La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 15 стр.


Fantômas était assis dans un coin d’ombre. Il semblait vouloir se dissimuler et, chaque fois que la porte du bouge s’ouvrait dans le jardin, il jetait un regard inquiet à l’arrivant, un regard qui s’éclairait seulement lorsqu’il reconnaissait un individu appartenant au monde de la pègre.

Fantômas, cependant, n’obtenait pas les renseignements qu’il voulait, car il paraissait d’humeur détestable.

— Tais-toi, Bedeau, dit-il.

Et comme le Bedeau, qui avait commencé à chantonner, lui jetait un regard mauvais, Fantômas reprit :

— Si tu n’es pas content, d’ailleurs, va-t-en.

Dans la troupe où il y avait Beaumôme, Mort-Subite, le Barbu, des grognements s’élevèrent.

— Dis donc, Fantômas, commença Beaumôme, ça ne t’a pas rendu aimable, la prison, et puis, tout de même, faudrait voir à nous raconter comment que tu t’es débiné.

— Tais-toi, dit le bandit.

Et il se tourna vers l’entrée de la tonnelle. L’homme qui s’approchait n’était autre que Bouzille. Fantômas l’appela :

— Viens ici !

Mais Bouzille était entre deux vins.

— C’est pour boire un coup ? demanda-t-il. Pour boire un coup à la santé de la mariée ? Eh bien, je reviens de la noce.

L’ancien chemineau titubait, essayait des entrechats qui menaçaient de compromettre son équilibre et d’occasionner une chute grotesque.

Fantômas se leva, il bondit plus qu’il ne courut vers l’homme et, le secouant :

— Bouzille, me reconnais-tu ?

— Le patron ? dit Bouzille. Pas possible ? Eh bien ! Et comment que ça va ?

— Bouzille, sais-tu où est ma fille ?

— Ta fille, Fantômas, ah, oui, ta fille… Eh bien dame, ça, c’est dommage…

Et il s’interrompit. Mais Fantômas l’avait empoigné à nouveau :

— Parle donc, misérable, hurla-t-il, où est Hélène ?

— Chez Isolino.

— Chez qui ?

— Chez Mario, avec Nadia.

— Où cela ?

— Dans leur cave.

— Mais, que fait-elle là ?

Bouzille grogna quelque chose d’inintelligible, puis porta la main à son gosier :

— Pas possible de parler, faisait-il d’une comique voix de fausset. J’ai tellement soif que mes paroles tombent en poussière.

— Bois, dit le Maître du Crime à Bouzille.

Le chemineau lampa l’alcool d’une seule gorgée et, en faisant claquer sa langue, déclara :

— Et alors, patron, qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

— Tu disais que ma fille était chez Mario Isolino avec Nadia dans la cave. Est-ce vrai ?

— Oui, c’est vrai, c’est même pour cela que je suis soûl. J’ai vu la chose, ça m’a fait de la peine et j’ai décidé de me taper la tête.

— Mais quoi ? Qu’as-tu vu ? Parle donc !

— Eh bien, voilà : paraît qu’Hélène les a floués. La demoiselle leur avait indiqué un coup à faire. Mario et Nadia y ont été avec elle, et puis, quoi, maintenant, elle ne veut plus partager, elle dit qu’elle n’a pas pris de pèze.

— Alors ?

— Alors le Mario et la Nadia l’ont chopée en douce, l’ont ficelée par les pattes et maintenant, dans leur cave, je crois qu’ils lui font chauffer les pieds, histoire de lui faire dire où elle a caché la galette.

Fantômas, d’une poussée, envoya rouler Bouzille. Son attitude avait pris quelque chose de dur, d’impénétrable :

— Les aminches, demanda-t-il d’une voix sifflante, vous savez où habitent Nadia et Isolino ?

— Oui, à deux pas, répondit le Bedeau.

— Alors venez tous avec moi. C’est ma fille qu’il faut sauver de là.

Une certaine hésitation se manifesta parmi les groupes. Ce que demandait Fantômas était grave. Mario Isolino et Nadia logeaient en effet dans un petit pavillon au fond d’une cour derrière un grand immeuble habité par de nombreux locataires. Dans ces conditions comment tenter un coup ?

Mais Fantômas avait l’habitude qu’on lui obéît. Le bandit avait tiré de sa poche une liasse de billets de banque :

— Il y en a pour tout le monde, dit-il. Quand je demande un service je paye.

