du cabaret :

— On va pas cavaler à pied, interrogea le Bedeau, vous pouvez bien payer une roulante, d’autant plus que je me sens les arpions en dentelle ?

Le Bedeau, d’ailleurs, légèrement ivre, titubait.

Nalorgne et Pérouzin obtempéraient à son désir, eux non plus ne tenaient pas à s’en aller de la sorte, toutefois, avant d’arrêter un fiacre, Nalorgne, en homme précis qu’il était, faisait au Bedeau son compte :

— On te redoit soixante-quinze francs, on va te les payer.

Nalorgne déduisait de la somme le louis versé entre les mains du gargotier, pour payer son dîner. Il retint encore deux francs.

— Pourquoi ? demanda le Bedeau.

— Mais, fit le policier, pour le sapin.

Cette déclaration faillit tout gâter. L’apache se mit en colère :

— Nom de Dieu ! hurla-t-il, je crois que vous voulez m’avoir, vous autres, c’est-y pas malheureux d’essayer de me gratter comme ça, sur mon bénéfice. Ça, ça rentre dans votre boulot, c’est les frais de votre commerce.

Pérouzin essaya d’expliquer :

— Nous n’avons pas de frais supplémentaires pour cela. Alors si tu refuses de payer le fiacre, autant aller à pied.

La situation était embarrassante, car, d’une part, le Bedeau était fort ivre, et de l’autre, sur un signe de Pérouzin, gaffeur comme toujours, une voiture était venue se ranger le long du trottoir et pour s’assurer des clients par intimidation, le cocher avait déjà baissé son drapeau. Nalorgne se résigna à la générosité.

— Soit, dit-il, voilà les deux francs, la roulante sera à notre compte.

Les trois hommes s’introduisirent dans le fiacre et Nalorgne y monta le dernier, jeta une adresse au cocher.

Le véhicule roulait lentement, le Bedeau sommeillait, lorsque soudain, ayant regardé par la portière, et vu que la voiture longeait les fortifications, il s’écria stupéfait :

— Mais nom de Dieu, il se goure, le collignon !

Nalorgne et Pérouzin ne répondaient point. Le Bedeau insista :

— Dis-lui qu’il se fout dedans. Les fortifs, c’est pas la direction de la Préfectance.

Mais les policiers ne répondirent pas et à ce moment la voiture s’arrêta devant une masure hermétiquement close. Nalorgne, prestement, descendit et frappa à la porte :

Le Bedeau s’inquiéta.

— Qu’est-ce qu’il va faire ? demanda-t-il à Pérouzin.

— Voir un copain, répliqua celui-ci. Descendons aussi.

Intrigué, l’esprit alourdi par les vapeurs de l’alcool, et confiant, le Bedeau consentit à suivre Pérouzin.

À la demande de Nalorgne, la porte close s’était ouverte et brusquement le Bedeau se trouva poussé à l’intérieur d’une salle, très sommairement éclairée, salle garnie de tables et de banquettes où des hommes en train de boire étaient installés. Et tout d’un coup, le Bedeau se souvint qu’il connaissait cet endroit.

C’était un effroyable bouge de la Glacière, connu sous le nom de L’Œil Vert, et les apaches eux-mêmes ne s’y aventuraient qu’en tremblant, sûrs qu’ils étaient d’y rencontrer l’ennemi et d’y risquer toujours quelques mauvaises aventures. C’était le plus infâme établissement que l’on pût imaginer, cabaret clandestin, coupe-gorge, que même les plus terribles bandits n’approchaient qu’avec hésitation. Or, le Bedeau, allait se demander pour quels motifs Nalorgne et Pérouzin le faisaient venir là, lorsque soudain il blêmit, trembla sur ses jambes, poussa un cri de terreur :

— Ah, nom de Dieu, fit-il, ces vaches-là m’ont mouchardé.

Ses yeux apeurés ne pouvaient se détacher d’un homme qui, du fond de la salle où il se trouvait, dévisagea le Bedeau avec une singulière insistance, cependant que, sur ses lèvres fines et rasées, flottait un sourire railleur.

