La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 3 стр.


Juve, en y entrant, avait appelé plusieurs de ses collègues, Léon et Michel entre autres. Et c’est seulement quand il y eut ces inspecteurs de la Sûreté dans la petite pièce, ces inspecteurs qui, sur un signe, avaient le revolver au poing, que Juve laissa Fantômas s’asseoir sur l’escabeau, cessant de le maintenir par le cabriolet.

— Je vais chercher M. Havard, déclara-t-il.

Et il se tourna vers Fandor, lui faisant de multiples recommandations, s’adressant à lui comme à celui en qui il pouvait avoir le plus de confiance.

— Fais attention, Fandor, je te le confie.

Mais ce n’est pas Fandor qui répondit, c’est Fantômas qui éleva la voix, Fantômas qui déclara d’un ton calme :

— Allez donc, Juve, et finissons-en. Je vous ai dit que je ne m’en irai pas et vous savez que je suis ici volontairement.

Au moment où le policier réapparaissait dans la petite salle basse, accompagné de M. Havard, Fantômas se leva. Il était brusquement devenu très pâle, brusquement sa voix se prenait à trembler.

— Monsieur le chef de la Sûreté, déclara Fantômas hautain, saluant M. Havard d’un signe de tête qui avait quelque chose de protecteur, monsieur le chef de la Sûreté, je me suis constitué prisonnier aux mains de Juve. Je suis pris parce que j’ai bien voulu être pris.

Il allait sans doute ajouter quelques paroles narquoises. M. Havard, d’un geste, lui imposa silence.

— En quelques mots, Juve vient de me mettre au courant, disait-il. Vous n’avez pas besoin d’essayer de diminuer votre adversaire, Fantômas, vous n’y réussirez pas. C’est devant vous que je tiens à féliciter Juve de votre arrestation. Vous vous êtes constitué prisonnier, dites-vous ? C’est exact, personne ne le nie ici, mais vous vous êtes livré aux mains de Juve, c’est lui-même qui me l’a dit, parce que vous avez besoin que la police officielle s’occupe de châtier un crime qui vous a fait souffrir, Juve me l’a dit encore. Ce qu’il ne m’a point dit et que je dis, moi, chef de la Sûreté, c’est qu’en somme, vous venez d’être amené à vous rendre, à vous rendre à Juve, parce que vous êtes obligé de convenir que Juve est plus fort que vous.

— Je ne discuterai point de cela avec vous, monsieur Havard, riposta Fantômas. Félicitez Juve si bon vous semble, peu m’importe. Je ne lui demande que de se souvenir de la mission que je lui ai donnée. Et puis, finissons-en vraiment, messieurs de la Sûreté. Vous êtes ridicules de vous mettre à dix pour me surveiller, alors que je me suis rendu… Vous m’écrouez ici ?

— Venez ! dit Juve.

Sur un geste de M. Havard, les inspecteurs entouraient le Roi du Crime et c’est ainsi que, sous la conduite des agents de l’autorité, ayant à sa droite Juve, à sa gauche, Jérôme Fandor, précédé par M. Havard en personne, Fantômas fut conduit à la souricière.

Il dut descendre les étroits escaliers qui font communiquer les bâtiments de la Sûreté avec les cellules du Dépôt. En franchissant la grille de la prison, le bandit réprima un tressaillement.

— Juve, répéta-t-il, souvenez-vous, souvenez-vous.

Mais c’est M. Havard qui répondit. M. Havard n’eut point pour Fantômas les ménagements que Juve et Fandor, malgré eux, avaient pour le bandit. M. Havard sentait une sourde colère l’envahir, l’attitude hautaine et provocante qu’affectait Fantômas, le mettait malgré lui dans tous ses états. Il fut cruel :

— Je me souviens d’une chose, Fantômas, disait le chef de la Sûreté, c’est que beaucoup d’autres misérables ont suivi comme vous le chemin que nous suivons, beaucoup d’autres ont, comme vous, Fantômas, descendu cet escalier, cet escalier qui mène à la souricière. Il mène plus loin, Fantômas, et beaucoup d’autres avant vous se sont aperçus qu’il conduisait à la guillotine. Voilà ce dont je me souviens, Fantômas. Voilà ce dont il faut que vous vous souveniez aussi.

À l’horrible évocation qu’il lui faisait, à la menace qu’il formulait, Fantômas ne tressaillit pas. Un sourire seulement errait sur ses lèvres.

