La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 2 стр.


Jacques remarqua les mains de l’apparition, longues, maigres, décharnées, diaphanes.

Et dans ce visage tout blanc, dans cette figure dont les ailes du nez, les lèvres, le lobe des oreilles étaient blancs, deux points paraissaient noirs et brillants, c’étaient les yeux, des yeux immenses, extraordinairement profonds.

Le regard de ces yeux s’était fixé désormais sur les deux amoureux et il demeurait dirigé vers eux, avec une insistance singulière.

— Qui êtes-vous ? Que venez-vous faire ici ?

Jacques rassembla tout son courage. Il s’avança d’un pas vers l’arrivante qui, semblait-il, voulut reculer, mais néanmoins demeura figée sur le seuil de la porte.

— Madame, murmura l’amoureux de Brigitte en s’inclinant très bas devant la mystérieuse apparition, je vous demande infiniment pardon. Il pleuvait, nous avons été surpris par l’orage, la porte de cette maison était entrebâillée et nous sommes entrés. Je vous en supplie, madame, pardonnez-nous cette incorrection.

D’un geste, la femme mystérieuse interrompit son interlocuteur. Tandis que Jacques parlait, elle avait curieusement dévisagé Brigitte, puis regardé de même le jeune homme :

— Je sais qui vous êtes, dit-elle, et je ne vous en veux pas. Mais j’ai eu peur, bien peur, tout à l’heure en entendant du bruit.

— Nous partons, madame, en nous excusant encore, et soyez assurée que…

— Je ne vous en veux pas, mais au nom du Ciel, je vous en supplie, ne dites à personne ce qui s’est passé, ne racontez jamais que vous êtes entré ici, ni surtout que vous avez vu, que vous avez vu…

Elle se tut, sa voix semblait s’étrangler dans sa gorge.

— Madame, reprit Jacques, vous pouvez être assurée de notre discrétion absolue, c’est d’ailleurs à nous, au contraire, de vous demander de bien vouloir ne pas nous compromettre, d’éviter de nous déshonorer en racontant…

Un faible sourire erra sur les lèvres de la dame mystérieuse.

— Je suis le silence et la tombe, dit-elle. Nul ne doit me voir, et ceux qui m’ont vue se doivent de m’oublier.

Brigitte s’était rapprochée de Jacques, et lui serrait le bras à lui faire mal.

— Partons, murmura-t-elle à son oreille, j’ai peur !

La dame aux cheveux blancs, cependant, reculait de quelques pas, elle se tenait désormais dans le vestibule. Brusquement, le vent qui, par les fenêtres, soufflait en courant d’air, éteignit la lumière qu’elle tenait à la main, et l’obscurité la plus profonde régna.

— Je vais m’évanouir, balbutia Brigitte. Partons, de grâce, partons d’ici !

Ils firent quelques pas dans la direction de la porte, titubant comme des gens ivres, se heurtant aux meubles, mais ils s’arrêtèrent net. Comme ils allaient sortir de la maison, la voix de la dame aux cheveux blancs venait de retentir encore, et de ce ton sépulcral et lointain, qui les avait si singulièrement émus, elle articulait :

— Au nom du Ciel, ne dites jamais à personne que vous êtes entrés dans cette maison, que vous y avez vu quelqu’un. Personne ne doit savoir.

Elle s’interrompit, puis reprit après un silence, d’un ton plus doux, presque cordial :

— Vous qui vous aimez, revenez dans ce jardin quand vous voudrez, restez-y aussi longtemps qu’il vous plaira. Mais quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne, ne levez jamais les yeux sur cette maison. Ne franchissez plus jamais le seuil de cette porte.

— Nous vous le jurons, madame, articula d’un air convaincu et respectueux Jacques Faramont, cependant que Brigitte, qui sentait ses jambes se dérober sous elle, insistait :

— Partons, partons, pour l’amour de Dieu, allons-nous-en !

La pluie avait cessé. Les deux amoureux se retrouvaient dans le jardin, ils étaient derrière un buisson qui leur dissimulait la silhouette sévère et massive de la mystérieuse maison dans laquelle ils venaient de vivre de si étranges minutes. Ils se rapprochèrent. Leurs lèvres s’unirent. Elles étaient glacées. Ils échangèrent un long baiser muet.

***

Une heure plus tard, Jacques Faramont descendait du train à la gare Saint-Lazare. Le jeune homme, encore tout ému, se dirigeait machinalement vers le domicile de ses parents, rue d’Amsterdam, ruminant dans sa pensée les dernières aventures dont il avait été le héros, lorsque soudain un camelot qui criait l’édition spéciale d’un journal du soir, se jeta pour ainsi dire sur lui.