Le Bedeau pouvait être inquiet à juste titre, car l’homme qu’il voulait éviter à tout prix, de rencontrer se trouvait là devant lui, et cet homme, c’était Fantômas. Fantômas, autour duquel se trouvaient des hommes dévoués à sa cause et que le Bedeau connaissait bien. Il y avait là Bébé, Mort-Subite, les deux inséparables Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf, plus copains que jamais.

Cependant qu’atterré, le Bedeau demeurait immobile au milieu de la salle, Nalorgne et Pérouzin, qui s’étaient respectueusement approchés du Maître, lui racontaient leurs dernières aventures.

— Le Bedeau, disaient-ils, s’accuse d’avoir tué Fleur-de-Rogue et demande à être conduit en prison. Faut-il lui obéir ?

Fantômas éclata de rire :

— Approche ici, ordonna-t-il, en fixant l’apache qui s’avança lentement, assieds-toi, prends un verre avec nous.

— Bon, se dit le bandit, du moment que Fantômas est aimable, c’est que cela va mal tourner. Il m’en veut sûrement. Il doit savoir que c’est moi qui ai poussé Fleur-de-Rogue à tuer sa fille, ça va mal finir. C’est peut-être le dernier verre que je bois.

Et dans cette crainte, le Bedeau se versa une rasade de vin à plein bord.

Fantômas, cependant, plaisantait le Bedeau :

— Crapule, menteur, saloperie, c’est comme cela, fit-il, que pour lâcher les copains, tu n’hésites pas à t’accuser d’un assassinat que tu n’as pas commis ? Poseur, va, mais Fleur-de-Rogue n’en ferait qu’une bouchée d’un abruti de ton espèce. Je puis même te dire une bonne chose, c’est que si ta marmite a disparu et que si elle a fait explosion, ça n’est pas à toi qu’elle le doit.

Le Bedeau releva la tête.

— Fleur-de-Rogue est claquée ?

— Cela ne te regarde pas, répondit le Maître.

Soudain, à l’idée que Fleur-de-Rogue était morte et bien morte, que cette fois c’était vrai, définitif, le Bedeau sentit monter à sa gorge un sanglot, essuya une larme furtive. Mais sur l’ordre de Fantômas, il changea aussitôt d’attitude :

— Assez de sentiment, avait ordonné le Maître, et maintenant écoute, nous avons à causer.

Auparavant le bandit congédia Nalorgne et Pérouzin, auxquels généreusement il remboursa l’argent indûment versé au Bedeau.

Il ne le donna pas de sa poche, mais simplement obligea le Bedeau à restituer la somme qu’il avait perçue, moins les vingt francs du dîner, naturellement. Narlogne et Pérouzin s’esquivèrent, et cependant que Nalorgne grommelait :

— Encore une sale affaire.

Pérouzin, plus optimiste, se disait :

— Bah, cela nous coûte vingt francs, mais tout de même on a fait un bon dîner.

Dans la salle basse du cabaret, Fantômas dictait ses instructions à ses hommes. Ceux-ci l’écoutaient avec attention. Il s’agissait, cette fois, d’une affaire nouvelle comme on avait peu l’habitude d’en faire, mais d’une extrême importance. Il s’agissait de contrebande et d’introduction en France de marchandises espagnoles payant des droits élevés à la douane. Fantômas s’installait commerçant et c’était par billets de mille francs qu’il calculait.

Bébé, Mort-Subite étaient abasourdis, Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf s’embrassaient de joie à l’idée que sous la conduite de Fantômas bientôt ils seraient riches.

Le Bedeau, se faisant tout petit, ne cherchait qu’à passer inaperçu. Il s’était tassé dans un coin et écoutait toutes ces choses dont la conception lui semblait magnifique, mais Fantômas l’interpella :

— Approche, le Bedeau, fit-il.

