La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 12 стр.


— Eh bien, ça n’est pas mon cas, répartit Juve, et moi qui le connais, je puis vous garantir que c’est bien Fantômas que l’on détient actuellement à la prison de la Santé.

Le policier, toutefois, comme s’il pensait tout haut, ajoutait :

— Évidemment, il se peut que l’agression dont vous avez été victime soit, dans une certaine mesure, imputable à des complices de Fantômas. Tout au moins à des gens de sa bande. Mais je me demande quel intérêt le bandit pourrait avoir à vous faire attaquer, dépouiller. Votre existence, au contraire, doit lui être sacrée.

— Sait-on jamais ?

Mais Juve, d’un geste, lui imposa silence. Un groupe d’agents se présentaient à l’entrée de la villa, poussant devant eux un homme les menottes aux mains.

— Voici, dit Juve, quelqu’un que l’on a arrêté cette nuit.

M e Faramont poussa un cri de surprise :

— Mais, s’écria-t-il, c’est Sunds !

C’était, en effet, le Danois que les agents conduisaient à Juve.

Le réparateur d’objets d’art, le bizarre négociant était très pâle. Son visage exprimait l’inquiétude la plus grande et il avait dû passer une fort mauvaise nuit, car ses traits étaient contractés.

Il aperçut le bâtonnier et voulut courir à lui, mais Juve s’interposa et, l’arrêtant brutalement, déclara :

— Une minute, et répondez-moi ! Je suis l’inspecteur de la Sûreté, Juve. Votre nom ?

— Je m’appelle Sunds. Érick Sunds, commerçant patenté, fabricant d’objets d’art, réparateur de curiosités, peintre et sculpteur, domicilié place du Tertre à Montmartre.

Fandor qui s’était approché, hochait la tête ; il murmura à l’oreille de Juve :

— C’est exact, je le connais.

Juve poursuivait son enquête :

— Que faisiez-vous, hier soir, aux abords de cette maison ?

Tout d’abord, Sunds se troubla, mais on se rendait compte que c’était plus l’émotion que la crainte qui rendait ses propos inintelligibles. Enfin il parvint à s’expliquer :

— J’avais un rendez-vous avec M e Faramont, j’avais pris un taxi pour venir à Ville-d’Avray, mais, en cours de route, nous avons eu panne sur panne. J’avais faim. J’ai dîné aux environs de Suresnes avec le mécanicien et celui-ci m’a lâché. Alors j’ai pris le train. Je me suis trompé de gare, je suis descendu à Viroflay, vous voyez ça d’ici. J’ai erré pendant deux heures et ce n’est que tard après minuit que je suis arrivé devant la maison où je me trouve actuellement, et alors, j’ai été arrêté sans comprendre pourquoi. J’espère qu’il n’est arrivé de malheur à personne.

— Pourquoi veniez-vous voir le bâtonnier dans cette maison ?

— Pour lui montrer un objet d’art qu’il pouvait peut-être acheter.

— Décrivez-moi cet objet.

— Je ne l’ai pas vu moi-même, mais j’en ai eu la photographie entre les mains. C’est une fort belle pièce. Un brûle-parfums chinois du XV e siècle de la famille verte, mesurant environ soixante centimètres de haut.

— C’est bien, interrompit Juve qui, se penchant à son tour à l’oreille de Fandor, lui déclara :

— Ce que dit cet homme est vrai. J’ai vu l’objet qu’il me décrit dans une pièce de la maison.

— D’où saviez-vous que ce brûle-parfums était à vendre ?

— Une dame est venue chez moi, déclara Sunds. Elle habitait ici, m’a-t-elle dit.

— Comment est cette personne ?

— Grande, mince, assez élégante, mais âgée.

Fandor, étourdiment, l’interrompait :

— Elle a des cheveux blancs, n’est-ce pas ?

— Comment le sais-tu ? demanda Juve, étonné de l’interruption de Fandor.

Mais le journaliste, mystérieusement, disait à son ami :

— Je vous l’expliquerai tout à l’heure.

Et Juve, comprenant qu’il ne voulait pas parler devant des tiers, poursuivait son interrogatoire :

— Avez-vous parlé de cette affaire, demanda-t-il, à d’autres personnes qu’au bâtonnier ? A-t-on pu savoir dans votre entourage le rendez-vous que vous aviez pris hier pour venir ici avec M e Faramont ?

