La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 27 стр.


Actif, remuant, audacieux aussi, Fandor avait décidé, le jour même où Bouzille lui annonçait qu’il comptait des amis parmi les bohèmes, de surveiller les ateliers. Fandor avait pris ce déguisement du père Mathusalem parce qu’il lui était vite apparu que c’était le meilleur qu’il pût souhaiter.

Or, si le vieux Mathusalem était Fandor, il n’était pas étonnant, évidemment que Fandor se fût aperçu, tout comme Sunds, que Daniel n’était pas Daniel.

Il y avait cependant une différence entre les découvertes du journaliste et les découvertes de l’artiste.

Sunds avait tout simplement trouvé que Daniel était une femme. Jérôme Fandor lui, l’avait reconnue, cette femme. Il savait son nom, et ce nom, quand il le prononçait, le faisait tressaillir. Daniel, pour lui, c’était Hélène, c’était la fille de Fantômas, c’était celle qu’il chérissait entre toutes, celle qu’il appelait sa fiancée, celle dont la vie, mauvaise, le séparait sans cesse.

Mathusalem-Fandor, embusqué dans l’appentis de Sunds, était donc fort malheureux à écouter les déclarations amoureuses que l’artiste adressait à la fille de Fantômas.

Fandor, cependant, tressaillit d’aise en s’apercevant qu’Hélène n’en semblait nullement émue. Sa gêne et son ennui même étaient visibles.

— Sunds, disait la jeune fille à l’artiste, je ne sais pas ce que vous avez aujourd’hui, mais vous dites des sottises. Vous avez deviné que je suis une femme. Bon. C’est vrai. Je l’avoue ! Mais ce n’est pas une raison pour que j’accepte de vivre avec vous. Voyons, réfléchissez. Si j’ai pris la peine de me déguiser en homme, si je risque ce mensonge extraordinaire, c’est probablement que j’ai des intérêts graves à défendre.

— Je t’aime, petite !

— C’est peut-être, continuait Hélène, que j’aime ailleurs. Vous êtes un brave homme, Sunds, vous comprendrez par conséquent que vos assiduités me feraient souffrir.

Mais Hélène connaissait mal le caractère de Sunds. L’artiste n’était peut-être pas un méchant homme, mais il était violent et emporté. Le trafiquant d’objets d’art était de ceux qui resteraient honnêtes toute leur vie si une tentation trop forte n’en faisait des voleurs, ou même des assassins. Il n’était pas foncièrement vicieux, mais par passion, il était capable des pires atrocités.

Aux paroles d’Hélène, qui lui permettaient de deviner que la jeune fille aimait et aimait un autre que lui, Sunds sentait une colère furieuse monter en lui. Son visage se congestionnait, ses traits se gonflaient :

— Alors, voilà la vérité, tu es bien une femme et pourtant tu ne veux pas devenir ma maîtresse ?

— Non, je ne veux pas ! répondit Hélène qui, lentement, recula vers la porte.

La jeune fille, toutefois, n’eut pas le temps de s’enfuir. Brutalement, Sunds se précipitait vers elle.

— Eh bien, tant pis pour toi, faisait-il, si tu ne veux pas de bonne grâce, tu voudras de force.

Il avait empoigné Hélène. La jeune fille se vit perdue. Elle poussa un faible cri.

Mais, à ce moment, la scène brusquement changea. En effet, une série de jurons répondait au cri d’Hélène :

— Bandit, canaille, crapule, saleté, immondice !

Et Sunds, qui s’attendait peu à une attaque, certes, recevait en plein dans le dos une énorme potiche de porcelaine, projectile que trouvait tout naturellement sous sa main en bondissant dans l’atelier, le faux Mathusalem, Jérôme Fandor volant au secours de sa belle.

— Attends un peu, misérable ! hurlait Fandor. Attends un peu que je te flanque la tripotée que tu mérites.

Fandor arriva, le poing levé vers Sunds.

Le Danois lâcha Hélène et fit face au journaliste.

— Comment, hurlait l’artiste, voilà le vieux qui est jeune maintenant. Tu es donc de la rousse ? Eh bien, soit, à nous deux !

Enlacés, les deux hommes luttèrent, cherchant à se renverser, voulant s’étrangler, échangeant de furieux coups de poing. Fandor, cependant, plus jeune que Sunds, plus entraîné que lui aux exercices physiques, aurait eu évidemment facilement raison de son adversaire, si, au plus fort de la bataille, une préoccupation nouvelle ne lui était venue. En luttant, Fandor voyait en effet, sans y prêter attention d’abord, que l’énorme potiche qu’il avait lancée à la tête de Sunds s’était brisée en mille morceaux, et qu’il en était tombé un paquet qui traînait sur le sol.