— Je ne comprends pas, répondit froidement Fantômas, la comparaison que vous tentez, monsieur Havard. Ce que j’ai fait, personne ne l’a fait et ce que les autres font, je ne le fais point. Il est possible que d’autres aient été conduits par vous vers la guillotine, il est possible que cet escalier mène au couperet du bourreau, mais en ce qui me concerne, je puis vous affirmer qu’il mène seulement…

— À quoi, Fantômas ?

Les lèvres du bandit s’agitèrent. Il parut un instant qu’une révolte allait l’obliger à se départir de son terrible sang-froid. Les veines de son front se gonflèrent ; ses dents serrées crissèrent de rage, un frémissement le secoua. Il se domina pourtant :

— Cet escalier mène à la vengeance, dit simplement Fantômas.

Et, négligeant de répondre à M. Havard, le bandit fixa Juve une fois encore.

— Souvenez-vous que ce n’est pas moi qui ai tué lady Beltham.

Derrière le groupe des policiers, cependant, les portes de fer de la souricière s’étaient closes ; dans le greffe, les gardiens mandés d’urgence s’empressaient.

— Inspecteur Juve, ordonna M. Havard, faites votre mandat de dépôt.

— Voici, répondit Juve.

Il s’approcha d’une tablette scellée dans le mur, tira de son portefeuille une formule dont il remplit les blancs et qu’il tendit au greffier.

— Voilà ma réquisition, dit-il.

Et, attirant l’attention de M. Havard, Juve ajouta :

— Voyez, chef, je n’ai eu aujourd’hui qu’à ajouter la date et la signature. Il y a dix ans que je porte ce papier dans ce portefeuille. Il date de l’assassinat de la marquise de Langrune [1], alors que je m’occupais de Fantômas pour la première fois ; alors que je me jurais qu’un jour je le conduirais ici pour le remettre à ses juges. Je me suis tenu parole, chef.

M. Havard tendit ses deux mains à l’inspecteur :

— Et moi, je vous remercie. Il y a longtemps que vous appartenez à la Sûreté, Juve, il y a longtemps que j’ai pu apprécier votre dévouement, je suis heureux, devant tous, de vous rendre hommage.

Le chef de la Sûreté allait encore ajouter quelques mots, il n’en eut pas le temps.

— Finissons-en, grogna Fantômas. J’ai le droit d’être traité comme un assassin ordinaire et je réclame ma mise en cellule.

— Soit : fouillez cet homme !

Deux gardiens fouillèrent le bandit, mais Fantômas, évidemment, en se rendant chez Juve, n’avait rien gardé qui pût être compromettant. On découvrit seulement, pendu à son cou, une sorte de médaillon d’argent vieilli, que les gardiens lui arrachèrent.

— Laissez-moi cela, dit le bandit.

— Le règlement s’y oppose.

Juve, déjà s’était emparé de l’objet. Il ouvrit le boîtier, eut un haut-le-corps : à l’intérieur du médaillon, deux photographies seulement apparaissaient, l’une représentant lady Beltham, l’autre Hélène.

— Ma maîtresse, ma fille, murmura Fantômas. Les deux êtres que j’ai chéris. Juve, j’aimerais mieux mourir que de vous demander une grâce, pourtant…

— Laissez ce médaillon à Fantômas, ordonna Juve. Il ne contient rien qui puisse être dangereux, qui puisse être inquiétant.

— Merci, Juve.

Ce que n’avait pu faire aucune menace, ce que n’avait point fait l’horreur de sa situation, la simple remise de ce médaillon le faisait.

Une larme perla au bord des cils de Fantômas. Il fit jouer le ressort du bijou, il regarda les deux photographies, puis, se roidissant encore, déclara :

— Les formalités sont accomplies, je suppose ?

— Emmenez-le, dit M. Havard.

Les inspecteurs de la Sûreté venaient de s’écarter ; les formalités du greffe étant terminées, ils étaient dessaisis de Fantômas. Le bandit appartenait désormais à l’administration pénitentiaire. Deux gardiens le prirent par les mains. On l’avait délié. Quelques minutes plus tard, des bruits de verrous retentirent. Le pas mélancolique du gardien de faction ébranlait les silencieuses allées de la souricière. Fantômas était définitivement incarcéré, définitivement pris, et même, un homme était chargé nuit et jour de ne point le perdre de vue.

Alors seulement, Juve, Fandor et les inspecteurs de la police se retirèrent.

À six heures du soir, Juve et Fandor quittaient le Palais de Justice. Les deux amis étaient rompus de fatigue, brisés d’émotion. L’arrestation imprévue de Fantômas, les scènes qui l’avaient marquée, la perpétuelle tension d’esprit où ils étaient demeurés l’un et l’autre, cependant qu’on conduisait le bandit au Dépôt, les avaient accablés.

