La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 28 стр.


— Zut, dit l’artiste, moi j’en ai assez de toutes ces manigances. Je te dis la vérité, Fantômas, et tu ne me crois pas. J’ai essayé d’avoir cette toile, je n’ai pas pu, une fois, deux fois. Crois-moi ou ne me crois pas, je n’y peux rien.

Sunds allait et venait dans son atelier, furibond :

— Voilà ce que c’est, répétait-il, on se donne un mal du diable pour satisfaire le client. On court le risque d’attraper dix ans de travaux forcés au moins, et après ça, on vous accuse de trahir. C’est à devenir neurasthénique.

Il allait continuer à se lamenter, à se plaindre, plaisantant déjà, car, au fond, Sunds était incapable d’une longue colère, lorsque Fantômas l’arrêta au passage, l’empoignant par le bras.

Le bandit, avec sa force herculéenne, attirait près de lui l’artiste en dépit de sa résistance :

— Sunds, dit-il, prends garde, tu n’as point l’air de savoir qu’il ne faut jamais lutter avec moi. Cela finira mal.

Il y avait en ce moment tant de cruauté froide dans l’attitude de Fantômas, sa physionomie respirait si bien la haine, que Sunds eut peur.

— Lâche-moi ! ordonna-t-il, brutal à son tour. Oui, cela finira mal, car si tu le prends sur ce ton, Fantômas, je le prendrai de la même manière. Ce que je disais tout à l’heure est vrai. J’en ai assez de ces manigances. Aussi vrai que je m’appelle Sunds, si tu ne me laisses pas tranquille, je vais raconter à la justice toute la combine, tout notre truc du faux tableau.

Le malheureux n’acheva pas. À peine avait-il proféré cette menace qui, à elle seule, prouvait combien peu l’artiste connaissait mal l’audace de celui qui était devenu son complice, que Fantômas bondissait sur lui, l’empoignait par le cou, l’étranglait à moitié, le renversait sur le sol.

— Qui me résiste meurt ! hurlait Fantômas. Ah, vraiment, tu parles de tout raconter à la police. Eh bien, nous verrons si les muets peuvent trahir. Car tu vas être muet, Sunds, muet pour toujours. Pas de bavards dans les cimetières.

Fantômas était à genoux sur le malheureux peintre, ses doigts l’étranglaient à moitié. Un instant, sa main desserra son étreinte, mais Sunds n’avait pas eu le temps seulement d’appeler au secours, que Fantômas avait tiré de sa poche un long bandeau de soie, qu’il portait toujours.

Il lui fallut moins d’une seconde pour bâillonner Sunds.

— Oh, oh, railla le Maître de l’Effroi, je crois que tu commences à te taire. Mais tu te tairas bien davantage dans deux heures.

Fantômas riait. Lentement, méthodiquement, il attachait les poignets de Sunds, il lui liait les jambes aux chevilles :

— Eh bien, imbécile, demandait-il, comprends-tu que j’avais raison en te disant que tout cela finirait mal ?

Sunds, à cet instant, était au comble de l’effroi : Que faisait Fantômas, que préparait-il ? À quelle diabolique besogne se livrait-il ?

Fantômas avait tiré au milieu de l’atelier une grande échelle qu’il appuyait au vasistas s’ouvrant sur le toit de la bâtisse :

— Sunds, annonça le tortionnaire, je n’aime pas les morts rapides. J’ai toujours la clémence d’accorder à mes victimes quatre ou cinq heures pour voir la mort en face et se repentir. Je te prépare un petit trépas qui te laissera tout le temps de réfléchir à la sottise dont tu as fait preuve.

Fantômas était revenu près de Sunds. Comme s’il eût soulevé un fardeau léger, il empoignait le corps de l’artiste, le jetait sur ses épaules. Fantômas, alors, gravit la haute échelle. Il ne semblait pas sentir le poids de Sunds, il agissait avec une parfaite liberté de mouvement.

Parvenu au haut de l’échelle, Fantômas ouvrit le vasistas, il se glissa sur le toit.

Il était six heures du soir. L’obscurité commençait. La ruelle près de l’atelier était déserte.

— Tout est fort bien, murmura Fantômas.

Il jeta Sunds sur le toit, le tira par les pieds, sans s’occuper des terribles blessures qu’il faisait au visage du malheureux, écorché aux aspérités des ardoises.