Or, le hasard de la bataille faisait qu’un coup de pied ouvrait ce paquet, le déroulait plutôt, car il s’agissait d’une sorte de rouleau de documents.

Et dès lors, chose extraordinaire, Fandor semblait négliger Sunds qu’il repoussait d’une bourrade violente. Le jeune homme se jeta à quatre pattes, ramassa les documents épars, les enfouit dans sa poche.

Pour Sunds, au comble de la rage déjà, il revenait sur Fandor.

Un coup de poing jeta le journaliste de côté, un coup de pied lui meurtrit la face. C’en était assez, c’en était trop.

Fandor d’un bond se levait.

— Et puis, zut, criait-il, tenez-vous tranquille, dégoûtant, ou je vous casse la figure.

La menace était vaine d’ailleurs pour la bonne raison qu’elle arrivait après un geste. Fandor, d’un coup de poing que n’eût pas désavoué un boxeur, en effet, avait atteint Sunds en plein visage.

— Et allez donc !

Comme une loque, Sunds s’écroula sur le sol de son atelier, évanoui.

Alors, Fandor se frotta les mains :

— C’est du bon travail que je viens de faire là. Et dire que…

Il jeta les yeux autour de lui.

— Hélène, où est Hélène ?

Affolée, n’étant pas inquiète pour Fandor qui, de toute évidence, devait facilement avoir raison de Sunds, Hélène s’était enfuie.

— Il faut que je la rattrape, murmura le journaliste, il faut que je la supplie.

Fandor sans s’inquiéter davantage de Sunds auquel il venait d’ailleurs d’administrer une correction suffisante, sortit de l’atelier en courant.

20 – LA FIN D’ERICK SUNDS

Fandor n’avait point quitté l’atelier de Sunds depuis une demi-heure et l’artiste était encore évanoui, étendu immobile sur le sol, que deux hommes s’arrêtaient à la porte de l’atelier.

Deux hommes qui n’étaient autres que Fantômas et Dick.

Fantômas riait. Dick, très grave, paraissait préoccupé. Il rompit le silence :

— Fantômas, disait-il, vous m’avez promis tout à l’heure, d’épargner Sarah si je vous faisais retrouver les papiers de votre fille. Pour vous faire retrouver ces papiers, je vous ai conduit ici. J’imagine que vous tiendrez votre promesse.

— Dick, vous devriez savoir ce que vaut ma parole. Mais les papiers d’Hélène sont-ils vraiment ici ? Je m’étonne que vous m’ayez conduit en un pareil endroit. Vous m’avez affirmé que ces papiers se trouvaient entre les mains de ma fille. Croyez-vous donc que ma fille les ait cachés dans cet atelier ?

— J’en suis sûr. Ils sont dans une grande potiche, je l’ai su par un espionnage habile.

Fantômas changea d’attitude :

— Vraiment ? Vous en êtes certain, Dick ? Dans ce cas je reconnais que vous avez tenu votre promesse, et c’est pourquoi je tiendrai la mienne.

Il s’arrêta de marcher, regarda fixement l’homme qui était le fils de Valgrand, l’homme dont il avait fait le malheur.

— Je tiendrai ma promesse, répéta-t-il gravement, et je la tiendrai immédiatement. Vous voulez que Sarah Gordon ait la vie sauve, Dick ?

— Certes, répondait l’acteur en blêmissant, ne vous l’ai-je pas dit ?

— Eh bien, si vous voulez sauver Sarah Gordon, il faut immédiatement que vous vous rendiez à la Chapelle, au cabaret du père Korn. Le premier sergent de ville, le premier passant venu vous l’indiquera. Il donne rue de la Charbonnière. Entrez-y, Dick Valgrand. Faites en sorte d’écouter ce qui se dira. Au bout d’un certain temps, vous entendrez un homme parler de la dame d’Enghien. Abordez-le. Ce sera l’un de mes lieutenants. Vous lui montrerez, tenez, cette simple pièce de monnaie, percée de trois trous. Vous lui direz que Fantômas lui ordonne de rester tranquille. Dépêchez-vous. Faites diligence ! Si vous ne rencontrez pas cet homme dans moins de deux heures votre maîtresse sera morte.

— Sarah court un danger en ce moment ?

— Un danger de mort.