Fantômas mis en cellule, d’ailleurs, ils n’avaient pas encore pu prendre immédiatement un repos dont ils avaient cependant un impérieux besoin.

Aidé de Fandor, Juve avait dû effectuer une infinité de démarches. M. Havard avait voulu un récit complet et détaillé des derniers événements. Puis le chef de la Sûreté avait vivement prié Juve de l’accompagner au cabinet du procureur général.

Le haut magistrat avait alors longuement entretenu les deux amis.

Après avoir vivement félicité le détective et son inséparable compagnon, Jérôme Fandor, il avait enfin procédé à la désignation d’un juge d’instruction, lequel n’était autre que Germain Fuselier, ce qui avait comblé d’aise le journaliste aussi bien que le policier.

Sortis du cabinet du procureur général, Juve et Fandor s’étaient naturellement rendus au cabinet de M. Fuselier pour lui apprendre les extraordinaires événements qui venaient de se dérouler, pour lui annoncer aussi qu’il allait avoir à conduire, tâche honorifique mais terriblement lourde et périlleuse, la formidable instruction des affaires de Fantômas.

Cette visite, naturellement, avait obligé Juve et Fandor à faire une fois encore le récit des derniers drames survenus.

— Ah mon vieil ami, mon vieil ami, murmurait le journaliste en sortant du Palais de Justice avec Juve.

— Quoi ? Qu’est-ce qui te prend, Fandor ?

— Rien, mais je suis heureux ! Tenez, j’imagine qu’aujourd’hui est la plus belle journée de ma vie. Parbleu, Fantômas est pris, il me semble que tout l’affreux cauchemar qu’était notre vie depuis dix ans va brusquement prendre fin et que rien ne s’opposera plus désormais à ce que je puisse aimer Hélène, et…

— Tais-toi, Fandor.

Le front de Juve s’était brusquement rembruni.

— Nous ne sommes pas au bout de nos peines, déclara-t-il, et j’ai bien peur, Fandor, que tu t’illusionnes en escomptant un bonheur trop prochain. Oui, sans doute, Fantômas est pris, mais Fantômas est pris parce qu’il l’a voulu et il m’a dit : « Souvenez-vous ». Or, je me souviens. Fandor. Il y a un mystère que nous ne soupçonnons pas. Fandor, l’assassinat de lady Beltham, cet assassinat incompréhensible, cache quelque chose d’horriblement inquiétant. Tu me l’as dit toi-même, d’ailleurs. Tu l’as deviné en réfléchissant aux extraordinaires aventures de ces temps derniers, il y a peut-être deux Fantômas, or, nous n’en avons qu’un sous les verrous. Où est Hélène, d’ailleurs ? Que faisait-elle à Enghien ? Quel est le motif de son attitude bizarre ? Fandor, Fandor, il y a encore bien des mystères à deviner, des mystères qui me font peur.

— Juve, je ne vous crois pas, je ne veux pas vous croire, protesta le jeune journaliste et d’abord, Juve, vous l’avez dit ce matin, il y a une lettre d’Hélène qui vous est arrivée. Nous ne l’avons pas ouverte, préoccupés que nous étions tous les deux d’arrêter Fantômas, mais maintenant que le monstre est sous les verrous ; nous allons pouvoir la lire en paix, savoir ce qu’elle nous dit, deviner ce qu’elle nous cache encore, peut-être.

Les deux amis montèrent rapidement à l’appartement de Juve. Fandor, en effet, avait une hâte fébrile de connaître la lettre écrite à Juve par Hélène et dont il n’avait point encore pris connaissance, ayant fait taire ses égoïstes préoccupations pour prêter main forte à Juve, alors que celui-ci arrêtait le terrible Fantômas.

Hélas, une surprise cruelle attendait Fandor.

Quand, en compagnie du policier, en effet, le journaliste, rentré rue Tardieu, chercha dans le cabinet de travail de Juve la lettre d’Hélène, cette lettre qu’il y avait vue deux heures plus tôt, il lui fut impossible de la retrouver.

C’est en vain que Fandor et Juve fouillèrent tout l’appartement, en vain qu’ils bouleversèrent les meubles, qu’ils secouèrent la corbeille à papier. La lettre avait disparu. La lettre avait été volée, la lettre d’Hélène n’était plus chez Juve.