Fantômas roula Sunds jusqu’à la gouttière. Il y coucha l’artiste, en équilibre, le corps pendant à moitié dans le vide.

— Écoute-moi bien, déclarait le bandit, se penchant à l’oreille de sa victime, voici ce que je vais faire. À ton pied, j’attache une corde, cette corde rejoint la porte d’entrée de ton atelier, quand on ouvrira la porte, on tirera sur la corde, tu seras précipité dans le vide. Ne crois pas, Sunds, que ce soit tout. Il se pourrait que tu en réchappes. Somme toute, tu ne vas tomber que de cinq ou six mètres. Or, mon camarade, j’ai décidé ta mort. Écoute. Regarde : tu vois ce fil de fer ? Il est terminé par un nœud coulant, je le passe autour de ton cou, il y fera l’office d’un couteau de guillotine. Mon cher, quand tu dégringoleras dans le vide, tu te sentiras brusquement arrêté par ce licol tranchant. Le fil de fer n’est pas assez long pour que tu atteignes le sol. Tu seras suspendu et pendu si brusquement que j’aime à croire que tu auras la tête tranchée. Voilà ce qui t’attend, Sunds. Penses-y et demandes-toi s’il n’eût pas mieux valu me servir fidèlement ?

***

Pendant que cela se passait, qu’était devenu Fandor ?

Fandor, au sortir de l’atelier de Sunds, s’était précipité comme un fou dans les rues de Montmartre, cherchant à retrouver Hélène.

Ses recherches, malheureusement, étaient demeurées vaines et Fandor devait se résigner à comprendre que si la jeune fille l’avait reconnu, comme il était probable, au moment où il s’était précipité sur Sunds, elle n’en avait pas moins voulu s’enfuir, ne pas se montrer, ne pas se faire reconnaître.

« Peut-être, Hélène s’imagine-t-elle que je ne l’ai pas identifiée », pensait Fandor.

De guerre lasse, ayant battu les environs de l’atelier, Fandor s’était décidé à aller trouver Juve.

« Il faut que je le mette au courant, pensait le journaliste, il faut surtout que je lui rende ces fameux papiers, si miraculeusement retrouvés. Par exemple, je me demande comment Juve m’expliquera qu’ils étaient au fond d’une potiche, dans l’atelier de Sunds. Du diable si nous aurions pensé à cela. »

Rue Tardieu, Fandor eut la chance de trouver le policier à domicile.

Juve était à plat ventre par terre, et fumait avec conviction une pipe énorme. Il était d’une humeur massacrante :

— Qui va là ? demandait-il sans se retourner, comme Fandor ouvrait la porte de son cabinet de travail. Si c’est vous, Jean, allez au diable !

— Ça n’est pas Jean, c’est moi.

— Eh bien, vas-y quand même.

Fandor ne se démonta pas pour si peu.

— Mon vieux Juve, ce qui me plaît en vous, c’est que vous avez l’humeur agréable aujourd’hui. Enfin cela ne fait rien. Il paraît que je dois être mal reçu partout : en haut de la Butte, j’ai reçu une tripotée formidable, en bas de la Butte, je me fais envoyer au diable. Je vais tâcher de descendre sur les boulevards, peut-être qu’on ne m’y engueulera pas.

Juve, cependant, demeurait étendu. Sans même tourner la tête, il interrogea :

— Pourquoi as-tu reçu une tripotée au haut de Montmartre ? Et avec qui te l’es-tu flanquée ?

— Avec Sunds.

— Avec Sunds ? Qu’est-ce que tu fichais chez Sunds ? Il a eu raison de te fiche à la porte, cet homme, si tu venais l’embêter comme tu viens m’embêter.

— Juve, ce qu’il y a précisément d’injuste dans l’histoire, c’est que je suis aussi mal reçu par vous que par Sunds, or, je fais chez vous le contraire de ce que j’ai fait chez Sunds.

— Qu’y faisais-tu, animal ?

— Juve, j’ai pris chez Sunds, quelque chose… et ce quelque chose, je vous l’apporte.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Cela.

Fandor, d’un geste rapide, jeta les papiers d’Hélène à Juve.

Sur ce, il fit à son vieil ami, le récit de ses aventures.

— Et voilà, qu’est-ce que nous allons faire ?

