La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 11 стр.


— Je voudrais bien me coucher. Pourriez-vous me faire étendre un matelas dans une chambre quelconque ?

On avait acquiescé au désir du célèbre policier. Il s’était couché sur le sommier d’un lit qu’il partageait avec Fandor. Car Juve avait emmené Fandor avec lui.

— Debout, Fandor ! cria Juve.

Le journaliste avait dormi à poings fermés. Il poussa un long bâillement, s’étira, puis interrogea le policier d’un air stupéfait :

— Que me voulez-vous ? Que se passe-t-il ? On vient à peine de se coucher.

Le policier le brusqua :

— Il ne s’agit pas de faire la grasse matinée. Nous avons à procéder à une enquête délicate.

Fandor, pendant quelques instants, semblait, en effet, l’avoir oublié. La mémoire lui revint cependant :

— Ma foi, grommela-t-il en faisant une rapide toilette et éclaboussant partout l’eau qui servait à ses ablutions, nous aurions pu, sans dommage, dormir une heure ou deux de plus. Les constatations à faire dans la maison du crime seront toujours aussi bonnes puisque le commissaire de police de la localité a eu l’ingénieuse idée de faire cerner tout le diable et son train depuis hier au soir par les agents du pays.

— Possible, mais ça n’empêche qu’il ne faut pas nous attarder.

Fandor, d’ailleurs, au fur et à mesure qu’il se réveillait, partageait l’avis de son ami. La maison tout entière, pour qui connaissait les habitudes des Keyrolles, s’agitait d’une façon anormale à cette heure matinale.

La petite bonne Brigitte, évidemment, avait reçu des ordres la veille et elle obligeait tout le monde à se mettre sur pied.

Juve et Fandor étaient les premiers, cependant, à passer de la demeure des Keyrolles dans le jardin de la maison abandonnée.

Le policier recommanda aux agents qui avaient passé toute la nuit en faction devant les issues diverses de la propriété :

— Ne laissez entrer personne jusqu’à ce que j’aie fait les premières constatations.

Et alors Juve, accompagné de Fandor, pénétra dans le jardin de la mystérieuse maison :

— Ne marchons pas sur le sable des allées, recommanda-t-il, il y a des traces de pas qu’il s’agit de relever au préalable et de ne point mêler aux nôtres.

Juve et Fandor avaient l’habitude de ces sortes d’opérations. Ils prirent chacun dans leur poche du papier blanc, un mètre, un crayon, des ciseaux.

Au bout de quelques instants ils revenaient triomphants, l’un et l’autre détenteurs d’un certain nombre de semelles de papier qu’ils juxtaposaient. C’était un spectacle curieux que celui de ces deux hommes, en melons, agenouillés sur le gazon dont l’herbe montait très haut et qui étalaient avec une minutie extrême ces semelles découpées dans des morceaux de journaux.

— Nous avons l’air de faire un puzzle, déclara Fandor en riant.

Mais Juve demeura sérieux. Il avait pris toutes les coupures, les plaçait dans un ordre déterminé.

— Ça y est ! s’écria-t-il joyeusement. Ils étaient quatre.

Juve appela un agent :

— Allez me demander, fit-il, l’une des bottines de M. le Bâtonnier.

Quelques instants après, l’homme lui apporta la chaussure et Juve identifia avec l’une des empreintes qu’il avait relevées.

— Voilà le bâtonnier, dit-il.

Puis il recommanda à Fandor :

— Maintenant, petit, toi qui dessines comme un architecte, fais-moi le plan exact de ce jardin et de ses allées en partant de la grille.

Lorsque Fandor eut achevé son tracé, Juve le prit et releva, d’après nature, les traces laissées par l’avocat.

— M. Henri Faramont, déclara-t-il, après avoir franchi la grille, a obliqué sur la gauche, parcouru environ cinquante mètres, c’est à ce moment qu’il a été attaqué. Les individus qui le guettaient ont surgi de ce buisson dans lequel ils étaient tapis depuis quelque temps, à en juger par les nombreux piétinements que je relève. Ils étaient deux, un homme de petite taille vraisemblablement et mal chaussé, car ses semelles sont usées et ses talons ont des angles arrondis, si j’en crois les empreintes. Le complice de cet homme était une femme dont les bottines ont des talons Louis XV.

