La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 16 стр.


Pas de bruit, pas de lumière. Fandor s’approcha, sonna. Long bruit de la clochette. Rien. Mais la porte était entrebâillée.

« Allons-y », se dit Fandor qui franchit le seuil, mais il hésitait sur la marche à suivre quand il entendit des gémissements, un cri :

— Au secours ! Délivrez-moi !

C’était la voix du jeune Faramont.

Que lui était-il arrivé ?

Fandor ouvrit la première porte, craqua une allumette : la pièce était vide. La porte du fond était fermée à clé. De derrière elle venait, plus nette, la voix de Jacques qui continuait d’appeler.

— Me voilà, cria Fandor, courage !

Un léger bruit surprit le journaliste. Il se retourna : la porte par laquelle il était entré venait de se refermer brusquement. Il y courut, la secoua. Trop tard. La clé avait tourné. Fandor, à son tour, était prisonnier. Le journaliste n’était pas près de se décourager. Il avisa la fenêtre, l’ouvrit. Des volets cadenassés en interdisaient l’accès. Par les jours de ceux-ci, il aperçut une forme blanche, cependant qu’un grand cri d’angoisse déchirait le silence de la nuit.

Soudain, derrière la forme blanche avait surgi une autre silhouette, et Fandor frissonna. Une ombre venait de glisser le long de la maison, au ras de la fenêtre, tout contre les volets derrière lesquels Fandor était posté.

Le journaliste poussa un sourd grognement, puis, ayant pris son browning dans sa poche, par les interstices des volets, il tira.

En effet, il avait vu, à n’en pas douter, la silhouette tragique du Maître de l’Effroi se profiler, noire sur fond de nuit. Était-ce possible, puisque Fantômas était en prison ?

— Ah par exemple ! s’écria le journaliste, c’est plus fort que tout, il faut que je sache, que j’en aie le cœur net !

Et ses doigts impuissants à ouvrir les volets s’ensanglantaient sur les persiennes qui résistaient à ses efforts. Tout en agissant de la sorte, il regardait par les interstices ce qui se passait dans le jardin. Une nouvelle stupeur le cloua sur place. Une femme passait à travers le parc. Elle courait, et, comme à un moment donné elle traversait le rayon lumineux d’un réverbère, Fandor la reconnut :

— Sarah Gordon !

C’était en effet l’Américaine. Fandor n’eut pas le temps de s’interroger longuement et de se demander par suite de quelles circonstances, curieuses, l’Américaine se trouvait là.

Quelqu’un courait après elle, la saisissait par le bras : ce quelqu’un avait la silhouette de Fantômas que Fandor voyait nettement désormais, enveloppé dans son grand manteau noir.

Sarah Gordon poussa des hurlements de terreur qui, soudain, s’arrêtèrent.

Fandor avait pris son arme, mais n’osait tirer. En visant Fantômas, il risquait d’atteindre l’Américaine.

Et dès lors, ses efforts se concentraient sur le volet qu’il s’efforçait d’arracher de ses gonds. À un moment donné, Fandor poussa une exclamation de joie, il lui semblait que le volet cédait.

« Encore quelques instants, se disait-il, et je serai, moi aussi, dans le jardin. »

Au même moment, un bruit de portes enfoncées retentit et quelqu’un surgit dans la pièce où était Fandor. C’était Jacques Faramont qui venait de démolir la porte de la pièce voisine où il était enfermé.

— Fandor ! appela-t-il d’une voix angoissée.

— Venez, cria le journaliste, je suis enfermé moi aussi, aidez-moi donc à démolir ce volet.

Les deux jeunes gens unirent leurs efforts.

***

Cependant, Sarah Gordon avait quitté ses hôtes à dix heures moins le quart exactement, sur le conseil de M. de Keyrolles, qui voulait lui éviter de manquer son train.

Elle était venue dans l’allée, surprise de ne pas rencontrer Jacques Faramont. Et tandis qu’elle faisait les cent pas devant la maison, elle s’était rapprochée de la grille de la maison abandonnée, voisine de celle des Keyrolles.

L’Américaine, alors, avait entendu des bruits insolites provenant de l’intérieur de l’habitation. Audacieuse et curieuse aussi, elle s’était introduite dans le jardin, mais aussitôt elle avait poussé un cri, car une forme blanche, une forme féminine avait passé brusquement devant elle.