Juve n’hésita pas.

— Ce que nous allons faire ? Aller trouver Sunds, parbleu ! Il y a gros à parier que c’est cet individu qui s’est glissé chez moi, en prenant ma tête pour voler les papiers d’Hélène, puisque en somme, c’est chez lui que tu viens de retrouver ces papiers. Sunds, c’est sûrement un complice de Fantômas.

***

Juve et Fandor se hâtèrent de remonter la Butte Montmartre. Vers sept heures et demie ils arrivaient à l’atelier du peintre.

— Attention, recommanda Juve, j’ai tout lieu de croire que le bonhomme doit être sur ses gardes. S’il s’est battu avec toi, Fandor, tu admettras bien que, tout déguisé que tu étais, il a dû supposer que tu jouais un rôle louche. Donc, quand il va nous apercevoir, il va tâcher de se défiler le plus vite possible. Tu vois ce qu’il y a à faire, Fandor ?

— Oui, nous entrons dans le jardinet sans faire de bruit, nous nous glissons jusqu’à la porte. Cette porte, nous l’ouvrons rapidement, et, non moins rapidement nous nous précipitons sur le nommé Sunds que nous accablons de questions.

Juve et Fandor se glissèrent, comme ils venaient d’en convenir, dans le jardinet qui précédait l’atelier de Sunds.

— Doucement, recommandait Juve.

Au même instant, Fandor posa son bras sur l’épaule du policier.

— Entendez-vous ?

— Non, quoi ?

— On aurait dit un gémissement.

— Tu es fou.

Le policier, pourtant, prêtait l’oreille. Fandor ne s’était pas trompé. Quelqu’un gémissait, un cri étouffé s’entendait à peu de distance.

Alors Juve prit son parti :

— Vite, dit-il, et le revolver au poing.

Ils se précipitèrent au même instant vers la porte de l’atelier, l’ouvrirent brusquement.

Mais, en ouvrant cette porte, Juve réalisait, à son insu, les horribles prévisions de Fantômas :

La corde tirait hors de la gouttière le malheureux Sunds, Juve et Fandor n’avaient pas le temps de se reconnaître qu’un corps leur tombait sur la tête, cependant qu’à quelques pas d’eux une sorte de boule ronde, sanglante, roulait.

C’était la tête de Sunds, la tête que le fil de fer avait tranchée net, comme l’avait prédit Fantômas.

21 – LES AMATEURS DE FAUX REMBRANDT

La vente devait commencer à deux heures précises, mais une bonne demi-heure auparavant, la foule s’écrasait déjà dans la salle D de l’hôtel Drouot, qui avait été réservée à l’éparpillement sensationnel des objets d’art ou autres, ayant appartenu à l’infortuné Danois Sunds. On avait annoncé la liquidation de ses biens, à grand renfort de réclame dans les journaux, dans l’espoir de faire une vente qui rapporterait pas mal d’argent.

C’était là l’intérêt des créanciers assez nombreux que le Danois laissait après sa mort tragique.

Il y avait eu un autre but à cette publicité, but que seuls quelques initiés pouvaient connaître. La police, en effet, était toujours sur les dents et confuse aussi de n’avoir pas fait la lumière sur le mystérieux assassinat du marchand d’antiquités, que l’on ne pouvait, malgré tout, attribuer à un accident.

Fantômas, avait conclu Juve.

Mais c’est à peine si désormais, dans les bureaux de la Sûreté, comme dans les couloirs du Palais de justice, on osait prononcer ce nom redoutable.

Or, si l’on avait annoncé à grand tapage la vente des objets ayant appartenu à Sunds, et si on avait décidé d’opérer cette vente dans les salons de l’hôtel Drouot, c’était afin d’y attirer parmi la foule interlope et variée qui fréquente habituellement l’hôtel des Ventes, des gens qui, peut-être, de près ou de loin, auraient été mêlés aux mystérieuses affaires dont on recherchait la solution.

Il y avait autre chose également qui devait corser l’intérêt de cette vente. C’était la présence de la copie du tableau désormais presque aussi fameuse que le tableau lui-même : le Pêcheur à la lignede Rembrandt.

Les instructions ouvertes avaient établi que l’auteur de cette affreuse peinture, qui avait été substituée à l’original, n’était autre que Érick Sunds. La découverte de sa supercherie remontait au lendemain de sa mort.