— Achetez-la moi, mon prince ! criait le pauvre hère.

Jacques Faramont obtempéra. Il jeta les yeux sur la manchette du journal et ne put retenir un cri de stupéfaction. Il venait de lire cette information sensationnelle :

«  Fantômas est arrêté. Le bandit s’est constitué prisonnier entre les mains de l’inspecteur Juve. »

Suivaient quatre colonnes de détails.

2 – FANTÔMAS EST PRIS

L’acteur Dick venait de partir.

Dans le cabinet de travail de Juve, dans ce cabinet où déjà, tant de fois, de mystérieux drames avaient eu lieu, le policier et Fandor demeuraient seuls face à Fantômas.

Cela se passait l’après-midi même du jour où le jeune Jacques Faramont avait prêté serment au Palais de Justice.

— Fantômas, avait hurlé Juve, au nom de la Loi, je vous arrête !

La poigne du policier s’était abattue sur l’épaule du Roi du Crime. Fantômas n’avait pas eu un tressaillement, il n’avait tenté aucune résistance, il s’était laissé très docilement ligoter, étroitement ficeler par Fandor.

Les instants semblaient interminables. Devant Fantômas qui était venu se livrer, qu’ils venaient de prendre, devant Fantômas, chargé de liens, devant eux, incapable désormais de tenter un geste de défense, Fandor et Juve demeuraient égarés, surpris et si joyeux qu’une émotion, une peur se mêlait à un sentiment de soulagement infini.

Juve, le premier mouvement de stupeur passé, épongea d’une main qui tremblait la sueur qui lui perlait au front.

— Fandor, déclara enfin le policier, il est pris, et il ne peut plus s’échapper. Il faut agir maintenant et agir vite. Nous allons le mener au Dépôt.

Juve parlait ainsi comme si Fantômas avait été frappé soudain de surdité, comme s’il n’avait pas pu entendre ; or, précisément, aux paroles de Juve, Fantômas éclata de rire, amusé, semblait-il.

— Juve, disait le bandit, vous répétez bien souvent ces mots : il est pris. Vous seriez peut-être plus sincère si vous reconnaissiez que je me suis livré, vous ne m’avez pas pris, Juve. Je me suis constitué prisonnier, voilà tout.

Il y avait une certaine insolence, une raillerie non dissimulée dans le ton du misérable. Fandor, de blême qu’il était, devint subitement rouge. Le sang lui monta à la tête, une colère le fit frémir.

— Taisez-vous ! ordonna-t-il en fixant le bandit. Vous avez sans doute pensé, Fantômas, qu’une fois encore vous trouveriez le moyen de vous échapper quand bon vous semblerait, mais je vous le jure, vous vous êtes trompé. Vous vous êtes livré, tant pis pour vous ! Au moindre de vos mouvements, ni Juve, ni moi, n’hésiterions à vous brûler la cervelle. Tenez-vous-le pour dit.

Fantômas haussa les épaules.

C’est d’un air résigné, quoique toujours un peu moqueur, qu’il répondit :

— J’ai les bras liés, les jambes attachées, comment diable voulez-vous que je puisse tenter un mouvement ? Même si la fantaisie me prenait, cela me serait impossible, et puis, pourquoi voudrais-je m’échapper, puisque je suis ici de mon plein gré ?

Puis, comme s’il eût dédaigné de converser plus longtemps avec Fandor, Fantômas se tourna vers Juve.

— Allons, faisait-il, dépêchez-vous, Juve. Si vous devez me conduire au Dépôt, j’ai hâte d’être sous les verrous. Allons-y tout de suite.

— Vraiment ? railla Juve à son tour. Je puis vous demander pourquoi ?

— Je vous l’ai dit, Juve. J’ai quelqu’un à venger, on a tué lady Beltham.

— Vous l’avez tuée, Fantômas.

— Non, ce n’est pas moi. C’est un autre. Je ne sais qui. Quand je serai sous les verrous, Juve, je ne doute pas qu’une courte et rapide enquête n’arrive à vous convaincre de ma franchise. Je ne suis pas l’assassin de lady Beltham. J’aimais lady Beltham et sa mort m’a cruellement fait souffrir, c’est pourquoi je suis ici. Libre, vous n’auriez pu vous occuper de venger ma malheureuse maîtresse, mais, moi pris, votre devoir sera d’éclaircir ce crime resté mystérieux. Voilà pourquoi j’ai hâte d’être au Dépôt. Allons, faites votre devoir, emmenez-moi.