— Ma foi, reconnut Sunds, c’est bien possible. Vous savez, moi, j’ai le cœur sur la main et je bavarde facilement. Il se peut que j’en aie parlé au Cabaret des Raccourcis, où je dîne presque tous les soirs.

— Devant qui ?

— Devant des tas de gens, des amis, des habitués.

— Quels sont ces habitués ?

— Il y a Boissard le mécanicien, Calastarès, un dessinateur humoriste, une espèce de modèle connu sous le nom de Bouzille. (Juve et Fandor échangèrent un regard.) Même qu’il y a trois ou quatre jours ce bonhomme, qui a pourtant l’air d’un miséreux, est venu manger au cabaret avec une fort jolie personne, ma foi.

Juve et Fandor avaient sur les lèvres le seul nom qui leur venait aussitôt à l’esprit, c’était celui d’Hélène. Ils ne le prononcèrent pas.

Le Danois énumérait d’autres personnes.

— Mario Isolino, disait-il, devait être là avec Nadia, mon ancienne.

— Votre ancienne quoi ?

— Mon ancienne maîtresse, parbleu ! Puis il y avait le joueur d’accordéon, le patron du bistro, le garçon, tout le monde. Ah oui, aussi la mère Toulouche, une vieille revendeuse, marchande à la toilette.

Juve avait relevé tous ces noms sur son calepin :

— Ça va bien, fit-il.

Puis il tourna le dos au malheureux Érick Sunds, qui jetait sur le bâtonnier, demeuré à l’écart, un regard éploré.

Juve était allé trouver le commissaire.

— Vous savez, déclara-t-il, vous pouvez relâcher votre homme, il n’est pour rien dans cette affaire.

— En êtes-vous bien sûr ?

— Oui, dit Juve, c’est peut-être un imbécile, mais assurément un innocent. Il avait réellement rendez-vous avec le bâtonnier.

— Vous prenez la responsabilité de cette libération, monsieur Juve ?

— Je la prends pleine et entière, monsieur le Commissaire.

— C’est bien, lâchez cet homme !

À peine lui avait-on enlevé les menottes que le Danois courait vers Juve :

— Ah monsieur, fit-il, je vous remercie de me remettre en liberté, mais, je vous en conjure, expliquez-moi ce dont il s’agit. J’ignore absolument tout.

— Cela m’est fort égal, déclara Juve. Vous n’avez pas besoin de savoir et de comprendre, tout ce que je veux c’est que vous rentriez chez vous. Si l’on vous demande s’il s’est passé quelque chose, vous direz tout simplement qu’il ne s’est rien passé du tout.

Interloqué, le Danois se retira, quitta la villa. Sur le trottoir, il rencontra M me Faramont qui venait rejoindre son mari.

— Ah madame, s’écria Sunds, quelle bonne chance pour moi de vous voir, il m’arrive une aventure extraordinaire.

M me Faramont ignorait absolument tout de l’arrestation d’Érick Sunds, qu’elle considérait d’ailleurs comme un fort brave homme.

Moins discrète que Juve, et naturellement bavarde, elle commençait :

— Mon cher monsieur Sunds, c’est une affaire épouvantable. Figurez-vous que mon mari a été attaqué hier soir, ici même.

Et elle ajouta tout bas :

— Je suis sûre que c’est un guet-apens de Fantômas.

Juve surgissait à ce moment avec le bâtonnier.

Il vit le Danois en conversation avec M me Faramont. Le policier fronça le sourcil, et, se tournant vers Fandor qui marchait derrière lui, il murmura :

— En voilà une qui est certainement en train de tout gâter.

9 – LES PLUS MAL CHAUSSÉS

Le soir du jour où Juve et Fandor enquêtèrent à Ville-d’Avray, un homme vêtu de noir, semblait-il, prenant garde à faire le moindre bruit, montait l’escalier de la rue Tardieu, se dirigeant vers l’appartement du policier.

Quel était-il ? Que voulait-il ?

Passant devant la loge de la concierge, au rez-de-chaussée, il avait crié un nom de façon à peu près inintelligible. Dix heures et demie venaient de sonner à l’église de Montmartre. La concierge du populeux immeuble, car la maison de Juve comportait un grand nombre d’appartements, n’avait prêté nulle attention à la rentrée de ce personnage.