Fandor suivait, intéressé, les déclarations du policier.

— C’est exact, fit-il. Cela ne fait que trois personnes. Or, nous avons quatre empreintes.

— Oui, dit Juve. Il est venu une quatrième personne, celle dont tu parles, et elle s’est précipitée sur le bâtonnier à peu près en même temps que les deux autres assaillants. Par exemple, était-ce avant ou après l’agression ? Je ne saurais le dire, mais cette personne-là ne se trouvait pas dans le buisson. Elle était cachée de l’autre côté de l’allée, derrière ce gros arbre. Vois plutôt ces empreintes, Fandor.

— Tout cela est très net.

— Ce que je ne comprends pas c’est pourquoi cette agression ayant si bien réussi, les trois personnages qui se sont précipités sur le bâtonnier se sont brusquement enfuis sans le dépouiller. Il est assez improbable qu’ils, aient eu peur, personne d’autre d’ailleurs que ces quatre individus ne paraît s’être trouvé dans le jardin. Du côté de la maison, il n’y a pas la moindre trace.

L’arrivée du commissaire de police de Ville-d’Avray interrompit Juve.

C’était un ancien militaire au visage énergique.

— Monsieur l’inspecteur, déclara le magistrat, excusez-moi de n’être pas venu vous voir dès hier soir, mais on m’a dit qu’à peine arrivé chez M. de Keyrolles vous avez cru bon de vous reposer. Je n’ai donc pas voulu vous déranger.

— Et vous avez bien fait, répliqua Juve qui, par un léger sourire, laissa entendre qu’il avait fort bien compris le petit reproche implicite du commissaire de police.

Celui-ci, d’ailleurs, se rengorgeait :

— Eh bien moi, monsieur, fit-il, pendant que vous dormiez, je me suis occupé de l’affaire. J’ai d’abord fait cerner la maison afin que nul n’en sorte.

— C’était à peu près inutile, les agresseurs de M. Faramont étaient loin lorsque la police est intervenue.

— Peut-être pas si loin qu’on le pense. Vers une heure du matin, monsieur l’inspecteur, mes hommes ont en effet procédé à l’arrestation d’un individu qui rôdait dans le voisinage.

— Ah, quel homme ?

— Ma foi, je n’en sais rien, je vous dirai que, moi-même, je suis allé me coucher vers minuit et demi et en sortant de chez moi ce matin je suis accouru ici afin de vous voir. C’est mon brigadier qui, à l’instant, vient de me prévenir de l’arrestation opérée.

— Très bien. J’en conclus que c’est votre brigadier et non point vous, monsieur le Commissaire, qui avez opéré cette arrestation. Mais peu importe, voulez-vous qu’on amène cet homme tout de suite ?

Le commissaire, assez interloqué de l’accueil ironique et froid de Juve, s’empressa de retourner auprès de ses hommes. Quant à Juve, il disait à Fandor :

— Ne t’éloigne pas, petit. Moi, je vais aller visiter l’intérieur de cette maison.

Et, de son pas tranquille, Juve se dirigea vers la maison abandonnée. Fidèle au poste, Fandor ne bougeait pas, lorsqu’un agent lui fit signe. Le journaliste se rapprocha de la grille.

— Monsieur, il y a quelqu’un qui voudrait vous parler. C’est M. Faramont, le fils du bâtonnier.

Fandor, un instant après, se rencontrait dans la rue avec le jeune avocat. Il le connaissait déjà pour l’avoir rencontré à maintes reprises. Encore qu’il y eût entre eux une certaine différence d’âge, ils étaient assez liés. Jacques Faramont prit Fandor par le bras :

— Mon cher ami, lui murmura-t-il, j’ai une confidence et une requête à vous adresser. Cette histoire qui est arrivée à mon père est des plus ennuyeuses, non seulement pour mon pauvre papa, mais encore pour moi.

— Pour vous ? fit Fandor étonné. Comment cela se fait-il ?

— Eh bien voilà, j’ai peur que toutes vos enquêtes et tous vos interrogatoires ne m’obligent à avouer une chose qui, je vous le confesse, me serait fort désagréable. Je vous le dis en secret, je suis l’amant de la bonne.

— De quelle bonne ?

— Brigitte, la servante de mon oncle et de ma tante.