Cependant que l’apache se levait, Fantômas conclut l’entretien avec ses amis par ces mots :

— Maintenant, que chacun se défile et rentre chez lui, il faut que dans trois jours, vous soyez les uns et les autres au rendez-vous que j’ai indiqué. Pas moyen de se tromper, n’est-ce pas ? Naturellement, allez-y chacun séparément. Il ne s’agit pas de se faire remarquer et des gueules comme les vôtres passent rarement inaperçues.

Les complices de Fantômas, l’un après l’autre s’esquivèrent, et le Bedeau tenta également de gagner la porte. Fantômas le retint :

— Hé, là-bas, où vas-tu ?

— Je… je me débine…, balbutia le Bedeau, fort embarrassé.

Fantômas eut un rire sinistre :

— Une seconde, nous avons un compte à régler tous les deux.

— Voilà, fit le Bedeau, en blêmissant, ce que je craignais. Qu’est-ce que tu me veux, Fantômas ? demanda-t-il ?

Fantômas ne répondit pas encore, le Bedeau attendit respectueusement. Les deux hommes n’étaient pas seuls dans la salle. À côté de Fantômas se trouvait un troisième personnage que le Bedeau, malgré ses soucis, considérait avec étonnement.

C’était un homme de trente-cinq ans environ, superbement bâti, l’air américain ou anglais.

Quel pouvait bien être cet homme ?

Le Bedeau n’en revenait pas de voir cet inconnu silencieux et flegmatique dans l’intimité de Fantômas, et s’entretenant parfois avec lui sur un ton de familière camaraderie.

Cependant, le Maître ordonnait au Bedeau :

— Tu as compris ce que j’ai dit aux autres ? tu vas faire comme eux. Demain matin tu prendras le train à la gare d’Austerlitz, tu demanderas un billet de troisième pour Saint-Jean-de-Luz. En sortant de la gare, tu iras te loger à la deuxième auberge à gauche, où tu resteras en attendant mes instructions. Allez, fous le camp et que je ne te revoie plus et rappelle-toi bien, que c’est seulement à cette condition que j’oublierai peut-être toutes les saloperies que tu es disposé à faire pour trahir tes amis.

Le Bedeau se leva, heureux d’en être quitte à si bon marché, mais il s’arrêta, une pensée lui venait à l’esprit : il n’avait pas d’argent pour partir et il fallait bien en demander à Fantômas.

Le Bedeau, toutefois, hésitait :

— Si je pleure pour du pèze, pensa-t-il, ça va le foutre en colère.

Néanmoins, il fallait bien s’y résigner.

— Fantômas, balbutia le Bedeau, je cavalerai, comme tu me l’as dit, demain matin seulement, voilà, c’est la dèche dans mes profondes, j’ai pas de galette pour prendre le bifton.

— C’est juste, fit Fantômas, passe à la caisse.

Ahuri, stupéfait de voir que sa demande était si facilement exaucée, le Bedeau, instinctivement chercha la caisse.

Dans la salle vide, il avisa une sorte de comptoir, il s’en approcha.

— Imbécile, où vas-tu ?

— Dame, répliqua le Bedeau, à la caisse.

— Crétin, poursuivit Fantômas, en éclatant de rire, triple idiot, décidément tu as fait ton temps le Bedeau, tu deviens complètement gâteux.

Puis, comme s’il prenait pitié de l’homme qui demeurait planté au milieu de la pièce, Fantômas désigna son flegmatique compagnon, puis solennellement déclara :

— Entends-moi bien, le Bedeau, la caisse, c’est Monsieur. Et je te recommande lorsque tu le rencontreras de ne lui parler que s’il t’adresse la parole. Défense naturellement, de ne jamais toucher un seul cheveu de sa tête, défense aussi de lui prêter secours si jamais il te demande ton aide. Tu t’en souviendras ? Il s’appelle L’Amateur.

— Bien.

Il s’approcha cependant du flegmatique personnage. Celui-ci, dès les premières paroles de Fantômas avait tiré un portefeuille de sa poche, il extrayait d’une liasse de billets de banque, une coupure de cent francs.