Lorsque Juve, avec les agents de la Sûreté, perquisitionnaient dans l’atelier du défunt, ils y avaient découvert en effet, une boîte de couleurs contenant une palette, sur laquelle étaient étalés quelques couleurs, quelques mélanges encore tout frais. Or, ces diverses teintes que le peintre avait composées étaient, pour la plupart, exactement identiques à celles de la copie qui avait remplacé la toile authentique à l’exposition de Bagatelle.

Puis on avait enfin, au cours de l’enquête à Bagatelle, constaté que quelqu’un avait dû passer la nuit enfermé dans le palais, la veille de l’inauguration, et, par une enquête fort bien menée d’ailleurs, on avait conclu que Sunds était le voleur et le copiste du superbe Rembrandt.

Il avait donc été décidé, sur les instances de Juve, et encore que cela ne fût pas très régulier, que l’on mettrait en vente, avec les objets ayant appartenu à Sunds, la copie du tableau de Rembrandt.

Lorsque les portes s’ouvrirent, la salle D se remplit en un clin d’œil.

On s’y écrasait consciencieusement. Des gens étaient debout, pressés les uns contre les autres. Toutefois, le monde élégant, les gens chics, n’étaient pas venus là. Par snobisme ou curiosité, certains auraient été désireux d’assister à cette vente d’un genre assez inattendu, mais ils avaient eu peur. N’insinuait-on pas, depuis quelques jours dans le public, qu’il se pourrait bien qu’il se passât de vilaines choses à l’hôtel Drouot, ce jour-là ?

M. Varin, commissaire-priseur, chargé de la vente, vint rapidement s’installer à son bureau et, assisté de deux experts et de trois employés, il commença l’énumération des divers lots que l’on avait préparés.

Les enchères s’engagèrent, un peu molles, mais assez normales, cependant.

C’est ainsi que l’on vendait du linge, des meubles, quelques bibelots, des ustensiles de ménage.

Dans un coin de la salle, deux hommes causaient à voix basse.

Ils avaient l’air de modestes employés ou de gens venus de province, vu leurs accoutrements. Si quelqu’un, toutefois, s’était avisé de les regarder de près, et si on avait pu les voir au grand jour et non point dans cette salle fort obscure, on se serait peut-être rendu compte qu’ils avaient des apparences suspectes l’un et l’autre. Un habitué aurait certainement reconnu que ces deux hommes-là étaient grimés, qu’ils portaient des postiches, que leur visage était maquillé.

Les deux hommes ainsi dissimulés dans le fond de la pièce étaient Juve et Fandor.

Le policier avait entraîné là le journaliste, en lui disant :

— Tu vas voir qu’il se passera quelque chose et que nous ne sortirons pas de cette salle sans que notre enquête ait progressé.

Juve n’en avait pas dit plus, mais Fandor, habitué aux mystérieuses attitudes de son ami, n’avait pas insisté, attendant les événements. Ceux qu’escomptaient Juve, devenaient évidemment imminents.

Le commissaire-priseur venait en effet d’annoncer, après un petit silence :

— Mesdames et messieurs, nous allons mettre aux enchères un tableau représentant le Pêcheur à la ligne, attribué à Rembrandt.

C’était une façon élégante et délicate pour ce fonctionnaire, de désigner l’effroyable copie effectuée à grands coups de pinceau par Érick Sunds.

Le commentaire du commissaire-priseur détermina quelques murmures. On entendit fuser des éclats de rire.

Juve s’était penché vers Fandor et lui murmurait à l’oreille :

— Tu vas voir ce qui va se passer. Et si je ne me trompe pas, celui qui emportera ce tableau va le payer un bon prix. Cette pièce-là, c’est tout l’intérêt de la vente, et ça va se monter terriblement.

— Pourquoi ? À part l’intérêt de curiosité anecdotique que présente cette œuvre, elle n’a aucune qualité artistique que je sache ?

Mais Juve, mystérieusement, secouait la tête :

— Tu vas voir, j’ai mon idée.

Il s’arrêta, puis, reprit, comme si soudain il allait faire une confidence à Fandor :

— As-tu remarqué que…

Mais brusquement, Juve se tut. On faisait silence en effet dans la salle, l’enchère commençait.

Avec un ironique sourire, le commissaire-priseur annonça :

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