— Vous avez donné des ordres, Fantômas ?

— Je n’ai pas à vous répondre. Vous avez tenu votre promesse. Je tiens la mienne. Nous sommes quittes. Allons, dépêchez-vous, courez… Souvenez-vous, Dick, que dès à présent, j’estime que je ne vous dois plus rien, je me souviens seulement que vous êtes en lutte contre moi, et ceux qui luttent contre moi, je les tue.

Fantômas avait tiré de sa poche un revolver, il le braqua sur Dick :

— Je vous dois une leçon encore. Songez que j’étais armé, quoique vous ayez pu croire le contraire, j’ai toujours deux revolvers sur moi. Mais vous le voyez, j’ai tenu ma parole. Vous m’avez conduit vers les papiers de ma fille, je vous donne la vie de Sarah Gordon, et je ne vous tue pas immédiatement, nous sommes quittes vous dis-je, partez !

— Soit, nous sommes quittes en effet, Fantômas, et nous pouvons recommencer à être ennemis. Si nous nous retrouvons face à face, ne me ménagez point, car pour Dieu, je ne vous ménagerai pas. Adieu Fantômas !

— Au revoir, Dick Valgrand.

À peine Valgrand éloigné, le bandit éclatait de rire :

— Quel imbécile que ce jeune homme, murmurait-il. Le voilà qui se rend au cabaret du père Korn, persuadé qu’il va sauver Sarah. La belle histoire. De deux choses l’une. Ou il ne trouvera personne là-bas, ou le hasard voudra qu’il y rencontre le Barbu. Si le Barbu est au cabaret, si Dick lui présente la pièce percée que je lui ai confiée, l’affaire est claire, Dick Valgrand est un homme mort. Et maintenant, au travail.

Brusquement, Fantômas ouvrit la porte. Brusquement il entra dans l’atelier.

— Sunds, appela-t-il, c’est moi.

Fantômas avait-il donc des relations avec l’extraordinaire fabricant de vieux neuf ?

Le bandit s’étonna de ne pas obtenir de réponse :

— Tu n’es point là, Sunds ?

Dans un coin de l’atelier, Fantômas venait d’apercevoir le corps de l’artiste, étendu de tout son long.

Il se précipita vers l’homme écroulé, le releva, le porta sur le divan.

— Sunds, demanda-t-il, m’entends-tu ?

Mais Sunds restait évanoui.

Alors Fantômas avisa un flacon de rhum traînant sur une table, il entrouvrit de force les lèvres du blessé, y versa quelques gouttes de la puissante liqueur.

— Bon Dieu, que m’est-il arrivé ? demandait Sunds, ouvrant enfin les yeux.

— Je n’en sais rien, mais tu sembles mal en point, camarade.

Or, à ce moment, la mémoire revint au malheureux Danois :

— Tiens, c’est toi Fantômas ? Ma foi, tu aurais bien fait d’arriver cinq minutes plus tôt.

— Pourquoi ?

— J’ai reçu une tripotée numéro un. Ça je peux m’en vanter.

— De qui ?

— De Mathusalem.

— C’est Mathusalem qui t’a mis en cet état ? interrogea Fantômas. Qui est-ce Mathusalem ? Il vit encore ?

— Mathusalem ? C’est un vieux qui est un jeune. Voilà. C’est exactement la même chose que Daniel qui est une femme. Vrai, Fantômas, depuis quelque temps, je ne sais plus comment je vis. Je ne sais pas ce qui se manigance autour de moi, mais tout se complique bigrement.

Le pauvre Sunds se frottait toujours les membres. Levant les yeux, il finit cependant par remarquer le visage sombre et l’air irrité de Fantômas.

— Au fait, demanda-t-il, qu’est-ce que tu viens faire chez moi, toi ? Il était convenu entre nous, depuis l’affaire de Bagatelle, que tu ne remettrais pas les pieds dans mon atelier. Je ne comprends pas ta présence ici.

— Tu vas comprendre, déclara sardoniquement Fantômas. Es-tu en état de me répondre ?

— Assurément, je suis aussi en état de me frictionner avec de l’essence de térébenthine. Bon Dieu, cet animal de vieux m’a littéralement coupé la peau. Demain je serai noir et bleu. Drôle de drapeau.

Sunds était gai. Fantômas, brutalement le rappela à l’ordre :

— Tais-toi, ordonna-t-il, tu riras plus tard, si tu en as le temps.

— Ah ça, qu’est-ce qui te prend, Fantômas ? Tu n’as pas l’air de bonne humeur ?