Et il paya en effet. À ces bandits il distribua les billets bleus.

— Vous venez ?

— Oui ça va. On radine.

Huit hommes sortirent du cabaret, derrière Fantômas. Si la police les avait rencontrés, ces huit individus, elle les eût arrêtés tous les huit et sans doute, quelques mois plus tard, leurs huit têtes fussent tombées sous le couteau de Deibler, mais les rues de Montmartre étaient désertes. C’est sans faire nulle rencontre, sans apercevoir aucun passant que la petite troupe atteignit le logis d’Isolino et de Nadia.

Alors, l’affaire ne traîna pas.

D’un coup d’épaule le Barbu fit sauter la porte, puis pêle-mêle, en se bousculant, la bande envahit la cave où Nadia et Isolino s’occupaient, en effet, à torturer la malheureuse Hélène.

— Bandit, misérable ! hurla Fantômas.

Il sauta à la gorge de l’Italien qui roula sur le sol. En même temps une clameur formidable s’éleva :

— Bravo, Fantômas !

Nadia, déjà, était réduite à l’impuissance.

La lutte n’avait duré qu’un instant.

Fantômas se retourna, cherchant des yeux Hélène.

— Ma fille ? demanda-t-il.

Hélène n’était plus là.

Devenu blême, Fantômas dut s’appuyer à la muraille pour ne point choir. Le monstre avait évidemment une terrible envie de revoir sa fille et il devait éprouver une déception cruelle à s’apercevoir qu’elle lui avait échappé une fois de plus.

Pourtant, après un instant d’abattement, Fantômas se rapprochait de Nadia qui, attachée, sur ses ordres, gisait sur le sol :

— Tu me paieras tout cela, hurla-t-il au visage de la pierreuse. Ce qui arrive est de ta faute.

Il allait continuer à parler, il allait menacer encore la Circassienne, lorsqu’il crut surprendre sur son visage une extraordinaire expression, presque une invite au silence.

Fantômas se baissa. Il s’agenouilla sur le sol, approcha son visage du visage de Nadia et répéta avec une haine effroyable, de façon à ce que les apaches présents pussent l’entendre :

— Tu torturais ma fille. Tu mourras dans la torture.

Mais la Circassienne lui disait :

— Tais-toi et fais sauver les copains, j’ai à te parler. Fantômas, j’ai une commission à te faire de la part de la dame de Ville-d’Avray.

***

Pendant ce temps, folle de terreur, Hélène fuyait dans la nuit.

Hélène se demandait à haute voix :

— Était-ce bien mon père ? Était-ce bien Fantômas, qui est venu me sauver tout à l’heure ou bien était-ce l’autre ?

Sa main froissait sous son corsage les précieux papiers dérobés la veille à Enghien.

11 – L’HOMME QUI A TUÉ

— En somme, toute l’affaire est arrangée maintenant. J’en suis bien content.

C’était Jacques Faramont qui venait d’exprimer ainsi son optimisme.

Fandor releva la tête :

— Arrangée ? Qu’entendez-vous par là ?

— J’entends, mon cher ami, que la fâcheuse agression dont mon père a été victime n’a pas eu les conséquences tragiques que l’on pouvait redouter. Papa est complètement guéri de la secousse morale et physique qu’il a éprouvée. Il va et vient comme auparavant, s’occupe activement de ses affaires, aussi bien de celles qui concernent le Palais, que de ses objets d’art. Ce brave Érick Sunds, grâce à la perspicacité de M. Juve, a été complètement innocenté.

— Oui, tout cela est exact.

— Et, ce qui n’est pas pour me déplaire, mon cher Fandor, le secret de mes amours avec Brigitte a été bien gardé. Je vous en remercie sincèrement, vous avez été à mon égard, dans cette affaire, d’une discrétion et d’une délicatesse que je n’oublierai jamais.

— Comme vous dites, tout cela est terminé, mais le plus important n’est pas fait. Il reste à trouver les auteurs de l’agression.

Le fils du bâtonnier était venu voir Jérôme Fandor chez lui. Il lui avait demandé par lettre un rendez-vous. Les deux jeunes gens s’étaient retrouvés dans l’appartement du journaliste, rue Richer, vers cinq heures de l’après-midi. Il y avait déjà un quart d’heure qu’ils étaient en tête à tête, Jacques Faramont n’avait encore dit que des choses insignifiantes.