— Taisez-vous, dit Juve.

Le policier, à cet instant, réfléchissait profondément. Depuis plus de dix ans, Juve vivait avec le désir de s’emparer de Fantômas, d’appréhender le forban, de le mettre hors d’état de nuire, et voilà qu’à l’instant même où il s’était saisi de lui, où il le tenait à sa merci, où il allait l’emporter comme une chose sans défense, vers les prisons dont on ne s’évade pas, Juve ne goûtait encore aucune joie. Bien plus, il éprouvait une secrète angoisse.

Fantômas disait vrai. Juve ne l’avait pas pris. Il s’était livré aux mains de Juve. S’il était devant le policier chargé de menottes, dans l’impossibilité de se défendre, c’était parce que cela lui avait plu. C’était qu’il avait trouvé bon de se constituer prisonnier.

— Je n’ai pas tué lady Beltham, répétait Fantômas.

Et Juve devait se l’avouer, il apparaissait bien en effet que Fantômas était innocent de ce crime. Mais quel était alors le sombre mystère qui avait entouré la mort tragique, incompréhensible de la malheureuse maîtresse du bandit ?

Si véritablement, ce n’était pas Fantômas qui avait tué lady Beltham, qui donc l’avait tuée ? Et si Fantômas s’était livré à Juve pour que Juve recherchât l’assassin de la grande dame, contre qui Juve aurait-il à diriger ses recherches ? Or, tandis que Juve réfléchissait ainsi, Fandor, de son côté, songeait. Le jeune homme, furieux tout à l’heure, du ton de bravade qu’avait employé Fantômas, brusquement s’était calmé. Il reprit la parole :

— Fantômas, vous venez vous-même en effet de vous livrer à nous, nous allons faire notre devoir, et vous remettre aux mains de la justice. Mais, s’il est vrai que vous n’êtes pour rien dans l’assassinat de lady Beltham, je vous jure, en mon nom, comme au nom de Juve qui nous écoute, que nous n’aurons de cesse l’un et l’autre que la vérité soit faite sur la mort de celle que vous avez aimée.

— Je vous remercie, Fandor.

D’une voix grave, Fantômas venait de répondre au jeune homme. Les mots étaient simples, mais ils avaient un caractère poignant, échangés entre ces deux hommes qui se haïssaient depuis si longtemps.

— Je vais rester ici, reprit Juve, en face de Fantômas. J’ai mon browning à la main, au premier mouvement qu’il esquissera, je ne me ferai point faute de tirer. Toi, Fandor, va chercher une voiture. Dans une heure, nous l’aurons fait écrouer.

Fandor ne répondit pas. Il s’assura d’un coup d’œil de la disposition de la pièce. Tant de fois Fantômas avait réussi d’invraisemblables prodiges d’audace, tant de fois, il avait risqué de formidables tentatives d’évasion, toujours couronnées de succès, que Fandor, malgré lui, malgré les affirmations du bandit, doutait presque de la réalité, ne pouvait croire que Fantômas fût réellement prisonnier.

Juve, cependant, ne se trompait pas à l’émotion que manifestait son ami.

— Allons, reprenait-il, descends, Fandor. Va chercher un fiacre, je te dis qu’il ne peut pas s’échapper.

Juve agitait son revolver comme un argument suprême. Fandor allait peut-être répondre. Fantômas eut un éclat de rire.

— Je m’échapperais si je le voulais, raillait-il, mais je ne le veux pas. Soyez tranquille, Fandor. Vous me retrouverez ici, je vous le promets.

Les promesses de Fantômas, toutefois, n’étaient point de nature à calmer les appréhensions de Jérôme Fandor. Il fallait cependant se décider.

— Juve, dit encore le jeune homme, il est bien entendu, n’est-il pas vrai, qu’au moindre mouvement… ?

— Mais oui, interrompit Juve, dépêche-toi de m’obéir. Descends !

À regret, Jérôme Fandor partit. Il descendit quatre marches par quatre marches l’escalier de la maison, héla un fiacre, lui expliqua qu’il s’agissait de conduire un prisonnier au Dépôt. Puis, ayant fait ranger la voiture le long du trottoir, remonta pour prévenir Juve. En mettant la clé dans la serrure de l’appartement du policier, la main de Jérôme Fandor tremblait. Il entra brusquement dans le cabinet de travail. Alors, un soupir de soulagement s’échappa de sa poitrine. Ni Juve, ni Fantômas n’avaient bougé. Le policier était toujours assis en face du bandit, Fantômas toujours ficelé se tenait immobile sous la menace du revolver de Juve.