— Voilà, fit-il en tendant le billet au Bedeau.

L’apache se confondit en remerciements.

Mais, déjà, Fantômas et son ami, car assurément ce singulier personnage était un ami de Fantômas, s’étaient retournés et désormais ils conféraient à voix basse, sans plus se préoccuper du Bedeau.

Celui-ci, enfin prêt à partir, s’éclipsa prestement et une fois dans la rue, poussa un profond soupir de satisfaction :

— Après tout, grommela-t-il, toutes ces histoires-là tournent mieux que je ne l’espérais.

7 – L’INFANT D’ESPAGNE

— Monsieur Bourrinas, voulez-vous me rendre le service d’aller au Cabinet du juge d’instruction, vous verrez le greffier et lui demanderez quelques mandats en blanc que vous me rapporterez ?

— C’est une affaire entendue, Monsieur le procureur : vous faut-il des mandats d’amener ou des mandats de comparution ?

— Voilà une question, mon cher Monsieur Bourrinas qui dénote une ignorance professionnelle regrettable. Vous ne devriez pas ignorer qu’à notre Parquet, les mandats de comparution ou d’amener ont une seule et même formule et que la nature de la mention est mise à la main. Enfin vous êtes jeune et débutant dans la profession, je vous excuse.

M. Bourrinas était, en effet, un tout jeune attaché au Parquet de Bayonne qui débutait dans la carrière. Il avait reçu sa nomination depuis quinze jours au maximum.

Le jeune attaché quitta précipitamment le cabinet où il se trouvait avec le procureur général et ce haut magistrat, qui n’était autre que M. Anselme Roche, demeura seul en tête-à-tête avec ses dossiers dans le sévère, mais majestueux bureau que l’administration judiciaire mettait à sa disposition. M. Anselme Roche, avait un cabinet qui ne lui faisait aucunement regretter celui qu’il occupait jadis à Saint-Calais :

Une large fenêtre par laquelle la pièce s’éclairait abondamment s’ouvrait sur une jolie place de Bayonne, et comme le bureau du procureur se trouvait au second étage dans l’immeuble du tribunal, on pouvait apercevoir par-dessus les toits des autres maisons le panorama pittoresque qui s’étendait, non seulement au premier plan, constitué par la jolie ville de Bayonne, mais encore dans le lointain, par delà les fortifications historiques, jusqu’aux forêts de pins qui vont jusqu’à la mer.

Indifférent toutefois à ce spectacle, car il s’y était déjà accoutumé, M. Anselme Roche qui ne s’était approché de la fenêtre que pour jeter une allumette éteinte, revint à son bureau de travail, prit place dans son fauteuil et s’emparant de son porte-plume, fit mine, sur le buvard immaculé qui se trouvait devant lui, d’esquisser les jambages d’une lettre, puis d’un mot tout entier, d’un nom.

Le magistrat, machinalement murmurait :

— M… A… R… mar…

Puis il ajoutait un T dans sa pensée et finit par dessiner à quelques millimètres au-dessus du buvard, le nom de Martial.

— Martial, répéta-t-il machinalement.

Mais ce n’était pas tout. Le magistrat appuya presque la plume sur le buvard, traça un A, un L encore un T. Il s’arrêta net, puis murmura cette fois, presque à voix haute :

— Martial Altarès, oui, il n’y a pas lieu d’hésiter.

Le procureur général posa sa plume cette fois, se mit à se promener de long en large dans son cabinet en attendant le retour de l’attaché du Parquet.

Dorénavant, sa décision était prise. C’était le nom du spahi, de Martial Altarès qu’il allait faire figurer sur le mandat d’amener que M. Bourrinas était allé chercher.

On frappa à sa porte :

— Entrez, fit le procureur.

C’était l’attaché du Parquet qui rapportait une liasse d’imprimés :

— Voici quelques mandats, fit-il, Monsieur le Procureur.

Le magistrat, malgré ses préoccupations ne put s’empêcher de rire :

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