Poursuivant l’apparition blanche, surgissait une forme noire qui s’arrêta net en l’apercevant et murmura :

— Sarah !

C’est à ce moment précis que retentit le coup de feu de Fandor, et Sarah Gordon terrifiée, ne comprenant rien, poussa des hurlements de terreur. Elle avait cru reconnaître, elle avait reconnu, il n’y avait pas à en douter, la silhouette tragique et formidable du monstre de l’effroi, du Génie du Crime, de Fantômas, dont elle avait failli être la victime, déjà, quelques semaines auparavant. Mais comment Fantômas se trouvait-il là puisqu’il était en prison ?

Soudain, Sarah Gordon se sentit défaillir. Elle essaya de s’enfuir, elle ne put le faire, elle tomba à genoux dans le gazon. Une main cependant s’était posée sur son épaule, puis cette main, la prenant par le bras, l’obligea à se relever, l’entraîna avec une brusquerie extraordinaire.

Sarah Gordon, furieusement, résista :

— Au secours ! hurla-t-elle.

Puis elle entendit que de l’intérieur de la maison, on lui criait :

— Résistez, nous arrivons !

Sarah Gordon, cependant,, était entraînée par l’effroyable silhouette noire, puis, soudain, au moment où elle sentait chavirer sa raison, une voix connue proféra à son oreille :

— N’ayez donc pas peur, Sarah, reconnaissez-moi donc. C’est moi, venez.

En même temps l’homme se démasqua et Sarah Gordon, blanche de terreur, demeurait interdite à la vue de son visage.

L’homme qu’elle avait devant elle, le Fantômas qui venait de l’appréhender, ce n’était pas le Roi du Crime, qu’elle avait vu une seule fois mais dont les traits s’étaient irréductiblement gravés dans sa mémoire, c’était Dick.

— Venez, répétait le jeune homme.

Et dès lors, Sarah Gordon, incapable de la moindre volonté, mais rassurée, fort perplexe, se laissait entraîner.

Cinq minutes après cette extraordinaire rencontre, Fandor et Jacques Faramont ayant enfin triomphé de la résistance du volet, sautaient dans le jardin, et Fandor, le revolver au poing, s’enfonçait dans la nuit.

Le parc était désert, on n’y entendait plus rien.

Après quelques rapides recherches, Fandor se rapprocha de Jacques Faramont :

— Écoutez-moi, fit-il, cette femme, cette femme blanche, lorsqu’elle est venue vous ouvrir, avez-vous remarqué son visage ?

— Oui.

— Est-ce une femme jeune ou vieille ?

— Elle avait des cheveux blancs, cependant il me semble, bien que son visage soit recouvert d’un voile épais, que ses traits étaient jeunes.

« C’est Hélène, ce ne peut être qu’Hélène, songeait Fandor, qui se dissimule sous ce déguisement, mais pourquoi… ? Oui, pourquoi ? »

Et de même que la mystérieuse dame blanche avait, quelques jours auparavant, recommandé à Faramont de ne parler à personne de leur rencontre, Fandor demanda au fils du bâtonnier de ne rien dire à personne, pour le moment du moins, de ce qui venait de se passer.

***

— Enfin Dick, m’expliquerez-vous ?

En face de Sarah, l’acteur se tenait, très pâle.

Il était une heure du matin environ. Dick et l’Américaine étaient rentrés à Paris. Ils se retrouvaient dans l’appartement du jeune homme.

Au sortir de la villa mystérieuse, Dick avait entraîné Sarah vers une voiture automobile qui les avait emmenés à grande allure, et, dans ce véhicule, il avait dépouillé la cagoule disposée sur son visage, et le grand manteau noir qui l’enveloppait.

En vain Sarah l’avait-elle questionné. Dick l’avait suppliée de se taire, de ne pas lui poser une seule question avant qu’ils ne fussent arrivés chez lui, où ils pourraient s’entretenir sans risque d’être entendus.

Longtemps, Sarah Gordon s’était contenue ; elle avait obtempéré au désir de Dick, s’était abstenue de prononcer une seule parole pendant toute la durée du trajet.

Mais désormais, Dick lui avait annoncé lui-même que l’heure des explications avait sonné.