Alors, le malheureux journaliste convaincu de l’inutilité de ses recherches, tomba anéanti sur une chaise, sanglotant presque, et, tandis qu’il demeurait ainsi sans mouvements, à demi évanoui, Juve, tout bas, répétait :

— Fantômas, Fantômas. Est-ce donc Fantômas qui aurait volé cette lettre sans que je m’en sois aperçu ? Et quel était son but ? Que pouvait donc écrire Hélène ?

3 – À LA RECHERCHE D’HÉLÈNE

Désespéré par la perte de cette lettre, perte qui lui semblait inexplicable, car il était absolument certain de l’avoir tenue entre ses mains, de l’avoir posée sur son bureau, sous un presse-papier, Juve s’obstinait. Peine perdue.

Juve, alors, jeta un regard de compassion au malheureux Fandor, qui, lui, demeurait assis dans un grand fauteuil, la tête appuyée sur ses mains, réfléchissant.

— Voyons, petit, commençait Juve, il ne faut pas te mettre martel en tête, rien n’est irréparable.

Fandor haussa les épaules, accablé.

— Parbleu, rien n’est irréparable évidemment, mais il n’empêche qu’encore une fois, je ne sais pas où est Hélène, encore une fois, je puis tout craindre pour elle. D’ailleurs, Juve, que devons-nous imaginer ? Pourquoi nous écrivait-elle ? Qu’y a-t-il dans cette lettre ? Elle appelait peut-être au secours, peut-être nous demandait-elle aide ou protection. Que faire maintenant ? Comment savoir ? Que va-t-elle penser ?

Et malgré eux, Juve et Fandor se demandaient encore :

— Hélène sait-elle, à l’heure actuelle, que Fantômas est prisonnier, qu’il se trouve sous les verrous ?

Juve s’était assis derrière son bureau et dessinait machinalement, devant lui, sur son buvard.

Soudain, il se redressa, le front barré d’un pli, les yeux jetant des éclairs, prenant cet air volontaire qui lui était particulier, et qui annonçait toujours qu’il était prêt à la lutte, prêt à agir et à agir rapidement.

— Fandor, commença Juve, tu n’as pas le droit de te désespérer, mon petit ! Les regrets et les plaintes n’ont jamais mené personne à rien. Secoue-toi, remue-toi. Va-t’en aux renseignements.

— Je ne demande pas mieux que d’aller aux renseignements, mais qu’entendez-vous par là ? Où ?

— À Enghien.

— Vous m’expédiez à Enghien, Juve ? Pourquoi, mon Dieu, que voulez-vous que j’y fasse ? Hélène a fui en pleine nuit, nul certainement n’a remarqué sa voiture et, par conséquent, je ne vois pas comment je pourrai la suivre à la piste.

— Je ne t’envoie pas courir après l’automobile prise par Hélène. Il est bien évident que cela ne t’avancerait à rien. Mais tu as de la besogne plus utile à faire à Enghien. Va-t’en trouver Sarah Gordon [2]. Interroge-la. Cuisine-la, sapristi ! Il faudra bien que cette femme te dise ce qu’Hélène était venue faire auprès d’elle.

— Vous m’envoyez voir Sarah, à Enghien, Juve ? Mais c’est un enfantillage ! Sarah Gordon n’est certainement pas restée là-bas, après les aventures qui ont marqué son séjour.

— Tu te trompes, Fandor.

— Pourquoi donc, Juve ?

— Parce que je lui ai ordonné, moi, de rester à l’hôtel. Mon petit Fandor, il y a quelque chose de sûr, c’est que Sarah Gordon se débat au milieu d’aventures parfaitement incompréhensibles. Il y a quelque chose de vraisemblable aussi, c’est que cette même Sarah Gordon ne comprend rien, ou à peu près rien, à tout ce qui arrive. En d’autres termes, cette jeune femme m’a plus l’air d’une victime que d’une complice. Tu m’entends, Fandor ?

— Oui, mais je ne vous comprends pas.

— Voici des explications : tenant Sarah Gordon pour une victime, et n’ayant par conséquent aucun motif de me méfier d’elle, je lui ai conseillé, Fandor, de demeurer tranquillement là où elle était : « Mademoiselle, lui ai-je dit, vous venez de recevoir ici, à Enghien, des visites désagréables. Toute autre personne que vous prendrait l’endroit en haine, et s’en irait au plus vite. Très bien. Restez-y au contraire. Demeurez-y. Je parierais tout ce que vous voudrez que l’on vous cherchera partout, mais pas là. Vous êtes donc dans cet hôtel, en somme, plus en sûreté que n’importe où. »

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