L’homme, cependant, parvenu au cinquième étage, eut un ricanement satisfait :

— Jusqu’ici, murmura-t-il, tout a marché à merveille. Espérons que la chance continue à me favoriser.

L’escalier était noir. Il eût été dangereux pourtant, pour quiconque voulant passer inaperçu, d’y allumer une lumière quelconque et l’inconnu, sans doute, avait des raisons pour demeurer invisible, car, devinant que les vitraux auraient laissé passer la lumière, il restait dans l’obscurité absolue.

L’inconnu, cependant, agissait avec précision. Il tira de sa poche un trousseau de clés et, sans hâte, après avoir projeté à l’aide d’une burette un jet d’huile à l’intérieur de la serrure, il entreprenait d’ouvrir la porte de l’appartement de Juve. D’abord, il eut quelque difficulté. La clé qu’il essayait tournait bien dans la gâche, mais semblait buter quelque part. Il n’arrivait point à ouvrir complètement, alors il pesta.

— Je n’ai que trois rossignols, murmura-t-il, pourvu que l’un d’eux fonctionne !

Il tira une nouvelle clé, huila encore la serrure, et, cette fois, sans difficulté, il ouvrit la porte.

L’inconnu pénétra alors dans le vestibule de l’appartement. Il tenait un gros browning à la main, mais cependant il souriait, son visage n’avait nullement l’air menaçant.

— Quelle imprudence, murmura-t-il à voix basse, en considérant la porte refermée. Les policiers n’en font jamais d’autres. Ils prêchent les précautions à autrui et s’en soucient peu pour eux-mêmes. Même pas un simple verrou, un quelconque loquet.

L’homme avait tiré de sa poche une petite lampe électrique. Il voyait clair et cela sans danger, car, bien évidemment, à l’intérieur de l’appartement, désert puisque Juve et Fandor n’étaient point là, nul ne pouvait surveiller ses gestes.

— Travaillons, dit l’inconnu.

D’un pas leste, sans plus prendre de précaution, il longea le vestibule, dépassa, en homme qui connaît parfaitement les lieux, la porte d’une cuisine, tourna sur sa gauche, entra dans la petite pièce qui servait de cabinet de travail au policier.

Le visiteur nocturne promena les rayons de sa lampe sur les murs, observa la bibliothèque, surchargée de dossiers, la cheminée encore, où une pendule battait son tic-tac.

— Décidément, murmurait l’homme, Juve doit être fort bien là pour travailler.

Mais il ne perdit pas davantage son temps. D’un geste hâtif, l’individu posa sur un canapé son chapeau et son veston. Une fois en bras de chemise, il enleva ses manchettes, et tira d’une ceinture qu’il portait enroulée autour du corps une trousse minuscule qu’il ouvrit et posa à plat lui le bureau.

— Où diable a-t-il pu mettre la chose ?

Comme s’il eût été sous le coup d’une préoccupation capitale, l’individu parlait à haute voix. Il venait de prendre dans la petite trousse une longue et fine aiguille d’acier semblable à celle dont se servent les tapissiers, il s’approcha du canapé et, méthodiquement, sans se hâter, avec une habileté parfaite, il entreprit de sonder le capitonnage du meuble.

— Rien, murmura-t-il bientôt, absolument rien dans le canapé. Décidément, Juve est plus fort que je ne croyais.

Il eut un sourire dédaigneux pourtant et, repoussant le meuble, il entreprit de sonder les chaises.

Peine perdue, l’aiguille qu’il enfonça de distance en distance ne rencontrant aucune résistance.

Mais que cherchait-il donc, ce mystérieux visiteur, nuitamment venu au domicile de Juve ?

Ce devait être assurément un objet petit, facile à dissimuler, car il poursuivait sa perquisition de façon bizarre. Ayant sondé le canapé, les chaises, ayant poussé le scrupule et la minutie jusqu’à déclouer le tapis pour regarder si rien n’avait été glissé dessous, il entreprit de frapper d’un petit marteau d’ivoire les dossiers des chaises, les pieds du canapé.

— Cela sonne le plein partout, conclut-il enfin. Aucun de ces meubles n’est truqué. J’ai grand-peur d’être obligé de travailler à la dure.