— Pourquoi, demanda Sarah frémissante, pourquoi cette sinistre comédie ? D’où vient, Dick, que vous portez le vêtement de Fantômas ?

— Je ne puis vous fournir encore de renseignements à ce sujet, croyez-moi, Sarah.

— N’essayez pas de nier, Dick, s’écria Sarah de sa voix sifflante. Je vous ai surpris cette fois alors que vous alliez voir, dans cette villa mystérieuse, la femme que vous aimiez, que vous aimez encore et pour laquelle vous m’avez sacrifiée.

— De quelle femme voulez-vous parler ? interrogea-t-il.

— D’Hélène.

— Sur tout ce que j’ai de plus sacré, déclara Dick solennellement, je vous jure, Sarah, que je n’ai jamais eu et que je n’aurai jamais le moindre amour pour cette femme. J’ai dû vous le faire croire jusqu’à présent, j’ai fait ce mensonge indigne de vous et de moi, pour vous empêcher de partir pour l’Amérique, pour vous obliger à rester en France où je devais moi-même rester. Mais désormais je ne suis plus lié par le secret qui m’obligeait à vous mentir. Pardonnez-moi, Sarah, d’avoir torturé votre cœur en y semant le poison de la jalousie. Pardonnez-moi de vous avoir fait mal, jamais, au grand jamais, je n’ai été l’amant de la fille de Fantômas !

— Qu’alliez-vous faire alors dans cette maison de Ville-d’Avray, déguisé en Fantômas ? Vous alliez y voir quelqu’un, une femme, cette femme qui apparaît si mystérieusement, vêtue de blanc, et dont la chevelure…

— Vous l’avez vue, vous aussi, n’est-ce pas ? interrogea-t-il. Elle existe donc, cette femme. Vit-elle alors ? N’est-ce pas une illusion, un rêve que j’ai eu ? Un cauchemar ?

— Je l’ai vue, naturellement, Dick, comme vous l’avez vue peut-être, comme je vous vois en ce moment.

L’acteur s’écroula sur un fauteuil.

Puis il se traîna à genoux vers Sarah, d’une voix suppliante, joignant, les mains qu’il levait vers l’Américaine, il balbutia :

— Mais qui est-ce ? Au nom du ciel, Sarah, dites-le-moi. L’avez-vous reconnue ? La connaissez-vous ?

— Je ne connais pas cette femme, mais je suppose que ce doit être la fille de Fantômas qui se dissimule sous ce déguisement.

— Ah mon Dieu, vous devez avoir raison, Sarah ! Oui, si cela était vrai, ce serait l’explication. La fille de Fantômas cachée sous ce déguisement, parbleu, c’est certain.

Sarah Gordon, de plus en plus perplexe, interrogea encore :

— Dick, Dick, je vous en prie, changez d’attitude, ne parlez pas par énigmes ! Expliquez-moi le fond de votre pensée. Que signifient vos inquiétudes et vos joies, ces phrases entrecoupées ?

Dick ne semblait pas entendre les supplications de Sarah Gordon et désormais, d’une voix sépulcrale, comme s’il pensait tout haut, il affirma :

— L’apparition blanche, la fille de Fantômas, oui, ça ne peut être qu’elle. C’est elle assurément. Les morts ne reviennent pas.

— Dick, Dick, de grâce, expliquez-vous !

Alors l’acteur parut faire un effort surhumain, il épongea son front trempé de sueur, puis, s’asseyant en face de Sarah Gordon, d’une voix qu’il voulait rendre calme et posée, il commença :

— Écoutez-moi bien, Sarah, c’est un aveu effroyable que je vais vous faire. Vous voulez tout savoir. Soyez satisfaite : il y a quelque temps de cela, un mois, non, trois semaines à peine, moi, Dick, qui vous aime, moi l’honnête homme que vous avez toujours connu, eh bien…

L’acteur paraissait ne pas pouvoir continuer, sa gorge se serrait, il balbutiait des mots inintelligibles, des sons rauques s’échappaient de ses lèvres. Sarah Gordon, émue, effleura le front de Dick d’un baiser.

Dick tressaillit à ce délicieux contact, il recula.

Puis, comme si le baiser de Sarah lui eût donné du courage, il poursuivit, les yeux baissés, la voix haletante :

— Sarah, je dois vous l’avouer, moi, Dick, l’honnête homme, j’ai tué.