— Où sont les papiers de ma fille ?

— Les papiers de ta fille ? Quels papiers ? Je ne connais même pas ta fille.

— Si, tu connaissais Daniel ?

— Daniel ? Allons bon. Voilà que Daniel était ta fille.

Mais Fantômas n’était pas en disposition d’esprit pour entrer dans des explications. Il répéta brutalement :

— Parle… Où sont les papiers de ma fille ?

— Je n’en sais fichtre rien !

— Et moi, Sunds, je te dis que tu dois le savoir. Ils sont cachés chez toi, ici.

— Ici ? fit Sunds d’un air incrédule.

— Ici, oui, dans une potiche.

Or, Fantômas n’avait point dit ces mots : « dans une potiche », que Sunds se redressait.

— Ah bon Dieu de bon Dieu, jurait l’artiste, mais alors, je comprends, je comprends tout ! Ce sont ces papiers que ramassait le vieux-jeune pendant que je cognais dessus, avec tant de plaisir. Eh bien, c’est du joli ! S’il y avait des papiers, Fantômas, ils étaient dans la potiche que tu vois brisée par terre, et s’ils sont quelque part maintenant, ils sont dans la poche de l’individu qui m’a si promptement roué de coups.

La déclaration que faisait Sunds était en tout point sincère.

Fantômas cependant, fronça les sourcils, prit un air plus terrible encore :

— Tu mens, jurait-il, je sais que tu mens ! Sunds, c’est toi qui as pris ces papiers.

— Mais non, ce n’est pas moi.

— Si, et le vieux dont tu parles n’existe que dans ton imagination. Tu me joues la comédie en ce moment. Peut-être m’as-tu entendu parler devant ton atelier avec Dick Valgrand, et as-tu décidé de me jouer la scène que tu me joues ? Oh, oh, Sunds, il faut avoir bien de l’audace pour tenter de me faire chanter, moi ! Rends-moi ces papiers immédiatement, ou apprête-toi à apprendre ce que j’ose dans ma colère.

Mais Sunds, sans se rendre compte peut-être de l’état d’énervement où était Fantômas, demeurait fort calme et fort souriant :

— Patron, ripostait-il, je me demande ce que tu as aujourd’hui. Une fois, deux fois, trois fois, je n’ai pas ces papiers. Si d’ailleurs quelqu’un doit se plaindre, c’est moi, Fantômas, et pas toi. Car enfin, d’après ce que tu me dis, je comprends que la correction que je viens de prendre, je l’ai prise à propos de ces maudits papiers, dont je ne soupçonnais pas l’existence. Que diable, pourquoi donc aussi t’étais-tu amusé à les cacher chez moi, sans me prévenir ?

La bonne foi de Sunds était évidente. Mais la colère aveuglait Fantômas :

— Ce n’est pas moi qui ai caché ces papiers, hurlait-il, c’est ma fille, c’est Daniel.

— Dis donc, Fantômas, au fait, est-ce que par hasard le vieux Mathusalem, qui est jeune, ne serait pas un policier ?

— Laissons cela ! dit Fantômas. Je saurai plus tard si tu dis la vérité et je serai toujours en mesure de te châtier si tu mens. Il y a autre chose, Sunds, réponds-moi franchement, où est le tableau ? Je le veux. Il est temps que l’affaire nous profite.

Or, à ces mots, Sunds éclata de rire. Il retrouvait toute sa bonne humeur pour déclarer à Fantômas :

— Vrai, patron, tu exagères aujourd’hui. D’abord, tu me réclames quelque chose que je n’ai pas, et ensuite, tu me demandes autre chose que je ne peux pas avoir.

— Quelque chose que tu ne peux pas avoir ? Sunds, le tableau qui était à Bagatelle, remplaçant le fameux Pêcheur à la ligne, n’a aucune valeur. C’est une croûte. Il est inadmissible que tu ne puisses pas te le faire donner.

— C’est pourtant vrai. Cette croûte, comme vous dites, patron, a une valeur anecdotique, présente un intérêt documentaire. En tout cas, elle est célèbre maintenant, je n’ai pas pu me la procurer. Mais elle sera mise en vente prochainement par l’administration de l’Exposition. Ce n’est que partie remise. Nous l’aurons pour une bouchée de pain.

— Nous devrions déjà l’avoir. Tu me trahis, imbécile ! Je suis sûr que tu me trahis !

Or, à cette accusation, Sunds à son tour, se mit en colère.

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