— La voiture est là, Fandor ?

— Oui.

— Descendons, alors.

Juve remit son revolver dans sa poche. Il passa aux poignets de Fantômas qui se laissa faire sans la moindre résistance, un cabriolet d’acier, une chaînette fine et solide dont il maintenait soigneusement les deux bouts. À la moindre tension imprimée par Juve, les poignets du misérable subiraient une atroce pression, seraient aux trois quarts écrasés.

Parbleu, il pouvait bien essayer de fuir, Fantômas ! Juve, d’un geste était en mesure de le dompter, de le forcer à demander grâce et cela impitoyablement. On ne résiste pas à la douleur qu’impose la torture d’un cabriolet.

— Allons, Juve !

— Allons, Fandor !

Fantômas ne disait rien. Loin d’avoir l’air honteux, loin de paraître bouleversé, à l’idée de descendre si humblement ligoté, il riait. Le bandit était véritablement prisonnier parce qu’il l’avait voulu et sa situation misérable le touchait peu, si peu, qu’il semblait encore garder un sourire ironique et dominer les événements.

— Avancez, Fantômas !

— Je vous suis.

Juve, tenant toujours son prisonnier, s’engageait dans l’escalier, accompagné de Fandor, prêt, au moindre mouvement, à se jeter sur le bandit. Rapidement, les trois hommes atteignirent le trottoir. Fantômas, toujours souriant, monta en fiacre, Juve le fit asseoir sur la banquette du fond, à côté de lui. Fandor s’installa sur le strapontin.

— Quai des Orfèvres ! cria le journaliste. Au service de la Sûreté !

Le cocher fouetta son cheval, l’équipage s’ébranla. Le trajet n’est guère long de Montmartre au service de la Sûreté, et, pourtant, il parut s’effectuer avec une extraordinaire lenteur à Juve et à Fandor, peut-être même à Fantômas.

Les deux amis, en effet, encore qu’à cet instant ils fussent véritablement bien persuadés que Fantômas ne pouvait pas s’enfuir, étaient incapables de s’empêcher de frémir au moindre incident : un embarras de voitures retardant la marche du fiacre faisait trembler Fandor. Le regard d’un passant qui, sur un refuge du boulevard, remarquait les cabriolets mis aux mains de Fantômas inquiétait Juve. On pouvait tout attendre de Fantômas. De la part du bandit, rien n’était impossible. Un coup de force eût été aisé après tout : il avait tant et tant de complices. C’est cependant sans qu’il y ait eu le moindre incident, sans que la moindre aventure fût survenue, que le fiacre arriva à destination. Fandor descendit le premier.

Juve fit ensuite passer Fantômas, puis, quand le bandit fut sorti du fiacre, lui-même en descendit.

Fantômas, jusqu’alors s’était tu. Or, brusquement, en apercevant les murailles hautes des bâtiments, en voyant que Juve le poussait vers les longs couloirs qui mènent au service de la Sûreté, le monstre frissonna :

— Juve… commença-t-il.

Mais Juve avait senti son hésitation. Il avait déjà remarqué que la marche de son prisonnier était moins ferme et moins assurée.

— Avancez, ordonna-t-il.

Et il serra un peu le cabriolet. Or, à cet instant, Fantômas s’arrêta :

— Juve, reprit le bandit, vous pouvez me broyer le poignet si bon vous semble, mais vous ne me ferez pas hâter le pas si cela me déplaît. Juve, voici l’instant où vous allez me livrer. Fort bien. Je n’ai qu’un mot à vous dire : « Souvenez-vous que je suis ici parce que je veux que vous vengiez lady Beltham. Souvenez-vous. »

Tout le temps que Fantômas parlait, Juve, nerveusement, avait tordu le cabriolet.

Fantômas n’avait même pas paru sentir l’horrible douleur qui lui était ainsi occasionnée. Ayant achevé, il repartit d’un pas tranquille.

Trois minutes plus tard, le bandit, Fandor et Juve étaient dans une sorte de petite salle basse et obscure, meublée d’un simple escabeau de bois blanc, d’une table boiteuse, d’une cruche remplie d’eau. Ce local sommaire était la chambre de force mise à la disposition des inspecteurs de la Sûreté ayant besoin d’enfermer quelques instants un individu avant de le faire écrouer définitivement au Dépôt.

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