— Vous vous mettez bien, mon cher ! C’est qu’elle est très gentille en effet, avec son petit bonnet à l’anglaise et son tablier brodé.

— Je vous en prie, supplia Jacques Faramont, ne vous moquez pas de moi ! Je ne vous aurais d’ailleurs pas fait cet aveu si je ne croyais pas que cette révélation pût être utile à l’enquête. Mais je dois vous dire qu’il s’est passé ici quelque chose d’extraordinaire, il y a huit jours environ.

— Racontez, dit Fandor.

Jacques Faramont fit alors au journaliste le récit de la fameuse soirée vécue en tête à tête avec Brigitte dans la maison mystérieuse et de l’apparition dans la demeure abandonnée.

Il terminait son récit lorsque Juve réapparut au fond du jardin.

Jacques Faramont s’éclipsa.

— Gardez-moi le secret autant que possible, recommanda-t-il, et si vous croyez qu’il faut que Brigitte parle, permettez-lui de dire qu’elle était avec un autre amoureux.

Fandor hocha la tête. L’affaire, à ses yeux, commençait à se compliquer. Il se rapprocha de Juve. Le policier semblait tout dépité.

— Je viens, dit-il, de visiter la maison de la cave au grenier, elle est assez mal meublée, vraisemblablement inhabitée et cependant, si quelqu’un s’y trouvait hier soir, il lui aurait été facile de s’en aller par une porte de derrière. Les agents ont eu beau cerner la maison toute la nuit, comme ils ne sont arrivés que deux heures après l’aventure, les intéressés ont eu tout le temps de se sauver.

      Juve, savez-vous qu’une femme habitait là ?

— Non, fit le policier. Une jeune femme peut-être ? Non, je ne crois pas. Une femme vieille, au contraire. Parce qu’il y a une femme jeune, même deux femmes jeunes, qui sont mêlées à cette affaire. Si j’ignore la personnalité de l’une d’elles, par contre, je connais l’autre.

— Bravo, de votre part, Juve, le contraire m’aurait étonné, et quelle est-elle ?

Juve ne répondit pas à la question de Fandor, mais, parlant à bâtons rompus, semblait-il, il demanda :

— Dis-moi, Fandor, sais-tu si ta sympathique amie Hélène porte habituellement une bague d’un métal quelconque, mais dans laquelle seraient encastrés un ou plusieurs de ces éclats de diamant que l’on appelle des roses ?

— Ma foi, je ne crois pas, mais tout est possible et cependant je n’ai aucun souvenir qu’Hélène ait un bijou pareil. Vous savez combien, Juve, elle est peu coquette.

Mais brusquement le journaliste pâlit :

— Pourquoi me parlez-vous d’Hélène en ce moment ? demanda-t-il. Croyez-vous donc qu’elle puisse être mêlée à cette affaire ?

— Je ne le crois pas, Fandor, j’en suis certain.

Et, sans attendre de réponse, Juve prit son ami par le bras, l’amena près du gros arbre derrière lequel une femme, avait-il constaté, s’était dissimulée.

Il montra à Fandor une empreinte de bottine très nettement marquée dans le sol mou de la terre entourant l’arbre :

— Penche-toi, recommandait-il, et regarde bien la trace laissée par ce talon.

Fandor regarda :

— Je vois bien, reconnut-il, que c’est un talon de femme un peu plus large, un peu plus plat que les talons Louis XV que portent habituellement les dames, mais de là à conclure que cette trace est celle d’Hélène ?

— Lorsqu’on est policier, fit Juve, il faut tout prévoir… Souviens-toi que le petit Poucet, pour retrouver son chemin, semait la route de cailloux blancs. Moi, pour suivre les gens qui m’intéressent, je les marque et je les marque au talon.

— Que voulez-vous dire ?

— Voici, fit Juve. Dans la série de nos aventures, il est intéressant pour moi, Fandor, de reconnaître à la trace plusieurs personnes, parmi lesquelles ton amie Hélène. Donc j’ai usé pour cela d’un stratagème : je sais qu’Hélène use ses bottines de telle sorte qu’un certain clou, un peu à droite à l’arrière du talon, ressort toujours de préférence aux autres. Ce clou s’est enfoncé dans la terre molle comme le reste du talon. Regarde maintenant, tu en verras l’empreinte, et c’est ce qui permet d’affirmer qu’Hélène était bien là hier soir.