Il s’était approché de la cheminée, il avait visité minutieusement les potiches qui la garnissaient, il avait déplacé la pendule. Maintenant, il fouillait dans les bibliothèques, secouant les livres, comme s’il eût voulu retrouver un papier dissimulé entre les feuillets des volumes énormes que Juve possédait.

La recherche qu’il faisait ainsi, dans les papiers de Juve, qu’il remettait d’ailleurs avec un soin extrême, à la place exacte où il les prenait, occupa une grande heure. Elle ne se termina par aucune découverte.

— Mon Dieu, murmura alors l’inconnu, Juve a dû cacher cela dans son bureau, dans son tiroir-caisse. Mais alors, évidemment, je vais avoir affaire à une sorte de coffre-fort blindé et il va m’être difficile… Bah, nous verrons bien !

L’inconnu laissa de côté les bibliothèques, et examina minutieusement le bureau de Juve.

C’était un bureau de la forme dite bureau ministre, un bureau d’acajou, qui n’était point somptueux, qui attestait par les nombreuses taches d’encre, par les coups de canif, par les rayures qu’il portait, beaucoup d’usage. C’était un meuble d’aspect robuste fait de bois massif, aux fortes serrures.

— Allons, il va falloir mettre à l’épreuve mon habileté de serrurier.

Dans la trousse qui contenait un matériel perfectionné, l’homme prit un vilebrequin, une mèche d’acier. Et dans l’appartement silencieux, un ronron régulier s’éleva.

Le cambrioleur avait appuyé son vilebrequin contre le tiroir qu’il tentait de forcer. Il perça dans la paroi un trou, puis un autre, puis un troisième.

L’homme avait d’ailleurs grand mal à mener à bonnes fin son travail. Le tiroir qu’il attaquait devait être, ainsi qu’il l’avait deviné, blindé à l’intérieur, d’une plaque de tôle assez épaisse. C’était un véritable coffre-fort dont il fallait percer la doublure d’acier.

N’importe. L’homme persévérait dans son travail. Il brisa des mèches, il pesta, mais en moins d’une heure, il eut fait trois trous dans le tiroir. Le reste, dès lors, n’était plus qu’un jeu d’enfant. Par ces trous qu’il agrandissait à la lime, l’individu introduisit une lame mince de scie, et joignant alors les trous, il entreprit de tracer trois traits entourant à peu près la serrure, ce qui devait lui permettre d’un coup de marteau de faire sauter celle-ci sans la moindre difficulté.

Il avait, d’ailleurs, merveilleusement combiné son affaire, parfaitement disposé l’emplacement de ses trous, car bientôt, il en arriva au moment où il devait, d’un coup violent, déterminer l’ouverture des tiroirs.

— De mieux en mieux, murmura l’homme. Si vraiment ce que je cherche est là-dedans, dans cinq minutes j’en serai possesseur.

Il reposa le vilebrequin dans la petite trousse, soigneusement, en homme qui ne se soucie pas de laisser derrière lui quelque outil compromettant, puis il tira de sa poche une plaque de feutre, et, la posant sur la serrure, il leva son marteau, prêt à frapper un coup dont l’étoffe interposée amortirait le bruit.

— Allons-y.

La masse d’acier qu’il soulevait, s’abattit, heurta le meuble, la serrure tomba, sans bruit, mais en même temps un cri de stupéfaction, un cri d’effroi et de peur retentissait dans la pièce.

L’homme s’était levé d’un mouvement brusque. Tremblant de tous ses membres, il venait de bondir dans un coin du cabinet de travail, et serrant son browning dans sa main crispée, il semblait attendre une lutte sans merci.

Aussi bien, en vérité, le cambrioleur avait lieu d’être effrayé.

Au moment même où sa masse d’acier avait heurté la serrure du tiroir, au moment où celle-ci s’était détachée, un phénomène extraordinaire s’était produit. L’homme n’avait pas eu le temps de détourner la tête qu’il avait eu l’impression horrifiante d’un violent éclair, embrasant le cabinet d’une lueur aveuglante, éblouissante, d’une lueur blanche, comme eût pu en produire une formidable étincelle électrique.

La lueur, cependant, n’avait duré que quelques dixièmes de seconde à peine. Dans le cabinet, désormais, la petite lampe électrique ne jetait plus qu’une demi-clarté, une clarté tremblotante qui permettait tout juste à l’inconnu, muet de stupéfaction, de voir les volutes bleues d’une épaisse fumée tourbillonnant au plafond.

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