Le journaliste se doutait pourtant bien que si le jeune avocat était venu le trouver, ce n’était pas uniquement pour le remercier.

— J’ai encore quelque chose à vous dire, mon cher Fandor. Voilà ce dont il s’agit : la dame blanche est revenue à Ville-d’Avray.

— Vous êtes sûr ? Vous l’avez vue ?

— Non, déclara Jacques Faramont, je ne l’ai pas vue personnellement. Mais je tiens le renseignement de Brigitte, qui m’a téléphoné hier après-midi, parce que, précisément, je dois dîner chez mon oncle. Or, chaque fois que je dîne chez mon oncle, nous convenons au préalable d’un rendez-vous.

— Ces rendez-vous, où ont-ils lieu le plus souvent ? Dans le jardin de la villa abandonnée, n’est-il pas vrai ?

— Oui. Je vous ai dit que la première fois que nous nous sommes trouvés en présence de cette mystérieuse dame aux cheveux blancs, elle nous a suppliés de ne point ébruiter notre rencontre, mais elle ne s’est point opposée, au contraire, à ce que nous venions passer tout le temps qu’il nous plairait dans le jardin de sa maison.

— C’est une femme fort aimable, à ce que je vois, et il me semble, mon cher ami, que vous manquez à tous vos devoirs en n’allant pas lui faire une visite de politesse pour la remercier de son hospitalité.

— Vous voulez rire ?

— Pas du tout, je suis tout ce qu’il y a de plus sérieux, dit Fandor. Si vous voulez me permettre un conseil, je vous engagerais vivement à aller lui porter ce soir vos remerciements, en même temps, par exemple, qu’une gerbe de fleurs.

— Mais, Fandor, cette dame sera étonnée, surprise et puis, me recevra-t-elle ?

— Vous ne le saurez jamais, si vous n’essayez pas d’être admis auprès d’elle.

— Il est bien évident que ma démarche, en somme, n’aurait rien d’extraordinaire. Mais quelle conclusion comptez-vous en tirer ?

— Je vous le dirai un peu plus tard, rétorqua Fandor, et si vous suivez mon conseil, prévenez-moi car je vous accompagnerai.

— Vous ?

— Oui. Moi ! Pourquoi pas ? j’aimerais vivement connaître cette personne.

— Mais, il me semble difficile que nous allions la voir ensemble, et peut-être notre arrivée, à tous les deux, lui paraîtra-t-elle suspecte ?

— Aussi, déclara Fandor, faudra-t-il que vous alliez d’abord sonner à sa porte, seul avec votre bouquet de fleurs, et si la dame aux cheveux blancs vous accueille comme je le suppose, je viendrai à mon tour.

— Et alors ?

— Alors, vous me présenterez, voilà tout.

Le jeune homme se leva, il serra la main de Fandor :

— Vous avez été si délicat, si discret à mon égard, que je ne veux rien vous refuser. C’est une affaire entendue. Je dîne précisément ce soir chez mon oncle, mais je ne pourrai guère être libre avant neuf heures et demie, car il y a du monde, une invitée.

— Qui cela ? interrogea indiscrètement Fandor.

— Oh, fit Jacques Faramont, une seule personne ; une jeune étrangère, une Américaine, que mes parents connaissent, et que ma tante a retrouvée l’autre jour dans un thé. Elles se sont prises d’amitié l’une pour l’autre et cette jeune Américaine a accepté de venir dîner ce soir chez eux, à Ville-d’Avray.

— Ah bah, fit Fandor, et comment s’appelle-t-elle ?

— Sarah Gordon.

Le journaliste changea de couleur, mais dissimula sa surprise. Comment se faisait-il que miss Gordon vînt chez les Keyrolles ?

***

Il était neuf heures et quart lorsque, chez les Keyrolles, on se leva de table. Ainsi que l’avait annoncé Jacques Faramont, Sarah Gordon était venue dîner. La jeune Américaine avait passé tout l’après-midi chez M me de Keyrolles.

Le café absorbé, Jacques, suivant son habitude, demanda à sa tante la permission de se retirer.

— Il faut que je rentre, balbutia-t-il, et je ne voudrais pas attendre le dernier train.

M. de Keyrolles l’approuva :

— Comme il travaille, ce cher enfant, dit-il, c’est à peine s’il prend le temps de manger.