12 – LE PACTE EST ROMPU

M. Fuselier, qui travaillait à son bureau, jetant de temps à autre un regard anxieux à sa montre placée devant lui, leva la tête en entendant frapper à la porte de son cabinet.

— Entrez !

La porte s’ouvrit. Juve parut :

— Monsieur Fuselier, à vos ordres. Excusez-moi du retard. Votre dépêche m’a trouvé au lit.

— Vous étiez au lit, Juve ? En voilà un paresseux !

— Je réfléchissais, j’aime beaucoup réfléchir au lit, on y a toujours les idées nettes.

Juve parlait sérieusement. M. Fuselier qui venait de plaisanter se fit sérieux lui aussi :

— En effet, répondait-il, vous n’aviez peut-être pas tort de réfléchir. Plus je vais, plus j’étudie le terrible dossier de Fantômas et plus je m’effare de sa complexité. Je me demande presque si jamais je le tirerai au clair. Dites-moi, mon cher ami, avez-vous deviné pourquoi je vous ai demandé d’urgence ?

— Ma foi non. Vous désirez un renseignement sans doute ?

M. Fuselier interrompit Juve d’un geste de la main :

— Je vous ai fait demander, parce que je désire que vous assistiez à une entrevue qui va avoir lieu dans quelques instants. Lisez ceci.

Parmi les papiers épars de son grand bureau, M. Fuselier choisit une lettre qu’il tendit à Juve. Elle était recouverte d’une grande écriture intelligente, imaginative, elle était courte et sèche.

Juve y avait à peine jeté les yeux qu’il tressaillit puis il la lut à haute voix :

Monsieur Germain Fuselier, était-il écrit, je vous prie de bien vouloir m’entendre demain matin sans faute, j’aurais une plainte grave à déposer entre vos mains, une réclamation à faire valoir auprès de votre impartialité.

La lettre était signée :

Fantômas.

— Eh bien, demanda le policier, que pensez-vous de ceci ?

— J’allais vous poser la même question, répondit le juge.

— Non, je vous dirai mon sentiment après. Confiez-moi le vôtre, monsieur Fuselier.

Le magistrat, à cette question précise, toussa deux fois afin de prendre le temps de quelques réflexions, puis se décida :

— Vous voulez connaître mon sentiment, Juve, eh bien voilà : Fantômas commence à souffrir de la détention, de la captivité. Dans ma longue carrière de magistrat, j’ai pu constater que tous les grands criminels, au bout d’un certain temps d’emprisonnement, éprouvent un étrange et subit besoin de s’entretenir avec le magistrat instruisant leur affaire. Ils invoquent alors les prétextes les plus futiles, ils se plaignent de ceci ou de cela, toujours quand cette nervosité spéciale les atteint, ils finissent par en arriver aux confidences et aux aveux. Fantômas veut me voir, j’imagine que Fantômas va parler… Ma foi, interrogeait-il, vous n’avez pas l’air de me croire ?

— Je suis persuadé que vous vous trompez.

— Parce que ?

— Parce que Fantômas n’est pas un criminel ordinaire et que je donnerais ma tête à couper qu’il ne parlera pas. Il y a autre chose.

— Quoi ?

— Je ne sais pas. Autre chose, voilà tout. Avec Fantômas il faut s’attendre à tout. Vous l’avez fait extraire de sa cellule ?

— Oui, il est là. Il m’attend, voulez-vous que nous l’entendions ?

— Assurément.

— Eh bien, ordonnez qu’on introduise Fantômas.

Trois minutes plus tard, Fantômas apparaissait, hautain, sombre, impénétrable comme à l’ordinaire, marchant avec une superbe attitude d’arrogance, entre les deux gardes municipaux.

En entrant dans le cabinet de Germain Fuselier, il salua le magistrat d’un signe de tête avec une correction parfaite, puis haussant les épaules, il eut un sourire protecteur à l’adresse de Juve.

— Vous êtes trop aimable, dit-il. J’avais demandé à déposer entre vos mains une plainte, mais je n’avais pas exigé que la personne dont je me plains fût présente.

— Est-ce donc de moi que vous désirez vous plaindre, Fantômas ? demanda Juve.

— De vous, oui, Juve. Mais pas de vous seul.

— De qui donc d’autre ?

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