— Hélène ne peut pas être coupable ni complice de cet attentat.

— Assurément non. Je dirai même que sa présence va faciliter notre enquête. Elle nous dira ce qui s’est passé. D’ores et déjà, je puis t’affirmer que si le bâtonnier est encore en vie à l’heure actuelle, et en possession des trente-deux mille francs que l’on convoitait, c’est à Hélène qu’il en est redevable.

Fandor était de plus en plus abasourdi :

— Expliquez-vous, Juve, demanda-t-il.

— Ce que je dis est pourtant clair, déclara le policier. C’est Hélène qui a sauvé le bâtonnier et a mis en fuite ses agresseurs.

— Mais comment cela ?

— Oh c’est bien simple ! En jetant aux yeux des assaillants du poivre en poudre. Malheureusement, le pauvre bâtonnier en a reçu sa part. On ne peut pas toujours épargner ses amis.

Fandor ne répondit rien. Il regarda Juve avec des yeux ronds.

Le policier tira de sa poche un petit sac de papier rose qu’il montra au journaliste.

— Voilà, fit-il, dans quoi a été enfermé le poivre en poudre qui a permis de mettre en fuite les agresseurs. Hélène, sûrement, avait prémédité cette défense, et je comprends maintenant que la lettre où elle me déclarait : « prenez garde, Juve » devait me permettre de prévoir cette agression. Tout de même, elle aurait pu être un peu plus explicite.

— Comment savez-vous que c’est elle qui a porté ce sac de poivre ?

— Je n’en suis pas très sûr, fit le policier, mais je le suppose. Cependant, Hélène habite le quartier de Montmartre. Or ce sac provient de chez une épicière de la rue des Abbesses. Regarde plutôt.

Fandor baissa la tête :

— Vous avez raison, Juve, vous devez avoir raison, mais cela me dépasse.

— En tout cas, poursuivit le policier, si ce petit brillant que j’ai trouvé, non pas près de l’arbre, mais dans l’allée même, à l’endroit de l’agression, ne provient pas d’une bague ayant appartenu à Hélène, cet objet nous facilitera singulièrement la recherche de l’identité de l’autre femme, qui, elle, devait être dans le camp de l’ennemi.

Juve s’arrêta soudain pour aller au-devant du bâtonnier qui venait, appuyé au bras de son fils.

M e Faramont serra chaleureusement les mains de Juve, cependant que Jacques interrogeait Fandor tout bas :

— Vous n’avez encore rien dit ? demandait-il.

— Non, fit Fandor sur le même ton. Malheureusement, je crois qu’il le faudra tout à l’heure.

— Je vous en supplie, ne le faites pas devant mon père.

M e Faramont, un peu remis de son émotion, racontait à Juve tout ce qu’il savait relativement à son agression.

— Je crois bien avoir vu, dit-il, surgir en face de moi un homme de petite taille qui devait être très brun, un homme que je ne connais pas d’ailleurs. Je pourrais peut-être le reconnaître si on me le montrait et encore je n’en suis pas très sûr, car ma vision n’a duré qu’un instant. Au même moment, j’étais renversé en arrière, aveuglé par le poivre, alors vous comprenez…

— Évidemment, fit Juve.

— Je dois vous dire, mon cher Juve, que ma femme a sur cette affaire une idée très arrêtée et que, dans une certaine mesure, je partage.

— Quelle est cette idée ?

— Ma femme dit qu’il ne peut s’agir que d’un attentat de Fantômas.

— Fantômas, s’écria Juve, qui ajouta : comme vous y allez, maître. Ce serait un peu vif ! Nous savons que Fantômas est capable de bien des choses, mais il me semble qu’à l’heure actuelle, il est en prison, étroitement gardé dans sa cellule de la Santé et que, mieux que personne vous devez en avoir vous, son défenseur, l’absolue certitude.

— Mon Dieu, mon cher Juve, je n’ai guère de certitude en ce moment et, pour vous dire le fond de ma pensée, je me demande si le client auquel je vais rendre visite dans sa cellule à la Santé est bien réellement Fantômas et si ce n’est pas un vulgaire mystificateur. Je vous avoue que je m’imaginais ce sinistre bandit tout autre qu’il est réellement. Il est vrai que, jusqu’à présent, je n’avais jamais eu l’occasion de me trouver face à face avec lui.

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