M me de Keyrolles ajouta pour Sarah Gordon :

— Notre petit Jacques a une adoration pour nous. Chaque fois que ses travaux lui en laissent le temps, il saute dans le train et vient nous rendre visite. On ne peut pas dire que cet enfant-là n’aime pas sa famille.

Jacques Faramont cherchait à détourner la conversation. Il lui déplaisait de s’entendre décerner de semblables compliments. Certes, il aimait bien son oncle et sa tante, mais il y avait chez eux quelque chose de plus qui l’attirait, c’était Brigitte.

Ce soir-là, toutefois, Jacques Faramont ne devait pas rencontrer sa maîtresse dans les jardins de la maison abandonnée. Il devait retrouver Fandor, tenter la visite convenue auprès de la dame aux cheveux blancs.

Tout allait pour le mieux jusque-là et Jacques Faramont prenait congé de sa tante, lorsque Sarah Gordon, avec le sans-gêne des femmes de son pays, l’interpella :

— Cher monsieur, fit-elle, puisque vous rentrez à Paris, je veux vous demander de m’accompagner. Je n’aime pas circuler seule dans cette banlieue déserte.

Le jeune homme parut tout décontenancé : « Sapristi, pensa-t-il, comment faire pour me débarrasser de cette personne, et Fandor qui m’attend ? »

Il eut cependant assez de présence d’esprit pour répondre galamment :

— C’est une affaire entendue, mademoiselle, je vous reconduirai bien volontiers, toutefois, voulez-vous m’accorder une petite demi-heure, il faut que je passe au bureau de tabac du village, cela vous détournerait. Je vais y courir tout seul et je viendrai vous reprendre dans quelques instants.

M. de Keyrolles, toujours précis, consultait sa montre :

— Neuf heures vingt ; il faut bien, en effet, une demi-heure à Jacques pour aller et venir au bureau de tabac, il sera donc dix heures moins dix lorsqu’il sera de retour. Vous avez un bon train à dix heures pour Paris, mais il ne faudra pas traîner.

— Parfait, dit Sarah Gordon.

Puis se tournant vers M me de Keyrolles, elle ajouta :

— Je vous quitterai, chère Madame, à dix heures moins le quart, j’attendrai M. Jacques à l’entrée de l’avenue, comme cela nous gagnerons quelques minutes.

— Ouf, soupira Jacques une fois dans la rue, j’ai échappé au crampon, mais sapristi, il va falloir faire vite, puisqu’il faut que je la retrouve à dix heures moins le quart. Ces femmes seules sont vraiment assommantes. Elles ont toujours besoin d’être accompagnées.

Au coin de l’avenue, Jacques Faramont aperçut Fandor.

Le journaliste avait l’air tout penaud. Il était adossé à la grille du jardin et tenait sur sa poitrine une énorme gerbe de fleurs enveloppée de papier blanc.

— Ah vous voilà ! grogna-t-il en apercevant le fils du bâtonnier. J’avais peur d’un malentendu et je commençais à me sentir stupide avec ce bouquet que je promène depuis Paris. Tenez, je vous le passe.

Et Fandor confia les fleurs à l’avocat.

— Ne perdons pas une minute, dit le jeune avocat, il faut que je vienne reprendre Sarah Gordon ici même, à dix heures moins le quart.

— Parfait, dépêchons-nous !

Ils franchirent ensemble la grille du parc de la villa abandonnée, et, tandis que Jacques Faramont se dirigeait vers la maison, Fandor se dissimulait derrière le gros arbre.

Jacques Faramont gravit posément les marches du perron de la maison silencieuse.

Le jeune homme sonna. Nul bruit. Fandor, déjà nerveux, se disait :

« Cette tentative ne sert à rien, la femme aux cheveux blancs ne se montrera pas. »

Mais la porte s’entrebâillait doucement, cependant qu’une légère lueur pénétrait dans le vestibule.

Jacques Faramont pénétrait dans ce vestibule.

« Ça y est », pensa Fandor.

Le journaliste s’était penché pour regarder, il venait d’entrevoir une silhouette, celle d’une femme grande, vêtue de blanc, semblait-il.

Fandor ne voyait pas les traits de la jeune femme.

Qui était la personne mystérieuse de la villa ? Pourquoi Hélène avait-elle fait une apparition dans le jardin, la nuit de l’attentat ? La personne mystérieuse de la villa n’était-elle pas Hélène, tout simplement ?

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